Chapitre 11
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. J'ai dormi dans la même chambre que celle où l'on m'a emmenée pour prendre une douche ; allongée sur le lit beaucoup trop grand, je n'ai même pas daigné me glisser sous les draps. J'ai fixé le plafond, puis la pièce dans laquelle je me trouvais. Un miroir en bronze accroché au mur, un tapis royal au sol aux couleurs de Meridia, une décoration des plus banales : dorures en tout genre qui sont plus qu'inutiles.
Plus je me sentais oppressée dans cette pièce aussi royale que ridicule, plus j'ai imaginé un millier de scénarios, tous voués à l'échec. J'aurais pu sortir de la chambre pour aller assassiner le roi dans son sommeil. Mais c'était impossible. Je savais même sans aller vérifier qu'il y avait des gardes devant ma porte, et ceux-ci n'hésiteraient pas à me tuer de leurs armes. J'étais sans poignard ni épée, sans arc –et je suis excellente au tir à l'arc–, pas de rouge à lèvres pétant ou encore de fil étrangleur. J'étais donc supposée me rendre dans un pays inconnu avec mes poings pour seule défense ? De plus, ms récents affrontements avec Sa Majesté m'ont montrée que je manquais de pratique.
Merde, alors ! Je me suis laissée enfermer dans une cellule sans rechigner. Il n'aurait pas été fier de moi, et je le suis encore moins. Hier soir, il m'a presque poussée dans sa fontaine à reptiles et j'ai été incapable d'assurer ma survie. Sans armes, je suis réduite à néant. Et encore, j'ai été incapable de tuer sa suprématie même avec une lame.
Peu après notre petite conversation des soi-disantes règles à adopter, il m'a souhaité une bonne nuit puis m'a tourné le dos et s'en est allé. Ce à quoi j'ai répondu que j'espérais qu'il s'étoufferait avec ses fleurs dans son sommeil. Bien évidemment, cette remarque ne lui a pas échappé et il s'est contenté de ricaner tel un vautour. Mes pensées restent intactes : je me vengerai. Je le tuerai d'une manière ou d'une autre, peu importe si je dois le subir pendant un mois, j'atteindrai mon objectif. Je l'assassinerai de mes mains. Son sang coulera. Peu importe ce qui arrive.
— Ouvrez la porte !
Je sors de mes pensées en me levant du lit. Ce matin, la même domestique qu'hier m'a apporté de nouveaux vêtements. Je ne les ai pas mis. La raison ? Là voilà : une énorme jupe bouffante aux nuances de mon pays assortie d'un corset noir. Les couleurs de Meridia ont beau être le vert et noir, Sa Majesté a une nette préférence pour la seconde. Qu'est-ce qu'il a mauvais goût ! Si c'est bien lui qui choisit...
J'ouvre la porte, nonchalante alors que le capitaine de la garde royale me pousse pour entrer.
— Bonjour, peut-être ?
Aujourd'hui, il est en forme et bien apprêté, mais différemment d'ordinaire. Il ne porte pas d'armure, juste une tunique couleur bronze assorti à un pantalon noir assez ample, mais chic. Les boutons de son haut brillent d'une lueur dorée. Le tout a l'air très formel et sophistiqué : cet homme a du goût.
— Je ne dis pas bonjour aux malfrats, rétorque-il d'un air hautain.
Il ne me déteste pas, je le sais. Personne ne peut me détester, et encore moins lui. Son orgueil a tout simplement été heurté par mon baiser de la dernière fois.
— Et vous ne portez même pas votre robe ! Nous partons maintenant, êtes-vous au courant ?
— Plutôt crever que porter cette horreur.
— Vous direz ça au roi, persifle-t-il.
Je hausse les épaules, indifférente. Ce n'est pas l'autre espèce de vautour qui va me faire peur. Sans broncher, je suis le capitaine en-dehors de la chambre, sans aucune affaire. Alors que nous traversons le palier, il se radoucit et explique :
— Vous êtes supposée incarner la royauté aux côtés de Sa Majesté. Votre image compte et encore plus lorsque vous seriez une presque reine. Vous ne pouvez pas vous vêtir comme vous le souhaitez, ni parler de cette manière.
— Je ne suis pas stupide, soufflé-je.
Et je le savais. Je comprenais l'enjeu de la situation, même si au fond de moi-même, j'avais un seul et unique objectif qui me prenait aux tripes chaque jour. Lorsque nous descendons les escaliers, je me contente de serrer les poings quand mes yeux croisent ceux du roi, nous attendant devant la porte. Il faut que je me contrôle, la situation risque d'être particulièrement délicate les prochains jours et si je veux avoir une chance de mener mon projet à bien, il faut que j'accepte ces règles débiles. Se conformer ne doit pas être si dur que ça, non ?
Aujourd'hui, sa suprématie porte une tunique, presque identique à celle du capitaine –Torin–, mais la sienne est d'un noir corbeau. Tout est noir. De ses cheveux à ses chaussures, je me contente de le dévisager, mauvaise. Les mains derrière le dos, il fait de même avec un air supérieur au visage.
