Chapitre 43
— Je connais quelqu'un qui pourra nous emmener à Ternera. Ce sera le dernier cap avant d'atteindre le centre pour de bon. Là-bas, nous nous devrons de trouver un plan.
Ternera est la capitale d'Ecclosia, la ville où je suis née. Me dire qu'il ne reste plus qu'un cap à franchir pour rejoindre ma maison me fait froid dans le dos. J'ai beau être excitée, il n'en demeure pas moins que le palais familial est l'endroit où j'ai le plus de souvenirs. Bons comme mauvais. Les mauvais commencent à prendre le dessus. Plus le temps passe et plus ma maison ne semble qu'être un lointain souvenir.
Lorcan se détache du groupe et nous indique de le suivre. Je sors de mes pensées pour marcher derrière William, d'un pas pressé. Nous traversons les ruelles de Lutheryan encombrées par des cannettes ou encore des bouteilles d'alcool. En quelques minutes à peine, nous rejoignons la partie basse de la ville. Là où l'air se fait plus chaud, les rues plus sombres. Là où les courtisanes ne se gênent pas pour dévoiler leur poitrine à la vue de tous, là où les ivrognes sont assis sur les marches des maisons, soûls et importunants.
— Eh, mam'zelle !
Je ne me retourne pas mais je ralentis le pas étonnamment. Devant moi, la distance se creuse entre les autres et moi. Je suis celle qui finit la marche, je suis la plus vulnérable. Lorsqu'une main me compresse le bras, je me fige. Derrière moi, un homme aussi soûl qu'un coin louche en me voyant. Il empeste l'alcool et la fumette. Le crâne dégarni, les vêtements crasseux, les chaussures trouées, il renifle bruyamment comme pour me sentir.
— Lâchez-moi espèce de...
Je ne termine pas ma phrase. Je me dégage de lui vivement et il en faut peu pour que j'arrive à me défaire de sa poigne. Je lui cracherai presque dessus si j'en avais le culot mais je me retiens. Je suis une fille de bonne famille, une princesse de pur sang. Je ne m'abaisserai pas à son niveau.
Je vais donc pour faire demi-tour mais je suis une nouvelle fois stoppée. Cette fois-ci, je suis tirée en arrière et deux bras puissants m'encerclent la taille. Ce n'est pas l'ivrogne. Loin de là. Je me débats, en vain et mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines lorsqu'une voix retentit dans mon oreille :
— Je t'ai manqué, petite fille ?
Sammy. Je reconnaitrais sa voix grésillante entre toutes. Je ne cesse de remuer dans tous les sens pour me détacher de lui mais rien n'y fait. Il est beaucoup plus fort que moi. Je m'apprête à apostropher le reste du groupe lorsqu'une nouvelle fois, je suis prise de court. À quelques mètres de moi, Eileen se débat avec un homme qui la retient contre son gré. Je la vois essayer de mordre l'armoire à glace qui la sert contre lui et hurler comme une déchainée.
Ce n'est que maintenant que je réalise. Nous sommes encerclés par une troupe de soldats. La garde royale d'Ecclosia nous a pris au piège et ce, sans même que l'un d'entre nous puisse faire quelque chose. Les garçons ont dégainé leur épée et seul William se poste là avec un ridicule poignard dans la main.
Je ne me débats plus. La voix de Sammy résonne dans mon oreille :
— Il y a un gros butin à ton nom. J'ignore ce que l'on va te faire mais ta tête est mise à prix, fillette. Et je ne manquerai pour rien au monde cette récompense.
Il me tire les cheveux, dévoilant ma gorge et je grimace de douleur. J'ai du mal à apercevoir la scène devant moi, mais tout ce que je vois, c'est les soldats avançant, refermant peu à peu le cercle.
— On doit se battre, lance férocement Ander. On doit se défendre coûte que coûte.
— Sa Majesté a raison, renchérit Lorcan. Je prends le côté gauche, j'arriverai à les maîtriser.
Sans même attendre un signe d'Ander, il s'élance dans la bataille. Rewind prend le temps de pester :
— Tu n'arriveras à rien avec ce vulgaire instrument.
