Chapitre 19

Après être rentrée dans la suite royale, j'ai tourné en rond pendant un certain temps. Aucun signe de Torin. Les heures se sont écoulées et Erkel n'est toujours pas rentrée. Lorsque la nuit s'est faite haute dans le ciel et que mes espoirs ont été anéantis, j'ai décidé de sortir m'aérer l'esprit. Me voilà donc à présent sur le balcon, un tout nouveau plan en tête.

Au loin, j'aperçois la ville animée. Les lampadaires illuminent les rues aux couleurs de Galeïon. J'imagine les gens s'amuser et festoyer, rire entre eux et être heureux. Je pourrais l'être aussi. Je n'ai qu'à m'extirper de cette maudite chambre. Mais si Erkel s'en aperçoit, il va me tuer. Me séquestrer les prochains jours dans ma chambre, voire m'enfermer et cette idée me rebute. Mais je ne peux pas rester enfermée ici. J'ai besoin de sortir, de voir d'autres choses que les quatre murs de cette pièce.

Alors sans trop penser, je retourne dans la chambre, fouille ses affaires. Je ne sais pas ce que je cherche mais mes mains finissent par effleurer une lame. Un poignard. Bingo ! Torin était donc parti chercher des armes, je le savais !

Je m'empresse de le cacher dans un pan de ma robe avant de ressortir sur le balcon. Sans réfléchir, je me hisse de l'autre côté de la balustrade. Les fenêtres sont toujours ouvertes donc il s'apercevra de mon escapade. Mais pas si je rentre avant lui... Un petit tour en ville ne me fera aucun mal. Ni une ni deux, je me laisse glisser sur la petite murette le long du mur. Je descends rapidement, mes talents de grimpeuse sont mis à rude épreuve. Une fois en bas, je reprends ma respiration. Puis je me mets à courir, à courir à en perdre haleine jusqu'à ce que mes poumons me brûlent et que j'atteigne la ville.

Essoufflée, le cœur battant à tout rompre, je reste émerveillée devant la beauté de la ville. La musique résonne dans les rues et je sens une profonde euphorie m'envahir. Je suis libre, loin de ce roi tyrannique et de ses œillades adressées à cette reine. Je suis libre et je peux faire ce que je veux. Je peux être qui je veux. Alors sans trop penser, je commence à marcher dans les rues. J'ignore ce que ces gens fêtent mais ils portent tous le même genre de tuniques et se contente de danser au rythme des chansons. Il doit y avoir une fanfare quelque part, mais pour quelle occasion ? Galeïon n'a rien d'une ville détruite. Erkel m'a menti, c'est évident.

— Eh toi !

Je me braque. Cette voix, je ne la reconnais pas alors que je me tourne lentement. Une fille me fait face, les cheveux longs et noirs, la peau mate. Elle porte des vêtements traditionnels d'un violet foncé et sa bouche est cachée par un voile transparent. Elle est d'une beauté à couper le souffle. Et tout à coup, je la reconnais. C'est la fille qui se disputait avec son père à notre arrivée.

— Toi aussi tu cherches à échapper à ta destinée ?

Elle me sourit et étonnamment son regard est d'une douce tristesse. Habituée. Elle est habituée à la vie qu'elle mène, quelle qu'elle soit.

— Plus ou moins. Nous nous sommes vues tout à l'heure, n'est-ce pas ?

Elle acquiesce puis explique :

— Mon père est un haut fonctionnaire à Kelinthos. Il conseille Leurs Majestés sur divers sujets. Je suis coincée avec lui pendant ce temps-là. D'ailleurs, tu as sûrement dû rencontrer Ivayis, l'ambassadrice du palais. Elle assiste aussi à ces réunions. Enfin, bref...

— Ivayis ?

Elle hoche lentement la tête puis s'approche de moi, souriante.

— Mais bon, je ne viens pas ici le soir pour parler de ma misérable vie. Suis-moi, allons nous amuser !

