Chapitre 32

Maverick ne me relâche même pas. Erkel demeure impassible quand il me voit. Non... Non ! Il ne va pas me laisser seule avec ce psychopathe tout de même ? Je le vois hésiter. Cette hésitation me rend malade.

— Erkel, gémis-je presque.

Il me dévisage. S'avance de quelques pas et pose ses yeux sur Maverick.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— Cet abruti ne veut pas me lâcher, grogné-je.

Il tire plus fort sur mes cheveux et je recule de quelques pas. Maverick répond d'un ton totalement désinvolte :

— Votre fiancée me doit une faveur qu'elle refuse de me donner. Les marchés sont des marchés.

— Alors donne-lui ce qu'il veut, réplique Erkel avant de se détourner.

Non mais je rêve ! Je nage en plein cauchemar. Pour la première fois de ma vie, je suis vulnérable. Je tente à maintes reprises d'atteindre Maverick mais à chaque tentative, il tire plus fort sur mes cheveux. Et la douleur est insupportable, elle s'insinue dans mes veines sans répit.

— Erkel, revenez, bon sang !

— Taisez-vous, grogne Maverick dans mon dos.

Erkel s'arrête en pleine marche, se tourne vers moi et hausse les épaules.

— Si je suis un monstre, autant l'être jusqu'au bout.

— Vous n'êtes pas un monstre ! S'il vous plaît, revenez.

Je dois ressembler à un chien qui couine pour qu'il daigne revenir sur ses pas. Je le vois me regarder mais je détourne les yeux pour ne pas l'affronter. La honte me saisit.

— Vous devriez la lâcher, intervient Erkel. Si vous ne le faites pas, j'ai bien peur de devoir m'en charger moi-même.

— Hors de question ! Elle me doit une faveur.

Erkel retrousse ses manches et mon petit cœur se met à battre plus fort. Il s'avance, Maverick recule et je grogne pour compenser la douleur qui irradie mon crâne.

— Lâchez-la, grogne Erkel.

— Non.

— Lâchez-la ou je vous fais bouffer l'herbe à mains nues. Et croyez-moi, le dernier qui a testé n'a pas apprécié.

Maverick sait qu'il ne fait pas le poids. Erkel est une montagne de muscles sur place et il est beaucoup plus grand. Le roi de Kelinthos doit se souvenir de la tête qu'a Roméo puisqu'il me relâche en marmonnant une flopée d'insultes. Je ne suis pas préparée à être relâchée, alors je tombe piteusement à genoux. Je me relève tant bien que mal pour m'approcher d'Erkel. Il m'évite comme la peste.

— Je ne lâcherai pas l'affaire. Elle me doit quelque chose.

— Que dites-vous de jouer ? réplique mon roi. Une partie de roulette blanche, si je gagne, vous la laisserez tranquille. Plus de magouilles, plus de menaces. Si vous gagnez, vous aurez votre faveur.

— Non, mais ça va pas la tête ! Jamais je ne...

— La ferme, More.

Sa réplique est cinglante et me laisse bouche bée. La hargne au ventre, je m'éloigne de lui comme s'il m'avait giflée.

— Marché conclu, lance Maverick. Je vous attends à la roulette.

Et il nous tourne le dos pour s'en aller. Je me tourne vers Erkel en explosant :

— Vous êtes un connard de première !

Il ne répond même pas. Il jette un coup d'œil à sa montre puis passe une main dans ses cheveux.

— Vous venez vraiment de parier ma faveur contre ça, sérieusement vous...

— Tu vois, c'est ça le problème. J'aurais pu partir et te laisser avec lui, tu m'as demandé de revenir et je suis revenu pour toi, More. Alors insulte-moi si tu veux, je m'en fiche. Peu importe les décisions que je prends, tu auras toujours quelque chose à dire.

Je n'ai plus les mots. Il me tourne le dos à son tour et je me donnerai des claques intérieurement. J'ai tout gâché encore une fois. Comme d'habitude.

