Chapitre 22

Therys, c'est une histoire qui s'est terminée trop vite. En fait, je crois même qu'elle n'a jamais commencé. Elle aurait pu, nous aurions pu créer quelque chose si William, –son frère tué il y a plus de deux ans–, ne nous avait pas tous trahis.

Je crois aussi que Therys ne s'est jamais réellement remis de la mort de son frère. Perdre un être cher, qu'il ait été bon comme mauvais dans sa vie, cela fait toujours mal. Encore plus quand il l'a vu basculer du mauvais côté.

Deux ans que je n'ai pas revu Therys et je mentirais si je disais que je ressens quelque chose en le voyant maintenant.

Ses cheveux châtains sont bien peignés, il est vêtu élégamment, mais je le trouve terne. Fade. Sans saveur. Je ressens une chaleur différente avec Eros.

Je n'ai pas envie de m'avancer sur ce que je ressens. Je veux dire, qu'est-ce que je ressens ? Qu'est-ce que je sais de l'amour, de l'attirance et du désir ? Qu'est-ce qu'une fille comme moi, d'à peine vingt-et-un an y connaît quoique ce soit ?

Ander et moi avons eu une éducation stricte. Si lui, a pu se créer de l'expérience en voguant de relation en relation –quoiqu'il n'y en ait pas eu beaucoup–, je n'ai jamais eu cette opportunité. Enfin, je l'ai eu, mais je n'ai jamais saisi ma chance.

Danser avec un garçon pendant un bal ? Déjà fait. Discuter de sujets plats et peu intéressants ? Déjà fait. Sourire à de beaux inconnus poliment, sans aucun geste incongru ? Fait et refait.

Mais qu'en est-il de toutes ces questions que je me pose en ce moment ? De toutes ces éventualités devant moi. Je n'ai plus l'âge de fréquenter un garçon. Je devrai bientôt m'entourer d'hommes.

Quels hommes prendraient leur temps à me courtiser ? Qui oserait prendre ma main délicatement sans me brusquer pour autant ? Qui aurait assez de courage pour ne pas me laisser tomber ?

Je dérive. Je reprends peu à peu mes esprits en me reconnectant au monde. Le vrai monde. Celui où Therys me fixe, un air courtois au visage, et où Eros hésite entre me laisser avec lui ou rester.

— Cela faisait longtemps, Arynn.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Il n'est qu'un souvenir passé à mes yeux. La tentative de créer quelque chose qui n'aura jamais abouti.

— C'est vrai, j'avoue d'un air distant. Les choses sont différentes aujourd'hui. Je participe au tournoi.

S'il paraît surpris, il cache bien sa réaction. Il hoche lentement la tête, et ses yeux dévient sur l'homme derrière moi qui ne bouge pas d'un pouce.

Il continue d'acquiescer, comme s'il ne savait pas quoi dire. Il finit par hausser les épaules, se détourne avant de continuer d'un ton poli :

— Bonne chance à toi.

Il me sourit, puis tourne les talons. Je fais de même et Eros plisse les yeux en me voyant partir. Il me suit, et ne peut s'empêcher de se montrer curieux.

— Qui était-ce ?

Je hausse les épaules. Je veux m'approcher du tableau des épreuves mais il y a trop de monde. Alors je décide de m'éclipser mais Eros ne lâche pas l'affaire.

— Personne. Enfin, ce n'est pas quelqu'un d'important.

— Il ne s'est même pas présenté, remarque-t-il.

Tout à coup, sa présence est de trop. J'ai l'impression d'étouffer. Cette foule, ces gens, ces épreuves, la venue de Therys... Tout m'oppresse.

Je me retourne en pleine marche pour lui faire face, sans ralentir pour autant.

— Therys. Il s'appelle Therys et il est le prince héritier de Socrenia. Il avait un frère, William, qui est mort il y a deux ans. C'est tout ce qu'il y a à savoir sur lui.

— Pourtant, je suis convaincu que si je n'avais pas été là, votre discussion aurait été différente.

Son ton est piquant. Je m'arrête en pleine marche et fronce les sourcils. Eros maintient son calme, il a l'air... Je ne sais même pas. Son visage exprime une chose et ses yeux brûlent d'une émotion totalement différente.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Qui est-il pour toi ?

— Personne.

— Personne et il te regardait avec ces yeux de chiot battu ?

— Mais il ne me regardait pas avec...

— Si, Arynn. Je sais ce que je vois.

— Tu dis n'importe quoi.

— Nie la vérité, je m'en fiche, rétorque-t-il, mais tu peux bien au moins me dire qui il est pour toi.

— Je te l'ai dit : il n'est personne.

Je garde mon calme mais il joue avec mes nerfs. Il fait un pas en avant et m'accuse :

— Vous avez été intimes, c'est ça ?

J'ouvre la bouche et la referme, choquée. Je le dévisage, les poumons compressés et cligne plusieurs fois des yeux.

