Chapitre 39

La nuit est tombée. Il doit être plus de vingt-trois heures et juste après le repas, je suis partie m'isoler dans un salon du palais. Dina m'a aussitôt rejointe et nous avons papoté pendant une heure avant d'entamer une partie d'échecs. Que j'ai gagné. Puis nous avons encore parlé. Beaucoup. Elle m'a confié ses rêves les plus chers : revenir à Lyra pour y mener sa vie comme bon lui semblait. Kelinthos lui plaît mais le pays est trop festif, dit-elle. C'est étrange, parce que j'aurais pensé que cela lui plairait. De sortir tard, de s'amuser...

— Tu n'es plus retourné au club ? lui demandé-je, ma tête reposant dans ma main.

— Si, quelques fois pour revoir Jon mais les choses sont tendues entre nous. Il n'accepte pas mon union de la même manière que je n'en veux pas non plus. Alors en attendant... Je suis partie faire ceci !

Elle se lève du fauteuil pour remonter la manche de sa tunique et dévoiler par la même occasion, un tatouage. J'ouvre grands les yeux, admirative.

— Waouh... C'est super beau !

Son tatouage représente une fleur, mais d'une beauté inégalée. Quelques épines ont été dessinées le long de la tige où les pétales s'ouvrent, resplendissantes.

— Je l'ai fait pour me rappeler que, malgré les obstacles que le destin met sur notre route, la vie peut toujours être aussi belle.

Je lui souris et elle me renvoie mon sourire. Nous nous serrons dans les bras brièvement et elle finit par reculer, me demandant :

— Tu veux t'en faire un ?

Me faire un tatouage ? Ce serait délirant. Une expérience inédite, une aventure de plus à ajouter dans mon carnet de vie. Mais à cette heure-ci ? Alors qu'Erkel doit être rentré dans notre chambre ? Il me tuerait si je sortais maintenant.

— Dina... Il se fait tard et Erkel va me...

— Dis-lui de nous accompagner ! Je suis sûre qu'il serait d'accord.

— Ce n'est pas une bonne idée.

C'est même une très mauvaise idée. Demain, le Jeu des Roses continue et j'ai tout sauf envie de sortir en pleine nuit. Mais Dina ne m'écoute pas, elle a déjà quitté la salon pour partir à la recherche de Sa Majesté de Meridia. Je la suis dans les couloirs en l'apostrophant mais elle m'ignore en sautillant. Et merde, Erkel va juste ouvrir la porte, me rapatrier à l'intérieur et clouer le bec à mon amie.

Bientôt, Dina tambourine à la porte de notre chambre. Une porte qui s'ouvre au bout de dix bonnes secondes. Et c'est un Erkel torse nu qui nous fait face. Il fronce les sourcils en voyant Dina et lorsque ses yeux croisent les miens, mon cœur s'emballe.

Encore une fois. Ça n'arrête jamais. Tu oserais me trahir, More ?

Je déglutis alors que Dina s'exclame :

— On va se faire tatouer. Vous voulez venir ?

Il fait littéralement trois têtes de plus qu'elle et doit baisser les yeux pour la regarder.

— Tatouer ?

— Oui, avec une aiguille et de l'encre. More, tu ne m'avais pas dit que ton fiancé était aussi beau gosse !

Elle se tourne vers moi en souriant et je pousse un petit soupir.

— Bon, vous venez ou pas ?

— Il est presque minuit et vous voulez aller vous faire... tatouer ?

— Je ne sais pas, réponds-je. Dina voulait sortir alors je l'accompagne. Mais vous pouvez rester là, ça m'ira tout aussi bien.

Je suis une piètre menteuse. J'ai envie qu'il vienne. Mais au même moment, le visage d'Areena s'imprime dans mon esprit et je me mets à les détester tous les deux. Je ne dois pas perdre de vue ce qu'il m'a dit : notre histoire ne vaut rien.

— J'arrive.

Et il disparaît dans notre chambre. Pendant les cinq minutes où il n'est pas là, Dina mime de s'effondrer, se donne des coups d'éventail imaginaire comme s'il faisait une chaleur pas possible et j'éclate de rire. Erkel revient, beau comme un dieu. Il a troqué son uniforme noir habituel pour porter un simple t-shirt de la même couleur qui lui va superbement bien.

Mais ça, je ne le lui dis pas. Nous sortons du palais rapidement et au bout de quelques minutes, nous avons déjà rejoint le centre de la ville. Je n'ai pas adressé un seul mot à Erkel qui est resté silencieux tout le long de la route. En retrait, je sens son regard me brûler le dos alors que nous entrons dans un club, différent de l'autre fois. Ici, il fait plus sombre et la piste de danse est éclairée par des néons rouge.