Elle me prend la main avant que j'ai pu la stopper et m'entraîne dans les rues de Galeïon. Elle est plus petite que moi mais une énergie folle se dégage d'elle. Comme si l'excitation du moment lui revenait enfin. Bientôt, nous arrivons devant une petite taverne, une sorte de café ouvert mais à moitié club de nuit. S'il y a une terrasse avec des fauteuils à l'extérieur, une musique assourdissante ressort de l'intérieur.

— Mon petit-ami travaille ici. Mais attends, je ne connais même pas ton nom ?

Elle lève ses yeux brillants vers moi. J'hésite. Un court instant. Non, je ne peux pas lui donner mon vrai prénom. Elle ne me connaît même pas.

— More. Et toi ?

— Dina. Tu veux rentrer ou tu préfères rester dans ton coin ? L'ambiance est cool à l'intérieur mais je comprends que le club ne puisse pas plaire à tout le monde.

Je n'hésite pas. Dina a l'air gentille et de plus, la dispute avec son père m'a troublée. Je ne veux pas gâcher le moment.

— Allons-y, Dina.

Elle sourit à pleines dents derrière son voile avant de m'entraîner dedans. Si l'extérieur avait plutôt l'air chaleureux et accueillant, l'intérieur empeste la fumée et la sueur. Ce n'est pas un simple club, il y a de tout ici. Au fond, des hommes sont assis autour d'une table. Au centre de la piste de danse, les corps s'emmêlent et se collent, se mouvant au rythme de la musique. À ma droite, un long couloir mène à différentes salles. J'ignore ce qu'il s'y passe dedans, mais des filles à moitié nues en ressortent.

Dina sourit devant mon air mauvais.

— Elles sont payées pour ça, ne t'inquiète pas.

— Oui, enfin, elles se baladent nues. C'est affligeant.

Son sourire s'étire et la façon dont elle doit lever la tête pour me regarder me fait rire intérieurement.

— Tu es quoi pour lui ?

— Qui ça ?

Mes yeux se plissent. Elle explique naturellement :

— Le type qui t'accompagne. Beau comme un dieu. Et chaud comme la braise. Tu as vu comment il te regarde ?

— Comment il me... Quoi ? Non.

Elle doit presque crier pour se faire entendre par-dessus la musique alors que nous traversons les corps pour nous diriger vers le fond de la salle. Je jette un coup d'œil à la décoration. Pas très sophistiquée. Des sortes de rubans noirs ont été attachés aux murs, avec des cadres lumineux.

— Je ne sais pas, avoue-t-elle. Quand vous êtes arrivés avec Ivayis, je l'ai surpris en train de te mater. Quand tu étais dans la galerie. Il est plutôt mignon.

Quand j'étais dans la galerie ? Donc cet abruti s'est fait entendre longtemps après m'avoir reluqué. Quel... fouine !

— C'est un abruti.

— Qui est-il, More ?

Je ne réponds pas. Son attention se décale sur un point en face de nous.

— More, je crois qu'il est là.

— Qui ça ?

Je serre les poings, rageuse.

— Le mec mignon.

Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Je lève les yeux et me fige. Et merde. Erkel est là et à sa tête, il n'a pas l'air très content. Je reste quelques secondes figée devant son air imposant. La façon dont sa tunique lui moule le torse, ou encore la manière dont il a de serrer frénétiquement les poings... Il fait plus chaud tout à coup.

— Bon, je vais devoir fuir. Au passage, c'est le roi de Meridia, et il n'est pas mignon.

Je bondis de mon siège et m'empresse d'accourir, de traverser la foule de corps. Je le vois me chercher du regard et mon cœur se met à battre frénétiquement. Il s'arrête lorsque ses yeux me trouvent. Sans réfléchir, je me rue dans le couloir à prostituées dans l'espoir de trouver une sortie. Une hache. Un fil étrangleur avec un peu de chance. N'importe quoi qui pourrait ou le tuer ou bien m'aider à sortir de là.

