Chapitre 57

William recule de quelques pas en serrant les dents tandis que je fais volte-face. Derrière moi, Rewind a récupéré une épée et il se contente d'abattre les soldats un, sa lame tranchant les gorges de chacun comme s'ils ne représentaient qu'un obstacle à sa survie. Je vois ses cheveux dégouliner de sueur et tomber sur son front alors que ses muscles se contractent et que ses bras se tendent. Il est rapide, fort. Imbattable.

Si bien que je ne vois pas William traverser la pièce en courant pour ouvrir les portes et appeler su renfort. Je suis bien trop subjuguée par la force qu'incarne Rewind. Et je me crispe lorsque une trentaine de soldats déboulent dans la salle, épée en main, fonçant directement vers moi. Je recule de quelques pas, sans défense.

— Je ne voulais pas en arriver là, bredouille William d'un air perdu, les yeux divaguant sur moi.

Je réalise alors deux choses. La première est que je ne pourrais jamais le haïr. Quoiqu'il puisse se passer, je ne garderais que les bons moments passé avec lui. Je sais qu'il veut faire bien, me sauver et œuvrer pour nous, mais en l'occurence, ce nous n'existe pas. Il n'a jamais existé, peu importe mes actes passés. La deuxième chose est que je suis en ce moment même acculée contre un mur, prise par des soldats qui menacent de me trancher la tête. J'en déduis donc que William ne leur ordonnera pas de s'arrêter.

Impuissante, je veux reculer mais je ne peux pas. Est-ce donc là ma destinée ? Mourir, trahie par celui en qui j'avais confiance ? Celui qui m'inspirait un idéal de vie que j'aimais tant, celui qui a su m'épauler, être mon confident.

— Personne ne la touche. Combien de fois vais-je donc devoir vous le répéter, grogne Rewind.

Et il surgit de nulle part, transperce l'abdomen d'un soldat, en égorge un autre, bouscule un énième pour finir par planter sa lame dans sa bouche. Horrifiée devant ces scènes macabres, je suis à deux doigts de vomir. Je me retiens alors que Rewind me tend la main, m'aidant à traverses les cadavres. Puis il se poste devant moi, fait barrage de son corps pour empêcher les autres arrivants de m'intercepter. Parce qu'au final, Rewind a beau être fort et courageux, je suis sa plus grande faiblesse. Et cela pourrait causer sa perte.

— Reste derrière moi, souffle-t-il.

Au loin, j'aperçois William qui ne bouge pas d'un millimètre. Il s'écarte de la porte lorsqu'un homme surgit dans la pièce, la hargne au visage, suivie par une princesse d'une grande beauté. Cet homme, c'est Ander. Et la colère déforme son visage. J'ignore comment ils ont réussi à s'en sortir mais ils s'approchent l'un et l'autre, alors qu'Ander est prêt à en découdre avec William. Il s'avance vers lui, brandit son épée et s'écrie :

— Tu es un homme mort.

Et il attaque mais William pare, de son ridicule poignard. Je me détache de la scène pour voir Therys accourir vers nous et donner un coup de main à Rewind. Tous deux poursuivent leur mouvements, toujours les mêmes. Rewind ne se contente pas d'avoir de la pitié pour l'un de ces soldats, il les tue toujours froidement et sans aucune émotion dans le regard. Cet homme est le dieu de la guerre. Et il a eu raison. William nous a trahi mais j'ai préféré ne pas l'écouter, trop aveuglée par la confiance que je lui donnais.

C'est ce que je me mets à penser lorsque deux gros bras m'encerclent et qu'un soldat me tire vers l'arrière. Suis-je vraiment aussi nulle au point de me faire tout le temps attraper ? Le garde profite de cette faiblesse et crie à l'assemblée :

— Posez tous vos armes où je la bute !

— Pas une seconde fois, grogné-je, la haine au ventre.

