Chapitre 18

Il est trois heures du matin quand je me lève pour aller boire un verre d'eau. J'ai dormi à peine quatre heures et j'ai l'impression qu'il fait déjà jour. Je me sens bien, en pleine forme à dire vrai. Même si je n'ai pas encore eu l'occasion de revoir ma mère. Ander m'a dit qu'elle se montrerait au tournoi demain (ou aujourd'hui plutôt) alors je me rassure comme je peux.

Je ne prends pas la peine d'enfiler ma chemise de nuit et me balade dans les couloirs, en pyjama. Niveau look, j'ai fait mieux dans le passé. Les bretelles de mon débardeur ne cessent de tomber, et je ne cesse de les remettre. Dehors, les étoiles ne brillent pas et pour cause : le ciel est totalement nuageux. Il pleut des cordes et j'entends le tonnerre gronder au loin. L'herbe sera humide demain pour le Jeu des Roses et j'ignore encore tout des épreuves que les filles auront à réaliser.

Mes pieds nus entrent en contact avec le marbre froid de la cuisine royale et je me pince les lèvres, grimaçant presque. Je saisis un verre dans le placard sans grande difficulté –merci mon mètre soixante-quinze– et fais couler l'eau. Je bois mon verre d'une traite avant de le reposer et de quitter la cuisine.

J'avance dans le salon, laissant mes yeux divaguer sur les flaques d'eau à l'extérieur. Il n'y a pas de vent et je suis pratiquement sûre que l'air doit être chaud. Nous sommes en plein été. Tout à coup, je brûle d'envie d'aller dehors. C'est idiot, mais je ne veux pas déjà me rendormir. Je ne sais même pas si j'arriverai à retrouver le sommeil.

Mes pensées sont interrompues par des bruits de bouches claquant l'une contre l'autre. Oh, non... Ne me dites pas que... Mais que font-ils debout à cette heure-ci !

Je me retourne à l'entente de rires et grimace en les voyant se bécoter. Rewind attire Bianca dans le salon, là où je suis actuellement et je me racle la gorge lorsque ses mains descendent sur son postérieur.

Les deux font un bond et Bianca marche sur le pied de Rewind qui grommelle.

— Qu'est-ce que...

— Il est trois heures. Qu'est-ce que vous faites là ? Vous n'avez pas une chambre peut-être ?

Je mets les mains mes hanches, un air accusateur au visage.

— Toi, qu'est-ce que tu fais là ! s'exclame Rewind. Tu es un jeune bébé, il te faut tes douze heures de sommeil règlementaires.

— On a à peine quatre ans de différence, je ricane.

Je ne sais même plus quel âge il a et franchement, je m'en fiche. Les voir amoureux, et les voir s'embrasser surtout, ça me met en rogne. Pourquoi ? Parce que je suis seule comme la mort.

— Pour tout te dire, commence Rewind, on était dans notre chambre. Et on s'amusait bien d'ailleurs, à jouer à toutes sortes de jeux de...

— Abrège, je soupire alors que Bianca pouffe de rire.

— Et là, bam ! Toc toc toc. Devine qui nous a interrompus ?

Je le regarde, un air désemparé clairement visible sur mon visage. J'ai l'air d'être devin ? Il ouvre la bouche pour répondre quand une nouvelle voix grave intervient :

— Moi.

Je sursaute et me prend le coin du meuble en pleine hanche. Je grimace et tourne la tête pour voir Eros sortir par la porte arrière de la cuisine, un verre à la main aussi. Bon sang, mais personne ne dort dans ce palais ! Il ne manquerait plus qu'Ander et Eileen nous rejoignent.

— Il nous a virés de notre propre chambre, se plaint Rewind en faisant mine de bouder.

— Faux. Je n'arrivais pas à dormir avec vos gémissements d'animaux. Alors, certes, les murs entre nos chambres sont fins mais il y a des gens, dans ce palais, qui aimeraient paisiblement rejoindre les bras de Morphée. C'est juste irrespectueux, vous n'êtes pas tout seuls, vous savez ?

— Blablabla.

— Il a raison, je remarque.

— Je demanderai à Eileen de te faire changer de chambre. Tu prendra la suite en face d'Arynn.

