Chapitre 28

Lorsque je me réveille le lendemain, je suis incapable de bouger. Deux gros bras m'encerclent comme si j'étais un doudou pour un enfant de cinq ans. Non, mais je rêve ! Je me frotte les yeux de ma main libre avant de jeter un coup d'œil par-dessus mon épaule. Erkel dort d'un sommeil de loutre. Je l'observe pendant quelques secondes. Sa respiration est régulière, son corps brûlant contre le mien. Il semble si paisible que cela en demeure irréel.

Je dois puiser en moi pour m'obliger à me remuer. Alors je gigote comme un ver de terre pour le réveiller et c'est réussi. Je l'entends marmonner des mots incompréhensibles et sa prise se resserre : mon dos se retrouve à présent collé à son torse.

— Alors, non, ça ne va pas être possible. Dégagez ou je vous détruis les testicules.

Il se réveille peu à peu, ses yeux rencontrant les miens. Je suis furieuse de bon matin. Bon, j'exagère sûrement un petit peu. Je suis simplement agacée.

Aux anges, oui.

— Vous allez me lâcher ?

— Non.

Et il enfouit sa tête dans mon cou. Je sens mon visage chauffer alors que je laisse tomber ma tête contre la tête de lit en poussant un petit soupir, résignée. S'écoulent quelques minutes avant que je n'intervienne de nouveau :

— J'étouffe.

— Bien sûr.

— Vous êtes dans mon périmètre de sécurité. Lâchez-moi.

— Ça va, je ne te vole pas non plus tout ton oxygène, grommelle-t-il.

Bon Dieu que sa voix du matin est sexy. Et son visage, si paisible, si calme... Si à longueur de journée il fronce les sourcils, il n'a cet air serein que le matin. Je pourrais m'habituer à cette vision de lui...

— Détrompez-vous, rétorqué-je. Mes réserves d'air sont en rupture à cause de vous et de vos gros bras de taureau.

Il laisse échapper un petit ricanement et c'est plus fort que moi. Je suis en train de sourire comme une idiote. Je vais me frapper, me donner des claques, me...

— Eh... Mais c'est qu'elle sourit !

Mon sourire se fane automatiquement alors qu'Erkel se redresse, se tenant sur ses mains, ses bras de part et d'autre de mon corps.

— Non.

— Si, menteuse.

— Et alors ? Ça ne change absolument rien.

— Au contraire, je ne t'ai jamais vue sourire. Tu sais quoi ?

J'aimerais m'extirper de lui, m'éloigner le plus possible mais la façon dont il me regarde me garde le souffle court. Mon cœur s'emballe comme à son habitude. Je ne suis même plus étonnée.

— Quoi ?

— Tu es encore plus belle quand tu souris.

Je fronce les sourcils mais une étrange sensation s'immisce dans mon ventre. J'ai beau tenter de jouer l'indifférente, je sens mes joues rosir.

— C'était nul.

— C'est pour ça que tu rougis.

— Mais allez vous faire voir, espèce de vieux rat !

Je tente de me dégager de lui mais de sa main, il saisit mon visage. Presque outrée, je suis incapable de le repousser. Il me sonde pendant quelques secondes. Les secondes les plus interminables de ma vie. C'est comme si le temps s'était arrêté. Ses yeux scrutent la moindre parcelle de mon visage. S'attardent un peu trop longtemps sur mes lèvres. Bon Dieu, je suis en train de perdre pieds. S'il continue de me regarder de la sorte, je...

— Tu es incroyablement belle, tu le sais au moins ?

— Bien sûr que oui, répliqué-je du tac au tac. Vous pouvez me lâcher maintenant ?

Je couine comme une crécelle. Plus je le regarde et plus je... Non. Je dois rester fixée sur mes objectifs.

Sa main descend le long de mon cou et il rajoute :

— Les marques sont en train de s'estomper.

— Peu importe, je continuerai de camoufler ces horreurs.

— Ce n'est pas si terrible.

— Si. Maintenant, poussez-vous. Votre haleine fétide du matin me donne envie de sauter par la fenêtre.

Et il sourit comme un idiot ! Cet homme mérite des baffes.

Alors qu'il se redresse et se met debout, il me lance avant de disparaître dans la salle de bains :

— Ce soir, Areena et Maverick ont prévu une soirée jeux. En attendant, il est plus de midi. Cet idiot de roi d'Imir doit déjà être arrivé alors prépare-toi. Nous arriverons ensemble, main dans la main, comme un parfait petit couple.

Il y a une semaine encore, cette phrase m'aurait donné envie de vomir. Aujourd'hui, je ne sais plus quoi penser. Je préfère ne même pas réfléchir à la situation.

Il y a des choses bien plus importantes à gérer que la cacophonie de sentiments qui s'opèrent en moi en ce moment.

