Chapitre 56
Je suis figée. Incapable de parler. Je dévisage celui qui est censé être mort. Mort ! Et pourtant, il est bien en vie, devant moi, avec un sourire aux lèvres. Son sang a séché, et quand je baisse les yeux vers son torse, je ne vois aucune goutte de sang.
Je le repousse. Il vient de tirer une balle sur Areena sous les airs hébétés des deux autres rois. Il se remet debout, comme si je ne l'avais pas vu mourir sous mes yeux. Je frisonne en le voyant en parfait état.
— Tu es mort, soufflé-je.
— Pas vraiment. Je t'expliquerai dans quelques secondes.
Il se détourne de moi, fait tournoyer son pistolet le long de sa main avant de pointer l'extrémité sur Areena qui sanglote. Sans un mot, sans une once d'hésitation ou de remord, il vise sa tête et tire. La détonation retentit d'un bruit sourd, chassant les derniers oiseaux dans le ciel. Le corps de la reine de Kelinthos ne bouge plus à présent, parfaitement immobile.
Puis Erkel revient vers nous. J'ai l'impression de reprendre ma respiration. Mon cœur bat bel et bien dans ma poitrine. Le choc de le revoir en vie se dissipe. C'est un mélange d'incompréhension et de doutes. Mais je ne laisserais pas une seule seconde passer. Alors je me rue vers lui pour le prendre dans mes bras. Il accueille mon étreinte alors que je m'agrippe à lui comme si ma vie en dépendait. Peu m'importe comment il a survécu. Il est là, en chair et en os. Il n'est pas mort, il ne m'a jamais quittée.
— Vous êtes censé être mort, remarque Rewind. On vous a tous vu rendre votre dernier souffle.
— Vous auriez aimé que je le sois, n'est-ce pas ? se moque Erkel.
Il me repousse pour reculer de quelques pas. Puis ses mains s'abaissent vers son uniforme. Il déboutonne les boutons, dévoilant un gros gilet noir en-dessous.
— Je suis un homme plein de surprises, vous savez.
— C'est totalement injuste, marmonne Rewind. On n'a pas ça à Imir !
Je reste estomaquée. Un gilet anti-balles. Bon Dieu. Cet homme m'étonnera toujours. Que ce soit avec son clou ou avec cela... Il revient vers moi et je me rue de nouveau dans ses bras. C'est plus fort que moi, les larmes viennent inonder son uniforme. Je l'entends soupirer, puis il dépose un baiser sur mon front.
— Bon, on a une guerre à mener. Vous remettrez vos embrassades à plus tard.
— La guerre est terminée, lance Ander. Regarde devant toi.
C'est l'armée de Socrenia qui déboule jusqu'à nous. À l'avant du bataillon se trouve le fameux Therys. Et à sa droite, un homme s'impose, prônant les couleurs du drapeau d'Ecclosia. Je devine qu'il s'agit du capitaine de la garde royale d'Ecclosia.
— Tous les soldats de Kelinthos ont été neutralisés, tonne Therys. On a trouvé ce type qui se cachait entre deux buissons. Qu'est-ce qu'on en fait ?
Therys désigne d'un coup de tête un homme plein de boue qui contourne les rangs pour avancer. Il s'agit de Maverick qui couine comme un enfant. Rewind fronce les sourcils en le voyant, un air dégoûté au visage. Il se tourne vers ses deux acolytes d'un air hésitant :
— Je ne sais pas trop... On le donne aux cochons ?
— C'est vrai, il pourrait nourrir toute une flopée de cochons, renchérit Ander.
Rewind se tourne vers lui, un sourire resplendissant jusqu'aux oreilles.
— Oh, mon Dieu, Ander ! On est enfin d'accord sur quelque chose. Viens là que je t'embrasse.
Ander écarquille les yeux en l'évitant soigneusement alors que Rewind court vers lui pour l'enserrer. J'éclate de rire. Le pauvre Ander ne manque pas à ces embrassades et grogne comme un animal.
— Avoue juste que tu es content de me savoir en vie. C'est une excuse pour me serrer dans tes bras, c'est ça ?
— Eurk, non, grimace Rewind. Mais c'est rare que nous soyons d'accord sur quelque chose. Tu acceptes donc ma suprématie et le fait que j'ai toujours raison ?
