Chapitre 23

— Laissez-moi faire, vous êtes un incapable.

Il hausse un sourcil alors que je le pousse vers la salle de bains. Après le petit incident, Erkel est parti s'entretenir avec les jumeaux. Les trois ont parlé politique et accident, et l'importance de ce qui venait de se passer, l'ampleur que les choses prendraient... Bref, rien d'intéressant.

Je n'ai pas cru un seul instant les mots d'Areena. Cette femme a l'air d'être une vipère et d'agir dans le dos des gens. Alors peut-être qu'elle et son frère ont un beau palais plein de dorure et de gens attentionnés mais je suis sûre que les intentions de la reine ne sont pas claires.

— Qu'est-ce que tu comptes faire au juste ?

Il soupire en s'installant sur un petit siège. Un air nonchalant au visage, je vois ses lèvres s'étirer dans le miroir lorsque j'ouvre les placards à la recherche d'une trousse de premiers soins. Sympathique, ils nous ont laissé tout un attirail pour sauver des malades. J'attrape quelques produits ainsi que du fil et une aiguille et me tourne vers lui.

— Levez-vous, je ne vais pas m'abaisser pour vous.

Un rictus se forme sur ses lèvres si roses et si pleines, que je meurs d'envie...

Il me dépasse d'une bonne tête quand il se remet debout et je pince les lèvres, agacée.

— Asseyez-vous, tout compte fait.

— Madame est indécise.

Il se rassoit sans protester et rajoute d'une voix traînante :

— Tu sais, j'aurais pu très bien me débrouiller seul...

C'est vrai, il aurait pu. Qu'est-ce que je suis en train de faire, au juste ? Qu'est-ce qui me prend ? Je suis à deux doigts de quitter la pièce mais mes pensées sont en vrac. Je peine à réfléchir avec lui devant moi.

— Retirez vos vêtements et taisez-vous. Je me passerais bien de vos commentaires.

— C'est comme ça que tu parles à ton roi ?

Il s'en fiche dans le fond, je le sais. Ou bien peut-être pas ? J'étudie son visage. Il a l'air... je ne sais même pas comment le qualifier. Cet homme est trop complexe, trop étrange et bien trop... attirant.

Alors qu'il déboutonne son haut d'uniforme, je garde les yeux fixés sur la bouteille. Peut-être que tout est dans ma tête. J'imagine trop, je me laisse sûrement portée par des sentiments qui n'existent pas. Je relève la tête. Mon cœur s'emballe lorsqu'il défait sa chemise, dévoilant un torse lissé d'imperfections. Sa peau est légèrement bronzée, ses muscles saillants et ses abdos tout tracés.

Cet homme est un putain de dieu vivant.

Et je me hais de penser ça.

— La vue te plaît ? Je devrais faire exposer mon corps d'apollon grec dans un musée, je suis sûr que tu y viendrais tous les jours.

Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres. Pour toute réponse, je saisis le produit antiseptique et lui asperge l'épaule à grosses gouttes. Le sang de sa blessure dégouline et je jubile intérieurement. Il recule de quelques pas en grimaçant.

— Espèce de petite...

Il s'avance, menaçant et je recule, le produit en mains. Il lève le bras comme pour me toucher, ou me frapper ? Et je réplique, cinglante :

— Touchez-moi et je vous brûle les yeux.

— Un jour, j'aurais ma vengeance.

Je le repousse sur son siège puis saisis mon fil et mon aiguille.

— Je vais devoir recoudre, votre blessure est trop profonde.

Il hausse les épaules comme si son sort lui était indifférent. Je prends une grande inspiration, lui intimant tout de même :

— Ça va faire mal, alors serrez les dents et demandez-moi... si vous avez besoin d'un chiffon pour mordre dedans.

Il hoche lentement la tête et ni une ni deux, je plante mon aiguille dans sa peau. Je le sens tressaillir et j'arrive à lui arracher un ou deux grognements mais rien de plus. Cet homme est un mur de briques incassables. Il réagit à peine tout le long et ce n'est qu'une fois mon aiguille posée qu'il lève la tête vers moi.

Je me fige. Il est d'une beauté spectaculaire et au-delà de ça, une émotion s'imprime dans son regard. Quelque chose est différent, quelque chose...

— Une assassin qui soigne celui qu'elle devait tuer, le paradoxe est à son paroxysme.