• • •

Le but de la roulette blanche est simple. Il y a trois types de cases sur la roulette : des blanches, des noires et une seule jaune. Si la bille tombe sur la case jaune, le jeu est perdu. La bille doit cumuler un total de cent points grâce aux cases blanches numérotées de en nombres ronds : cinq, dix, vingt et cinquante. Les cases noires annulent les points et les soustraits à la mise ajoutée. Bilan du compte : tout se base sur la chance.

Après cinq minutes de jeu, Erkel est déjà à vingt cinq points tandis que Maverick vient de se faire soustraire dix points des trente accumulés jusque-là. Ce jeu peut durer une éternité. Au début, je reste en retrait mais bientôt, je vais chercher un siège pour m'installer à la droite d'Erkel. Il ne m'accorde aucun regard à mon plus grand désarroi.

— Ce jeu dure longtemps ?

— À la moitié, on fait une pause, déclare Maverick. Je dois parler à ma sœur.

C'est ça, va parler à ta vipère de jumelle. Au bout d'une dizaine de minutes, c'est Maverick qui atteint les cinquante points. Erkel, lui, n'en est qu'à quarante.

Alors que Maverick se lève et détale aussitôt, un sourire suffisant aux lèvres, Erkel va pour l'imiter mais je le retiens. Ma main s'enroule autour de son bras et il baisse les yeux pour me regarder enfin, la première fois depuis le début du jeu. Il doit bien être minuit et je suis exténuée.

— On peut parler ? demandé-je d'une voix relativement calme.

— On ne parle jamais avec toi. Tu mords en permanence.

Je soupire et il se rassoit.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Je prends une grande inspiration, mesure l'ampleur de mes mots. Je dois réparer les morceaux. Cette soirée a été catastrophique du début à la fin.

— Je suis désolée pour tout à l'heure. Je ne pensais pas ce que j'ai dit.

— Au contraire, tu as pensé chaque mot que tu as prononcé. Et c'est ça qui fait le plus mal.

— Je suis sincère !

— Toi, sincère ? C'est la blague de l'année. Tu n'es pas sincère, More. Tu es une menteuse et tu l'as affirmée.

— Oui, je suis une menteuse, et exécrable, insupportable à vivre et tout ce que vous voudrez. Mais je suis sincère dans mes mots cette fois-ci. Vous n'êtes pas un monstre. J'ai eu tort de dire cela.

— Et donc je suis supposé te croire ? Coup de gomme magique et hop, tout est effacé !

Alors c'est plus fort que moi, j'explose de nouveau :

— Mais que voulez-vous de moi, à la fin ! Je ne vais pas vous embrasser pour vous montrer que je ne pensais pas un mot de ce que j'ai dit quand même !

— Ce serait la meilleure solution mais tu es incapable de le faire, ricane-t-il.

— Sérieusement ?

— Quoi ? Je te touche et tu me repousses. Tu es lâche avec tes sentiments et je suis fatigué.

— Vous m'agacez. Ça, c'est une vérité !

— Je suis ravi de l'apprendre.

Il se lève pour s'enfuir mais je le suis à la trace. Au bout de quelques mètres, il se retourne pour me foudroyer du regard.

— Je n'ai pas besoin d'un toutou.

— Donc vous ne me croyez pas ?

— Pourquoi je devrais te croire ? C'est à peine si tu m'adresses la parole depuis que nous sommes arrivés.

— Et vous trouvez cela étonnant ? et j'éclate de rire, ce qui a le don de le rendre furieux. Vous m'avez enfermée pendant deux mois dans une cellule.

— Tu veux la jouer dans ce sens ? Tu as tentée d'attenter à ma vie à de nombreuses reprises. Qu'aurais-je dû faire ? T'envoyer des fleurs et te baiser les pieds ?

— Alors pourquoi aujourd'hui êtes-vous étonné de mon mépris ? Je ne vais pas vous sauter dans les bras !

Je vois sa poitrine se soulever à une vitesse fulgurante. Il transpire de rage, ses poings se serrent et pourtant, je le vois qui tente de se maintenir. Respirer calmement.

