Chapitre 20

Je comble la distance pour la prendre dans mes bras. Elle a l'air en meilleur forme que la dernière fois mais je vois bien que ses joues sont creusées et qu'elle est fatiguée.

— Arynn, je suis tellement heureuse de te revoir !

— Tu m'as manquée, maman.

Au moins, elle est là. J'essaie de ne pas penser au nombre de jours qu'il nous reste ensemble. J'essaie de relativiser mais le fait de me dire que ma mère ne sera pas là pour assister aux plus grands événements de ma vie me brise le cœur.

Elle ne me verra jamais mariée, elle ne rencontrera jamais mes potentiels enfants, ni son gendre, ne verra jamais la femme que je deviendrai avec le temps.

Les larmes pointent aux coins de mes yeux et je déglutis pour les faire disparaître. Je recule, prends une grande inspiration et l'emmène un peu plus loin. Elle doit sentir ma peine parce qu'elle me prend par la taille d'un geste réconfortant.

— Ne sois pas triste, Arynn. Les larmes vont ternir ton joli visage.

C'est trop. Je fonds en larmes. Elle n'est même pas partie que je suis déjà au bord du gouffre. Elle me prend de nouveau dans ses bras alors que moi, je me sens submergée par ma tristesse.

— Je suis désolée, tellement désolée. C'est tellement égoïste de réagir comme ça, tu souffres et je suis celle qui demande de l'attention, je...

— Tout va bien.

Son murmure se propage contre moi. Non, tout ne va pas bien. Tout va mal. Je ne veux pas qu'elle me laisse. Je veux ma mère, le plus longtemps possible. Je veux toute une vie avec elle, je ne veux pas garder d'elle de simples souvenirs.

— Comment peux-tu dire ça ?

Elle me relâche et me sourit. Ses yeux brillent sous le coup de l'émotion mais son sourire, lui, est sincère. Elle rayonne. Ma mère rayonne.

— Je relativise, ma chérie. Je ne suis pas encore partie, je suis toujours là. Pourquoi me soucier de quelque chose qui n'arrive pas encore ?

— Alors ta philosophie de vie, c'est de vivre le moment présent tout en sachant que tu vas bientôt mourir ? C'est stupide.

Aussitôt sortis, je regrette mes mots. C'était piquant et cela ne me ressemble pas. Je chasse mes larmes rageusement mais elle ne semble pas prendre mes paroles personnellement.

— Non, Arynn, bien sûr que je pense au futur. Qui n'y penserait pas ? J'essaie seulement de ne pas trop me torturer l'esprit.

Je me mords les joues pour ne pas parler. Elle me sourit en coin, comme si la mort ne l'attendait pas à la porte.

Et c'est à ce moment-là que Rewind et Eros font leur apparition dans son dos. Oh, par pitié, tout mais pas eux. Pas maintenant.

— Maman d'Ander ! Comme ça fait plaisir de vous revoir.

Bien sûr, Rewind parle trop, comme à son habitude. Je crois que ma mère a l'habitude de sa bonne humeur parce qu'elle le prend brièvement dans ses bras avant de reporter son attention sur Eros.

— Je vous présente Eros, mon cousin, dieu inconditionnel de l'amour, super beau, moins que moi quand même, et aussi attachant qu'une loutre !

Ma mère éclate de rire et Eros lui sourit poliment.

— Ravi de vous rencontrer.

Pas de chichi, tout en simplicité. Ma mère appréciera. Elle apprécie déjà. Elle se tourne vers moi, hausse vivement les sourcils comme pour me dire « Beau, galant, ton style ». Et moi, je lève les yeux au ciel.

Rewind prend ma mère par l'épaule en la faisant avancer pour discuter avec elle, tel le grand orateur qu'il est et Eros s'avance, les mains dans les poches.

Mes yeux rougis ne manquent pas, il semble inquiet.

— Tout va bien ?

Oui, tout va bien. Je vais participer au tournoi de mes rêves, le type qui m'attire secrètement va être convoité par des dizaines de filles et ma mère va bientôt mourir.

Je secoue la tête et il grimace.

— C'est sûrement inapproprié de te proposer cela, je veux dire, toi et moi, prince et princesse, à à peine un mètre de distance... Avec toute cette foule autour de nous et ces filles qui me fixent comme si j'étais une pomme à croquer...

— Proposer quoi ? je souris. Tant que ce n'est pas un plan bizarre ou bien un piège sordide dans lequel tu m'entraines, je peux bien dire oui.

Ses yeux se mettent à briller. Il s'avance, un sourire malicieux aux lèvres et bientôt, la moitié d'un mètre nous sépare.

— Alors je peux te proposer tout ce que je veux ? Comme une accolade amicale, jusqu'à un baiser langoureux ?

— Beurk, Eros, tu me déçois. Je m'attendais à mieux venant de toi.

— Tu n'as pas dit non.

Il sourit encore et il me fait sourire aussi.

— Et j'ai encore une faveur, remarque-t-il. Bien sûr, je suis aussi un prince civilisé et jamais, ô grand jamai, je ne forcerai une dame comme toi à quoique ce soit.

