Chapitre 53

La nuit vient de tomber et il commence à faire de plus en plus froid dans la hutte. Assise devant le feu cheminée, mes yeux dévisagent les flammes. J'ai troqué ma robe sale contre un pantalon marron ample et une chemise qu'Eileen m'a donné. Puis lorsque Rewind est sorti pour aller discuter avec les autres, j'ai détaché mes cheveux qui jusqu'ici, étaient pris dans une queue de cheval trop serrée. Voilà bientôt deux heures qu'il a disparu et il est déjà assez tard. Je me lève alors de ma chaise, attrape une veste et sors de la hutte.

Je fais quelques pas avant d'hésiter. C'est inutile d'aller à sa recherche, il doit sûrement être occupé. Eileen doit déjà dormir. Je ne me ravise pas. J'avance, prudente, là où des éclats de rire retentissent. À quelques mètres de là, les soldats ont établi un feu de camp et sont regroupés par dizaine autour des flammes, assis sur des bûches de bois assez épaisses. L'ambiance a l'air plutôt chaleureuse et je repère immédiatement Rewind. Il est impossible à louper. Sa carrure se distingue des autres. Face à moi, il ne m'a pas encore vue. Son sourire s'élargit alors qu'il rit à une blague et je me mords l'intérieur de la bouche. Je devrais sûrement faire demi-tour et rentrer sagement dormir. En plus, Eileen et Ander ne sont même pas là.

Je m'apprête à leur tourner le dos lorsque quelqu'un s'exclame :

— Bianca, venez donc vous joindre à nous !

La voix de Therys est enjouée et un coup d'œil dans mon dos suffit à me faire devenir rouge pivoine. La moitié du petit groupe est tournée vers moi tandis que l'autre est toujours prise dans une discussion. Je déglutis puis les rejoins, Therys m'offrant sa main. Delker à côté de lui me sourit et je fais de même en retour. Mes yeux osent enfin trouver ceux de Rewind qui pour l'instant, n'a toujours pas remarqué ma présence. Il est bien trop occupé à rire aux blagues de Brianna pour se soucier de moi. Mon cœur se serre mais j'essaie de penser à autre chose.

Therys me confie alors :

— Nous avons reçu des nouvelles de nos espions à Ternera. William est en vie et il se porte correctement. Dès demain, nous lancerons l'assaut pour aller le récupérer.

— Bien. À quelle heure partons-nous ?

— Vous rentrerez au palais royal de Lucrenda avec d'Eileen et Ander. Notre groupe se divise en deux demain.

Je comprends donc que je ne suis pas de la partie. Delker, à côté, semble capter mon regard inquiet et m'affirme :

— Votre Altesse, vous n'avez pas à vous inquiéter. Nous récupérerons William dès la première heure, nous la ramènerons sain et sauf.

— Et Rewind vous accompagne ? demandé-je d'une voix bancale.

— Il n'a pas encore pris sa décision, répond Therys. Je lui ai dit qu'il pouvait nous accompagner comme venir avec vous.

Je hoche lentement la tête et Delker me fait ensuite la conversation. Nous parlons de comment j'ai réussi à braver l'interdit et à m'en sortir, enfermée dans ma demeure, puis de la suite de nos exploits avec Eileen et William. Il me félicite et dit que j'ai été une vraie guerrière. Son accent me fait sourire et pendant quelques minutes, j'oublie le reste du monde. Cet homme est très sympathique. Il pourrait avoir l'âge de mon père mais son côté chaleureux me remonte le moral. Il n'y a pas que du mauvais dans le monde. Je découvre une nuancée de couleurs chaque jour, certaines plus sombres, d'autres plus chaudes.

— Bianca.

Je lève la tête. Les autres poursuivent leur conversation alors qu'en face de moi, Rewind me dévisage. Il me fait signe de venir, toujours assis sur son rondin de bois. Il n'y a aucune place à côté de lui, que veut-il que je fasse ? Malgré mes réticences, je me lève. Mes jambes ne m'obéissent plus alors que je m'excuses auprès de Delker et de Therys. Je le rejoins et fronce les sourcils.

— Qu'est-ce que tu...

Sans un mot, il me tire par le bras et me fait m'assoir sur ses genoux. Mes joues deviennent cramoisies alors que je souffle :

— Mais qu'est-ce que tu fais...

— Je montre au monde entier que tu m'appartiens, Bianca. En particulier à Delker.

Je tente de me dégager de sa prise mais sa main s'appuie sur mon dos et il grommelle :

— Cesse de remuer comme un ver.

— Rewind, nous ne sommes pas mariés. C'est une position compromettante pour moi et je...