Et je lui marche sur les pieds de toute la force que je possède avant d'envoyer valser ma tête contre la sienne. Il titube derrière moi et j'en profite pour m'échapper de sa poigne mais bientôt, ma tête se met à tourner. Des étoiles dansent devant mes yeux alors que je me vois avancer, nauséeuse. J'apporte mes doigts à ma tête pour y découvrir du sang. J'ai dû me blesser l'arrière de la tête avec le casque du soldat lors de mon coup.

Je tente de me remettre de mes émotions mais je tiens à peine debout. Je vois Rewind achever le dernier soldat, puis lever la tête vers moi. La salle ne ressemble maintenant qu'à un massacre. Les corps sans vie s'empilent, tandis que Delker, Brianna et tous les autres sont toujours aussi raides morts. Le sang recouvre le sol d'une nouvelle couleur, plus brute, plus dangereuse, synonyme imminent que la bataille fait rage, et qu'elle ne laisse personne indemne.

Je balaie la pièce des yeux. William s'enfuit. Je le vois sortir de la pièce en courant, poursuivi par Ander et son poignard. Je vois mes pieds les rejoindre, toujours aussi bousculée par mon cou. Je sors de la salle alors que les étoiles sous mes yeux s'estompent et tout au bout du couloir, Ander et William continuent de se battre. Il a perdu. Nous avons gagné. Il se bat inutilement avec son poignard ridicule. Je n'ai jamais compris pourquoi il s'obstinait à faire la guerre avec ça. Faire la guerre. Quelle drôle d'expression. Tuer un homme, lui arracher son cœur, ne devrait-il pas être désigné comme une guerre pure et simple ? Sans doute les conflits entre les hommes sont beaucoup plus importants que ce que je n'imagine. Sans doute se battre, voler la vie de quelqu'un, qu'on le déteste ou non, pour nos valeurs ou pas, pour défendre notre patrie, est un acte dit courageux.

Peu importe mes pensées. William va mourir ce soir, et s'il ne meurt pas, il sera enfermé dans une prison jusqu'à la fin de sa vie. Heureusement, Ander lui laisse le choix :

— Capitule ou bien je t'égorge !

William tombe à genoux, non pas pour abandonner, mais ses yeux fixent un point derrière la fenêtre. Nous tournons tous la tête au moment où d'autres gardes surgissent par les portes. Sont-ils d'Ecclosia ? J'ouvre la bouche. Mais d'où sortent-ils ? Je trouve la réponse à mes questions quand je vois Lorcan, son père et mon oncle en fil de tête sur des chevaux. Rewind me prend par le bras, comme pour m'intimer de ne pas trop m'éloigner. Et intérieurement, je me sens vide.

— Pas besoin de capituler, déclare William.

Ander bouillonne de rage et lève l'épée pour lui attribuer le coup de grâce mais il n'y arrive pas. Ses bras se mettent à trembler, ses yeux à briller alors qu'il regarde l'homme qui fut autrefois son ami. Il le regarde avec une certaine pitié, et une résignation. Il ne peut pas faire ça, et personne ne lui en voudra. Car avant d'être un traître, William était un ami.

Ander repose son épée et William l'ignore totalement. Ma vie vire alors au cauchemar. Alors que je croyais notre victoire, l'arrivée de mon oncle, Lorcan et son père dans le couloir me donne envie de m'enfuir, de courir. De m'éloigner de ces ordures qui n'ont fait que rendre ma vie un cauchemar. Je grimace lorsque mon regard se pose sur l'œil barré de Lorcan. Aveugle d'un œil sûrement, il n'a même pas eu la décence de le cacher. À la place, on ne voit qu'une fente à peine cicatrisée. J'aurais presque de la peine pour lui de le lui avoir crevé.

— Alors, William. Nous t'avons confié une mission et tu es incapable de la réussir ? J'en attendais plus de toi, mon petit, déclare mon oncle, les yeux balayant la scène du regard.

Lord Herndon ne dit rien. Il a toujours été faible, le bon toutou de mon oncle. Il suit ce qu'on lui dit, il sème le malheur autour de lui et c'est tout ce qu'il sait faire.

— Rendez-vous, rétorque Therys d'un air théâtral. Rendez-vous et on vous laissera la vie sauve.