Eros lève son verre comme pour trinquer et sourit, fier de lui.

— Au moins, je suis sûr de dormir en paix.

— Viens, Bee, ils ne comprennent pas l'amour qu'il y a entre nous.

Je hausse un sourcil alors qu'ils nous tournent le dos et s'en vont sans un mot de plus. Je me redresse pour partir aussi mais la voix d'Eros résonne dans la pièce :

— Tu n'arrives pas non plus à dormir ?

Je ne veux pas me tourner vers lui. Je sais que je vais m'affoler si je le regarde. Mes pieds ne m'obéissent pas, je pivote et ose lui accorder un coup d'œil. Oh. Mon. Dieu. Beau. Il est... Oh. Respirer. Se concentrer.

Il porte un t-shirt. C'est la première fois que je le vois en t-shirt ? Non. Si si. Et son jogging... Il en porte souvent. Ça le rend encore plus beau. Cet homme est un prince... Je n'arrive pas à y croire.

— Tu vas me reluquer encore longtemps ?

Heureusement qu'il fait nuit parce que je rougis comme une tomate. Il s'approche et moi, je recule d'un pas. Étonné, il m'interroge du regard.

— Je... Tu ferais mieux de rester loin.

— Pourquoi ? Tu as envie de m'embrasser ?

Un sourire enjôleur se dessine sur ses lèvres et j'écarquille les yeux, troublée.

— Depuis quand es-tu devenu aussi direct ?

Il s'avance encore et moi, mon genou heurte la table basse. Génial.

— Je ne suis pas direct. Je dis ce qui me passe par la tête, je ne réfléchis pas dix minutes à ce que je vais bien pouvoir te dire. Comme quand je dis que tu es belle, ou bien...

— D'accord, c'est super, mais il est trois heures et j'ai vraiment envie de dormir, alors je pense qu'on devrait... Enfin, tu vois, chacun partir de son côté, comme ça il n'y aura aucun incident, aucun regret demain, et puis c'est le tournoi aussi, il faut être en forme pour regarder, et...

Je fais des mouvements de la main pour reprendre mon air. Je fais une crise de panique ? Non, bien sûr que non.

— Je peux te dire quelque chose d'important ?

Son air est grave, solennel. Je fais non de la tête mais ma bouche dit oui et j'ai envie de me donner des claques.

— Tu es prête à entendre ce que j'ai à te dire ?

— Non, non, je ne suis jamais prête à t'entendre, je t'écoute bien évidemment, mais tu me fais peur Eros, tes mots me font peur, je ne sais jamais ce qui va sortir de ta bouche, je ne suis pas prête psychologiquement à tout ce que tu veux me dire, je n'ai jamais été habituée à parler avec un homme, encore moins quelqu'un comme toi, je...

— Je t'ai mise sur la liste.

Arrêt du cœur. Le temps se fige. Je le dévisage, je cligne plusieurs fois des yeux, je crois avoir mal entendu au début, et je répète sa phrase en boucle dans ma tête, quelle liste, qu'est-ce que...

Ne sois pas stupide, Arynn, tu sais très bien ce qu'il veut dire.

J'ouvre la bouche pour parler mais aucun mot ne sort. Je le regarde lui et sa beauté, mes yeux s'arrêtent sur ses lèvres et j'explose :

— Je te demande pardon ?

— J'en ai parlé avec Rewind. C'est un peu lui qui m'a poussé à écrire ton nom mais la décision me revient.

J'ai envie de lui crier des injures, je m'imagine l'insulter de tous les noms mais au lieu de ça, je tourne les talons. Furibonde, je vais là où je suis certaine qu'il ne me suivra pas. Je pousse les portes royales et fonce dehors, folle de rage, folle de lui aussi.

J'avais raison. Le temps est orageux, il fait lourd et la pluie est chaude. L'eau coule sur mes épaules, mes pieds nus sont pleins de terre mais je m'en fiche, je ne veux plus le voir lui et sa belle gueule.

— Arynn !

Et cet idiot me suit ! J'ai été assez bête pour penser qu'il ne le ferait pas. Je me tourne vers lui, et lui crie dessus :

— Tu n'es personne pour décider ! Je n'irai pas me... frotter à des greluches énamourés de toi !