— Tu t'es faite tatouée ici ?

— Oui, il y a une salle au bout du couloir. Je vais nous chercher des verres, restez-là !

Et elle disparaît aussitôt. Je la perds de vue et pousse un petit soupir alors qu'une étrange chaleur s'immisce dans mon corps quand je sens sa présence derrière moi.

— On doit toujours parler.

Je ne me retourne pas et regrette aussitôt la robe blanche en volants que je porte. C'est à peine si je me sens à l'aise dedans.

— Je n'ai rien à vous dire.

— Mais moi, si. Allez, viens More.

Il ne me laisse pas le temps de protester. La musique est assourdissante et quoiqu'il arrive, je serais incapable de lui dire non. C'est ça, le plus dérangeant dans cette histoire. Erkel m'entraîne dans un couloir du club puis dans un autre où nous pouvons enfin trouver du calme.

Ici aussi les néons sont rouge et donne un air imposant à Erkel qui me fait face. Je recule pour m'adosser contre le mur, gardant les bras le long de mon corps.

— Je vous écoute.

— Quand tu nous as surpris cette après-midi, nous ne faisions rien. J'étais en train de lui soutirer des informations. J'essaie d'avoir sa confiance pour pouvoir obtenir le plus de choses possibles. Elle m'a déjà confiée quelques trucs qui me seront utiles par la suite.

— Elle m'a dénigrée et vous l'avez laissée faire, répliqué-je d'un ton assassin.

— Je devais lui montrer qu'elle pouvait avoir confiance en moi ! Elle te déteste, More. Sa jalousie empeste à chaque fois qu'elle te regarde. Si je t'avais défendue, elle m'aurait mis dans la même case que toi et pour le bien de cette guerre, pour le bien de notre pays, je me devais d'obtenir sa confiance.

Un silence s'écoule. Je peux comprendre ce qu'il me dit là. Après tout, ça semble logique. La façon dont son regard était empli de regrets alors qu'il me quittait. Mais la façon dont il a fait les choses dans mon dos, ça, ça ne passe pas.

— Vous auriez pu m'en informer.

— Je sais, mais j'ai pris cette décision juste après l'épreuve du matin.

Nous nous faisons face, lui adossé au mur d'en face, moi toujours calé contre le mien. Un duel de regard s'impose entre nous alors que je demande :

— Et alors ? Avez-vous obtenu sa confiance ?

— Pas encore. Elle me confie des choses futiles, mais bientôt, elle me dira tout, j'en suis persuadé.

— Mais à quel prix ? m'écrié-je soudainement. Vous allez quoi, l'embrasser pour qu'elle aussi tombe entre vos bras ? Et puis quoi, vous allez aussi coucher avec elle pour obtenir ce que vous voulez ?

— Mais non ! Je ne ferai jamais...

— Vous mentez, Erkel. Vous osez prétendre être sincère et vous me mentez droit dans les yeux. Votre pays est tout ce qui vous reste, vous feriez n'importe quoi pour sauver vos terres. Quitte à trahir les autres avec l'ennemi. Vous vous rapprochez d'Areena dans le but de maintenir une alliance entre vos deux pays. Meilleur ! Vous pourriez même l'épouser pour sauver Meridia. C'est ce que vous comptez faire ?

Il ne répond pas. Ce silence est fracassant. Assourdissant comme la musique dans le club. Je l'observe, au bord des larmes. Deux fois en une journée, c'est impossible. Il ne répond toujours pas et c'est mon cœur qui se fissure lentement.

— Vous m'auriez délibérément trahie si j'en étais venue à vous succomber. Vous ne valez pas mieux qu'Areena et Maverick.

— Quelle autre solution vois-tu ? Je suis à peine proche d'Ecclosia, Lucrenda et d'Imir. Crois-tu sincèrement que Rewind irait larguer ses troupes à Kelinthos pour moi ? Lui qui n'est même pas menacé ? Je suis le seul concerné, et je dois prendre une décision pour mon pays. Cela ne change rien aux sentiments que j'ai pour toi et à tout ce que nous avons vécu.

