Chapitre 17

Je m'accroche au bras de Sa Majesté, un air fermé au visage alors que nous descendons les mêmes marches que nous avons emprunté précédemment. Mes talons résonnent contre le sol et une douce odeur de parfum virile me monte aux narines. Il sent bon, mais c'est bien quelque chose que je ne lui dirai jamais. Il peut toujours aller se l'arrondir.

— Détends-toi, More, tu m'as l'air crispée.

Je grince des dents, me retiens de lui balancer une remarque cinglante au visage. Au lieu de ça, je reste sage et garde les yeux droits devant moi. Une légère musique s'échappe de la salle de réception sur notre gauche, en face de la galerie. D'un pas trop lent à mon goût, nous nous avançons, jusqu'aux portes. Un garçon vient nous accueillir, une liste dans les mains alors que derrière nous, une voix résonne :

— Sa Majesté le roi de Meridia et sa fiancée !

Cette voix, elle appartient à Ivarys. Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour croiser son regard et son sourire étincelant alors que Sa Majesté s'avance, indomptable. Je suis à la traîne derrière lui, si bien qu'il resserre sa prise autour de mon bras. Alors, je plaque un sourire sur mes lèvres pendant que les invités se tournent vers nous, s'exclament, sourient en retour et semblent pour la plupart, curieux. Aucun regard ne m'échappe, je tente de garder la tête droite et je réussis. Plus ou moins.

Pour la plupart, ce sont de simples invités à la cour. Des bourgeois de bonne famille, des nobles venus rencontrer Sa Majesté de Meridia, des riches un peu trop curieux et pressés de critiquer les moindres mouvements d'un membre royal.

— Souris, ma fleur. Nous allons traverser la pièce comme la tradition le conçoit.

En effet, un tapis de velours rouge se dresse sur le sol devant nous, jusqu'au bout de la salle. Aucun signe des gouvernants de ce pays pour le moment et je dois avouer que c'est bien la dernière de mes préoccupations. Sans un mot, nous nous contentons d'avancer sous tous ces regards appuyés et braqués sur nous. J'entends des chuchotements, des ricanements et des yeux amusés croisant les miens. Je me moque de leur avis. Ils peuvent bien aller se faire voir, je les tuerais tous si l'envie me prenait.

Alors je demeure froide, impassible. Ma crinière se balance au rythme de mes hanches et bientôt, nous arrivons au bout. Devant un buffet. Les portes se referment, les gens se désintéressent de nous pour reprendre leur conversation. Alors j'en profite pour lâcher le bras de l'autre collant et lui demande :

— En quoi la tradition conçoit-elle que nous devions arpenter la salle ?

Erkel saisit une coupe de champagne, se tourne vers moi. Ne répond pas tout de suite. Il me dévisage. Lentement, ses yeux étudient la moindre parcelle de mon visage. S'arrêtent sur mes lèvres. Il finit par se détourner et explique :

— C'est une règle absurde. Lorsqu'un membre de famille royale est accueilli dans un pays ami, on déballe le tapis roulant. Et on se pavane. D'ailleurs, tu n'étais même pas supposée marcher sur ce tapis avec moi. Tu n'es pas de sang royal.

Il revient à moi. Je saisis une coupe à mon tour. L'apporte à mes lèvres. L'alcool me brûle la gorge. Merde, alors... Qu'est-ce qu'il est...

Sexy.

Ignoble.

— Ce qui explique donc pourquoi toutes ces femmes me jaugeaient d'un air mauvais.

— Et pourquoi les hommes bavaient devant toi.

Ses yeux se plantent dans les miens. Je ne cille pas et réplique :

— Cessez ces mensonges. S'ils avaient pu me cracher dessus, ils l'auraient fait, seulement parce que j'ai déambulé sur ce stupide tapis à vos côtés !

— More, More...

Mon cœur vacille. Il s'approche, passe un bras autour de ma taille et je m'imagine lui renverser ma coupe de champagne dessus. Sur sa gueule d'ange. Sur cet air aussi méprisant qu'attirant au visage.

— Tu es une femme brillante, tes talents d'assassin ont su le prouver par le passé, murmure-t-il, mais parfois, tu manques un peu de jugeote. Le nombre de regards d'hommes que j'ai surpris à te lorgner était affligeant. Si tu te creuses un peu plus le cerveau, tu comprendras pourquoi ces dames t'observent avec mépris.

Ses doigts remontent le long de mes épaules puis s'arrêtent sur mes bras. Nous nous tournons tous deux vers le petit peuple et je me contiens. Puis, sans arrière-pensée, je déclare sur le même ton :

— Ou bien sans doute ces femmes sont-elles jalouses de me voir me pavaner à votre bras ?

— Il est vrai que je suis un homme tout à fait séduisant, là doit être la principale raison. Et toi, tu n'es rien de plus qu'une brindille aux cheveux carotte à l'air constamment renfrogné.