— Tu as mauvaise mine, ma fleur.
Je serre les dents alors que le capitaine sort du château, allant directement sur le perron où des chevaux prêts nous attendent. Je suis maintenant seule face à mon pire ennemi qui, lui, rayonne.
— Et tu ne portes pas tes vêtements en plus de cela. Quel dommage.
— C'est le cas de le dire, rétorqué-je. Pouvons-nous partir où comptez-vous me réprimander sur ma tenue ?
Ses yeux sont froids, son visage glacial. Il n'est pas d'humeur aujourd'hui, qui dirait.
— Avant de poser le pied sur Kelinthos, tu auras enfilé cette fichue robe.
Et il me tourne le dos, s'en va, me laissant presque confuse dans le hall. Je grimace. À quoi je m'attendais aussi ? Cet homme est aussi exécrable qu'hautain et pervers.
• • •
Nous chevauchons depuis bientôt une heure et j'imagine toujours un millier de stratégies. M'enfuir dans les bois alors que nous traversions les contrées d'Edinthon, ville réputée pour ses vaches er ses champs s'étalant à perte de vue –mais aussi pour son port. J'ose penser à des fuites et des meurtres mais dans le fond, je crois ses propos. Je ne devrais pas, probablement pas. Mais qui me dit qu'il n'aurait pas raison ? Sans doute une guerre se prépare-t-elle ? Et peut-être pourrais-je avoir un rôle là-dedans, même si Sa Majesté m'ordonne de rester à ma place, je l'utiliserai pour parvenir à mes fins.
Et puis, en-dehors de ces simples spéculations, l'idée de quitter mon pays m'effraie autant qu'elle m'excite. En dix-huit années de vie, je n'ai jamais quitté les terres de Meridia, je n'ai jamais rencontré personne d'autre. Je n'ai jamais été quelqu'un de normal, vivant une vie banale le temps de quelques jours. J'ai toujours dû être sur mes gardes, rester attentive au monde qui m'entoure. Dormir dans la forêt semblait être un luxe pour moi, hier soir j'en ai découvert un autre : apprécier la compagnie d'un lit. Bien plus confortable qu'un sol rugueux et un dossier plein d'épines. Alors certes, ce confort ne perdurera pas, mais j'ai ici une opportunité à saisir : celle de prétendre, de me masquer derrière un nouveau visage.
Bien que cette nouvelle vie d'un mois ait des règles. Se comporter comme une bourgeoise n'est pas chose aisée, et encore moins lorsque je vais devoir être obligée de porter des robes. Je dois me dire que cela ne sera que l'histoire de quelques semaines. Rien de tout ça ne durera, autant savourer les points positifs et se contenter d'accepter les négatifs. Même si cela risque d'être plus compliqué que prévu...
— Nous sommes arrivés, lance le capitaine de la garde royale, Torin.
Une dizaine de soldats nous a accompagné au port d'Edinthon et j'imagine qu'ils embarqueront avec nous. Je descends de mon cheval pour balayer l'horizon. J'ai en face de moi le port, où un navire nous attend. Long de plusieurs centaines de mètres, je tente de rester neutre. Je n'ai pas envie de sauter de joie ou d'avoir ce regard brillant comme si j'étais ravie de m'embarquer pour Kelinthos. Je dois me maîtriser.
Le navire fait de bois, serait assez grand pour accueillir des centaines de passagers. Le mât se dresse au drapeau flottant de Meridia : un aigle apposé sur du vert et du noir formant deux bandes épaisses et distinctes. Des membres d'équipages s'activent sur le bateau alors que je fronce les sourcils.
— Pourquoi se contenter de naviguer sur des vieux bateaux lorsque vous pourriez avoir de beaux navires luxueux et modernes ? demandé-je, comme à moi-même.
Et c'est vrai. Ce navire n'est qu'un tas de bois, beau et élégant certes, mais le marron n'est pas très beau et il y a de vieux hublots sur l'étage inférieur. Les cordes s'emmêlent et se retrouvent de nulle part, assemblant les voiles entre elles.
— C'est le patrimoine, ma douce. Il est important de préserver ce que nos ancêtres nous ont transmis.
Ah, tiens. Il est d'humeur, lui maintenant ? Pendant tout le trajet, il n'a pas dit un mot comme si ma présence l'agaçait en tout point et j'ai préféré le laisser tranquille pour le moment. Il descend à son tour du cheval avant de me dépasser pour monter directement dans l'embarcation, sans me dire quoique ce soit. Derrière moi, le capitaine me pousse d'un air las et je grognerai presque en gravissant le ponton. Bientôt, mes pieds effleurent le sol du navire.
Et un tas de sentiments me parviennent, que je tente d'ignorer. Sa Majesté s'avance sur la proue du bateau. De mon côté, je me contente d'aller me rendre dans une cabine. Je prendrai l'air plus tard, pour le moment, j'ai d'autres choses à penser.
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