Chapitre 39

Nous avons accosté à Lutheryan, une petite ville connue pour son port et ses nombreux bars et où la moitié de ses habitants s'y rend pour se soûler. Je me suis déjà rendue ici avec mes parents il y a longtemps pour les produits locaux et aussi parce que son maire était un ami proche à mon père. J'ai toujours trouvé la cité bruyante. De là où je me trouve, on peut apercevoir les marins décharger du poisson en tout genre, les courtisanes se baladant sur les quais pour draguer n'importe quel passant voulant bien de l'une d'entre elles. Ou encore des enfants chahuter dans les bas de leur mère, l'un tirant la langue à un autre.

Le ciel se charge de nuages noirs et il risque à tout moment de pleuvoir. Le regard balayant l'horizon, mes yeux tombent sur William qui feuillette un journal d'une quelconque librairie. Il a l'air concentré, si bien que je me demande s'il n'est pas en train de récolter des informations sur la situation du pays ici. Ecclosia, à feu et à sang. D'après les dires de Lorcan. Celui-ci chaperonne ma sœur avec Ander, les trois se baladant le long du marché. Et aucune trace de Rewind pour le moment. J'hésite entre le haïr du plus profond de mon cœur et continuer à l'aimer. Il s'est montré odieux avec William même si je sais bien que tout est de ma faute. Je suis incapable de choisir entre deux hommes, tous deux l'exact opposé de l'autre. Ils m'apportent chacun quelque chose dont j'ai besoin. L'un du réconfort et des paroles sages, l'autre tente de ramener l'ancienne Bianca sur la barque. Malheureusement, j'ignore si elle n'est pas déjà partie.

Lassée, je m'éloigne du port bruyant pour emprunter une petite ruelle. Eileen nous a dit que nous resterions ici pour la nuit. Elle s'est déjà occupée de prendre trois chambres dans une auberge. J'espère bien que les gens ne nous reconnaîtront pas. À dire vrai, le visage d'Eileen n'a été que très rarement vu dans les journaux et moi, je suis la petite sœur qu'on connaît seulement de nom. Eileen s'est fait un nom à Lucrenda, quelle triste ironie. La parfaite inconnue de son propre pays. Et puis, il faut dire que peu de gens s'en vont acheter le journal. Les gens sont gouvernés sans se soucier réellement de qui s'assoit sur le trône.

Mes pieds m'amènent directement dans un bar bondé comme jamais. J'ai à peine passé la porte que je suis bousculée par un homme de deux mètres. Il me fusille du regard en sortant de la taverne et je me crispe. J'avance, sans me laisser démonter et rejoins directement une table. Je me laisse choir sur le siège, épuisée. J'ai un mal de crâne absolument affreux. C'est comme si tout autour de moi me donnait la nausée, comme si je n'avais plus la force de réfléchir, d'être sensée.

— Cette place est déjà prise, roucoule une voix à côté de moi.

Je tourne la têt pour croiser le regard bleutée d'un homme. La trentaine, l'air séduisant et charmeur, il me sourit de ses dents blanches. Une femme s'accroche à lui, les yeux dans le vague, comme si elle n'était plus maître de ses actes. D'ordinaire, je fuirais devant ce genre d'individu. Et pourtant, je n'en fais rien. L'homme me tend un bâtonnent rigide, où s'échappent quelques nuages de fumée. Son regard se fait malicieux alors qu'il me le tend :

— C'est de la bonne, je peux te l'assurer. Tu verras le monde bouger après ça et les couleurs te sembleront plus vives.

— Ça fait partir les traumatismes aussi ? demandé-je, détachée.

Il ne s'inquiète pas de mes propos. Il s'en fout, je le sais. Il veut juste me voir tirer dessus et plane pendant des heures à ses bras comme le fait déjà la femme à côté de lui.

— Ça enlève la douleur, joli cœur. Tu ne ressentiras que du pur plaisir. Tu sentiras l'adrénaline couler dans tes veines, s'insinuer dans tes poumons. Tu te sentiras plus vivante que jamais.

Pour souligner ses propos, il tire dessus. Laisse échapper la fumée par ses narines. Il m'en faudra plus d'une pour être totalement stone, alors sans me soucier des conséquences, je tire dessus à mon tour. Puis il nous commande des verres, et la femme à côté de lui s'en va, me laissant seule avec cet inconnu.

• • •

Il s'appelle Sammy et il a trente-cinq ans. Ou trente-six, j'ai oublié. Il m'a déballé toute sa vie mais j'ai zappé la moitié de ce qu'il m'a dit. Il a peur des requins, j'ai retenu ça. Et il aime boire et fumer.

— Étonnant, lui réponds-je en riant aux éclats.

Je suis bourrée. Et peut-être stone aussi, un tout petit peu. J'ai fumé deux ou trois bâtons qu'il m'a tendus. Ou quatre.

— Alors alors, Blanche, à ton tour ! raconte-moi ta vie.

— C'est Bianca, chuchoté-je comme si je lui avouais un secret. Mais Rewind m'appelle Bee.

— Qui est Rewind ?

Il a l'air plus investi que moi dans la conversation. Sammy est un bon dévidoir.

— Un connard. William aussi, d'ailleurs ! Ils veulent tous les deux mon cul, mais moi, je dis... non ! Enfin, oui. Mais je ne peux pas... J'ai des traumatismes ! Enfin un particulier. On m'a volé la chose la plus précieuse que j'avais...

Sammy éclate de rire et moi aussi. Même si ce n'est pas drôle. Ce ne sera jamais drôle.

— Les hommes sont tous les mêmes, tu sais, soupiré-je.