Malheureusement, les gens sortant de ces étranges pièces m'empêchent de passer. Erkel est plus rapide que moi, il me rattrape et sa main s'enroule autour de mon poignet. Furieuse, je le repousse. Sa colère se propage autour de nous :

— Qu'est-ce que tu fais ici, More !

— Je vous évite comme la peste. Écartez-vous ou bien je fais un scandale.

— Je vais te faire rôtir sur la place publique, grogne-t-il.

Ses mâchoires se serrent alors que sa poigne se fait plus dure autour de mon bras. Je n'ai pas le temps de protester qu'il me pousse contre le mur. Sauf que ce n'est pas le mur, c'est une des portes qui mènent à ces pièces à prostituées dans lesquelles des filles nues se pavanent. Dans celle-ci, il n'y a personne. Erkel referme la porte derrière nous grâce à une clef qu'il se contente ensuite de garder dans sa main.

Je tente d'apaiser ma haine, en vain. La pièce est circulaire et seule un fauteuil en velours noir trône contre le mur. Que font ces filles ici ? Oh, dieux. Ne me dites pas qu'elles... Une nausée me saisit.

— Ouvrez la porte. Je vais hurler, je vous le jure.

— Les pièces sont insonorisées.

Outrée, je le dévisage. Il se contente de s'asseoir tranquillement sur le fauteuil et me fixe avec une rage perceptible dans les yeux.

— Comment savez-vous ça ?

— Je fréquente des clubs de la sorte à Meridia.

Mon visage se tord de dégoût alors que je lui crache presque à la figure :

— Vous êtes écœurant, vous me dégoûtez. Je vous hais à un point... Si vous saviez tout le mal que vous...

— More. Regarde sur les murs.

Je jette un coup d'œil aux murs. Des sortes de planches mousseuses ont été accrochées. Pour insonoriser la pièce.

— Je ne vais pas dans ce genre de club. J'étais en train de te charrier mais tu es bien trop impulsive pour réfléchir correctement. Maintenant, dis-moi ce que tu fais ici avant que je ne m'énerve.

— J'en ai quelque chose à faire de votre colère ? persifflé-je.

Il se lève. S'approche de moi à pas de chats. Je recule et mon dos heurte le mur. Je le déteste.

— Alors ?

— Je vous l'ai déjà dit, j'étais en train de vous éviter. Comment s'est passé votre soirée avec Areena ?

— Elle est distrayante. Et bien plus docile que toi.

Je me baisse, lentement. Il me regarde faire en fronçant les sourcils. Sans prévenir, je me relève et le repousse de toutes mes forces, brandissant son poignard que je gardais dans ma robe contre sa gorge. Il recule et trébuche sur le fauteuil avant de s'y affaler en m'attirant à lui. Un large sourire barre son visage. Il n'est même pas surpris.

— Tu es exquise, More.

— Comme l'autre pouffe ?

Ses mains descendent sur mes reins et je presse le poignard contre sa jugulaire.

— Serait-ce un soupçon de jalousie que j'entends dans ta voix, ma fleur ?

J'éclate d'un rire sans joie.

— Et puis quoi encore ?

Nos lèvres sont si proches que je n'aurais qu'à faire un mouvement pour l'embrasser. Dans mes rêves les plus sombres.

— Alors pourquoi es-tu partie ? Pourquoi as-tu quitté la soirée ?

— Vous étiez en train de la manger des yeux, rétorqué-je. Je n'allais pas ruiner vos chances de pouvoir la courtiser.

— Non, c'est faux.

Je le croirais presque. Mais je sais ce que j'ai vu.

— Vous la désirez.

— Et tu me désires, dit-il tout sourire comme un enfant de cinq ans.

— Je vais vous trancher la gorge.

Il s'en fiche de mes menaces. Il sait que je ne le ferais pas.

— Alors laisse-moi au moins savourer avant que tu ne t'exécutes, joli cœur.