• • •

J'ai opté pour une robe à corset d'un rose assez pâle assez longue. Erkel, lui, a décidé de changer de couleurs. Il porte aujourd'hui un veston d'un bleu marine, presque noir, qui le sied à la perfection. Après avoir enfilé ses innombrables bagues et sa montre, nous sommes sortis de la chambre, direction la salle de réceptions.

À peine avons-nous descendu les escaliers que des éclats de voix se font entendre.

— C'est ça, Tac ! Bouffe-le entièrement !

Je me fige dans les marches d'escalier en même temps qu'Erkel plisse les yeux. Nous nous hâtons de rejoindre le hall pour découvrir le spectacle. Trois chiens s'aboient dessus. Deux gros berger allemand font face à un minuscule chihuahua qui couine si fort que mes tympans me font mal. Devant nous, un homme s'impose. Presque aussi grand qu'Erkel, même plus, il pose les mains sur ses genoux en encourageant ce qui semblent être... ses chiens ? Ou des piranhas ?

Les aboiements sont si forts que je grimace. Le chihuahua ne peut rien face à ces deux gros balourds.

— Allez, Tic ! Un peu de nerf, ne te laisse pas prendre par l'ennemi ! Papa ne t'a pas élevé comme ça !

Je lève la tête vers Erkel. Erkel baisse la tête vers moi. Mes yeux témoignent de mon incompréhension, les siens de l'exaspération. Ou de l'embarras. Lorsque l'homme nous remarque, je le vois hésiter entre continuer d'encourager ces deux démons ou bien nous saluer. Il opte pour ses chiens.

Mais bientôt, une voix féminine retentit dans le couloir.

— Pimprenelle ! Oh, mon Dieu ! Éloignez ces deux vauriens de mon bébé !

Areena déboule en grandes enjambées, ses talons aiguilles raisonnant dans le hall. Elle s'abaisse pour prendre son chien dans ses bras qui continue toujours d'aboyer comme un idiot. Puis elle se tourne vers l'homme et crache d'un ton haineux :

— Si vous n'étiez pas le roi d'Imir, j'aurais déjà donner ces chiens à l'abattoir.

Puis elle pivote vers nous, enfin plutôt vers Erkel mais ce n'est qu'un détail, et ajoute d'une voix plus langoureuse :

— Ne vous fiez pas à lui, mon tendre ami, c'est un fou furieux.

Elle finit par nous tourner le dos et détale aussitôt. Ce que j'en crois être le roi d'Imir s'exclame :

— Ah, c'est comme ça qu'on accueille les invités ! Bonjour à vous aussi, espèce de truie des mers !

Mais elle ne l'entendra jamais.

— Mais qu'est-ce que...

Je ne termine même pas ma phrase. Je suis abasourdie devant le spectacle. Est-ce le roi d'Imir ou un gamin de maternelle ? Pourtant, il a tout d'un homme sûr de lui. Le dos droit, un air impénétrable s'affiche sur son visage mais ses yeux brillent de fierté lorsqu'il regarde ses chiens. Il porte un veston rouge assorti à un pantalon sur mesure noir. Sa peau est bronzée, ses cheveux noirs de jais et sa mâchoire saillante. Il a tout d'un homme charismatique.

— Bon, tonne Erkel. Votre petit cinéma est fini ?

Le roi d'Imir lève la tête vers lui, un immense sourire aux lèvres et s'approche de nous. En même temps qu'il tapote l'épaule d'Erkel d'un geste beaucoup trop vigoureux, il s'exclame :

— Enerkel, mon bon et vieil ami ! Comme ça fait plaisir de vous revoir !

— Plaisir non-partagé, réplique mon pseudo-fiancé.

— Ne soyez pas timide, enfin. Avez-vous vu comment cette femme me parle ? Elle a tout d'une sorcière vaudou. Je parie que Tic et Tac souffriront d'un horrible mal de crâne avant ce soir.

J'hésite entre rire à gorge déployée, être outrée ou bien les deux. J'opte pour la première option et Erkel se tourne vers moi bien trop vivement. Il me fusille du regard et je tente de me calmer. L'hôte en face de nous me tend la main, une main que je saisis dans la seconde.

— Nous n'avons pas été présentés, je m'appelle Rewind.

— More.

— Enchanté, More. Bon, vous m'excuserez pour cet accueil un peu trop... vif, mais je dois retrouver mon épouse. Ander et Eileen sont dans la salle de réception si vous voulez leur parler. Mais bon, si j'étais vous, j'éviterais Ander. Il a tendance à être un danger publique.

Il se tourne alors vers Erkel, et ajoute d'une voix grave :

— Nous devrons parler vous et moi. N'oublions pas que si nous sommes venus plus tôt, c'est parce que vous avez subi une attaque.

— Je ne pense pas être la seule cible ici, lance Erkel d'un ton bas.

— Nous aborderons ces sujets un peu plus tard.

Les deux hommes hochent simplement la tête et Rewind finit par nous tourner le dos. Il disparait dans les couloirs en criant « Bianca ! Bianca ! » et j'ignore qui est cette pauvre fille, mais je la plains.

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