Chapitee 55
Je suis au bord du gouffre. Le cadavre d'Erkel repose au sol, sa poitrine ne se soulève plus et c'est mon monde entier qui s'effondre en quelques secondes. Nous nous retrouvons encerclés par des soldats de Kelinthos qui déboulent de je-ne-sais-où. Areena avance vers nous, un sourire moqueur aux lèvres.
— Emparez-vous d'eux !
Sa voix est fluette et me brise les tympans. Je ne proteste pas quand un soldat me saisit par les bras. Rewind et Ander non plus. Nous sommes assiégés. Nous avons perdu. On nous emmène tout droit à l'intérieur du palais alors que je jette un dernier regard sur Erkel. Mauvaise idée. Ma poitrine se comprime encore plus. Je renifle bruyamment et Areena éclate de rire en me voyant les yeux rougis de larmes.
— Tu es pitoyable, Morgan. Une assassin comme toi éprise d'un roi ? Cela n'aurait jamais pu fonctionner entre vous !
Rewind et Ander se figent à ces mots. Ils ne savent pas que je suis l'assassin la plus recherchée du pays. Ils ne l'ont jamais su. Alors quand on nous jette de nouveau dans la salle d'audience, là où gisent les cadavres de Serra, Yani et Roy, Areena se fait une joie de tout leur expliquer.
Comment j'en suis devenue à devenir la prétendue fiancée d'Erkel alors qu'initialement, je n'étais rien de plus qu'une meurtrière. Elle leur déballe ma vie et je m'en fous. Erkel est mort. Je n'ai plus aucune raison de vivre. À quoi bon me battre quand celui qui me maintenait en vie est mort ?
— Cela ne change rien à ce qui s'est passé entre eux, réplique Ander. Et cela ne change rien à ce que vous êtes aujourd'hui. Monstrueuse.
— Que pensera ta chère Eileen lorsqu'elle se rendra compte que tu ne reviens pas à la maison ? se moque-t-elle.
— Et que penseront les gens quand ils comprendront que vous n'êtes rien de plus qu'une vieille sorcière ridée inhumaine et sans cœur ? lance Rewind. On peut jouer longtemps sur ce terrain-là.
— La ferme ! hurle-t-elle. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour mon pays ! Du début à la fin.
— Vous avez tué une reine pour votre pays ? Vous êtes inhumaine, Areena. Vous n'avez pas l'étoffe d'une reine. Juste d'une gamine capricieuse.
Nous sommes en mauvaise posture, en très mauvaise posture. Mais je n'ai plus la patience de réfléchir. Je n'ai plus la patience de vivre. Mon cœur est en lambeaux.
— La gamine capricieuse a rendu ce pays à feu et à sang !
— Justement. Vous êtes une sombre idiote.
Il dit ça d'une nonchalance qui la rend furieuse. Elle ordonne à Demet de le tuer. Mais Rewind ne se laissera pas faire. J'assiste à un combat épique. Demet tente de poignarder Rewind en pleine poitrine mais celui-ci le contourne d'une agilité impressionnante et lui lance un crochet du droit. Ander, lui, se lève à son tour. Il fonce vers Rewind pour l'aider et ensemble, ils tentent d'atteindre Demet. Mais il est fort. Trop fort.
Je n'ai plus d'armes, je ne pourrais pas les aider. Alors, les soldats interviennent. Ils foncent vers les deux rois pour les maîtriser tandis que Demet se jette sur moi. Il me pousse contre le mur et sa main se referme sur ma gorge sans serrer. Je ne me débats même pas. Areena figure derrière lui, un sourire carnassier aux lèvres.
— Tue-la. Je veux voir la vie s'échapper de son corps !
— Mais elle est complètement timbrée celle-la ! fulmine Rewind.
Il ne me viendra jamais en aide. Il est bien trop occupé à se démener avec les soldats. Alors je laisse cet imbécile m'étrangler. De toute manière, qu'est-ce que ça changera ? Erkel est mort. Je n'ai plus rien à faire ici. Je n'ai plus rien à vivre. Liam m'a abandonnée. Puis ça a été à son tour, de me laisser.
Sauf qu'avec lui, les choses étaient différentes. Tout était plus intense, plus vivant. Tout était plus unique. C'est comme si, l'un comme l'autre, nous savions que nos âmes devaient se rejoindre. Elles se sont retrouvées, pour un temps bien trop court. L'infini n'a pas sa place dans ce monde. J'ai eu tort de penser que les sentiments ne perduraient pas. Mon amour pour Erkel sera éternel. Nous nous retrouverons là-bas, ensemble. Réunis, jusqu'à la fin de cette ère.
