Chapitre 41

PDV William :

— Tu veux en parler ? m'entends-je dire.

Ma voix sonne trop douce dans mes oreilles. Bianca est toujours nichée au creux de mes bras, sa joue contre mon torse, ses petites mains autour de mon cou. Sa peau est froide contre la mienne et ses cheveux tombant en cascade autour de son visage m'empêche de voir l'expression qu'elle adopte. Je tente de m'éloigner d'elle pour la laisser respirer mais elle me serre plus fort contre elle. Et étrangement, cela me rassure. La sensation dans mon ventre ne s'estompe pas.

Le monde est tellement silencieux autour de nous que j'entends son cœur battre contre moi. Sa respiration est irrégulière. J'ai le sentiment qu'elle panique. Je pose mes mains sur ses épaules, et plonge mon regard dans le sien.

— Je suis là. Je ne m'en vais pas, je serai toujours là pour toi, quoiqu'il arrive.

Le crépuscule de la nuit se reflète sur son visage et ses yeux deviennent plus clairs. Elle me déstabilise. Elle provoque en moi un million de choses que je ne m'explique pas. Elle a toujours fait ça. Je ne la connais que depuis quelques semaines mais au premier regard que j'ai posé sur elle, quelque chose m'a irrémédiablement attiré vers elle. Dès lors où je lui ai rendu son ombrelle, où sa bouche s'est pincée lorsqu'elle s'est énervée, j'ai su. Peut-être que ce n'était pas elle, tout compte fait. Peut-être que je me suis leurré, que j'ai imaginé voir en elle quelque chose qui n'existait pas. Peut-être que je me suis trompé sur toute la ligne. Pourtant, je ne cesse d'espérer, d'attendre. Je continue mon bout de chemin en espérant que le sien traverse ma route.

— Tout le monde dit ça, souffle-t-elle.

Elle s'écarte de moi et je m'en veux d'avoir dit ça. En soit, les mots n'ont aucune valeur quand les actes existent. Mais c'est ce que je pense, au fond de moi. Bianca n'est pas seulement la princesse d'Ecclosia, ou une quelconque fille sur laquelle je tomberais sous le charme. Bianca est une œuvre d'art à elle-même, et c'est que je me tue de lui faire ressentir. Les quelques tâches de rousseur sur son visage sont une constellation à eux-mêmes. Ses cheveux blonds représentent le soleil, les champs de blé, l'été, la douceur. Cette fille est un ange. Une divinité. Une sculpture que je graverais.

— Tu as le droit de m'en parler, lui dis-je. Comme tu peux aussi ne pas m'en parler. Dans les deux cas, je respecterai ta décision, mais je veux juste que tu saches qu'en parler aide à extérioriser. Et cela t'aidera aussi à aller de l'avant.

— Cela fait bientôt un an que je tente d'aller de l'avant, Will, murmure-t-elle en s'asseyant sur son lit. Et pourtant, j'ai l'impression que les choses empirent. Il y a des nuits insoutenables, des nuits où j'ai le sentiment de manquer d'air, d'étouffer. J'allais mieux, jusqu'à maintenant.

Je m'assois sur le lit opposé et pose les mains sur mes cuisses. Son regard m'évite, ses yeux sont fuyants.

— J'avais peur de la course des chevaux alors je me suis éloignée. Je pensais vraiment qu'ils venaient pour mon bien, les soldats, tu sais. Mais ils m'ont juste emmenée en Enfer. C'était deux semaines de pure torture. Lord Herndon est un homme répugnant, qui n'a eu aucune pitié et aucune humanité. Je me demande bien comment il peut se regarder dans le miroir tous les matins.

Je me lève, m'assois à côté d'elle. Je saisis sa main et ses yeux daignent enfin me regarder.

— Ces hommes-là ne sont pas des hommes, dis-je d'une voix douce. Personne ne mérite ce que tu as subi, sur toutes les échelles possibles. Tu es une femme extraordinaire, Bianca, quelque soit les choses que tu aies vécu. Tu es magnifique, splendide du matin au soir et incroyablement forte.

Bianca rit, mais d'un rire amer.

— Tu dis que je suis forte mais je continue de me faire du mal. Tu dis que je suis forte mais je n'ai même pas su me défendre face à cette brute. Je n'ai même pas réussi à sauver ma dignité, ma vertu.

— Ta dignité n'avait pas à être sauvé, soufflé-je. Lord Herndon est le seul fautif, le seul coupable dans cette histoire.

