Chapitre 35

PDV Bianca :

Mes bras me font si mal que je peine à tirer sur les rênes de mon cheval. Rewind me précède tandis que William mène la danse. Il nous reste quelques centaines de mètres avant de rejoindre le palais et à chaque mètre effectué, je m'en veux un peu plus.

Je m'en veux parce que j'ai craqué. Je m'en veux parce que je n'ai pas su rester forte et qu'en voyant Rewind, un torrent d'émotions m'a saisie à la gorge. Je m'en veux parce que j'ai beau paraître, je ne suis pas. Je n'avance pas. Je reste bloquée devant une impasse, je suis en lutte permanente pour reprendre ma respiration. Et rien ne m'aide. William ne m'aide pas. Je me berce d'illusions.

— Il y a quelqu'un au loin ! s'exclame William devant nous.

Je plisse les yeux. Un cheval fonce droit sur nous et d'ici, j'ai du mal à deviner le cavalier. Non, actuellement ils sont plusieurs. Nous continuons notre route au fur et à mesure que les silhouettes se dessinent avec plus de précision. Je reconnais Lorcan à l'avant du groupe ainsi qu'Ander et Eileen derrière lui. Je grimace en les apercevant et tente en vain d'apaiser la tension dans mes avant-bras.

Les trois s'arrêtent à notre hauteur et Lorcan est le premier à prendre la parole :

— Nous étions partis à votre recherche.

William descend de son cheval, suivi par Eileen, Ander et Lorcan. Rewind et moi sommes les deux seuls imbéciles à rester en selle. Je tente seulement de cacher mes griffures parce que si Eileen les voit, elle risque de me faire la morale et encore une fois, de me lancer un regard de pitié.

— Bianca va bien ? demande ma sœur.

— Plus que bien, répond William avec un demi-sourire.

Ils parlent de moi comme si je n'étais pas là. Je me retourne pour jeter un rapide coup d'œil à Rewind et je le surprends en train de me fixer. Il ne détourne pas le regard, au contraire, ses yeux prennent soin de ne rater aucune parcelle de ma peau. J'ai l'impression d'être mise à nue alors qu'il se redresse, dévisage ma poitrine et mes bras. Nos regards s'emmêlent et s'entremêlent en même temps que le reste du monde s'efface autour de moi. Je me perds dans la beauté de ses yeux, j'ai l'impression que je pourrais m'effondrer, son visage resterait imprimé dans mon esprit à l'ancre indélébile.

Le retour à la réalité est aussi brusque qu'intense lorsque William apparaît devant moi. Beau comme un dieu, j'aurais tellement aimé qu'il soit assez. J'aurais voulu du plus profond de mon cœur qu'il me suffise. Il est tout ce que j'ai toujours rêvé et je ne peux pas ignorer mon cœur qui s'emballe à chaque fois qu'il me regarde mais pour autant, je n'arrive pas à oublier Rewind.

— Bianca, tout va bien ?

Je cligne plusieurs fois des yeux. Tous me fixent. Je hoche la tête en descendant de mon cheval et Lorcan prend la parole, coupant court aux quelconques interrogations concernant mes bras :

— Ander et moi avons mis un plan en route. Malheureusement, Sa Majesté et Son Altesse Royale ne peuvent y être conviés. Il s'agit d'une affaire d'état et votre protection est là mon devoir premier.

Je me redresse, descends de mon cheval et me reprends en main.

— Je n'en ai que faire de votre devoir, Eileen et moi y seront.

Lorcan semble pris de court et William tente de me raisonner :

— Enfin, Bianca... Le but est de reprendre ton pays, mon armée interviendra et nous serons les premiers sur le champ de bataille.

— Tu ne sais même pas te battre, lance Rewind en jetant un coup d'œil à ses doigts.

— Parce que j'ai besoin de savoir me battre pour me sentir concernée ?

— Tu peux te sentir concernée tout en allant poser ton joli postérieur sur un canapé à Imir, et en attendant sagement que les choses se fassent.

Le Rewind moqueur et insupportable est de retour. Il me lance un regard noir en même temps que j'ouvre la bouche, choquée de ses propos.

— De quel droit te...

— Assez ! intervient Eileen. Bianca et moi nous joindrons à vous, peu importe vos avis. Lorsque j'étais emprisonnée l'année dernière, vous étiez tous prêts à m'aider. Maintenant qu'Ecclosia est entre les mains de notre soi-disant oncle décédé, il en va de soi de venir représenter notre nation !

— C'est idiot, Eileen, reprend Rewind, et tu le sais aussi bien que moi. Vous risquez toutes les deux de vous faire tuer, et encore plus Bianca qui a dû subir son psychopathe d'oncle l'année dernière. Tu ne crois pas qu'elle serait sa première motivation ? Il veut la récupérer et la faire souffrir pour s'être enfuie, surtout depuis que lord Herndon n'a pas pu toucher un seul sou de votre fortune familiale.