— Moi je suis différent.

Il est fade. Il n'a aucun éclat, contrairement à Rewind ou William. Il me parle mais je ne prête même pas attention à ce qu'il dit. Il m'amuse seulement.

— Ah oui ? ronronné-je.

Cette personne n'est pas moi. Et pourtant, je reprends une gorgée d'alcool avant de tirer de nouveau sur le bâtonnet. Il a raison. Les couleurs sont plus vives.

— On t'a déjà dit que tu es super belle ? murmure-t-il près de mon oreille. Tes yeux racontent une histoire. C'est comme si tu avais vécu un milliard de choses.

Il m'endort. Je le laisse me saisir par le cou pour rapprocher mon visage du sien. Je ne réagis même pas lorsqu'il pose ses lèvres sur les miennes. J'ai l'impression que je ne peux rien faire, que je suis prisonnière. Je n'ai pas d'énergie. Il pourrait faire ce qu'il voudrait de moi, je n'aurais pas la force de le repousser. Sa langue caresse mes lèvres du bout, et je le laisse me dévorer la bouche. Il me répugne, mais je ne sens rien. Mon cerveau ne répond plus.

Lorsque du coin de l'œil, je regarde sur ma gauche, je découvre Rewind, assis dans un canapé, une fille de chaque côté. Ses yeux sont posés sue moi, et je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions, que je le vois embrasser la fille sur sa gauche à pleine bouche. Une blonde. Comme moi. La brune de l'autre côté lui caresse le bras et je me sens révoltée. Mais je ne peux pas bouger.

Sammy s'agace et sa main se referme autour de mon cou. Il me fait me lever, les yeux noirs et je ne comprends pas.

— Tu n'es pas réactive, s'impatiente-t-il. Voyons ce qu'il se cache derrière cette robe.

J'ai envie de crier, de partir en courant mais je ne peux pas. Il me saisit toujours par le cou et m'emmène à l'arrière du bar, indiquant au barman qu'il en a pour seulement une quinzaine de minutes. Il me plaque alors contre le mur, et je reste stoïque. Il y avait quelque chose dans ses bâtonnets, comment ai-je pu être aussi idiote ! Les larmes roulent sur mes joues alors qu'il m'étrangle presque, et que sa bouche fond dans mon cou. Je suis impuissante. Cette pensée me terrasse.

— Lâche-moi, soufflé-je.

Il se contente d'éclater de rire avant de tirer sur mon chemiser, dénouant les lacets de devant. Je veux hurler mais je n'y arrive pas. Ma gorge se serre, les larmes inondent mes joues. Il est à quelques centimètres de me mettre à nue, il jubile devant mon expression.

Et c'est pile à ce moment que la porte s'ouvre d'un coup, et qu'il est projeté contre le mur en face de moi. William déboule, l'air toujours aussi concentré. Il laisse l'autre déchet tenter de se relever et il me saisit par le bras avant de sortir de ce petit cagibi.

— Partons d'ici.

Je suis toujours incapable de répondre. En deux temps trois mouvements, nous sommes à l'extérieur et j'ai enfin l'impression de pouvoir respirer. William scrute les alentours et je me rends compte qu'il fait nuit noire. Qu'Eileen et les autres sont sûrement déjà à l'auberge.

— Bianca, tu as été inconsciente. Il n'y avait pas que de l'éphalis dans ces bâtonnets.

— De l'éphalis ?

Je reprends peu à peu mes esprits mais je me sens toujours aussi molle et sans énergie. William m'explique alors :

— L'éphalis est une drogue cultivée en pleine mer. Tu as sûrement eu l'impression de te sentir plus vivante, que le monde te paraissait plus coloré. Si tu prends de l'éphalis avec de l'aglys, tu n'es plus maître de tes actes. Cette drogue est utilisée pour abuser de filles perdues comme toi. Le seul remède à ce truc est l'air frais, et du repos, beaucoup de repos. Je n'imagine pas la tête que tu auras demain.

— Je ne suis pas perdue, répliqué-je d'un ton sec.

William hausse un sourcil avant d'observer de la tête aux pieds. Il s'approche alors de moi et saisit les lacets de ma chemise. Il commence à les nouer, d'un mouvement lent puis il arrange ensuite ma robe.

— Tu es perdue Bianca, soupire-t-il. Tu ne sais pas ce que tu veux, tu ne sais pas comment avancer. C'est totalement normal avec ce que tu as vécu, mais tu dois apprendre à contrôler tes émotions. Elles sont en train de te consumer de l'intérieur et je ne serai pas toujours là pour te sortir du pétrin. Regarde comment Rewind n'en a eu que faire de tes mésaventures avec cet homme.

— Je sais, il était trop occupé à laver la bouche d'une autre fille, marmonné-je, pas besoin de me le rappeler.

William hausse les sourcils, mi-surpris, mi-consterné.

— Vous avez tous les deux une relation étrange. Comment peut-il se permettre d'agir ainsi quand tu vas mal ?

— Parce que toi tu serais là pour moi, blabla...

— C'est la moindre des choses. Maintenant, nous n'avons jamais été ensemble. Tu ne bénéficieras jamais de mes services hors-normes.

Il sourit avant de me tendre la main.

— Rentrons, il se fait tard.

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Hey !

Je poste dès que j'ai un chapitre d'avance (j'en garde 3 en stock à chaque fois donc je pourrais pouvoir poster 1 ou 2 chaps par jour pendant les vacances)

J'espère toujours que la suite vous plaît, n'hésitez pas à voter et à commenter ! <3

Bizz bizz

❣️

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