— Alors laisse-moi annoncer nos fiançailles aux autres, réplique-t-il. Tu n'auras plus aucune excuse.

Je serre les mâchoires, agacée.

— Aucune excuse ? Tu me fais m'assoir sur tes genoux juste parce que tu ne supportes pas de me voir discuter avec Delker. Merde, alors ! Laisse-moi un peu respirer.

Je baisse la voix mais pour autant, il ne me laisse pas m'en aller.

— Lâche-moi, grogné-je. Tu as un problème avec le consentement ? William, lui, ne m'a jamais touchée sans ma permission.

Rewind tique et ses bras me desserrent alors que je me lève et quitte le feu de camp d'un pas pressé. Qu'est-ce qu'il peut être agaçant ! Bianca par-ci, Bianca par-là... Je n'ai jamais demandé à me prendre sa jalousie et possessivité en pleine tête. Je souffle fort alors que mes pieds m'emmènent directement en-dehors du village. Demain, nous serons partis alors je peux au moins risquer une petite escapade dans la forêt. Le lac de Fruges ne doit pas être très loin et puis, à cette heure-ci, il n'y a personne qui viendra me déranger. C'est donc les jambes lourdes que je m'aventure entre les arbres.

Il fait nuit mais la lune est assez lumineuse pour éclairer mon chemin. Bientôt, j'arrive à destination. C'est tout simplement magnifique. Devant moi, s'étend un immense lac aussi limpide et clair que les yeux de Rewind. Le croissant taché se reflète dans l'eau et je comprends mieux pourquoi les gens viennent visiter ce site. Cela paraît irréel. Et pourtant...

Mes yeux se posent alors sur une petite silhouette assise au bord du lac. Une immense crinière brune m'indique qu'il s'agit d'Eileen. Tiens, que fait-elle ici ? Je m'approche et vais m'assoir à côté d'elle, mes pieds à deux doigts de toucher l'eau. Ma sœur tourne la tête vers moi et me sourit. Ses joues sont rosies, ses lèvres enflées.

— Tu...

— Ander vient tout juste de partir. Je ne vais pas tarder non plus.

J'acquiesce lentement et puis, me replonge dans ma contemplation de l'eau. Un silence s'installe entre nous, mais qui n'est pas gênant. Perdue dans mes pensées, je me mets à rêver. Rewind a beau être un abruti sans nom, je n'arrive pas à le haïr totalement. Une partie de moi voudrait tellement le détester pour ce qu'il est, ce qu'il incarne mais je n'y arrive pas. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser qu'une fois rentré à Imir, il retournera directement dans les bras de Victoria. Cette idée me tue à petit feu. Le voir partir avec une autre, embrasser une autre... Je comprends sa jalousie envers Delker mais elle n'est pas fondée. Delker est un inconnu, un ami chaleureux et sympathique. Victoria est sa fiancée. La marge est grande.

— J'entendrais presque tes pensées, Bianca, tant tu bouillonnes à l'intérieur de toi.

Eileen niche sa tête dans les creux de ses genoux, penche le visage et me sourit. Ses yeux se posent sur mes bras nus là où sont toujours dessinés mes griffures. Son regard se ternit et elle admet :

— Je crois avoir compris. Je suis désolée, tu sais. Tu n'es pas obligée de me dire la vérité. J'espère seulement que tu vas mieux depuis.

Je lui renvoie son sourire et réponds, d'une honnêteté qui me bouscule :

— Je vais mieux. Je me sens mieux dans mon corps et dans ma tête.

— Grâce à Rewind. Il t'a aidé, n'est-ce pas ?

William et Rewind m'ont aidée. Mais quand j'étais au fond du gouffre, c'est lui qui a su me sauver. Je hoche lentement la tête et Eileen regarde droit devant elle. Elle pousse un petit soupir puis jette un coup d'œil derrière elle. Et alors, même la lune se tait pour l'écouter lorsqu'elle murmure, comme une vérité que je ne pourrais jamais admettre :

— Tu l'aimes. D'un amour inconditionnel, passionnel.

Elle se met debout, époussette sa robe et me sourit, comme une grande sœur le ferait.

— Aime-le, Bianca. La vie est trop courte pour se soucier de choses futiles. Tu réaliseras bien assez tôt que le temps défile à une vitesse absolue, et que peu importe les barrières que tu mettras entre vous, tes sentiments ne changeront jamais. Il y a des personnes sur cette terre qui nous sont destinés. Rewind est ton futur, à toi de l'accepter.

Elle se penche pour me prendre dans ses bras alors que je suis bouche bée, incapable de réfléchir correctement. Elle aura beau me dire ce qu'elle veut, Rewind est un idiot. Il devra faire des efforts s'il veut de moi !