Je me lève, lui tend la main. Elle fronce les sourcils avant de la saisir.

— Qu'est-ce que tu...

— Tu veux apprendre à te défendre ? demandé-je avec un petit sourire.

— Non, réplique-t-elle farouchement.

Et elle lâche ma main mais je glisse mes doigts entre les siens, l'attirant à moi. Bianca semble surprise lorsque son visage se retrouve à quelques centimètres du mien. Je vois ses yeux alterner entre les miens et ma bouche et cela fait redoubler mon sourire.

— Je ne sais pas me battre, marmonne-t-elle.

— Là est tout l'intérêt d'apprendre.

Elle mime une grimace en m'imitant et je m'écarte un peu d'elle. L'espace dans la place est suffisant pour apprendre quelques enchaînements. En espérant que cet imbécile de Rewind ne débarque pas à tout moment ruiner ces quelques moments entre nous. Il nous a déjà volé trop de choses.

— Je te conseille d'être toujours sur ton pied d'appui. Quand tu sens que ton agresseur est plus rapide et fort que toi, ne te laisse pas déstabiliser. Mets-toi en garde, protège-toi avec tes poings et pare. Défends-toi, tu devras saisir une occasion inattendu pour surprendre ton ennemi.

Elle fronce les sourcils en plaçant ses petits poings devant son visage. Elle est tellement mignonne que je...

— Un peu plus comme ça...

Je lui fais redresser ses mains, les écartant l'une de l'autre. Je recule ensuite et mime une scène d'attaque qui pourrait se produire. Bianca semble concentrée lorsque je lui donne toutes les instructions à suivre. Elle pare, se retire puis revient à la charge. Tente de me frapper à l'épaule mais je pare. Tente de me frapper dans le ventre mais je contre-attaque. Elle est rapide, je le suis plus. Elle est légère, je suis plus grand. Elle est plus forte qu'elle n'y paraît. Elle tourne autour de moi, en garde, les yeux fixés sur un objectif : m'atteindre.

Ses cheveux virevoltent alors qu'elle s'approche, baisse sa garde et se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ma joue. Hypnotisé, je la vois reculer et sans rien comprendre, elle m'atteint. Elle me touche. Son poing s'enfonce sur mes pectoraux, et elle bondit ensuite, euphorique.

— Eh... C'était de la tricherie, pure et dure, marmonné-je.

Elle mime une danse de la joie puis me tire la langue telle une enfant. Cette image d'elle me fait sourire en même temps que je lève les yeux au ciel :

— Les femmes sont des sorcières...

— On reprend ? demande-t-elle, la joie de vivre au visage.

Les minutes s'enchainent puis bientôt les heures et ce, pendant toute une partie de la nuit. Je lui apprends de nombreux enchaînements et techniques de défenses. Les doigts dans les yeux, griffer le visage de son adversaire, le genou dans mes parties génitales, un tas de techniques efficaces et que j'ai déjà pu utiliser par le passé et qui ont fonctionné. Sur le long terme, elles ne sont pas efficaces mais elles permettent soit de s'enfuir, soit de gagner du temps.

Il est deux heures du matin lorsque Bianca s'effondre dans son lit, en soufflant, épuisée.

— On devrait remettre ça, lance-t-elle.

J'acquiesce en m'allongeant dans mon lit, les yeux rivés au plafond.

— Ma mère n'aurait pas approuvé, poursuit-elle. Elle dirait que ces activités ne conviennent pas à une princesse de mon rang. Je serais censée faire honneur, savoir utiliser la bonne fourchette à dessert, ne pas poser mes coudes sur la table, sourire, être polie et courtoise et avenante avec les inconnus. J'aurais dû les rendre fiers, trouver un époux convenable qui me traiterait comme une reine.

Un silence s'écoule. Elle ne m'a jamais parlé de sa mère, ni de son père d'ailleurs. Bianca a toujours été très discrète sur sa vie et sur son passé.

— Et tu sais utiliser la bonne fourchette à dessert ? demandé-je, le sourire aux lèvres.

Elle se redresse, me fusille du regard comme si ma question était d'une débilité absurde.

— Je connais l'utilité de chaque couvert, de chaque ustensile existant sur cette terre. Je suis une fille de bonne famille, je pourrais t'interpréter une danse ou encore te dire quelle tapisserie irait avec quelle genre de chaise. Je pourrais te parler de forêts, champignons et écureuils tant on m'a lobotomisé la tête avec ces livres stupides dès l'âge de cinq ans.

