Chapitre 4
Ce n'est pas le roi. Il ne portait pas de couronne, cela ne pouvait pas être lui. C'était juste un homme banal qui a été attiré par ma crinière rousse. Maladroit, il voulait juste me saluer. Mais il n'avait rien de maladroit... Au contraire, il respirait l'aisance et la sensualité. Je dois me calmer mais je n'y arrive pas. Je sens mon cœur battre fort dans ma poitrine alors que mes yeux fixent sa silhouette qui retourne à l'intérieur. Je vais le suivre. Cette idée effleure mon esprit en même temps que les gens applaudissent la fin du feu d'artifice.
Déterminée, j'avance. L'homme au micro appelle les visiteurs à rester dehors pour le banquet final et je suis la seule à me diriger à l'intérieur. Idiote comme tout, je n'entends pas les pas qui me suivent derrière moi, ni les portes qui se referment. Une fois dans la salle de réception, je cherche des yeux l'homme au masque mais aucun signe de lui. En revanche, je tombe nez à nez avec le gros balourd de la réception qui me trouvait suspicieuse, lorsque je fais volte-face.
Nos regards se croisent et je dois toujours relever la tête pour le regarder. Il ne m'accorde aucune attention et sort de sa poche une paire de menottes métalliques.
— Vous êtes un peu trop vieux pour oser vous montrer entreprenant de la sorte, déclaré-je d'un ton froid.
Cette remarque le fait ricaner et je le dévisage. Il est aussi grand que Vladimir et aussi imposant qu'un baobab. On peut dire que je me suis mise dans de beaux draps.
— Qu'est-ce que vous me voulez ? rajouté-je, cinglante.
Je recule pour gagner du temps. Nier jusqu'au bout, quoiqu'il arrive.
— Et qu'est-ce que tu lui voulais au pauvre Vladimir ? réplique mon interlocuteur en faisant tourner la paire de menottes autour de son poignet. Nous avons des caméras de surveillance, tu sais.
Bon. Je suppose que nier ne fait plus partie de mes options. Je pose la main sur mon sac d'une discrétion qui le fait tiquer.
— Mains en l'air ou bien j'appelle mes collègues à l'extérieur. Et crois-moi qu'ils ne vont pas rigoler, eux.
Je me fige, lève la tête, haute et fière de moi. J'ai toujours mes doigts qui tiennent mon masque alors je joue la provocation jusqu'au bout et lève l'autre main, innocente.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
— C'est sûr que des cheveux roux comme les tiens on en voit à tous les coins de rue.
Il doit faire quoi, deux mètres ? Costaud, il porte un veston aux couleurs d'Imir. Il a l'air impitoyable, et surtout féroce et dur comme la roche. M'attaquez à lui ne va pas être une mince affaire, je ferais mieux d'improviser un plan, là, maintenant.
Merde, alors. On s'active les neurones, More !
— Je dois sûrement avoir une jumelle maléfique.
Il s'approche de moi, toujours aussi méfiant. Contrairement à Vladimir, lui est sur ses gardes. Il ne doit pas me reconnaître mais il a dû voir les vidéos de ses caméras. Il connaît mes techniques et les armes que j'utilise. En revanche, il ne connaît pas la plus rusée de toutes...
— C'est quoi votre petit nom ? dis-je, l'air ennuyée. Quitte à me faire menotter, autant en profiter.
Il ne répond pas et je sais qu'il ne me répondra pas. Je compte les secondes dans ma tête, et ces secondes ont l'air de durer une éternité. Il comble la distance et mon souffle ralentit. Bientôt, il n'est qu'à quelques centimètres de moi.
C'est le moment ou jamais.
Je m'approche alors brusquement de lui, le saisis par la nuque et pose mes lèvres sur les siennes dans un geste soudain. Il me repousse si fort que je manque de m'écrouler au sol. Je me rattrape sur la fontaine et le vois reculer, cligner plusieurs fois des yeux alors que le poison est en ce moment même en train d'agir. Intérieurement, je jubile.
Sa tête va commencer à tourner et il va avoir des hallucinations. Puis il va s'évanouir avec une sensation d'être ivre mort. Il devrait se réveiller dans une douzaine d'heures avec la peau pâle et les lèvres bleues. Et c'est exactement ce qu'il se passe pour le moment : il s'écroule par terre.
