Chapitre 52

Nous avons franchi les frontières d'Ecclosia. Nous sommes maintenant à Lucrenda et cette idée me terrifie autant qu'elle me ravie. Enfin un pays où nous serons en sécurité et où nous n'aurons pas à braver l'interdit, se cacher pour être en paix ou encore devoir se battre en permanence. Je respire enfin. Depuis quelques kilomètres, j'ai l'impression que ma cage thoracique se relâche enfin. Tout me paraît plus neuf, plus sain. Rewind a beau être quelques mètres devant moi, et William des milliers derrière, je me sens bien. Comme soulagée et je m'en veux. William est maintenant le captif d'Ecclosia et je ne connais pas encore le plan de Therys pour le sortir de là. Enfin, bon. Rewind est tout de même sain et sauf, c'est ce qui m'importe pour le moment.

Voilà quelques heures que nous chevauchons à présent et Therys décide qu'il est bon de s'arrêter. Sous les supervisions d'Ander qui a l'air tout de même mal en point, nous nous arrêtons comme prévu dans un village bordé par une immense forêt. Ici, les maisons sont en forme de huttes et pour être petit, tout est vraiment petit. Un chemin fait de dalles en pierres nous accueille. Ander nous indique que c'est un village pour les voyageurs et qu'il accueille à chaque période de l'année des touristes qui viennent visiter le grand lac de Fruges, mais que pour le moment ces huttes sont inhabitées. Alors à peine sommes-nous arrivés que tout le monde descend de selle et s'en va visiter ces drôles de petites maisons.

Delker descend alors et tel un gentleman, me tend sa main. Je la saisis une nouvelle fois et des yeux, je cherche Rewind ou encore Eileen.

— Tout ira bien, Votre Altesse ? Ou avez-vous encore besoin de mes services ?

— C'est très gentil à toi, Delker. Je t'appellerai si j'ai besoin de quelque chose.

Je lui souris et il me renvoie mon sourire avant de tourner les talons. De mon côté, j'aperçois Rewind au loin qui a l'air en meilleur forme que tout à l'heure. Il a pu recevoir une nouvelle chemise, au moins il n'est pas à moitié nu devant moi. D'un pas pressé, je le rejoins et avant même de pouvoir prononcer un seul mot, je le serre dans mes bras. Un peu trop fort, peut-être. Mais j'ai bien trop peur qu'il s'envole en fumée.

— Je t'ai autant manqué que ça ?

Je m'écarte pour affronter un immense sourire qui lui barre le visage.

— À peine, grommelé-je. Tu as intérêt à m'expliquer.

— T'expliquer quoi ? dit-il, feignant l'innocence.

— Comment, premièrement, tu es revenu des morts. À moins d'avoir convaincu la faucheuse de te laisser revenir –sincèrement, je doute que tes charmes soient assez forts, quoique peut-être l'as-tu eue à l'usure ? Et deuxièmement, comment tu as été assez stupide pour rester te faire labourer le dos alors que j'avais fait diversion !

Il hausse les sourcils, un air surpris au visage. Alors, il se moque de moi :

— Parce que ta petite démonstration d'épée était une tentative de diversion ? Enfin, Bee, tu aurais pu me prévenir ! J'ai cru que c'était un spectacle de clowns, moi !

Je le fusille du regard et me détache de lui mais il m'attrape par la main avec un sourire.

— Je te hais.

— La barrière entre amour et haine est fine, tu sais. (Il fait une pause avant de reprendre :) Je plaisantais, Bianca. Tu as été superbe, du début à la fin. Comme quoi, mes leçons d'épée t'ont sûrement servie !

Je n'ai pas le temps de répondre. Derrière lui, Eileen et Ander nous rejoignent. Ma sœur est complètement liquidée, je le vois à son visage. Des cernes violacées lui barrent le visage et elle s'agrippe à Ander comme s'il allait s'envoler. Celui-ci a meilleur mine que tout à l'heure, bien que son visage soit toujours aussi rouge de sang et plein de saletés. Personne ne prononce un mot, le sourire de Rewind reste en suspens dans l'air. Quelques secondes s'écoulent avant qu'Ander se détache d'Eileen pour serrer Rewind dans ses bras. Cela pourrait être une simple accolade amicale mais cela signifie plus. Une vie sauvée, une douleur qu'Ander ne connaîtra jamais. Rewind lui a épargné des cicatrices et sûrement, une mort certaine.

— Je te revaudrai ça, lance Ander avant de reculer.

— J'aime bien les milkshakes à la framboise si tu t'ennuies un jour, et que tu voudrais me rendre la chandelle.

Ander sourit faiblement et Eileen se contente de venir me serrer dans ses bras à son tour. Ce temps de retrouvailles se termine bientôt lorsque les deux amoureux s'en vont de leur côté. Rewind et moi restons plantés là, sans un mot. Therys, qui passe par-là nous indique :

— Il y a une hutte libre au fond du village, sur le chemin de droite. Dépêchez-vous avant qu'elle ne soit prise !