— Il a raison, renchérit Ander.

Eileen le jauge d'un air mauvais. Si Ander n'est pas à ses côtés, elle capitulera et nous serons deux idiotes à rentrer au palais. Je refuse que cela arrive !

Pourtant, Ander reprend :

— Mais nous serons là pour les protéger. Eileen m'a moi et Bianca a William.

Rewind tique, comme je l'avais prévu et il ne peut s'empêcher de riposter :

— William ne pourra pas protéger Bianca lorsqu'il devra se démener contre les gardes d'Ecclosia avec un poignard dans la main !

— Alors tu la protégeras, cela revient au même. Dans tous les cas, nous devons respecter leurs décisions. Si elles souhaitent nous rejoindre, et bien soit.

Un silence résonne entre les arbres de la forêt. Eileen est la première à remonter à cheval et nous lance :

— Et bien alors ? Allons-y ! Plus nous attendrons, plus nous perdrons du temps.

Ander l'imite, suivi par Lorcan et William. Je lève la tête vers mon cheval et m'apprête à le monter lorsque je m'arrête. Les autres ont déjà pris de l'avance et Rewind est seul, là, à m'attendre.

J'ignore son regard pesant sur moi et monte ma jument. Je tire les rênes dans un mouvement brusque mais elle n'avance pas. Aucun bruit, elle ne bouge même pas. Je grimace, répète le geste mais rien n'y fait.

— Ta jument est fatiguée, Bee.

C'est Rewind qui vient de parler. Lassée, je descends de mon cheval, libère les rênes pour la laisser partir. Elle retrouvera bien son chemin par elle-même. Je commence à marcher sur le chemin, et ce sous le regard amusé de Rewind.

Alors bientôt, je ne tiens plus. Je me fige, lève la tête vers lui et m'exclame :

— Quoi ?

— Tu comptes marcher sur des dizaines de kilomètres ?

Je brûle d'envie de lui brandir mon majeur mais je m'abstiens.

— Non, je vais rejoindre William et monter avec lui.

— William est déjà loin.

Et il a raison. J'ignore pourquoi, mais William m'a complètement abandonnée et les autres sont déjà loin devant. Alors sans un mot, je continue ma route, suivie de près par Rewind.

— Monte, Bee. Ne fais pas ta tête de mule.

— Plutôt mourir que de devoir monter avec toi.

Je l'observe du coin de l'œil. Son dos est parfaitement droit et ses muscles sont parfaitement dessinés. Il porte un veston blanc orné des couleurs d'Imir : le rouge et le doré. Ses bottes noires sont bien cirées et remontent à mi-mollet, dévoilant des jambes galbées. Cet homme a été taillé dans la pierre.

— C'est idiot et tu le sais aussi bien que moi. Au pire, tu feras deux kilomètres et tu nous retarderas, au mieux tu rentreras à Imir à pieds. Tu peux juste décider de monter avec moi et de mettre ta colère de côté.

Je m'arrête net et lève les bras au ciel.

— Ma colère ? Parce que tu crois que je suis en colère ?

Je suis furieuse. Je bouille de l'intérieur, je le hais un peu plus chaque jour. Il s'arrête aussi et ses yeux rencontrent les miens. Il finit par pousser un soupir, comme lassé de cette situation :

— Nous nous sommes déjà expliqués, Bee. Tu m'as dit ce que tu avais sur le cœur, j'ai fait de même. Alors oui, je l'interprète comme de la colère. Tu es incapable de mettre tes sentiments de côté pour monter avec moi.

— Arrête de m'appeler Bee, bon sang ! Il est là le problème, Rewind. Tu prétends avoir tourné la page, et tu as le culot de me demander de le faire aussi. Mais quand je me décide à tenter quelque chose avec William, tu ressens le besoin permanent de prouver ta valeur ! Comme pour le combat de cette nuit. Comme pour tous les regards que tu me lances, comme pour les robes que j'ai essayées. Je l'ai vu à ta manière de me regarder. Tu es un piètre menteur.

Il descend de son cheval, aussi furieux que moi. Il s'approche alors de moi et je recule. Je recule mais il continue jusqu'à me pousser en-dehors de la route. Je le fusille du regard et ma voix se brise lorsque je rajoute :

— Tu es incapable de me laisser partir. Tu es incapable de me voir avec quelqu'un d'autre, de me laisser avancer. Et tu n'as pas le droit !

En à peine quelques secondes, il comble la distance entre nos deux corps. Je donnerai tout pour revenir un an en arrière et partir avec lui. Il aurait su m'épauler, me comprendre. J'aurais réappris à m'aimer avec lui, j'en suis certaine.

Hélas, il est trop tard.

— Tu as raison. Je suis incapable de te laisser partir.

Son souffle s'écrase sur mon visage et ses mains saisissent mon visage d'une douceur que je ne lui reconnais pas. Sans un mot de plus, ses lèvres se joignent aux miennes.

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