J'ai préparé ma petite sorcellerie dans les bois avant d'arriver à Barentown. J'ai trouvé des plantes venimeuses dans la forêt que je me suis contenté d'écraser et de mélanger avec le contenue de mon rouge à lèvres. Il suffit d'un simple baiser pour plonger un homme dans un coma d'une demi-journée. Et bien sûr, le poison n'agit pas sur celui qui le porte. Je me suis protégée grâce à d'autres herbes. Je suis rusée, je suis brillante.
— Il faut dire que je suis impressionné par tes charmes.
Je me fige. Non... Ce n'est pas possible. Je me retourne pour voir surgir un homme du fond de la salle de réception. Et cet homme, c'est le même que tout à l'heure, celui qui m'a tiré doucement les cheveux dans le jardin. Il porte toujours son masque et un sourire froid orne ses lèvres. Il est totalement différent de la vision que j'avais en face de moi quelques minutes plus tôt.
Je le vois s'avancer vers moi alors que mon sac tombe de mon épaule et vient s'écraser au sol. Si je le récupère, il appellera les gardes. Ne me dites pas que cet homme, c'est...
— Qui êtes-vous ?
Ma voix tremble. Cela ne me ressemble pas. Je ne suis pas comme ça, je ne l'ai jamais été. Sûrement parce que je sais au fond de moi qui est cet homme. Je le dévisage. Grand, costaud et bien bâti, ses épaules sont aussi carrés que sa mâchoire. Ses cheveux noirs forment des boucles sur son crâne. Et ce regard...
— Qui je suis ? Voilà une bien bête question.
Le sourire sur ses lèvres disparaît alors qu'il s'approche, les mains fourrés dans ses poches de pantalon. Et quand j'y repense, tout me semble logique. Il porte une vulgaire chemise noire de la même couleur que son bas mais la prestance qu'il dégage, le charme indéniable qu'il possède... Merde alors ! J'aurais pu le tuer dans le jardin. Je lui aurais fait bouffer ses rosiers.
— La question à se poser est plutôt : qui es-tu et que veux-tu ?
Ta mort.
— Je m'appelle Orphelia Gerrington.
Plutôt crever que de lui donner mon vrai nom.
— Orphelia, qu'est-ce que tu veux ? répète-t-il, froid et indifférent.
Il me tourne le dos pour aller récupérer une coupe de champagne et je saute sur l'occasion. Légère comme une plume, il n'entendra pas mes pas lorsque je l'étranglerai de mon fil... Un fil que je n'ai plus puisque mon sac est tombé au sol. Merde. Tant pis ! J'extirpe le petit boîtier de mon décolleté avant de me rapprocher de lui. Toujours de dos, j'appuie sur le bouton et ma lame vient pointer le bas de ses reins.
Il a beau faire deux fois ma taille, je n'hésiterai pas une seule seconde.
— Il me suffirait de faire un seul petit mouvement pour vous transpercer un de vos reins.
Je l'entends pouffer alors que son dos se soulève au rythme des bruits qu'il produit. Éberluée, je le regarde se retourner lentement pour me dévisager, l'air amusé. Ma lame vient maintenant pointer contre son torse et je suis obligée de lever le bras pour le menacer.
— On peut vivre avec un seul rein, tu sais. Alors vas-y, plante ton ridicule couteau qu'on se marre un peu.
Je cligne plusieurs fois des yeux et la hargne au visage, j'appuie le bout de ma lame contre son cœur. Je lui crache littéralement au visage lorsque je dis :
— Et sans cœur, vous pourrez vivre ?
Il lève alors les mains pour défaire les lanières de son masque à l'arrière. Celui-ci vient s'écraser sur le sol quand il le laisse tomber. Et je tente de rester neutre, de ne pas laisser entrevoir mes émotions mais c'est peine perdue. Il est d'une beauté à couper le souffle. Son visage est tel que je l'ai toujours imaginé : envoûtant. Ses yeux bercés par de long cils noirs plongent dans les miens et il hausse un sourcil.
— Et toi ? Arriveras-tu à vivre avec la mort de ton roi sur la conscience ?
C'est à mon tour de pouffer.
— Si vous saviez le nombre d'hommes morts de mes mains, vous seriez moins prétentieux. Je dors tout aussi bien la nuit.
— Alors qu'attends-tu ? Tue-moi comme tu n'as eu aucune pitié à tuer le capitaine de la garde royale.
Il s'adosse contre le buffet alors que la pression de ma lame se fait moins fort. Si je veux frapper, c'est maintenant ou jamais. Je pourrais le transpercer, l'embrocher sur ce « ridicule couteau » et pourtant, je n'en fais rien.