Il répond d'un ton glacial :

— Je ne suis pas étonné de ton mépris. Mais ton corps réagit exactement à l'opposé de ce que tu prétends vouloir.

— Mais merde, alors ! Ce sont des réactions physiques totalement normales. Cela arriverait à n'importe qui.

Je suis au bord de l'explosion. Nous sommes en train de nous disputer encore plus qu'initialement. Et les gens autour de nous commencent à nous jeter des œillades.

— Continue de te leurrer, More. Ce n'est pas mon problème. Vois les choses en face, depuis la première fois où nos regards se sont croisés, tu as compris que tu ne pourrais jamais me tuer. Tu as eu un nombre incalculable d'occasions, des chances que tu n'as même pas saisies.

Il s'avance alors que je bous de l'intérieur. Je sais, au plus profond de moi, qu'il a raison. Mais je ne peux pas, pas maintenant. Pas après tout ce que j'ai vécu, pas après les choses qui sont arrivées. Pas après tout le mal qu'il m'a causé.

— Tu te trompes d'ennemi. À Meridia, je peux être le grand méchant de ton histoire. Mais ici, les choses sont différentes.

Je ne réponds même pas. Mes yeux dans les siens, je vois une multitude de choses. De la peur, de la colère, du désir. L'injustice brûle dans son regard.

— J'ai une seule question à te poser.

Cela ne peut pas être pire que maintenant. Alors je hoche vaguement la tête pour l'inciter à continuer.

— Qui t'ai-je pris pour que tu me haïsses autant ?

Mon cœur se fissure. Lentement, soudainement. La blessure se rouvre alors que je nous revois. Lui et moi, insouciants et jeunes, perdus dans une folie passagère. Dans une cause que l'on croyait nôtre. Une cause qui aura provoqué le déchainement.

— Je ne répondrai pas.

— Dans tous les cas, cette personne est morte. Qu'est-ce que ça change ? J'aimerais juste comprendre les circonstances.

— Il n'y a aucune circonstance, répliqué-je, acerbe. Vous avez tué quelqu'un que j'aimais, vous m'avez volé mon futur. Vous avez crée qui je suis aujourd'hui et celle que je serai demain. Tout ça est de votre faute.

— J'assiste à un procès auquel je ne suis même pas présent. Tu te rends compte du ridicule de la situation ? Aurais-je volontairement tué un innocent pour le plaisir ? Au lieu d'expliquer les choses calmement, tu préfères te leurrer dans ton passé. Merde, alors !

Je ne sais même plus quoi dire. Je sais qu'il a raison, je sais que la situation dans laquelle nous sommes à présent est de ma faute. Mais je ne l'avouerai jamais. Pas maintenant, c'est trop tôt.

— Tu es bloquée avec ton passé et c'est désolant. La vraie vie, c'est maintenant, More. Il n'y a plus le temps pour les regrets et les « et si », la culpabilité et la rancœur. Peu importe la personne que je t'ai prise, cette personne est morte. Elle ne reviendra pas et tu dois l'accepter.

Il me tourne le dos pour repartir s'assoir à la table, et je reste plantée là quelques secondes. C'est officiel, je déteste cet homme. Je le déteste pour me dire les choses telles qu'il les voit, pour mettre des mots sur la tempête de sentiments qui s'opère en moi depuis des années.

Je pivote légèrement pour le regarder. Il s'est rassis et positionne sa bille sur la roulette. Maverick lui fait face et bien évidemment, Areena a rejoint la partie. Je vais rentrer dans ma chambre. Je vais les laisser ensemble faire leurs jeux et je vais retourner me morfondre dans mon lit. C'est le seul dessein que je visualise.

— Moreeeeeee !

Je m'arrête nette. Derrière moi, Dina se précipite vers moi, une coupe à la main, un sourire pétillant aux lèvres. Elle fronce les sourcils quand elle voit Erkel seul à la table des jeux.