Cette fois-ci, j'explose. Mes cris résonnent dans le couloir alors que je m'époumone :

— Aux sentiments que vous avez pour moi ? Mais merde, alors ! Vous osez me parler sentiments alors que vous vous apprêtez à briser mon cœur en deux en allant épouser Areena ! Rewind n'hésiterait pas une seule seconde à larguer ses troupes, vous vous voilez la face. Avez-vous seulement vu comment il regarde Bianca ? Avez-vous entendu ce qu'il a fait l'année dernière pour elle ? Parce que moi, oui, j'ai entendu des choses. S'il ne le fait pas pour vous, il le fera pour elle : il est déjà en guerre contre Kelinthos. Et vous, vous seriez prêt à épouser cette... pétasse avec son stupide chihuahua ? Il y a d'autres solutions que vous réduire à cela.

À bout de souffle, je reprends d'un ton plus calme :

— Vous vous plaignez de ne pas êtres proches d'eux mais vous leur parlez à peine. Alors, allez-y ! Allez épouser cette femme et devenez l'ennemi d'Imir, de Lucrenda et d'Ecclosia. Mettez-vous à dos la moitié du monde, au moment où Meridia coulera, je serai déjà loin de vous. Je ne veux plus rien de vous.

Je m'apprête à détaler mais sa main s'enroule autour de mon poignet et c'est à son tour de s'énerver :

— Tu crois que je fais ça pour le plaisir ? Tu crois que j'aime cette fille ? Je tente seulement ce qui est à ma portée. Mon armée est décimée, Kelinthos a de puissants alliés. Alors non, pour moi, il n'y a pas d'autres solutions. Cette guerre est perdue d'avance et je ne te mettrai pas au-dessus de mon pays dans la liste de mes priorités.

La claque que m'assènent ses mots est tellement violente que je recule. Je ne me rends pas compte que je pleure jusqu'à ce que les larmes inondent ma poitrine.

— Vous voyez... Il est là le problème. Quand d'autres déclareraient la guerre à n'importe qui qui oserait seulement toucher un cheveu de celle qu'ils aiment, vous, vous me jetteriez à la mer. Vous me laisseriez me noyer pour sauver votre navire, quitte à pactiser avec le diable.

— Et tu es surprise ? Tu me touches à peine ! Je ne sais même pas ce que tu ressens, tu te contentes de me repousser en permanence. Les choses sont claires de mon côté, je te veux, More, et je te l'ai déjà dit. Mais toi... Toi, tu m'as clairement dit le contraire.

— Mais merde, achetez-vous une paire d'yeux ! J'ai déjà donné suffisamment d'indices pour que vous compreniez par vous-même !

Et il ricane comme si j'étais hilarante. Ce qui me rend encore plus furieuse. Je vais péter un câble. Il faut que je sorte maintenant ou les choses vont dégénérer.

— Des indices ? Tu parles d'indices quand tu me laisses aller vers toi pour me repousser deux minutes plus tard ? Wow, je suis vachement avancé avec ça !

— Oh, allez vous faire foutre.

Je lui tourne le dos mais une nouvelle fois, il m'empêche de partir. Il me pousse contre le mur et je serre les dents, hargneuse.

— Je n'ai pas fini.

— Moi, si ! Lâchez-moi. Je jure que je vais vous tuer.

— Des menaces en l'air, comme d'habitude. Puisque nous en sommes à évoquer nos sentiments, parle-moi. Dis-moi ce que tu ressens, je suis tout ouï.

— Non, vous allez me lâcher maintenant. Qu'est-ce que ça changerait que j'explique quoique ce soit ? Comme vous l'avez dit, nos prétendues fiançailles sont annulées. Je rentre à Meridia, épousez votre Areena chérie et fichez-moi la paix !

— Je n'épouserai pas Areena.

— Et je suis censée vous croire ? Vous me trahissez déjà. Vous me trahiriez pour sauver votre peau et celle de Meridia.

Alors, il me lâche. Et recule.

— Très bien. Je t'ai donné une chance de t'expliquer et de...

— Mais qu'est-ce que ça changerait ? m'écrié-je.

— Ça changerait tout ! Prouve-moi que tu ressens la même chose et tu ne pourras pas dire que je ne fais pas tout pour toi. Prouve-moi que tu me veux autant que je te veux.

Un silence s'écoule, de nouveau. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression qu'il va exploser. Erkel me fixe, désespéré, dans l'attente de quelque chose, un geste, une tentative de mouvement, n'importe quoi. Mais je reste stoïque.

Tu me trahirais pour lui, More ?

Oh, laisse-toi vivre, More. La vie est courte !

Le seul moment qui compte, c'est maintenant. L'instant présent. Qu'est-ce que tu veux ?

— Je ne peux pas.

Mes mots sont suffisants. Il me tourne le dos et s'en va, me laissant seule dans le couloir avec mes pensées noires.








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hello!

je posterai un autre chapitre très certainement en début de soirée ce soir :)

bizz bizz

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