— Il t'attend, me chuchote-t-elle.

Il y a des choses qu'elle ne peut pas comprendre. Rewind et moi, c'est bien plus compliqué que de simples mots doux et baisers échangés. Si je pars dans cette aventure avec lui, rien ne me dit que j'en sortirai indemne. Cet homme est un feu destructeur.

Eileen se lève, me tourne le dos et s'en va alors qu'effectivement, Rewind m'attend. Il s'avance, glisse quelques mots à ma sœur avant de me rejoindre. Je me lève, pince les lèvres et m'apprête à l'imiter quand il me retient par le bras.

— Il faudrait peut-être arrêter de me retenir à tout-va ! m'énervé-je.

Il ne me lâche pas pour autant et ses yeux se plantent dans les miens.

— Je suis désolé, d'accord ?

— Désolé pour quoi ? D'avoir embrassé une pimbêche l'autre jour, d'être fiancé à Victoria ou bien d'agir en connard en permanence ?

Je le vois serrer les mâchoires et ses yeux s'assombrissent.

— Je viens m'excuser et tu n'acceptes même pas ça. Que dois-je faire pour être à la hauteur de tes attentes ?

— Rien du tout, répliqué-je. Laisse-moi tranquille et va-t-en.

— Les femmes sont incompréhensibles. Quand je ne m'excuse pas, c'est un problème et quand je m'excuse, c'est pareil ! Tu sais quoi ? Je préférerais encore embrasser des limaces. J'en ai ma claque.

Il me lâche et je riposte, furieuse :

— Eh bien, va ! Cela ne changera rien à tes habitudes.

— Je ne te comprends pas, Bee...

Un silence s'écoule. Il recule de quelques pas et je croise les bras sur ma poitrine. Puis je décide finalement, de lui faire part de mes craintes :

— Qui me dit qu'en rentrant à Imir, tu ne vas pas poursuivre ton mariage ? J'y ai réfléchi. Je n'ai aucun titre intéressant à te donner. En épousant Victoria, ta puissance territoriale serait décuplée. Tu aurais Arthen et Imir pour toi tout seul. Vos deux pays ensemble, vous êtes invincibles contre le reste du monde.

Rewind cligne plusieurs fois des yeux avant de s'exclamer :

— Bianca, ce n'est pas des terres que je veux. Ce n'est pas Arthen, Victoria ou encore être le roi du monde. C'est toi que je veux, peu m'importe ton titre. Je n'ai qu'une parole. En rentrant dans mon pays, j'annulerai les fiançailles. C'est si dur à croire ?

Je hausse les épaules, l'air indifférente. Puis je lui tourne autour en le dévisageant, me mordillant la lèvre inférieure. Rewind a les yeux posés sur ma bouche et avant que la situation ne devienne dangereuse, je réponds :

— D'accord, je te crois. Et j'accepte tes excuses. Mais c'est totalement inutile d'être jaloux pour ça, vraiment.

— Je pourrais te poser la même question, qui me dit que tu ne vas pas retourner dans les bras de William ? Tu aurais accès à Socrenia qui est la première puissance mondiale maritime. Ecclosia et Lucrenda alliés, tu serais bien placé pour gouverner le monde.

— Je ne veux pas de terres.

Ma voix se meurt. Rewind approche, me saisit par les coudes et me fait reculer de quelques pas.

— Qu'est-ce que tu veux, alors ?

Toi. Ton amour. Tes mains sur moi. Ton cœur battant avec le mien. Cette réponse flotte dans mon esprit alors que mes pieds entrent en contact avec l'eau glacée. Je tente de me défaire de sa prise mais un grand sourire maléfique vient se dessiner sur ses lèvres. Je fronce les sourcils et le menace :

— Fais ça et je jure que...

— Que quoi ?

Que je t'entraine dans ma chute.

— Réponds-moi, Bee, qu'est-ce que tu veux ?

Alors, je décide de le narguer. Car la réponse ne tient pas sur un que mais plutôt sur un qui.

— Là maintenant, je mangerais bien du chocolat blanc. Je suis en manque de sucre depuis quelques temps et...

— Tiens, cela pourrait être une alternative à vérité ou conséquence : avoue ou prends l'eau.

— Je prends l'eau, répliqué-je. Ce n'est pas un peu de liquide glacé qui va me faire peur.

Son sourire s'étire alors qu'il continue de me pousser et que l'eau m'arrive maintenant aux mollets. Il continue d'avancer et cette fois-ci, je grimace. Mes cuisses sont mouillées et le froid vient pénétrer chaque parcelle de ma peau. Pour Rewind, l'eau lui arrive seulement aux genoux.