Nous suivons ses conseils st arpentons le petit bout de village, empruntons le chemin de droite pour arriver droit devant la petite maison. Ces huttes sont faites de pierre, en forme circulaires avec un toit en paille et malgré le fait que cela ne paraisse pas très esthétique et princier, je trouve ça mignon. La porte est fait de bois et seule deux petites fenêtres laissent entrer la lumière. Rewind est le premier à entrer et je grimace. Sa nouvelle chemise est teintée d'un rouge clair dans le dos.

— Il va falloir soigner tes blessures.

— Non, ronchonne-t-il. Cela cicatrisera.

— Cela s'infectera si on ne soigne pas tes plaies, dis-je en grinçant des dents.

Il secoue la tête comme si je disais n'importe quoi et je laisse mon regard balayer la pièce. Une table trône au centre, un lit prend place contre le mur derrière la table et à part deux chaises, un four et quelques armoires, rien d'extravagant. Ah, si peut-être. Un feu de cheminée. Rewind s'en va directement allumer le feu et balance des bûches de bois qui étaient déjà posées au sol. Je le regarde faire et les taches de sang me donne la nausée.

— Assieds-toi, lui ordonné-je. Je vais te soigner ça.

— Non, bougonne-t-il.

Ses yeux captent les miens et je m'exaspère.

— Pourquoi diable ne veux-tu pas te faire soigner !

Un silence s'écoule et un sourire malicieux vient orner ses lèvres.

— J'aurai le droit à un baiser en échange ?

Je cligne plusieurs fois des yeux, figée.

— Non ?

— Tant pis, alors. Je souffrirai le martyr.

— Mais... Mais tu as renversé la situation ! Espèce de profiteur.

— Je saisis simplement les avantages, riposte-t-il.

— Assieds-toi ou je te fais manger le parquet.

Il ricane mais ne proteste pas pour autant et s'en va s'assoir sur une chaise. De mon côté, je fouille dans les placards à la recherche d'une quelconque trousse médicale. Bien évidemment, à part quelques pansements et un désinfectant, rien ne pourrait m'aider à le soigner. Je soupire, pile au moment où l'on vient toquer à notre porte.

Delker apparaît devant le seuil et déclare :

— Therys m'a dit de vous apporter ça. Le repas du soir ainsi qu'une trousse de secours.

Il entre dans la pièce, dépose les deux gros sacs qu'il tient dans les mains sur la table et disparaît avant même d'avoir pu le remercier.

— Quel homme, m'exclamé-je presque.

— Pas de quoi s'affoler. Il a juste ramener à manger.

Rewind tique et c'est à mon tour de ricaner.

— Tu es au courant qu'il a deux fois mon âge ? Pas la peine d'être jaloux.

Il m'imite et grimace et je me contente de lever les yeux au ciel. Je déballe ensuite la trousse de secours pour y trouver de l'argile bleue provenant d'Ecclosia, connue pour son aide cicatrisante. C'est exactement ce dont j'avais besoin. J'ai juste à l'appliquer sur sa peau, la bander et il sera comme neuf.

— Lève-toi.

— Assieds-toi, lève-toi, il faudrait savoir mademoiselle !

— Lève-toi et tais-toi, pour l'amour de Dieu.

Il éclate de rire avant de se lever. Bon. Ce n'était sûrement pas une bonne idée vu qu'il fait deux fois ma taille. Je vais m'en sortir. Il se met à enlever sa chemise et je saisis l'argile bleue de mes doigts. Je grimace en voyant ses plaies, déjà bien rougies. Sa peau a été tranchée à vif. Je me contente d'appliquer la pommade dessus, du mieux que je peux. Je sens les muscles de son dos se contracter alors que la substance glacée vient lui couper les nerfs.

— Dis-moi comment tu t'en es sorti, lancé-je assez bas pour qu'il m'entende. Je t'ai vu mourir, Rewind. J'ai cru que mon cœur allait se fissurer en deux.

Il s'appuie sur la table de ses mains et pousse un soupir.

— Je devrais être mort. Lorsque Lorcan allait plonger sa lame dans mon corps, à la dernière seconde j'ai saisi son épée de mes mains. Tu as dû le voir me transpercer le cœur parce que mes mains étaient de côté. Quand tu as cru que je me faisais embrocher, j'étais juste en train de retenir le coup. Mais sa lame a tout de même réussi à se planter dans ma peau.

Il se tourne et me désigne son torse, là où figure une entaille profonde d'à peine quelques centimètres. Puis il me montre ses mains entaillées à cause de la lame.

— Je ne comprends pas bien... pourquoi m'a-t-il affirmé que tu étais mort ? Même mon oncle le pensait.