— Me rendre ? Quelle drôle d'idée. Après t'avoir tué, William me laissera monter sur le trône de Socrenia. Il sait que s'il réussit sa part du marché aujourd'hui, il ne mourra pas. Puis je m'attaquerais à Meridia sans doute et...

Un éclat de rire l'interrompt, qui provient d'Ander.

— Le roi de Meridia vous ferait manger le sol en un rien de temps. Ne visez pas trop haut, vieux fou, cela finira par causer votre perte.

Oncle Ednard l'assassine du regard puis ordonne à ses soldats de s'emparer de lui. Ander dégaine son épée, suivi de Rewind puis enfin de Therys. Les trois hommes s'avancent alors vers la vingtaine de nouveaux soldats qui les accueillent. Je ne doute pas de leur capacité, ils n'en feront qu'une bouchée.

— Emparez-vous d'elle aussi, peste mon oncle à l'intention d'Eileen. Profite de tes derniers instants, ma chère nièce.

Eileen s'enfuit, littéralement. Elle traverse le couloir parce qu'elle sait que si elle reste, elle mourra. Ander est trop occupé à se débattre contre des soldats pour nous venir en aide. Alors, les yeux d'oncle Ednard se posent sur moi. Et il jubile intérieurement avant de rajouter :

— Ma douce Bianca, cela me fait plaisir de te revoir. Que dirais-tu d'une petite entrevue avec ton bien-aimé lord Herndon ? Ainsi que Lorcan ? Deux hommes pour le prix d'un !

Lorcan s'approche et je comprends immédiatement les sous-entendus. Lord Herndon, lui, semble las de ce jeu.

— Je vais me faire un plaisir de lui enseigner les bonnes manières.

Et Lorcan fonce vers moi. Je prends mes jambes à mon cou, le cœur battant à tout rompre alors qu'un psychopathe est en train de me poursuivre. Je m'enfuis parce que je sais que si je reste, je vais être violée de nouveau. Cette idée m'empêche de respirer, me comprime l'estomac. Je me rue dans les escaliers du palais alors qu'une main derrière moi me tire par les cheveux. Je m'effondre dans les escaliers et m'empresse de donner des coups de pieds à tout va. Un grognement sorti de sa bouche me fait comprendre que j'ai visé dans le mille et je profite de ces quelques secondes d'inattention pour gravir les dernières marches.

Je cours à en perdre haleine, sachant pertinemment qu'il ne cessera de me chasser, telle un proie. Je ne suis qu'un vulgaire agneau pour le grand méchant loup. Je tourne à un couloir avant de m'enfermer dans la première pièce. Une chambre, celle d'Ander sûrement parce qu'il y a un tas de portraits d'Eileen au sol. Sans réfléchir, je m'abaisse et m'allonge au sol puis me cache sous le lit. J'ai perdu tout espoir en ma survie. J'ai un fils de violeur à mes trousses,je doute qu'il ait l'esprit clair et les pensées saines, surtout depuis que je lui au crevé un œil.

Le souffle court, je retiens ma respiration lorsque la porte s'ouvre. Que Lorcan entre dans la pièce et que je jurerais entendre un sourire dans sa voix :

— Bianca, allons, où es-tu ?

Je pose la main sur ma bouche pour m'empêcher de respirer lorsque ses pas sont à quelques centimètres de mon visage. Le temps semble défiler à une lenteur abominable. Je déglutis, trop de fois, les larmes roulant sur mes joues. Je ne suis même pas triste. Je suis désemparée parce que je connais l'issue de toute cette histoire s'il me trouve. Je finirais comme l'année dernière, brisée. Et cette fois-ci, je ne m'en remettrais pas.

— Bianca, Bianca... Sors de ta cachette, ma jolie.

J'entends mon cœur cesser de battre lorsque Lorcan s'agenouille. Il va me trouver. La peur me broie le ventre, la crainte s'insinue dans mes veines et me rappelle à quel point j'ai pu souffrir l'an passé. Je ne serai pas assez forte pour encaisser le choc. Il va falloir se battre, plus durement.