Il se fige et moi je repars. Sinon, je vais le frapper. Je ne veux pas participer à ce maudit tournoi. Je ne veux pas effectuer des épreuves, faire du tir à l'arc, ou encore monter à cheval, juste pour conquérir le cœur d'un type qui m'a forcée à participer.

J'ai envie de l'étriper.

— Arynn, tu n'as qu'un mot à dire et je te retire de la liste. Je t'en prie, ne te fâche pas. Tu as raison, je ne suis personne pour décider. Et si j'étais vraiment égoïste, je ne te l'aurais pas dit, mais...

Je fais volte-face et pointe mon index accusateur sur son torse. Bon Dieu qu'il est encore plus beau sous la pluie, mais je dois me concentrer et paraître énervée.

— Mais quoi ? Tu ne retireras pas mon nom, je me ferai une joie de participer et de finir dernière dès la première épreuve !

Mes mots le blessent. Je le vois, je le lis dans ses yeux. Il me saisit le poignet et réplique :

— Pourquoi crois-tu que je t'ai inscrite ?

— Je ne sais pas et je ne veux pas savoir ! Rewind s'efforce de me pousser dans tes bras et pour le moment, ça a tout l'effet inverse. Mais toi, tu continues d'écouter cet idiot !

— Oublions Rewind un instant. Tous les moments que nous avons partagé ensemble n'étaient pas planifiés par lui. Tu ne m'as jamais repoussé.

— Parce que tu crois que je veux de toi ?

Et j'éclate de rire. Bon. Calme. Respirer. Ne pas dire de bêtises. Et arrêter de mentir aussi, accessoirement.

Eros me relâche, vexé. Ou blessé. J'ai frappé son ego, sans le vouloir réellement. Je crois bien que je n'assume pas, je n'assume rien, j'ai peur, je suis terrifiée de lui. Il me terrifie.

— Je retirerai ton nom.

Et il s'en va. Moi, je croise les bras sur ma poitrine. Mon pyjama est trempé, son t-shirt lui moule le dos.

— Je ne comprends pas ce que tu me veux, c'est tout.

— C'est pourtant clair.

Il pivote, me lance un regard de chien battu.

— Laisse mon nom.

— Non.

— Eros, tu vas laisser mon nom.

Je m'avance, le cœur battant à mille à l'heure.

Ne sois pas bête, Arynn.

Je prends une grande inspiration et comble la distance entre nous. Je saisis sa main, dans laquelle la mienne semble bien trop petite et déglutis discrètement.

Les gouttes d'eau dégringolent sur son visage, mes cheveux gouttent dans mon dos, on est comme deux imbéciles sous la pluie et quand je me perds dans ses yeux, j'y vois tout un nouveau monde à découvrir. Il entremêle nos doigts ensemble et mes poumons se compriment.

— J'étais sincère. Je ne veux pas te forcer... J'aurais dû t'en parler avant de le faire.

— Je croyais que tu ne voulais pas que je me frotte à Kereya.

Il soupire et hausse les épaules.

— Elle est imprévisible, c'est vrai. Mais je ne veux pas... Je ne sais pas, Arynn. Se dire que des filles se battront pour moi... Ça ne m'emballe pas.

— Alors pourquoi en rajouter une à la liste ?

Un silence s'écoule. Je serre sa main dans la mienne, je m'y accroche avec ferveur. Je voudrais que ce moment soit éternel.

— Quand je me dis que c'est toi, c'est différent.

Arrêt du cœur, une nouvelle fois.

— Je ne te promets rien, Eros. Je suis super nulle au tir à l'arc.

Il éclate de rire et son autre main libre vient repousser mes cheveux en arrière.

— Je ferai tout pour annuler ce gain débile, je te le promets.

— Je dois avouer que me marier avec toi... ne me réjouit pas tant que ça.

Je lui tire la langue pour ponctuer mes propos et son sourire s'étire de plus belle. Et dans ses yeux, je vois le reflet des étoiles. Brillantes, majestueuses.

Le Jeu des Roses accueille une nouvelle participante.

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