— Et puis quoi encore ! Il ne manquerait plus que ça.
— Tu te mens à toi-même, mon lama adoré.
Ander fait mine de vomir alors qu'Erkel se racle la gorge.
— On doit toujours décider du sort de Maverick.
— Les cochons.
— Les cochons, oui, beugle Rewind.
Mais Erkel se tourne vers lui, un air railleur au visage :
— Ce n'est pas toi qui voulais lui couper la tête ? Avec une hache, plus précisément ?
— Quelle excellente idée ! Dix heures, demain matin, en place publique. Je me ferai une joie de lui couper sa tête de rat.
Alors, l'accord est conclu. Pas de cochons, juste une mise à mort de façon drastique. Éliminer le mal par le mal. Bientôt, les armées de Therys se replient sur la plage. Il y a un énorme nettoyage de cadavres à faire et j'ai un tas de blessures à soigner. Je dois m'être cassée une côte et ma plaie au bras vient juste de se rouvrir mais dans le fond, tout va pour le mieux. Nous avons survécu. Nous sommes libres. Kelinthos n'est plus une menace. Les choses vont rentrer dans l'ordre à partir de maintenant.
Quelques heures plus tard, le temps des au revoir arrive. L'armée de Socrenia a déjà replié bagage tandis que Rewind et Ander atteignent la plage. Erkel s'avance vers eux, les remercie humblement.
— Oh, tout le plaisir est pour nous, vous savez. Couper un ou deux têtes, ça fait toujours du bien.
— Bon, tais-toi, Rewind. La guerre n'est jamais drôle.
— Nous nous en sommes plutôt bien sortis.
— Que deviendra Kelinthos ? interviens-je.
Un silence résonne. Rewind finit par hausser les épaules, suivi d'Ander.
— Il y aura sûrement un régent. Ils nommeront un successeur, il le faudra.
— Et si ce successeur est aussi diabolique que les jumeaux ?
— Nous aviserons en temps voulu. Je ne pense pas que les choses vireront mal. Kelinthos a perdu un effectif important de soldats. N'oublions pas les pertes en mer aussi, Ecclosia et Socrenia se sont battus sans répit. Plusieurs flottes ont été coulés.
Je hoche lentement la tête. Rewind finit par s'abaisser d'un geste gracieux puis tend sa main à Erkel.
— Nous nous reverrons prochainement, j'en suis persuadé.
— Et pourquoi ça ? bougonne Erkel.
— Vous faites partie de la famille dorénavant, lui répond Rewind avec un sourire sincère.
Je suis surprise de le voir aussi amical. Erkel a la même réaction que moi puisqu'il se crispe comme s'il ne s'y attendait pas. Ander lui tend sa main à son tour, d'un air formel.
— Il a raison. Meridia pourra toujours compter sur nous. Au moindre problème, envoyez une lettre. Nous saurons vous aider.
Puis il se tourne vers moi, m'adresse un signe de tête.
— Je ne vous connais pas très bien mais vous avez su faire vos preuves sur le terrain et m'aider de nombreuses fois. Alors pour tout cela, merci beaucoup. Sans vous, More, je ne serais peut-être plus en vie aujourd'hui.
Ses mots me touchent sincèrement. Après un dernier au revoir, Ander remonte dans son navire. Rewind, lui, m'adresse un regard suspicieux.
— Vous êtes une vraie guerrière mais je dois avouer que vous me faites un peu peur.
Je ricane et réplique, farouche :
— Il en faut peu pour vous effrayer.
Il hausse les sourcils comme s'il ne croyait pas mes mots puis indique à Erkel une dernière information :
— Envoyez-moi Maverick à Imir. Je m'occuperai personnellement de son cas.
Erkel acquiesce et finalement, Rewind monte à son tour dans son navire, toujours avec cet écharpe en peau de fourrure habillant ses épaules. Une fois que les navires ont pris le large, je me tourne vers Erkel qui pousse un soupir. Si derrière nous, les cadavres ont été ramassés, le sable est toujours recouvert d'une fine pellicule de sang qui s'effritera d'ici quelques jours.
— Et maintenant ?
— Maintenant, on rentre à la maison.
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