Chapitre 41

Je n'avais pas dormi dans le canapé. Je m'étais laissée aller faiblement alors qu'Erkel me tirait vers le lit. Nous nous étions embrassés. Cette idée s'imprimait dans mon esprit. Après nos baisers échangés dans la ruelle, nous étions rentrés au palais et Erkel m'avait tirée au lit contre mon gré. Il ne m'a pas embrassé, enfin une fois sur le front pour me souhaiter bonne nuit et plus rien.

Ce matin, quand je me suis réveillée, il n'était pas là. Si bien que j'ai commencé à croire qu'il regrettait. J'ai quand même continué ma vie, j'ai pris une douche et maintenant qu'il est bientôt onze heures, je m'apprête à rejoindre les autres. Dehors, le soleil brille toujours aussi fort et pourtant, ce sont des éclats de rire à l'intérieur d'un petit salon du palais qui m'interpellent. Je passe la tête discrètement. J'ai troqué mes vieux vêtements pour un corset noir assorti à une jupe de la même couleur. Mes boucles rousses retombent lâchement sur mes épaules.

Je me rends compte qu'ils sont tous là. Bianca et Eileen sont assises dans un canapé et rient aux éclats alors qu'en face d'elles, Rewind s'évertue à faire des imitations de... gorille ? Ander et Erkel, eux, jouent aux échecs. Mon pseudo-fiancé me tourne le dos et pendant un moment, j'ai la boule au ventre.

— More ! Viens nous rejoindre, s'exclame Bianca.

Et merde. J'entre dans la pièce, hésitante alors que Rewind se tourne vers moi en plissant le nez. Puis il retourne à ses imitations de gorille alors que Bianca pouffe de rire. Eileen me sourit et me fait signe de les rejoindre et je vais m'assoir sur le canapé. Erkel ne relève même pas la tête... La main en l'air, ses doigts s'enroulent autour d'un pion qu'il finit par placer. Il a l'air plus préoccupé par son jeu que par moi.

— Il imite Maverick, me souffle Eileen, le sourire aux lèvres.

Je lève les yeux vers Rewind qui mime maintenant un noble s'avançant, la tête haute, la bouche en cul de poule, les mains dans le dos. Puis il repart faire le gorille, me décroche un sourire.

J'ai envie d'aller voir Erkel mais... Je ne sais pas. Bon. Prendre des décisions, se remuer le popotin. Ça ne fait de mal à personne, pas vrai ?

Je me lève, avance vers eux et ma main se pose sur l'épaule d'Erkel qui relève la tête vers moi. Ses yeux se mettent à briller alors qu'il saisit ma main pour y déposer un baiser.

— J'attendais que tu viennes me voir, se moque-t-il.

Je hausse un sourcil, dévisage le jeu devant lui et réplique :

— Tu es en train de perdre.

— Alors aide-moi, ô grande maîtresse des échecs. Y'a-t-il un domaine pour lequelle tu es moins douée ? Tu tires comme une pro, (il rajoute à voix basse :) tu tues comme une déesse, tu nages à la vitesse de l'éclair... et tu embrasses bien.

— Je suis nulle pour... ça.

Et je désigne d'un geste de main nous deux. Il a un sourire en coin et hausse les épaules.

— On apprendra ensemble. Bon, quelle pièce suis-je censé bouger ?

Je dévisage le jeu. Ander a l'air ennuyé mais je remarque ses yeux rieurs alors qu'il dévisage l'autre idiot dans mon dos. Sans prévenir, je finis par décaler sa reine. Permettant ainsi une ouverture de jeu.

— Je suis nulle aux lancers de couteau, avoué-je d'un air penaud.

— Menteuse, chuchote-t-il en m'attirant contre lui. Tu m'as visé la tête avec une fourchette et tu n'as pas manqué ta cible. D'ailleurs, ça tombe bien puisque c'est l'épreuve de ce matin.

— Je vais te dégommer, tête de taureau ! s'exclame Rewind dans notre dos.

Il s'approche en haussant vivement les sourcils. Je le dévisage. Il porte un veston aussi blanc que les murs avec quelques broches accrochés sur sa poche droite. Une écharpe en fourrure autour de cou, il a l'air très... riche comme ça.

Erkel ne relève pas la pique, l'ignore et joue un pion. Rewind s'approche, pose sa main sur le dossier de la chaise libre à la droite d'Erkel et nous sourit d'un air malicieux.

— Alors, c'était comment la séance bécotage hier ?

Je fronce les sourcils en même temps qu'Erkel ce qui le fait ricaner.