— Tu me crois vraiment ainsi ?

Ma voix demeure calme mais mon esprit, lui, est en ébullition.

— Cela ne te coûte rien de me répondre, réplique-t-il de nouveau.

La déception anime mon cœur.

Il aura fallu d'un revenant pour que le conte de fées vole en mille morceaux. Alors certes, Eros n'est pas là à me crier dessus, mais il se croit tout permis. Et le ton qu'il emploie, comme si ses questions n'étaient pas incongrues, me rend furieuse.

— Je n'arrive pas à y croire, Eros. Tu t'es montré parfaitement aimable depuis notre première rencontre, tu as été un gentleman jusqu'ici. Mais il fallait que tu sois aussi... malpoli et...

Les mots se perdent. Il semble comprendre, enfin, le pas de trop qu'il a fait. Il passe une main dans ses cheveux, visiblement nerveux, et pousse un profond soupir.

Un silence s'écoule. Il finit par m'avouer :

— Je suis désolé, Arynn. Je l'ai vu te regarder et... Je ne sais pas ce que je pensais. Tu avais les yeux dans le vide pendant un moment et j'ai pensé... J'ai cru...

— Ça ne fait rien, je soupire. Ce n'est pas de te faute. Je ne m'attendais pas à le voir, j'ai été surprise.

Je reprends ma marche et l'invite à me suivre. Il se poste à ma droite et ajoute d'un ton curieux :

— Alors... Il n'y a jamais rien eu entre vous ?

— Tu veux dire à part des conversations barbantes et un flirt passager ? Non.

— Qui dit flirt, dit baiser.

Et il me fait un clin d'œil. Moi, je souris, mais plus par gêne.

— J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

— Non, non. Écoute, tu me comprendras peut-être si je t'avoue cela. Tu te rappelles de mon secret inavouable ?

Il hoche la tête et je m'arrête de nouveau dans ma marche. Alors, je me perds dans mes mots, dans mes explications qui me ressemblent un peu trop bien :

— Je n'ai pas beaucoup de secrets, tu sais. En fait, je crois que je n'en ai aucun, à part un seul. Je trouve que c'est le secret le plus ridicule qui ait jamais existé et je suis sûre qu'un tas de filles le partagent, mais voilà. Je n'ai jamais été intime avec Therys ni avec qui que ce soit, Eros. Tu n'auras plus jamais à me poser ces questions parce que je te le dis maintenant : je n'ai jamais embrassé personne de toute ma vie. Et c'est idiot, je le sais bien, j'ai honte parfois de me dire qu'aucun homme n'a su s'attarder plus de cinq secondes sur moi.

Je reprends mon souffle, et débite à une vitesse hallucinante, libérant mes pensées enfouies depuis si longtemps :

— Enfin, si, certains m'ont regardée plus de cinq secondes. Et que m'ont-ils dit ? « Oh, qu'est-ce qu'elle est jolie ! » Des dizaines de bals, de réceptions en tout genre, pour être seulement admirée par mon physique. C'est flatteur, je dois l'avouer, mais qui s'est attardé ? Qui s'est déjà aventuré plus loin qu'une robe à corset avec des bijoux étincelants ?

Souffler. Respirer. Mes pensées sont confuses.

— J'essaie piteusement de me justifier, je crois. Je ne sais pas, en fait. On aimerait tous être quelqu'un, briller de mille feux et moi, tout ce que je veux, c'est disparaître. J'ose me plaindre alors que certaines personnes vivent pire, c'est terrifiant, je...

Eros pose ses mains sur mes épaules alors que je commence à angoisser.

— Eh, eh, Arynn. Doucement. Ce n'est pas idiot, ce que tu dis. Et ton secret n'est pas ridicule. Regarde le mien. Des années d'existence pour qu'aucun membre de ma famille ne sache que je déteste les épinards !

J'éclate de rire et ça le fait sourire. L'une de ses mains restent sur mon épaule, tandis que l'autre vient se poser contre ma joue.

— Ton secret n'est pas ridicule, crois-moi. Personne n'est né avec l'expérience en bagage. Et puis, ce n'est pas une course. Tu vis ta vie à ton rythme, peu importe la pression que l'on peut te mettre sur les épaules.

Je hoche la tête, en reprenant calmement ma respiration, et il ajoute d'un ton penaud :

— Et je suis désolé d'avoir dit que tu étais belle.

Je lâche un rire et hausse les épaules.

— Venant de toi, ce n'est pas pareil.

Oh, Dieu. Voilà que je commence à parler comme lui, avec des sous-entendus nullissimes.

— J'insiste. Tu es plus qu'une jolie fille. Et j'aurai tout le temps d'en apprendre plus. En attendant, ton secret est bien gardé avec moi.

Il me fait un clin d'œil et me relâche doucement. Peut-être qu'Eros est la clef. Peut-être qu'il est la réponse à toutes mes questions.

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