Ses yeux croisent les miens. Enfin plutôt, son œil. Il sourit avant de me sortir de sous le lit et il me jette au-dessus comme si j'étais une vulgaire brindille. Je crie. Je ne crie pas, je hurle littéralement lorsqu'il se met au-dessus de moi et que son visage se teinte d'un air joyeux. Je repousse ses mains, je me redresse pour le mordre mais il me maintient contre l'oreiller. J'ai le corps d'une gamine de huit ans. Je me débats contre sa poigne mais sa main me saisit à la gorge d'une force qui me cloue contre les draps. Mes hurlements se meurent alors que je le fixe, les yeux écarquillés. Son autre main s'insinue sous ma chemise et je me sens battre des pieds, je me vois gigoter comme un ver mais je suis trop faible. Trop moi, trop Bianca, pleurnicharde et sensible.

Il éclate de rire en voyant mes bras alors que je m'asphyxie toujours sous sa poigne. Je sens mon visage virer au violet alors qu'il ricane :

— Je n'avais même pas vu ça. Tu t'es vraiment mutilée pour ça ?

Et ça, j'aimerais lui dire que c'est une vie volée, des mois de souffrances, des nuits de cauchemars, une incapacité à regarder son corps dans le miroir, une frayeur lorsqu'une main se pose sur mon épaule, un tas de choses qu'il ne comprendrait pas.

Sa main me relâche et je reprends ma respiration comme si j'avais parcouru des kilomètres à la nage. Je ne réagis même plus lorsqu'il déchire ma chemise et que bientôt, sa main s'insinue sous mon pantalon. Il se baisse pour poser ses lèvres sur les miennes mais je suis toujours vide de vie. Il me tire les cheveux pour me faire réagir et je grimace contre sa bouche.

— Si j'étais toi, j'essaierais de rendre le moment agréable.

Parce qu'il pense sincèrement que je vais le laisser prendre son pied, m'investir dans mon viol ? Alors je pose ma main derrière sa nuque et l'attire à moi. Il baisse sa garde et continue de coller sa bouche à la mienne et j'en profite pour lui mordre la lèvre aussi fort que je peux. Il jure, recule et je jubile devant le sang qui se met à goutter sur son uniforme.

— Espèce de petite garce.

Sa main s'abat sur ma joue et l'autre vient me saisir de nouveau à la gorge alors que cette fois-ci, je me débats. Mon genou vient s'abattre sur son entrejambe. Il semble que je sois douée pour ça. Il jure une nouvelle fois mais ne s'écarte pas pour autant et m'écarte les jambes des siennes. Sa cuisse vient compresser mon mollet et me couper la circulation sanguine alors qu'il m'étrangle toujours aussi fort.

Des étoiles dansent devant mes yeux et je me dis que je vais mourir, que ma vie s'arrête là. Alors, je fais abstraction de la douleur. J'oublie sa main qui me touche de partout, ses soupirs alors qu'il se sent fier de toucher une princesse, ses doigts qui s'insinuent sous mon pantalon, le font craquer si bien que je me dis que le tissu va se déchirer. J'oublie ses lèvres qui se posent sur ma poitrine et les haut-le-cœur qui me saisissent. Je m'apprête à oublier tout de ça, à effacer de ma mémoire ce qu'il veut m'enlever de nouveau.

Mais cela ne viendra jamais. Lorcan se prend alors un coup sur la tête. Un dong résonne dans la pièce et derrière lui, je vois Eileen essoufflée, les cheveux en pagaille qui vient à ma rescousse. Lorcan tombe lourdement au sol mais il s'apprête à se relever lorsqu'un corps d'homme imposant se place devant lui. Brusquement, soudainement, je vois une lame lui transpercer le thorax. Puissante, épaisse. Ébahie, je regarde la vie s'échapper de son œil. Je le vois tousser, cracher du sang et puis plus rien. Il est mort. Et j'ai évité le pire grâce à... Ander.

