Chapitre 48

Le vent s'abat sur mon visage comme une claque d'une violence inouïe. Un coup de feu retentit. Un seul et unique coup de feu. Une arme pointée sur moi et ce n'est pas la peur de mourir qui me paralyse. J'ai toujours été préparé à cette éventualité. C'est surtout la peur de laisser tout un tas de choses derrière moi. Les gens qui m'aiment. Les gens que j'aime.

Des regards se croisent. Celui de mon assassin est noir et d'un fureur inconcevable. Je baisse les yeux sur ma poitrine mais le sang ne s'écoule pas. Non, au lieu de ça, mes yeux se plongent dans ceux de celui qui fut autrefois mon amant. Liam me fixe, l'arme tendu vers moi.

— Tu n'as pas pu le faire. Tu n'as pas réussi, More. Tu as été un échec. C'est à moi d'arranger la situation.

Et il fait volte-face. Pointe son pistolet sur Erkel qui apparaît juste derrière lui. J'entends un hurlement s'échapper de ma gorge alors que le temps semble ralentir. Mais il est trop tard. Sa tête part en arrière alors qu'une balle lui perfore l'avant du crâne. La douleur est illusoire. Dire que j'ai mal est un euphémisme. Je nage en pleine souffrance. Je crie son prénom mais il ne m'entend pas. Je me rue vers lui, les larmes coulent sur mes joues. J'ai son sang sur mes mains et je pleure si fort que ma poitrine se compresse, et je revois son visage et... Mon monde s'effondre.

Je me réveille en sursaut. Mes yeux se rouvrent si vite, comme si j'avais fait un cauchemar. Et j'en ai fait un. Voir Erkel mourir est un putain de cauchemar. Ma respiration s'accélère et je tente de calmer les battements de mon cœur en posant ma main sur ma poitrine. Lorsque mes yeux se posent sur la fenêtre, je réalise qu'il fait complètement noir dehors.

Et que le lit est vide. Erkel n'est plus là, même si nous nous sommes endormis ensemble. Alors je me lève, enroule un châle noir que j'ai dégoté dans une des armoires du palais et sors de la chambre. Je traverse les couloirs vides puis descends les escaliers. En bas, des murmures se font entendre et je distingue des silhouettes qui se dessinent dehors. Les portes sont ouvertes, les lampadaires extérieurs allumées et ce sont Erkel et Torin que j'aperçois au loin.

Je m'engouffre à l'extérieur après avoir enfilé des chaussures. Je suis tellement discrète qu'ils ne m'entendent pas venir, alors j'en profite pour épier leur conversation.

— Non... Tu sais bien qu'on doit attendre.

— Mais ils pourraient être là dès demain matin ! souffle Torin. Ils le seront, il n'y a aucun doute là-dessus. Nous n'avons aucune armée et Imir, Ecclosia et Lucrenda n'arriveront jamais à temps.

— Je ne fuirais pas de mon pays. Quitte à mourir ici, je m'en moque.

Je me racle la gorge. Les deux se tournent vers moi. Tandis que l'un me fixe avec des yeux noirs, l'autre laisse promener son regard le long de mon corps. Et je fronce les sourcils pour lui répondre.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Que faites-vous dehors ? réplique Torin.

— J'ai des comptes à vous rendre ? Non.

— Tiens, ça tombe bien : nous non plus.

Et il me dépasse en me bousculant de l'épaule. Je le vois rentrer dans le palais d'un pas furibond. Alors je me tourne vers Erkel et m'exclame :

— C'est quoi son problème !

— Oh, il en a plusieurs, tu sais. Il a les nerfs parce que je ne suis pas ses conseils, il est aussi énervé de ma nonchalance face à la situation et enfin, il n'approuve pas notre relation. Il dit que tu vas finir par me planter un couteau dans le dos. Ce qui est probable, en y repensant.

Ses yeux m'étudient attentivement, comme curieux. Il fait tellement sombre que je distingue à peine les minis détails de son visage mais je sais qu'il est sublime. Les battements effrénés de mon cœur me le rappellent en permanence.

Je rabats mon châle sur moi pour cacher ma poitrine et hausse les épaules.

— Je pourrais, c'est vrai.

— Le feras-tu ?

Non. Non, non, non et non.

— Cela dépendra de votre comportement.

Il s'approche et je plisse les yeux, méfiante.

— De mon comportement ? Eh bien, dis-moi comment je suis censé me... comporter ?

— Arrêtez avec vos sous-entendus salaces. Ce n'est pas de ça que je parle.

Il éclate de rire et je le contourne pour le dépasser. Il me suit, sans surprise, alors que je me dirige vers la serre. Je ne me retourne pas une seule fois vers lui en m'engageant dans un couloir de fleurs. Génial. Il fait une chaleur insupportable. Erkel s'engouffre dans une autre rangée et se met à avancer dans le sens contraire. Ainsi, nous nous faisons face en marchant.

— De quoi parliez-vous ?

— Il veut fuir. Et je ne veux pas.