— Il n'est pas mort. Seulement endormi pour une douzaine d'heures.
Il profite de mon inactivité pour passer un bras autour de ma taille, abaisser ma main de l'autre et il vient ensuite me tordre le poignet. Tout se passe si vite que je n'ai pas le temps de réaliser. Bientôt, je suis acculée contre le mur, son autre main au-dessus de ma tête pour me bloquer les avant-bras, sa jambe entre les miennes.
Son visage est tellement proche du mien que nos souffles se mélangent lorsqu'il sort :
— Manifestement tu n'es pas Orphelia Gerrington puisque je l'ai déjà rencontré. Blonde comme les blés et d'une minceur affligeante. Qui es-tu ? Je n'aime pas me répéter.
— Je m'appelle Orphelia Gerrington, répété-je, indifférente.
Il se mord la lèvre, hésitant comme s'il réfléchit à ce qu'il peut bien faire de moi. Il finit par tirer sur mon masque de sa main libre, celui-ci que je gardais niché précieusement contre moi. Je suis cramée. Je le sais lorsque ses yeux me dévisagent, étudient chaque parcelle de ma peau, s'arrêtent sur le rouge de mes lèvres.
— Un baiser peut-être ? dis-je la voix emplie de sarcasmes.
— Des lèvres pleines et roses, des taches de rousseur, des yeux verts emplis de détermination, une chevelure rousse... Il semble que nous ayons trouvé notre petit faucon.
Et il se met à sourire, mais d'un sourire bien trop malfaisant. Comme s'il prévoyait de me torturer pendant des mois, des années, des siècles.
— Je suis surpris, tu sais. Quand je t'ai vue dans ce jardin, j'ai pensé avoir trouvé la plus belle créature qui existe. Finalement, tu n'es rien de plus qu'un danger pour mon palais et mon peuple.
Étrangement, sa remarque me blesse. Je me fige alors qu'il continue de me dévisager comme si j'étais une bête de foire. Je lève légèrement la jambe et il ne le voit pas. Sans prévenir, je saisis une lame dans ma botte que je viens pointer contre son ventre.
— Un danger qui vous tuera bientôt. Dites au revoir à vos bébés plantes, Satan vous a réservé une place VIP en Enfer.
Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres. De son côté, il me menace de mon propre couteau alors que moi, je brandis le mien.
— Égalité, rétorqué-je, acerbe.
— Tue-moi, je n'ai plus rien à perdre. Je t'aurai tranché la gorge avant que tu puisses t'enfuir.
— Alors nous sommes deux à ne plus avoir rien à perdre.
Ses yeux dans les miens, je découvre un monde que j'ignorais jusque-là. Ses quelques mèches de cheveux lui barrent me front et je me demande comment il peut se regarder dans le miroir tous les matins. Comment peut-il oser exister après tout ce qu'il a fait ?
Une nouvelle fois, sa main vient me broyer le poignet si vite que jr n'ai pas le temps de parer. Son bras se lève, m'emprisonne contre le mur. Je ne laisse rien sortir, je braque et me cache derrière un mur froid et impénétrable.
— Il semblerait que notre petit faucon ait du mal à esquiver. N'est-ce pas toi qui as tué une vingtaine d'hommes la semaine dernière ? Et ces femmes dans le salon de coiffure le mois dernier, elles sont de toi aussi ? Qu'est-ce qui te pousse à tuer ?
Le monde entier s'est acharné sur moi. J'aurais pu mieux finir, j'aurais pu suivre un destin différent mais les choix se sont imposés et j'ai dû prendre des décisions, bonnes comme mauvaises.
Sa main continue de me déchiqueter le poignet. J'entends un craquement et je serre les dents alors que ma lame vient tinter contre le sol. Bientôt, ce monde n'est que poussières. Tout ce dont je me rappelle, c'est mes mains autour de sa gorge, les siennes autour de la mienne. Puis des étoiles apparaissent devant mes yeux et je me sens m'en aller.
Peut-être que finalement, lui et moi nous ressemblons. La seule différence, c'est que je suis probablement morte à l'heure qu'il est.
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Hello !
J'ai plein de chapitres d'avance mais j'ai toujours un peu la flemme de recorriger derrière
Mais pas d'inquiétude, je devrais poster au moins un chapitre par jour ! (voire plus le week-end)
Bizz bizz
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