Il se retourne, me tend une main et ne baisse à aucun moment donné les yeux sur ma poitrine dénudée. Je m'empresse de remettre correctement mes vêtements, les joues séchées alors qu'il déclare :

— Nous devons retourner en bas. Ton oncle nous donne du fil à retordre.

Je les observe tous les deux, les larmes aux yeux. Ils viennent de me sauver la vie, l'un comme l'autre. Eileen perd quelques secondes pour me serrer dans les bras et son chuchotement me fait me sentir un peu plus vivante :

— Je t'aime, Bianca, ne l'oublie jamais. Je serai toujours là pour toi.

Ses mots me réchauffent le cœur. Mais nous n'avons plus une seconde à perdre. Je ne jette même pas un regard au cadavre de Lorcan. Nous nous élançons à travers les couloirs, puis un étage plus bas, nous sommes de nouveau dans le couloir, à présent de cadavres qui recouvrent le sol. Rewind et Therys battent à eux seuls les derniers soldats en course et Ander va les rejoindre tandis qu'Eileen reste près de moi. Je dévisage celui que j'aime, la crainte me nouant le ventre. Une entaille s'est dessinée sur sa joue et du sang goutte sur son cou. Il reste tout de même d'une beauté à s'en damner.

Bientôt, les derniers soldats se font tués sans pitié. Therys recule de quelques pas, essoufflé et Ander s'en va rejoindre Eileen. Aucune trace de mon oncle ni de...

— Bianca, écarte-toi.

La voix de Rewind résonne dans le couloir. Il s'avance vers moi alors que je me pousse. Derrière moi, lord Herndon lui fait face, une expression peu sûr de lui à la tête. Rewind, déterminé, s'approche de lui et déclare comme une prière :

— Parce que vous lui avez volé ce qui était cher à ses yeux, parce que vous avez été la cause de ses souffrances et que vous avez piétiné la vie de celle que j'aime. Parce que vous avez participé à la création d'un fils aussi monstrueux que son père qui nous a poignardé dans le dos, parce que vous êtes un homme lâche qui ne mérite rien d'autre que ce que je vous offre maintenant.

Avant même que lord Herndon ne prononce un mot, Rewind le transperce le cœur de son épée, sans une once de remord. Je regarde le père de Lorcan s'effondrer au sol et baigner dans son sang comme son fils quelques minutes auparavant et cette vision ne me fait ni chaud ni froid. Il est enfin mort. Rewind aura tenu sa promesse.

Il est inarrêtable. Derrière le cadavre de lord Herndon se tient mon oncle, toujours avec cette arrogance au visage et ce mépris insoutenable. Sans arme, il sait que c'est la fin pour lui. Il sera resté là jusqu'au bout. À nous pourrir la vie.

Je m'en vais rejoindre les autres à l'autre extrémité du couloir pour ne pas assister à sa mort de trop près.

— À genoux, vieillard.

Et Rewind le pousse pour le faire tomber. Sans cela, jamais mon oncle n'irait se baisser volontairement, se montrer plus faible.

— Tu mérites la mort que je t'accorde. Ander t'a déjà tué l'année dernière mais je n'hésiterai pas à le faire pour la seconde fois. Ton heure a sonné. Des derniers mots ?

Alors, de toute son aigreur, mon oncle lui crache :

— Bianca finira par t'abandonner. Un jour, tu perdras tout, cette fille, ton royaume, ton palais, tout ! Le monde versera ses larmes sur ta nation autrefois adorée, le sang coulera bientôt dans une guerre dont aucun de vous ne sortira indemne !

Cela ressemble plus à une malédiction qu'à des paroles sages.

— Est-ce donc là tes derniers mots, vieux fou ?

Il n'attend pas de réponse. Rewind lève son épée, insaisissable. Le temps s'écoule toujours à une lenteur démesurée. Au moment où il s'apprête à frapper mon oncle et à lui trancher la tête devant tout le monde, un mouvement attire mon attention. Alors qu'Eileen et les autres sont plaqués contre le mur, un corps surgit, un poignard à la main. Tout se passe au ralenti. Je lève les yeux pour voir sur le visage de William une expression déterminée. Je le vois lever le bras, toujours son poignard en main. Non... Ce serait de la folie. William est à une vingtaine de mètres de Rewind, il n'oserait pas le lancer. Il n'y arriverait pas.