— Et il est le capitaine de votre garde royale ? Changez de capitaine, Majesté, cet homme est un lâche.

Mon ton catégorique le fait sourire alors qu'il répond doucement :

— Avoir peur ne fait pas de toi un lâche. Il sait dans quoi nous nous engageons, et nous sommes amis. Il veut simplement me sauver, peut-être sauver sa peau au passage. Mais je le connais bien, si je reste, il restera.

— Donc il essayait juste de vous convaincre ?

Erkel s'arrête à un couloir et soudain, je le perds de vue à travers les plantes. C'est idiot dit comme ça. Je fronce les sourcils. Tant pis. Je continue mon chemin en tournant dans une autre rangée d'orchidées et tombe nez à nez avec un torse dur. Erkel me saisit par les poignets et me fait reculer.

— Je n'aime pas que tu me vouvoies.

— Excusez-moi, Majesté.

Je lui offre un sourire narquois et il hausse un sourcil moqueur. Puis il me pousse contre les rangées de fleurs. Je tente de me défaire de lui mais il est plus fort et à dire vrai, je suis un peu fatiguée de le combattre.

Du bout des doigts, il effleure ma joue. Nos regards se capturent alors que de son autre main descend sur mon épaule.

— Il m'a dit d'autres choses aussi. De faire attention. Selon lui, les femmes sont de vraies vipères. Surtout toi. Tu pourrais me briser le cœur.

— C'est vrai.

— Mais comment pourrais-tu briser un cœur qui est déjà tien ? souffle-t-il.

Arrêt sur image. Mon cœur s'emballe, mes sens se figent. Soudain, je vois tout et rien à la fois. C'est le néant dans mon esprit et en même temps, l'apocalypse. Un torrent de sentiments m'envahit. C'est brusque, intense, et ça me rend nerveuse. Cet homme me rend nerveuse. C'est... inimaginable.

— Tu sais, quand je t'ai vue la première fois, j'ai réellement pensé que tu étais un cadeau tombé du ciel. Mon Dieu. Tu étais tellement belle dans cette robe.

— Et puis vous avez appris que j'étais votre meurtrière favorite, recherchée par le pays entier.

Il sourit et me répond tandis que ses doigts descendent le long de mon cou :

— Même après cela, je te trouvais toujours sexy à s'en damner.

J'éclate de rire alors que mon châle se défait légèrement. Erkel capte le mouvement et le remet soigneusement. Sauf que lorsque nos regards se croisent de nouveau, il fait soudainement trop chaud. Alors je l'enlève délibérément. Il tombe au sol et ses yeux détaillent ma ridicule petite nuisette noire.

Et son désir croît, je le sens. J'enroule mes doigts sur sa nuque et me hisse sur mes pieds pour l'embrasser. Si au début, mon baiser est furtif, il le transforme rapidement en quelque chose de plus... ardent. Ses lèvres capturent les miennes, les torturent de longues minutes d'une jouissance infinie. Ses mains s'agrippent à mes hanches tandis que les miennes reposent sur son torse. Tout devient plus chaud, plus intense. Nos corps sont collés l'un à l'autre, il pousse des grognements qui réveillent un tas de sensations dans mon ventre.

Nos langues se trouvent, ses mains font glisser les bretelles de ma nuisette et s'aventurent sur ma poitrine alors que mon souffle s'accélère. Il quitte ma bouche pour descendre dans mon cou, puis plus bas et c'est l'euphorie entière qui éclate en moi. Je n'ai jamais ressenti autant de choses avec un homme. Il me rend dingue. Complètement folle.

Je m'accroche aux caisses en bois derrière moi lorsque ses doigts triturent les coutures de mon short. Il pourrait faire ce qu'il veut de moi, je suis toute à lui. C'est ce qu'il me demande, d'ailleurs. Mais je suis ailleurs, alors il se répète en chuchotant à mon oreille :

— Qu'est-ce que tu veux, More ?

Je ne répondrai pas. Ses doigts me titillent, effleurent mes cuisses et plus haut et... Mon cœur va exploser. Les papillons affluent déjà dans mon ventre.

— Alors ?

— Oh, tais-toi. Tu sais très bien ce que je veux. Maintenant, dépêche-toi avant que je ne m'énerve.

Il sourit en déposant un baiser contre ma bouche et susurre :

— Tes désirs sont des ordres.

Bientôt, c'est un tourbillon de sensations qui s'opèrent en moi. Ses doigts s'aventurent plus loin alors que de l'autre main, il caresse ma joue. Ses lèvres rejoignent les miennes, happe mes soupirs. Son baiser se fait plus profond alors que la pression de ses doigts se fait plus intense.

Et puis bientôt, je dois m'accrocher à ses épaules pour m'empêcher de trembler. Mon corps entier subit et se délecte des moindres parcelles de plaisir qu'il vient de me donner. Ça le fait sourire, bien évidemment puisqu'il dépose un dernier baiser sur mes lèvres avant de replacer ma bretelle.

— Nous devrions rentrer, il est plus de quatre heures du matin.