— Va pour l'accolade amicale.

Il lâche un petit rire avant d'avancer pour me prendre dans ses bras. Je niche ma tête contre son torse et hume son odeur, au paradis.

Les choses sont si simples avec lui. C'est comme si nous étions faits l'un pour l'autre. Pas d'obstacle entre nous. Juste sa franchise. Mamie avait raison, il tient d'elle. Eros est un homme honnête, séduisant et plein de bon sens.

Mais chaque être humain a ses défauts. Je me demande encore ce qu'il peut bien cacher.

Il va pour me relâcher mais je me colle contre lui et je l'entends pousser un soupir en resserrant sa prise autour de moi.

Son cœur bat si vite, si fort...

Et d'un coup, l'enjeu du tournoi me paraît plus clair. Ne pas laisser une seule miette à ces cruches.

— C'est plus qu'une accolade amicale, remarque Eros.

Sa pomme d'Adam vibre sous ma joue et ça me fait sourire.

— Accolade amicale prolongée, je ronchonne.

— Je pourrais rester ainsi toute ma vie Arynn mais... Ta mère nous observe avec une sorte d'immense sourire machiavélique aux lèvres.

Je bondis et ma tête vient heurter son menton. Je recule d'un pas, rougissante alors qu'il me dévisage en éclatant de rire.

Oh. Dieu. Son rire. Prolongez-le toute ma vie.

Je me retourne pour voir ma mère s'avancer, aux anges, m'attrapant par le bras, levant les yeux vers Eros :

— J'en ai vu des choses mais alors ça...

— Nous sommes amis, maman, je marmonne en me cachant le visage.

— Les amis ne se font pas des câlins de cinq minutes, rétorque ma mère.

Oh, par pitié. Toutes les mères sont-elles pareille ?

— Alors, Eros, dis-moi tout. Qu'est-ce qui t'amène ici ?

Il n'a même pas l'air déstabilisé le moins du monde.

— J'aurais bien dit les beaux yeux de votre fille mais c'est cliché et un peu ringard sur les bords. Disons que ma mère est... une femme d'affaires, et que ma venue pour le Jeu des Roses est une sorte d'obligation.

J'explicite les choses :

— Kereya a fait changer les règles du tournoi. Les filles vont se battre pour gagner le cœur d'Eros.

— J'espère que tu participes, Arynn !

— Maman, je marmonne tout bas.

— Mais bien sûr que tu participes, que suis-je bête ! Je t'ai vue confirmer ton inscription tout à l'heure. C'est génial ! J'espère que tu gagneras, ma puce, c'est...

Eros lâche un rire alors que moi, je baisse les yeux vers mes pieds.

— Maman d'Ander ! s'écrie Rewind. Venez, j'ai deux espèces rares de singes qui me servent de cousins à vous montrer. Vous verrez, ils sont phé-no...

Mais il n'a pas le temps d'emporter ma mère qu'Ander s'invite à la partie et nous rejoint. Les mains dans son dos, il nous inspecte un à un avec un sérieux inébranlable. Il a tellement changé depuis qu'il est roi, qu'aujourd'hui, j'ai parfois du mal à retrouver mon frère d'avant.

— Rewind.

Sa voix est pleine de sous-entendus. Rewind hausse vivement les sourcils et réplique :

— Oui, mon chou à la crème ?

Ander lève juste les yeux au ciel et me fait signe de le suivre, laissant Eros derrière moi. Sans un mot, nous nous éclipsons derrière un arbre. Je le sens nerveux, presque irrité.

— Tu es sûre de toi ?

Son ton est grave, comme s'il me posait une question fatidique.

— Pour le tournoi. Tu es sûre de vouloir affronter des dizaines de filles qui n'hésiteront pas à te marcher dessus ?

Il pousse un soupir. Moi, je reste muette. Comme si les mots m'avaient quittée depuis bien longtemps.

— Écoute, je ne comprends pas encore très bien cette histoire qu'il y a entre vous... J'en ai parlé avec Eileen et si je suis d'accord avec elle sur un point, c'est que tu dois aussi mener ta propre vie sans que je n'interfère dedans. Alors je ne te le demanderai qu'une seule fois. Tu es sûre et certaine de vouloir jouer ?

Non, je ne suis sûre de rien. Mon esprit n'a jamais été aussi confus que maintenant, j'ai peur du futur, je suis terrifiée en fait, et cette peur me broie la poitrine à un point inimaginable. Je ne connais pas suffisamment Eros, mais je sais que c'est bien lui qui trouble mes pensées.

— Je ne veux pas te ramasser à la petite cuillère si une autre fille gagne le tournoi. Tu as pensé à cette possibilité, n'est-ce pas ?

— Ander, je participe en sachant pertinemment que je ne gagnerai pas. Il ne va rien m'arriver, je te le promets.

Il hoche la tête, mais je vois bien qu'il n'est pas rassuré. En attendant, le tournoi est sur le point de commencer.

Les épreuves vont être annoncées.

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