Ses mains agrippent mes hanches et je sens mon cœur défaillir. Arrêt cardiaque. Battements incertains, cœur en pause.

Ses doigts titillent le tissu de ma robe et je me sens impuissante. J'ai un couteau dans la main et je me sens inutile. Je menace de le tuer et je me sens incapable de le faire. Tant de mots pour si peu d'actes, au final. Une volonté défaillante. Je suis défaillante.

Je ne proteste même pas quand ses mains remontent plus haut, que ses doigts effleurent mon cou. Ses yeux me parcourent comme si j'étais une fleur qu'il découvrait.

— Arrêtez.

Ma voix tremble. Ce n'est pas moi. Je ne suis pas Morgan. Je suis une toute autre version. Une version qui doit disparaître. Ce n'est pas moi. Ce n'est pas moi.

Rappelle-toi tout ce qu'il t'a pris.

— Pourquoi faire ?

Il se redresse. Je me crispe. Je suis à califourchon sur lui et cela ne semble même pas le déranger. Bon Dieu, mais que suis-je en train de faire ? La pression de mon couteau sur sa gorge se relâche alors qu'il tend la main pour me le reprendre. Il le laisse tomber sur le fauteuil avant de plonger ses yeux dans les miens.

— Tu es une mauvaise observatrice, More. Ce n'est pas Areena que je dévorais des yeux.

Je papillonne des yeux comme une fille amoureuse et cela me dégoûte. J'aimerais reprendre possession de mon esprit mais il m'envoûte. Il me fascine. Il est à tomber par terre. Il est exécrable. Je le déteste. Mais merde, qu'est-ce qu'il me fait ressentir ?

Rappelle-toi tout ce qu'il t'a volé.

Mon ventre s'enflamme. Il se penche lentement. M'attire contre son torse. Son souffle se répercute dans mon oreille et je sens mon cœur exploser dans ma poitrine. Ses lèvres se posent sur ma joue. Dessinent le contour de ma mâchoire. Puis sa bouche humide effleure mon cou. Il ne m'embrasse même pas là que cela en devient une pure torture.

— Arrêtez.

— Vraiment ?

Il se redresse, curieux. Je secoue la tête. Un sourire narquois se dessine sur sa bouche, cette bouche qui m'attire, que je veux, que je... Je le déteste. Mais cette bouche...

Il la pose sur mon cou et un millier de sensations m'envahissent. Non, un milliard. J'ai l'impression de revivre alors qu'il me dévore littéralement le cou, que ses mains s'agrippent à ma taille, me retiennent durement contre lui comme s'il avait peur que je m'évapore. Je sens ses cheveux d'ici et il sent si bon, si bon que je suis incapable de respirer. Mon souffle se bloque, je halète alors qu'il m'embrasse sous l'oreille, et là, et ici, et il est partout.

Partout mais pas sur ma bouche. Ses dents me mordillent la peau, j'ai arrêté de respirer. Je penche la tête en arrière, incapable de le repousser. Il a raison. Je suis faible et impuissante. Je m'accroche à lui comme à une bouée et pour la première fois depuis des années, j'ai le sentiment de revivre. Mon monde a arrêté de tourner.

Il laisse des baisers humides sur ma peau et me torture en la mordillant une seconde plus tard. À bout de souffle, je reviens à moi. Je le dois. Progressivement. Je tente d'ignorer notre position et l'excitation qu'elle produit en moi.

Il est insatiable. Il tente de me ramener contre lui mais je le repousse faiblement.

— Non... non, c'est mal.

Je me lève et mes jambes tremblent. Il le voit et je reste stupéfaite devant ses joues rougies. Ses yeux brillant de désir. Et il n'y a pas que ça qui témoigne de son état. Je me mords les joues en reculant le plus possible.

— More...

Qu'est-ce que je viens de faire... Je panique. Intérieurement, brusquement. Mes membres me semblent moites.

— Ouvrez la porte.

— More, je...

— S'il vous plaît, ouvrez la porte. Je veux rentrer.

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