Quatre heures ? La guerre approche. Et étrangement, je n'ai pas peur. Je suis plus effrayée à l'idée de le perdre lui. Ses doigts attrapent les miens et ensemble, nous sortons de la serre.

Alors que nous rejoignons le palais, Erkel me fait signe de monter. La raison ? Torin l'attend, ses gros bras croisés sur son torse. Et il a l'air... préoccupé. Je devine que la conversation qu'ils vont avoir doit être sérieuse. Je ne proteste pas et monte les marches d'escaliers pour arriver à l'étage. Sauf qu'au lieu de me rendre directement dans sa chambre, je me penche par-dessus la rambarde pour épier leur discussion.

— Il y a eu un incident.

La voix de Torin est si basse que je dois pencher l'oreille pour l'entendre. Je ne vois rien d'ici, mais seules leurs mots me parviennent.

— Les soldats envoyés pour protéger ses parents ont été tués. J'ai bien peur qu'il y ait des taupes au sein de nos effectifs.

Mon cœur s'arrête. J'attends une réponse, j'attends l'évidence de ces paroles, j'attends qu'Erkel dise quelque chose mais un silence interminable s'écoule. Un silence durant lequel le moindre battement dans ma poitrine résonne à toute vitesse.

— Ses parents...

— Je n'ai aucune information supplémentaire.

— Elle voudra les rejoindre.

— Tu ne dois pas lui dire, Erkel. J'aurais presque envie de me frapper pour dire ça, mais nous avons besoin d'elle sur le champ de bataille. Elle est une tueuse hors-pair. Lui dire que ses parents sont peut-être morts ne fera qu'aggraver la situation.

— Qu'est-ce que je suis censé faire, alors ?

Je l'entends pousser un soupir alors que mon regard se laisse aller dans le vide. Non, ce n'est pas possible. Mes parents ne sont pas morts. Si j'ai fui pendant trois ans, si je ne les ai pas revus pendant ces années consécutives, si je ne lui ai pas dit mon prénom, c'était pour les revoir à un moment ou à un autre. Les protéger quoiqu'il arrive.

— Dis-lui une fois que tout sera terminé. Pour l'instant, nous devons nous concentrer sur Meridia. Des soldats de Kelinthos ont été aperçus sur la côte est il y a à peine une heure.

— Et Imir, Ecclosia et Lucrenda ne sont pas encore là...

J'en ai assez entendu. Je m'en contre-fiche de leur guerre. La seule pensée qui traverse mon esprit, c'est de savoir comme ils vont, eux. Alors je m'éloigne des escaliers à pas pressé, me rends directement dans sa chambre. Je jette un coup d'œil autour de moi. J'ouvre les tiroirs et tombe sur un petit poignard. Cet homme est armé jusqu'au coude. Mon fil étrangleur doit bien être encore dans ses affaires. Je vérifie nos sacs de bagage et bingo.

Bientôt, des pas se font entendre. Je cache mes armes sous le lit avant de me glisser dans les draps et faire mine de dormir. Pourvu qu'il ne remarque pas mon rythme cardiaque. Pourvu qu'il ne me réveille pas.

La porte s'ouvre. Je sens son regard me brûler le dos, et il finit par s'éloigner pour rejoindre la salle de bains. De longues minutes s'écoulent avant qu'il ne me rejoigne dans le lit. Je me maudis de frissonner quand ses doigts effleurent ma peau nue et que ses lèvres viennent y déposer un baiser. Bon Dieu. Cet homme est... Je n'ai pas les mots.

Je dois penser à autre chose. Rester concentrer sur mon objectif. Alors j'attends patiemment. Une demi-heure s'écoule avant qu'il ne s'endorme. Je le devine à sa respiration. Quand je suis sûre qu'il dort profondément, je m'extirpe doucement de son étreinte et saisis mes armes sous le lit. Je fonce vers mon sac pour enfiler une tenue correcte, attache mes cheveux en une lâche queue de cheval et bientôt, je suis devant la porte, prête à m'en aller.

Ma main sur la poignée, je me fige. Je me retourne une dernière fois et mes yeux se baladent sur son corps d'Apollon, sur ses mains, son visage, ses lèvres... Et les larmes picotent mes yeux. C'est peut-être la dernière fois que je le vois. C'est peut-être la dernière fois avant que l'un de nous ne meure.

Alors au bord de l'implosion, je me dirige vers le buffet. Je saisis du papier, un stylo, et si au début, mon écriture se fait maladroite, mes mots, eux, n'ont jamais été aussi sincères. Je grave mes sentiments à l'encre, déclarant enfin tout ce que mon cœur n'ose pas dire. Au bout de dix minutes, j'enroule le fin papier et le pose près de sa commode. Il lira ma lettre demain.

Notre histoire ne se terminera pas sans des adieux. Si l'un de nous doit mourir demain, Erkel connaîtra enfin la nature de mes sentiments. Si mon cœur était muet, mes mots sauront trouver chemin jusqu'à lui.

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