Les larmes roulent sur mes joues alors que la douleur se fait plus vive. Je manque d'air, je suis au bord de la suffocation. J'attends que la mort vienne me chercher mais celle-ci est timide, aujourd'hui. Mes yeux se perdent sur les silhouettes de Rewind et d'Ander.
Et puis, tout à coup, quelque chose s'illumine dans mon esprit, comme une révélation. Si je meurs, ce sont Rewind et Ander qui suivront. Si je ne tente pas au moins d'arrêter Demet, ce seront Eileen et Bianca qui souffriront de cette perte. Je ne suis pas toute seule dans cette histoire. Si pour l'instant, la mort d'Erkel me semble insurmontable, je ne peux pas avoir le deuil d'autres sur la conscience.
Alors dans une tentative désespérée, je glisse la main dans ma poche. Et l'espoir renaît. Puissant, pulvérisant, ravageant tout sur son passage. Je lève le bras dans une dernière tentative et avec toute la force qu'il me reste, je plante son clou dans l'œil droit de Demet. Ce geste restera symbolique.
Demet pousse un hurlement de douleur en me relâchant. L'œil crevé, le sang coule à flot alors que je retombe au sol comme une crêpe. Je reprends ma respiration en même temps qu'Areena recule, estomaquée. Même moi, je n'en crois pas mes yeux. La situation paraît improbable et pourtant, les choses sont bien là : Demet a l'œil crevé grâce au clou qu'Erkel m'avait confié. Comme quoi, on peut changer le monde avec pas grand chose.
Dans son dos, Rewind et Ander sont en difficultés. Je ne me préoccupe pas d'Areena, je m'abaisse, ramasse la lame de Demet et lui transperce la gorge sans la moindre hésitation. Un cadavre de plus à rajouter à la liste. Puis je m'élance vers le groupe de soldats, tranche les têtes à une vitesse fulgurante. Quand Rewind est à deux doigts de se faire embrocher par une épée, je lui lance la mienne en plein vole. Il l'attrape sans le moindre effort et transperce son adversaire.
Puis je fonce vers un soldat, le propulsant à terre. Mon genou vient bloquer sa gorge, laissant le temps à Ander de s'écarter pour mieux se battre. J'attends quelques secondes que le soldat s'étouffe dans son propre sang avant de me relever. C'est un carnage. Demet est mort. Les soldats aussi. Et Areena a pris la fuite, encore une fois.
— Nous devons sortir d'ici et rejoindre Therys, souffle Ander.
Nous sommes tous au bord de l'implosion. Si le soleil se couche à l'horizon, la journée n'est pas encore finie. Alors je les suis, sans un mot. Je referme tout à l'intérieur de moi. Je me pare d'un mur en béton. Parce que je n'en peux plus, je tente de me protéger comme je peux. Mais je sais qu'une fois sortie du palais, lorsque je verrai son corps écroulé au sol... Je ne tiendrai plus. Je le sais au plus profond de moi.
Nous nous dirigeons vers la sortie. Rewind et Ander me bloquent la vue une fois les marches du perron franchies. Et ils se figent brusquement. Je les contourne, le cœur en alerte. Ce que je vois me rend hors-de-moi. Son corps n'est plus là. Son corps n'est plus là !
— Qui l'a déplacé ! crié-je. Qui l'a déplacé !
C'est un cataclysme à l'intérieur de moi. Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines, ma gorge se noue de douleur. J'ai besoin de le voir, j'ai besoin d'imprimer une dernière fois son visage dans mon esprit.
J'avance, à bout de souffle. Il ne peut pas avoir disparu de la sorte... Quelqu'un l'a forcément déplacé. Je fixe l'herbe verte, désespérée. Les larmes pointent de nouveau au coin de mes yeux et viennent s'écraser au sol. Je suis faible sans lui. Avec Erkel, j'étais invincible. Nous aurions pu conquérir le monde. Maintenant, je ne suis plus qu'un nuage de cendres.
Mais soudain, l'atmosphère se tend. Les choses sont différentes, je le sens. Mon cœur se met à battre plus vite. Quelque chose cloche. Je me retourne, pour voir Areena à quelques mètres de moi, une arme pointée sur moi. Ses cheveux sont ébouriffés, sa robe pleine de sang. Elle n'hésite pas une seule seconde. Une détonation retentit.
Je m'attends à voir le sang s'écouler de ma poitrine mais cela n'arrivera jamais. Quelqu'un se jette sur moi à toute vitesse et de nouveau, je me retrouve projetée au sol. Une autre détonation retentit et je vois le corps d'Areena s'effondrer à son tour. Je ne comprends pas ce qui se passe.
C'est seulement lorsqu'une voix rauque résonne à mes oreilles et qu'une odeur masculine parvient à mes narines que je réalise.
— Ça fait quand même deux fois que je te sauve, faucon. Tu me devras deux baisers pour la peine.
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