Elle se rallonge brusquement en soufflant, exaspérée. Je me tourne vers elle et c'est en souriant de toutes mes dents que je demande :

— Tu sais danser ?

— Non, riposte-t-elle.

— Menteuse. Danse pour moi.

Je vois ses joues virer au rouge alors qu'elle croise les bras sur sa poitrine.

— Hors de question.

— Très bien.

Je reprends ma contemplation du plafond alors qu'elle s'énerve :

— Tu n'insistes même pas ?

— Tu ne veux pas, pourquoi j'insisterais ?

Je la vois réfléchir, froncer les sourcils devant mon attitude qui lui paraît plus que suspecte. Alors, elle se lève. Se place au milieu de la chambre. Je coince mes bras derrière la tête, un sourire aux lèvres en la dévorant des yeux.

— Je danse seulement si tu fermes les yeux.

— Quel est l'intérêt ?

— Très bien, pas de danse.

Je soupire avant de clore mes paupières. Puis cinq secondes plus tard, je les rouvre. J'ai devant moi une Bianca d'une beauté saisissante. Elle dévie le lois de la gravité en dansant d'une manière incroyable. Ses bras se tendent au-dessus de sa tête, ses jambes s'étendent au sol, son cou se tend. Sa peau paraît si douce que je meurs d'envie d'y glisser mes doigts, de la découvrir, de lui apporter ce dont elle aurait besoin.

Bianca joint son regard au mien. Ses cheveux font rideau autour de son visage et elle ne détache pas ses yeux des miens. Je sens une vague de chaleur fondre dans mon corps, me noyer l'estomac. C'est donc ça, l'Amour ? Une sensation de plénitude lorsqu'elle vous regarde, des papillons dans le ventre en permanence, le cœur battant à mille à l'heure en sa présence ? J'ai la sensation que rien ne peut m'atteindre en sa présence, que peu importe les choses que je subirai, je vivrai pour elle. C'est comme si je voulais son unique bonheur, son élévation. Je veux la voir grandir avec moi.

— Bianca, m'entends-je souffler.

Elle s'arrête. Toujours assise au sol, ses jambes s'étendent devant elle. Elle porte un simple t-shirt qui suffit à me rendre incontrôlable maintenant. Bien qu'avant cela ne me faisait pas le même effet...

— Ce sont juste quelques pas, déclare-t-elle, rien de parfait mais tout reste améliorable comme dirait Eileen.

Elle se laisse alors tomber au sol et pousse un soupir. Un silence s'écoule, un silence d'interrogations, de questions en suspens. Si j'ai été le seul à ressentir cette tension entre nos deux corps, je ne pourrais plus assumer mes sentiments. C'est impossible que Bianca ne ressente pas la même chose que moi, impossible qu'elle soit aussi neutre face à moi.

— Je suis désolée pour tout à l'heure, dit-elle. J'ai menti, tu sais. Fut un temps où je t'utilisais peut-être pour aller mieux, je l'ignore encore. Mais tu es quelqu'un de bien et tu comptes pour moi, William. Peu importe ce que j'ai dit et ce que Rewind affirmerait, tu es cher à mes yeux.

Je ne réponds pas. Sûrement parce que cette seule information suffit à me rendre pleinement heureux. Dans le fond, les choix de Bianca ne comptent pas tellement. Son bonheur est ma seule préoccupation pour le moment.

— Tu penses qu'on arrivera à reprendre Ecclosia ? rajoute-t-elle. J'ai peur, tu sais... J'ai peur de le revoir. J'ai l'impression que c'est en partie pour ça que je vais mal en ce moment. Je pressens des choses, et rien de bon.

Bianca se redresse, s'avance vers moi. Mes yeux se posent sur les dizaines de cicatrices ornant ses bras et je lui tends ma main.

— On y arrivera, je te le promets. Tout rentrera dan l'ordre.

— Et si l'un d'entre nous... et si l'un d'entre nous se fait tuer ?

Elle saisit ma main et s'allonge à mes côtés, sa poitrine pressée contre la mienne, sa tête nichée dans mon cou.

— Personne ne mourra, Bianca, murmuré-je.

Je caresse ses cheveux d'un mouvement lent puis répète encore et encore mes mots, la berçant contre moi. J'ignore si elle dort lorsque je chuchote, tel un secret :

— Si je meurs, sache au moins que je t'aurais aimée du plus profond de mon cœur. Et je continuerai de t'aimer pour l'éternité.

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