Je le bouscule exprès et ma coupe se renverse sur sa chemise noire. Son sourire s'efface alors que les gens se tournent vers nous, surpris. Je prends un air idiot au visage et un rire d'écervelée m'échappe.

— Excuse-moi, mon amour, qu'est-ce que je suis maladroite ce soir !

Il ne peut pas faire de scène devant tout le monde. Alors il se contente de sourire en retour, s'empare d'une serviette derrière lui avant de tapoter sa chemise d'un geste parfaitement nonchalant. Puis il me tend son bras de nouveau. Je m'imagine le refuser. Mais mes imaginations deviennent réalité. Je vais lui faire payer de m'avoir séquestrée pendant un mois dans sa tour.

Alors je lui tourne le dos. Je vais pour m'éloigner de lui mais la chaleur de sa main rejoint bientôt la mienne lorsqu'ils entremêlent nos doigts ensemble. Je grimace. Pas le temps de s'échapper cette fois-ci, sûrement une autre fois.

— Je te rendrai la pareille, lance-t-il d'un ton rageur, mais un sourire étincelant aux lèvres.

Alors, une musique résonne. Une douce effluve de mélopées s'échappent d'un piano au fond de la salle et de quelques cordes. Une femme se met à jouer du violon et la salle se vide : la foule s'écarte. Je m'attends à voir surgir le roi ou la reine de Kelinthos mais aucun signe d'eux. Juste Erkel qui me tend sa main et des dizaines de têtes tournées vers nous.

— Je refuse de danser avec vous, dis-je d'un ton froid.

— Cesse de rechigner et montre-toi courtoise.

— C'est vous qui dites ça, quelle ironie, ricané-je.

Mais mes mots se perdent dans leur élan lorsqu'il me pousse vers le centre de la salle. N'importe quelle personne verrait la haine qui se situe entre nos deux corps. N'importe qui verrait la distance que je veux installer, comment je me crispe lorsqu'il place sa main dans mon dos. Mon regard brûlant, le sien indifférent, ces détails n'échappent pas. Et pourtant, tous restent silencieux. Sûrement parce que cette haine mutuelle inspire. Rend les choses plus vivantes. Plus réelles.

— Cale tes pas sur les miens.

— En plus d'un jardinier doué avec les jonquilles, on aurait comme, qui dirait, un danseur professionnelle !

— Je suis doué de mes mains, je l'avoue.

Et il ponctue ses propos en descendant sa main plus bas, presque sur mes fesses alors que je m'étrangle avec ma salive. Son autre main saisit la mienne fermement. Il reste sérieux et concentré en reculant, me faisant tournoyer autour de lui. Un pas en avant, deux, puis il m'attire contre lui. Ses cheveux de jais se soulèvent au rythme de la musique, ses yeux balaient la foule sans trop de conviction.

— On dirait que vous avez fait ça toute votre vie, ironisé-je.

Nous nous rapprochons alors que la musique ralentit et que ses hanches se balancent contre les miennes. Une étrange chaleur se répond dans mon corps et dans mon ventre, vient faire battre mon cœur d'un rythme nouveau, plus rapide que la musique, plus fort que sa main écrasant la mienne. Plus saisissant que n'importe quelle course effréné que j'ai dû jouer par le passé.

— Ma mère m'a appris à danser quand j'étais plus jeune, déclare-t-il, ses yeux fixant un point derrière moi. Selon elle, il était de règle de savoir pratiquer au moins trois danses pour séduire une jeune demoiselle. Je devais être un parfait gentleman pour la fille parfaite que j'aurais pu trouver.

Étrangement, ses mots me paraissent... sincères. Et j'entendrais presque du regret dans sa voix. Est-ce celle d'avoir perdu sa mère ? C'est sa faute après tout !

— Cette même mère que vous avez assassiné ? Aurais pu trouver parce que vous n'avez jamais eu cette chance. Vous l'avez gâchée en tuant toute votre famille.

Ses yeux reviennent à moi. La musique se termine, les dernières notes se joue sur mes mots. Sur ses maux. Silence tonitruant. Puis les gens applaudissent. Boucan infernal. Je lis dans ses prunelles une haine sans nom. Une colère noire, démesurée qui me fait frissonner.

Sous les applaudissements de la foule, sa voix est glaciale lorsqu'il me répond :

— Tu es ignorante, More, et tu te permets de l'ouvrir. N'ose plus jamais aborder ce sujet.

— Sinon quoi ?

Insupportable. Je suis insupportable.

Il s'approche. Et me murmure à l'oreille :

— Sinon je trouverai ton point faible. La personne que tu aimes le plus au monde, parce qu'il doit bien y en avoir une. Je la tuerai lentement, sans scrupule, sans une once de regret. Tu regarderas le spectacle en pleurnichant, impuissante. Parce qu'au final, c'est ce que tu es. Faible et impuissante.

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