Et il s'élance à son tour. William ne perd pas de temps et muni de son simple poignard, il s'en va défier deux soldats en même temps. Je perds le fil des choses lorsque les hurlements d'Eileen se font plus forts que tout. L'homme derrière elle crie par-dessus lorsqu'elle se met à lui mordre brutalement la main, tel un chien enragé. Non loin d'elle, Ander se fige et cherche des yeux sa protégée. J'aimerais lui dire de se battre, de ne pas s'arrêter en plein combat mais ma voix se meurt. J'aimerais lui dire que le soldat en face de lui va lui asséner le coup fatal, un coup sec et dur qui le clouera au sol.
Le temps s'arrête. Ander la trouve. Ses yeux se posent sur elle en une fraction de secondes, un lapse de temps minime qui me suffit à apercevoir les éclats qui illuminent son regard. Eileen se défait de la poigne de la grosse brute en même temps que le soulagement saisit son bien-aimé. Mais tout se déroule trop vite. Ander n'est pas assez vif. Le soldat derrière lui le frappe à la tête de sa machette. Sa Majesté de Lucrenda s'effondre au sol dans un grognement alors qu'Eileen ouvre la bouche, horrifiée.
Le temps reprend.
— Je vais me faire un plaisir d'assister à ton exécution.
Sa voix me dérange. Elle vient s'insinuer dans mon esprit comme un moustique en pleine nuit. N'en pouvant plus, je puise en moi. J'en ai marre d'être celle à secourir, celle qui pleure et qui ne sait rien fair de ses dix doigts. J'en ai marre d'être celle qui subit alors que je pourrais être celle qui agit.
Dans une dernière tentative pour m'échapper de ce monstre, je lui fracasse la tête de mon coude. J'extrapole le terme, puisque la tête de Sammy ne s'éloigne de quelques centimètres. Il se met à grogner et resserre sa prise, me retourne face à lui et me hurle au visage des obscénités que je ne préfère même pas écouter. Je le laisse déverser sa haine contre moi et je finis par défouler ma colère contre lui. Mon genou vient se nicher brutalement dans ses parties intimes. Toute la force que je possède a été lâché dans ce simple mouvement qui lui cloue le bec. Il me relâche et s'effondre au sol en pleurnichant presque.
— Bianca, derrière toi !
Je me fais plus vive. Je fais volte-face pour tomber nez à nez avec un soldat. Une épée à la main, son sourire est carnassier, son regard obstiné. Il ne dit aucun mot mais je sais qu'il n'hésiterait pas à lever son arme sur moi. Je suis voulue, morte comme vivante. Un mandat d'arrestation ne stipule pas que je dois être retrouvée en vie.
Je suis piégée contre le mur. Tout ça pour ça. Un coup de genou, un homme à terre pour finalement me retrouver coincée contre un soldat. Je profite des quelques secondes qu'il me reste pour faire le vide dans mon esprit.
La bataille fait rage, les cris des hommes résonneraient même dans les abysses des océans. Le tintement des épées l'une contre l'autre déchireraient le tympans les plus fragiles. À quelques mètres de là, Eileen se débat contre un soldat, les larmes roulant sur son visage. Ander n'est plus là. Effondré au sol, j'ignore s'il est mort. Derrière lui, William agit vite. Son poignard se plante dans les ventres de soldats, tranchent la gorge d'autres. Lorcan est aussi efficace que lui. Il est costaud, imposant et ne se laisse pas faire. Ses techniques sont rapides, franches et il tue un nombre incalculable de sang. Cette vision me glace sur place. Des morts et des morts. Partout autour de moi, leurs corps empestent.
Quant à Rewind... Je ne le vois nulle part. J'aurais aimé voir son visage une dernière fois avant de mourir. Le soldat face à moi lève son épée pour m'asséner le coup fatal lorsqu'une voix retentit :
— Personne ne la touche.
Personne ne la touche. Cette même phrase qu'il a prononcé l'année dernière et qui continue de faire battre mon cœur à vive allure. Rewind, dans toute sa splendeur, surgit derrière le soldat. Il lève son épée et l'abat sur lui, tranchant sa tête en deux. Je pousse un cri d'effroi devant cette vision macabre. Le soldat s'effondre à mes pieds alors que Rewind tend la main pour me sortir de là.
Et bientôt, la bataille se termine. La ruelle entière est remplie de cadavres gisant au sol qui me donnent envie de vomir. Lorcan s'occupe de terminer de tuer le dernier soldat encore vivant alors que William revient vers nous, le visage transpirant de sueur.
Et mon monde s'effondre lorsque je réalise qu'Eileen et Ander ont disparu.
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