— Je sais tout. J'ai des espions partout, vous ne pourrez rien me cacher. Au moins, tête de taureau a l'air détendu, c'est le principal ! More, si j'étais vous, je me méfierais quand même. Sortir avec un taureau, c'est risqué.

— Vous savez ce qui est risqué ? intervient soudainement Erkel.

— Dites-moi tout, taureau chéri, raille Rewind.

— Ça.

Et Erkel tire d'un coup la chaise sur laquelle Rewind s'appuyait ce qui le fait trébucher et s'étaler de tout son long au sol. Un silence s'écoule avant qu'Ander, Eileen et même Bianca éclatent de rire. Mais à en pleurer. C'est plus fort que moi, je souris en voyant la scène.

• • •

— Pour l'épreuve d'aujourd'hui, munissez-vous de vos plus beaux couteaux et visez la cible ! Celui qui touchera le rond rouge deux fois d'affilé sera qualifié pour la manche suivante. Et cette fois-ci... le jeu se déroule en couple ! Que le meilleur gagne !

Sir Caster quitte son estrade alors que je cherche des yeux Erkel. Je le repère au loin en train de discuter avec Ander et je me dirige naturellement vers lui. Le jeu se situe toujours en extérieur et des cibles rondes, presque identiques à celles de l'épreuve du tir à l'arc ont été installée. Sauf que cette fois-ci, c'est différent puisque tout le monde tirera en même temps. Une personne par binôme, d'abord les femmes puis ensuite les hommes.

Au moment où je me retrouve à quelques mètres d'Erkel, une silhouette me barre la route. Maverick.

— Comme on se retrouve, ricane-t-il.

Ce type ma fatigue mentalement. Je tente de le dépasser mais sa poigne de fer se referme sur mon bras. Je prends sur moi pendant quelques secondes avant qu'il n'ajoute :

— J'ai dégoté des infos fraîchement sorties. Tu veux les entendre ? Je me permets de te tutoyer, on n'est plus à ça près.

— Je ne veux rien entendre de vous. Lâchez-moi.

Les autres autour ne font même pas attention. Je lève les yeux vers Maverick pour le dévisager alors qu'il me menace, le regard noir :

— Si j'étais toi, je me tiendrai tranquille et j'écouterai attentivement.

— Allez-y, épatez-moi. Vous avez dix secondes avant que ma main ne rencontre par mégarde votre visage et croyez-moi, ça va faire mal.

Il hausse un sourcil d'un air moqueur. Cet homme me dégoûte, autant physiquement que mentalement. Il n'est pas laid, vraiment. Mais il a l'air tellement sournois qu'il n'est pas attirant du tout.

— Morgan Healthyier, recherchée dans tout le pays à Meridia pour de nombreux meurtres et vols. Active depuis trois ans, en cavale depuis tout ce temps, tu as tenté d'assassiner celui qui te sert aujourd'hui de fiancé. Tu tombais à pic puisque Sa Majesté n'avait personne pour l'accompagner au tournoi. Et comme il savait que sa présence était indispensable s'il ne voulait pas voir des troupes débarquer sur ses terres, il t'a choisie toi.

Je me fige et je vois dans ses yeux une lueur d'amusement. Ce type est un rat des égouts. Il mérite l'enfer et ses damnations. Je sais que je ne pourrais pas le contredire. Il a déjà toutes les infos sur moi, il connaît sûrement ma vie de A à Z alors sans réfléchir, je lui réponds d'un ton cynique :

— Bravo Sherlock, je suis épatée. Et maintenant, quoi ? Je vous fais une petite démo de mes talents d'assassin ? Vous préférez la mort pas strangulation ? Ou bien je peux aussi vous attacher par les couilles et vous pendre, ça fera un peu plus mal et votre mort sera lente mais le spectacle sera grandiose.

Maverick cille et un sourire s'étire sur mes lèvres. Il disparaît aussitôt lorsqu'il réplique, rageusement :

— Vous voulez m'entendre dire à tout le monde ici présent que la fiancée d'Erkel est une meurtrière ? Vous tenez vraiment à ce que cette affaire soit médiatisée et que votre fiancé adoré soit dans le pétrin ?

Je le repousse. Et j'y vais au culot :

— Allez-y. Éblouissez-moi, Majesté.

Mais lui aussi y va au culot. Il me tourne le dos, se dirige vers l'estrade et je pince les lèvres. Je le rattrape en un rien de temps et soupire :

— Qu'est-ce que vous voulez ?

Il pivote vers moi, un grand sourire aux lèvres et semble réfléchir quelques instants.

— Tu vas être mon arme secrète, More.

— Parlez. Parlez ou je m'en vais !

Il se penche vers moi, me murmure quelques mots et mon cœur s'arrête.