— Je vous ai vus parler tout à l'heure. Qu'est-ce que tu fais là ? Va le rejoindre !

— Non, je vais allez me coucher plutôt. On se verra demain, Dina, à...

— Je ne crois pas, non. Tu as vraiment envie que cette vipère d'Areena te vole l'homme de ta vie ? Regarde comment elle le bouffe des yeux. Et il y prête à peine attention ! Allez, More, va marquer ton territoire avant qu'il ne soit trop tard.

Et elle me pousse de ses deux mains vers la table. Bon Dieu, elle est ivre morte à cause de l'alcool. Contre mon gré, je m'avance vers la table d'un mouvement mal à l'aise.

Bien évidemment, Areena a pris ma place et est assise à la droite d'Erkel. Il relève les yeux quand il me voit et sa haine est toujours incendiaire. Bon, je ferais mieux de déguerpir d'ici.

— Vous venez vous joindre à nous, ma chère ? Oh, mais il semblerait qu'il n'y ait plus de place. Dommage !

La voix d'Areena raisonne dans mes tympans comme un vieux sortilège maléfique. Je la dévisage et une gêne s'installe entre nous tous. Maverick se contente de positionner sa bille alors qu'Erkel tapote la table de ses doigts.

Alors pour la première fois de ma vie, je fais la chose la plus débile qui traverse mon esprit. Je m'avance, pose ma main sur l'épaule de mon pseudo-fiancé. Il relève la tête de nouveau en fronçant les sourcils cette fois-ci et je passe ma jambe par-dessus les siennes. Devant le regard effaré d'Areena, je m'assois sur ses genoux. Je sens Erkel se crisper mais je passe rapidement mon bras autour de son cou.

Il reste impénétrable. Comme un joueur de poker. Il se contente de placer sa bille à son tour alors que je lance à Areena :

— Il y a toujours une place quelque part, vous savez.

Je jubile en la voyant serrer les dents. Je me penche pour souffler à l'oreille d'Erkel :

— Je suis vraiment désolée. Je vous expliquerai tout un jour, mais pas maintenant.

Il se contente de croiser mon regard et mon cœur se met à tambouriner fort dans ma poitrine. Ses yeux sont d'un bleu si intenses, si brillants que je dois me cramponner à lui pour ne pas tomber en arrière. Sa main se pose sur mon genou alors que de ses doigts, il effleure le tissu de ma robe.

— Vous êtes pathétiques, résonne la voix de Maverick devant nous.

— Oh, la ferme, soufflé-je.

Il hausse un sourcil, moqueur.

— Je ne vous pensais pas aussi impolie.

— Si je suis impolie, vous n'êtes qu'un gamin jaloux de voir que l'homme à mes côtés possède bien plus que vous ne pourrez avoir en une vie. Le charisme, la richesse, les femmes qui vous désirent... Ce sont des choses que vous ne connaissez pas, n'est-ce pas ?

Mon ton est railleur et Maverick me foudroie du regard. Erkel, lui, resserre sa prise et ses lèvres viennent effleurer mon oreille :

— Alors je suis charismatique ?

— À peine, répliqué-je.

— On en reparlera.

J'en suis convaincue. Mais bientôt, Maverick jubile quand la bille d'Erkel se retrouve sur la case jaune et indique l'issue de ce jeu. Nous avons perdu, il a gagné. Tout ça pour ça...

Maverick s'exclame et s'avance, en posant les mains sur la table.

— Il semblerait que ma More adorée me doit une faveur.

Je serre les mâchoires. Erkel me pousse légèrement, m'incitant à me lever. Non... ce n'est pas possible. Pas après les récents événements, pas comme ça. Il ne va pas m'abandonner, pas maintenant.

Mais alors que le sourire de Maverick s'étire, je remarque son mouvement. D'une vitesse fulgurante, Erkel glisse sa main dans la poche. La ressort immédiatement et un cri étouffé résonne. Tout s'est passé si vite que je recule de quelques pas. Erkel vient de planter un clou à quelques millimètres de la main de Maverick.

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