Mais je me leurre. À la façon dont son poignet tournoie, à la façon dont son visage se crispe, la confiance qui règne dans ses yeux, je sais que je me trompe. Il a fait ça toute sa vie. Il nous l'a caché depuis le début. Alors je crie, la seule chose que je réussis parfaitement bien à faire et dans un dernier geste, je me vois courir jusqu'à Rewind. Mes jambes me quittent au même moment où je parviens à l'atteindre avant que le poignard lancé ne vienne lui transpercer le cœur.

La scène se déroule en quelques secondes à peine. De toute la force que je possède, je me jette sur lui pour le protéger. Et je réussis. Rewind atterrit au sol dans un bruit lourd et un soulagement indescriptible me parvient... au même moment qu'une douleur insupportable me déchire la poitrine. Je tombe sur le côté alors que Rewind se met au-dessus de moi, paniqué. Effrayé. Effaré.

— J'ai réussi, soufflé-je, j'ai réussi à te sauver, j'ai...

Ma voix se meurt. Je baisse les yeux pour voir le petit poignard niché dans mon abdomen. Je vois le sang s'écouler à vitesse grand V, d'un rouge vif, fluide. Je vois mon chemiser déchiré se tacher aux couleurs d'Imir à cause de ce petit couteau gravé par le sceau de Socrenia. Le goût de la trahison est amer.

— J'ai réussi... murmuré-je.

Pour la première fois de ma vie, les yeux de mon bien-aimé s'humidifient et les larmes roulent sur ses joues. Elles viennent s'écraser sur les miennes et je l'entends rire nerveusement. Ce n'est pas un rire joyeux, heureux. Il tente d'atténuer sa peine comme il peut parce que lui et moi savons la fin de cette histoire avant même qu'elle ne soit écrite.

— Tu as réussi, Bianca, tu l'as fait... tu as...

— Réussi.

Un sourire vient orner mes lèvres alors que bientôt, la douleur n'est qu'un lointain souvenir. Les mains de Rewind saisissent mes joues, et il me renvoie mon sourire, le sien beaucoup trop triste à mon goût. Il pleure à n'en plus finir. Et dehors, j'entends la pluie s'abattre, imposante.

— Tu vas t'en sortir, Bianca, tu vas... tu vas... On va t'aider, on va...

Il bafouille, se confond dans ses mots alors que je fronce les sourcils, la bouche ouverte. Je suis incapable de bouger mon corps, bien trop anesthésiée. Ma voix ne me paraît plus trop claire :

— Je suis désolée, chuchoté-je. J'aurais dû... te rejoindre l'année dernière. Je t'ai... toujours... aimé.

Mon souffle ralentit, mes yeux se détachent des siens pour fixer le plafond. J'entends des cris autour de moi, des rires, celui de mon oncle sans doute. J'entends des pas, des portes qui s'ouvrent, des gens qui accourent. Mais seul lui compte. Ça a toujours été lui. Nous.

— Bianca, regarde-moi.

Une dernière fois, j'imprime son visage dans mon esprit. Je le retrouverai dans une autre vie. Nos cœur sont scellés à jamais, liés pour l'éternité dans tous les mondes existants. Je l'ai aimé, et mon âme ne cessera jamais de chérir la sienne, aujourd'hui, et pour toujours.

Des cheveux bruns, en bataille, des yeux verts perçants et un million de souvenirs ornent ma tête lorsque je ferme les yeux. Je l'entends me parler, crier mon nom mais mon esprit divague. Bientôt, le monde n'est plus qu'un gouffre obscur sans fin.



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hello!

un chapitre tout aussi long, j'espère qu'il vous plaira

il reste normalement 3 chapitres + un épilogue :) et on passera au tome 3 hihi

bizz bizz

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