— Non... Non, je ne ferai pas ça.

— Si, tu le feras, Morgan. Ou le monde entier connaîtra ton identité. Et la guerre sera déclarée. Imagine une seule seconde que les gens apprennent ici qui tu es. Une meurtrière. Erkel devra rendre des comptes.

Puis il ajoute :

— Comment ai-je pu récolter ces informations, à ton avis ? J'ai des espions à Meridia. Tu crois que papa sait que son collègue de boulot n'est rien d'autre qu'un tueur à gage ? Et qu'au moindre faux-pas, il le tuera ? Oh, je n'aimerais pas voir une famille détruite par le deuil. Le tien t'a rendu suffisamment aigrie et méchante, ne rajoutons pas la mort de papa sur ton dos.

Mes poumons se compressent et l'angoisse me saisit. Mais ses derniers mots résonnent dans mon esprit et je m'emporte :

— Que savez-vous ? Que dites-vous...

— Tu crois que je ne connais pas toute l'histoire à propos de Liam ?

— Vous ne savez rien, craché-je.

— Soit. Je comprends que ton deuil t'empêche d'avancer. En attendant, tu vas faire ce que je dis. Au pied de la lettre. Tu ne me devras pas qu'une seule faveur, More. Tu me devras bien plus. Maintenant file, et dépêche-toi d'accomplir ta mission. Au moindre faux-pas, papa est mort. Et tu connais la suite... Maman viendra le rejoindre très rapidement.

• • •

— À vos marques... prêts... lancez !

Je lance mon premier couteau avec une précision hors-pair. Erkel semble ravi derrière moi puisqu'il me sourit lorsque je reviens vers lui. Sa main veut se poser sur ma taille mais je l'évite soigneusement en me focalisant sur autre chose. Les arbres. Mais Erkel insiste. Il tente de dégager mes cheveux. Alors je pense à autre chose. Le chant des oiseaux. Cela ne fonctionne pas.

Il se plante devant moi, l'air contrarié.

— Tu regrettes notre baiser ?

— C'est à ton tour de tirer. Dépêche-toi.

À peine Sir Caster a-t-il lancé le départ qu'Erkel lance son poignard et revient vers moi. Mon cœur se serre lorsque je réalise qu'il l'a placé au milieu de la cible. À un millimètre du mien.

Bordel, ce type est mon âme sœur.

— Morgan, parle-moi.

Les larmes me montent aux yeux alors que je réalise pleinement mon objectif. La mission que Maverick m'a donnée, le chantage qu'il m'a fait. Je comprends qu'il est trop tard. Un choix s'impose et je suis incapable de prendre une décision,

— Tu pleures ?

Erkel saisit mon visage mais je l'ignore. Les larmes roulent sur mes joues et je ne m'en rends compte que maintenant. Une nouvelle fois, je suis appelée à tirer. Je contourne Erkel pour saisir un couteau. La rage au ventre, possédée par toutes ces émotions qui m'assaillent, mon lancé est brutal et le poignard vient se loger une nouvelle fois à côté du sien. Je reviens vers lui en essuyant mes larmes.

— S'il te plaît, dis quelque chose...

Il est désemparé. J'ose plonger mon regard dans le sien dans l'espoir qu'il lira mes manigances, qu'il comprendra ce que Maverick m'a dit, le dilemme qui s'impose en moi.

— Je t'ai fait mal hier ?

Le fait qu'il me demande s'il m'a fait du mal me donne envie de pleurer encore plus. Mais je me retiens et détourne les yeux. Il s'approche, saisit mon visage et va pour m'embrasser le front mais je le repousse.

— Je ne veux plus que vous me touchiez.

Son visage se ferme. Il est appelé à tirer. Son dernier coup. Une nouvelle fois, son couteau rejoint le mien. Il pivote vers moi, me scrute attentivement. Impénétrable, indéchiffrable. Nous sommes pareilles, sauf qu'aujourd'hui, j'ai craqué.

— Je suis désolé, More. Je ne peux pas lire dans ton esprit, même si j'aimerais vraiment pouvoir te comprendre. Je ne sais pas ce qui te chamboule autant, mais tu peux m'en parler. Je ne te jugerai jamais.

Je secoue négativement la tête.

— Vous ne pourriez pas comprendre.

— On peut toujours essayer de résoudre le problème, non ?

Je secoue la tête une nouvelle fois. C'est lui ou mes parents. Rien que d'y penser, je me sens incapable de céder au chantage de Maverick mais c'est trop tard. J'ai déjà accepté. C'est la vie de mes parents qui est en jeu. Pour rien au monde, je ne les laisserai mourir.

Même si pour ça, je dois revenir sur mon objectif de base.

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