— Parce que Lorcan n'irait jamais admettre une défaite. Lorsque j'ai saisi sa lame, je l'ai repoussé et j'ai repris mon épée. Mais ses soldats m'ont poursuivi dans toute la ville. Je me suis caché dans des ruelles, celles qu'on avait emprunté l'an passé. Lorcan a envoyé plus de soldats qu'il ne le fallait. J'étais encerclé jusqu'à ce que Therys arrive comme un roi venant sauver son royaume. Il m'a ensuite fait part du plan. Je devais leur faire gagner du temps pour que l'autre moitié de l'escadron arrive. Son groupe était divisé en deux et il n'était qu'avec Delker et Brianna à ce moment-là. C'est pour cela que je me suis porté volontaire à leur petite torture. D'une part, parce qu'Ander n'aurait pas survécu, d'une autre part parce que je me savais assez solide pour résister suffisamment longtemps.

Je finis d'appliquer la pommade en l'écoutant attentivement et finis par le questionner :

— Ce que je ne comprends toujours pas, c'est comment ont-ils su que nous nous étions fait piégés ?

Rewind, toujours de dos, déclare :

— Therys s'est renseigné au sujet de Lorcan lorsque nous sommes partis, j'ignore pourquoi. Sans doute trouvait-il cela suspect que Lorcan arrive seul à Imir. Therys a fini par découvrir qu'il n'avait jamais été capitaine de la garde royale. Il est ensuite remonté jusqu'ici. Et maintenant, nous en sommes là. Dans des huttes, toi à me soigner, moi à t'expliquer. D'autres questions, Bee ?

Je secoue la tête. Mes mains se perdent sur le bas de son dos et dessinent des cercles sur ses hanches. Je suis perdue dans mes pensées. Therys a été incroyable sur ce coup. Et nous, nous avons été idiots de faire confiance à Lorcan.

— Tes petites mains s'égarent, Bianca, m'indique Rewind.

Il se retourne et je laisse mes bras tomber. Ses yeux s'accrochent aux miens et de mes doigts, je viens caresser son visage.

— Je t'ai vu mourir. Je ne m'en remettrai jamais.

— Et pourtant, il en faudrait plus pour m'abattre.

— Lorcan a dit que tu avais supplié. Que tes derniers mots m'étaient adressés.

Rewind sourit et saisit mon visage entre ses mains.

— Je crois que j'ai dû le menacer de lui arracher ses testicules et de les vendre à Satan en Enfer. Quelque chose comme ça. Je n'irais pas supplier un boulet dans son genre. Il est aussi nul au maniement d'épée qu'Eileen au tir à l'arc.

J'éclate de rire en même temps qu'il s'approche de moi. Ses mains descendent jusqu'à ma taille, me saisissent et viennent me plaquer contre son corps. Je déglutis discrètement alors qu'il murmure :

— Ton rire est un chant sacré pour les oreilles, Bianca.

— Je sais, je sais, et mes yeux sont incroyables, j'ai un sourire d'ange, une attitude de sirène aussi et...

— Une taille de nain.

Je tente de me détacher mais il me maintient contre lui. Un sourire ravageur se dessine sur son visage, je suis en train de fondre comme une glace au soleil devant sa beauté. Rewind n'est pas seulement beau. Il est indomptable, insaisissable. Il respire peut-être le sarcasme et l'arrogance, mais il est d'un naturel à tomber sous le charme.

— Cessez de tomber amoureuse de moi, mademoiselle.

— Et puis quoi encore...

Cette fois-ci, j'arrive à m'extirper de sa poigne et je lui adresse une grimace avant de m'écarter. Son bras se tend pour m'attraper mais je l'évite soigneusement. Nous jouons au chat et à la souris autour de la table ce qui nous amuse l'un comme l'autre. Il finir par me rattraper, plus vite et plus grand et ses bras m'encerclent la taille. Sa bouche vient frôler mon oreille et je l'entends me murmurer :

— Tu me rends fou, Bianca.

Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine et il descend déposer quelques baisers sur mes clavicules. Je tends le cou, lui exposant ma gorge alors qu'il fond l'embrasser. Ma respiration devient plus saccadée, plus courte et bientôt, nos lèvres se joignent. Je me retourne pour avoir un plein-accès à sa bouche. Sa langue découvre la mienne, ses mains parcourent mon corps comme si c'était la première fois. J'ai l'impression de me consumer, de brûler sur place. Que rien hormis ses mains et sa bouche ne compte.

Le temps s'écoule, l'éternité, durant laquelle ses baisers se font pressants, ardents, passionnés. Il a une manière d'embrasser comme si la fin du monde approchait à grands pas et qu'il avait un milliard de secrets à m'avouer. Cela ne me déplait pas, bien au contraire.

Et entre deux baisers, il chuchote contre mes lèvres :

— En rentrant à Imir, j'annule mes fiançailles. Et je te demande en mariage sur le champ.

Promesse dite. Promesse qui se doit d'être tenue.

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