— Très bien, très bien. J'avoue. Je veux manger, j'ai faim.

— C'est drôle, j'ai faim aussi. Mais pas de nourriture étrangement.

Mes joues deviennent cramoisies alors qu'il continue de me pousser. J'ai passé la barrière des hanches que je me mets à grelotter.

— Bianca, cesse de rougir. Nous ne sommes plus des enfants.

— J'ai le droit d'être choquée, outrée même par tes propos.

Il se penche alors et ses lèvres effleurent mes oreilles, me provoquant une décharge électrique dans tout le corps.

— Je peux le dire d'une autre manière si tu veux : j'ai envie de te...

— Non ! C'est bon, ça va aller. Pas besoin d'expliciter les choses.

Il éclate de rire puis avance alors que je le fusille du regard. Maintenant, l'eau m'arrive au nombril. Cette fois-ci, je tente de le repousser, en vain.

— Tu vas faire plouf, petit cœur.

— Petit cœur ? C'est ma main qui va faire plouf dans une seconde.

Un sourire narquois orne ses lèvres et soudain, une idée illumine mon esprit. Mes yeux plongent dans les siens alors que je tends les bras pour poser mes mains sur sa nuque. Je m'approche et effleure ses lèvres des miennes, puis je les évite et dépose ma bouche sur sa joue, son oreille alors qu'il se laisse faire. Un râle rauque s'échappe de sa bouche et brusquement, sans prévenir, j'inverse les rôles et le tire vers moi. Tous les deux, nous tombons dans l'eau. Son corps vient envelopper le mien sous la surface alors que je remonte rapidement et reprends ma respiration. Je suis en train de geler sur place.

Pour Rewind, ça n'a l'air de ne rien lui faire. Ses cheveux gouttent sur son front alors qu'il m'encercle de ses bras en souriant.

— Alors ça... ça tu vas me le payer !

Je ris et me débats mais il est trop fort : il me pousse dans l'eau. Puis il me remonte à la surface avant de me couler de nouveau. Au bout de trois fois, il estime que j'en ai eu assez puisqu'il me libère alors que je tousse l'eau que je viens d'avaler en riant en même temps.

— L'eau... l'eau est... glacée... grelotté-je.

Je croise les bras sur ma poitrine alors qu'il s'en va au bord de l'eau pour ôter sa chemise. Il revient ensuite vers moi, me sourit et déclare :

— Tu devrais faire pareil. Tu auras encore plus froid en sortant de l'eau.

— Et puis quoi encore ? Jamais je ne me mettrai nue devant toi, dans tes rêves peut-être !

Son sourire se fait plus franc et il hausse les épaules.

— J'ai déjà vu le haut. Tu n'as plus beaucoup de choses à me cacher, Bee.

Je l'imite en faisant des grimaces puis me décide à sortir de l'eau. Après tout, en dessous de ma chemise, j'ai bien un soutien-gorge. Et puis, c'est Rewind. Rien d'affolant. Lorsque je sors totalement de la berge, je l'entends se racler la gorge. Je me retourne et fronce les sourcils.

— Un problème, Votre Altesse ?

Ses yeux se mettent à pétiller et s'obscurcissent. Je baisse les yeux pour voir que mon pantalon, autrefois ample, n'est maintenant qu'un mouleur de formes. Et que par conséquent, cet imbécile a dû me mater le derrière. Je soupire.

— Retourne-toi, Rewind.

— Et puis quoi encore, dans tes rêves peut-être !

Il ricane en reprenant mes mots et je lève les yeux au ciel. Tant pis. J'aurais essayé. Je m'occupe d'enlever ma chemise puis baisse ensuite mon pantalon. Je reviens vers lui, en sous-vêtements, et mes pieds s'arrêtent dans l'eau. Rewind me dévisage, ses yeux analysant chaque morceau de ma peau, criblant par balle la moindre de mes courbes. Je vois son sourire faiblir lorsqu'il voit mes cuisses et les zébrures qui les ornent. Il s'approche alors, voyant mon hésitation, me saisit par la taille et murmure :

— Tu es incroyable, Bianca, peu importe les marques qui retrouvent ta peau. Peu importe les choses que tu as vécu, je te ferai oublier le moindre souvenir que tu as de ce pervers. J'embrasserai chaque parcelle de ton corps, je ne cesserai de te répéter à quel point tu es belle et forte. Je ne pourrais jamais arrêter de t'aimer.

Et je crois ses mots. Avidement, parce que je n'ai plus rien à perdre. Mon cœur est déjà sien.

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