Je fronce les sourcils et réplique :

— Vous tuer est toujours mon objectif premier.

Les mains dans le lavabo, je me contente de laver les chiffrons et l'aiguille alors qu'Erkel surgit derrière moi. Son torse vient se coller à mon dos et nos regard s'affrontent dans le miroir.

— Pourquoi suis-je encore en vie, alors ? Tu as eu de nombreuses opportunités, tu aurais pu me tuer une dizaine de fois depuis notre arrivée et tu ne l'as jamais fait.

Je reste silencieuse alors que ses mains se posent sur mes hanches. Je devrais reculer, le repousser et lui ordonner de s'en aller mais je n'en fais rien. Au lieu de ça, je me laisse consumer sous son regard de braise qui me transperce à travers la vitre.

— Pourquoi veux-tu ma mort, faucon ?

— Vous m'avez volé quelque chose.

— Peut-être puis-je te le rendre ?

Son intention est tellement sincère qu'un morceau de mon cœur se détache lentement pour aller s'offrir à lui. Je me tourne pour lui faire face. Il a l'air sérieux et parfaitement sincère et cela me paralyse. Mon Dieu.

— Cela ne fonctionne pas comme ça. Vous ne pouvez pas me le rendre.

Cette fois-ci, ses sourcils se froncent. Ses mains s'arrêtent sur mes hanches et je le vois mordre sa joue.

— Qu'est-ce que je t'ai pris ?

— Ce que j'avais de plus cher au monde, soufflé-je.

Ma voix se brise. Quand je pense à lui, quand je pense à tout ce que nous avons partagé, ma poitrine se compresse de douleur. Il me manque terriblement, un petit peu plus chaque jour qui passe.

Un petit peu moins depuis qu'Erkel est entré dans ma vie.

— Je suis désolé, More, et je suis sincère. J'aimerais pouvoir te rendre ce que je t'ai volé. Mais sache que ce que je fais, je ne le fais pas sans raison. Je ne suis pas un monstre sans cœur avide de richesse et de pouvoir, peu importe ce que tu as pu entendre.

Je me perds dans ses yeux. Dans la façon qu'il a de prononcer ces mots comme s'il croyait vraiment ce qu'il disait.

— Laisse-moi te donner autre chose.

Ses paroles ne sont plus qu'un murmure alors qu'il se penche. Je suis tétanisée. Il ne va pas... Non, il ne va pas m'embrasser il n'oserait pas.

Et pourtant, il s'abaisse. Lentement, très lentement. Ses doigts remontent le long de mon bras.

— Pourquoi ne m'as-tu pas tué avant ?

Sa voix n'est qu'un murmure lointain pour mes oreilles. Il se penche et ses mains se posent sur ma taille. Je cligne plusieurs fois des yeux. Je suis en train de rêver, je nage dans des illusions. Erkel croise mon regard et je me sens m'enflammer. Mes bras me piquent, ma peau frémit sous son contact alors qu'il se penche pour déposer un baiser dans mon cou.

— More...

Je m'appelle Morgan.

Cette phrase me démange. Je brûle d'envie de l'entendre prononcer mon nom. De sentir ses mains sur mon corps, sa peau contre la mienne et... Je dois arrêter. Je dois arrêter de penser à toutes ces choses, c'est mal. J'ai un objectif en tête et je suis lentement en train de m'en éloigner. J'ai beau lutter, je n'y arrive pas. Je suis piégée comme un poisson entre les mailles du filet et Erkel n'en fera qu'une bouchée.

Il dépose un autre baiser humide dans mon cou. Mes mains s'agrippent au rebord du lavabo. Je refuse de le toucher, je refuse de lui avouer qu'hier soir au club, il m'a électrisée. Je refuse de lui dire à quel point je suis perdue. À quel point ses mains n'arrangent pas.

Trois coups frappés à la porte nous interrompent. Je m'extirpe de sa poigne en suffocant presque alors qu'Erkel se détache de moi pour aller ouvrir la porte. Torin, de l'autre côté, déclare :

— Majesté, les autres sont arrivés.

— Les autres ?

— Le Jeu des Roses a été avancé et commence après-demain après l'incident d'aujourd'hui. Leurs Majestés d'Ecclosia et de Lucrenda viennent d'arriver. Imir ne devrait pas tarder.

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