Chapitre 34
Il s'apprête à me tourner le dos quand je l'interromps.
— Que dis-tu par là ?
Il se retourne une énième fois, me jauge de haut en bas avant de répliquer honnêtement :
— Ce n'est pas à moi de te raconter ce qu'elle a vécu. Je perdrais sa confiance si j'en venais à dévoiler ses secrets et c'est bien la dernière chose que je souhaiterais.
— Mais tu as besoin de mon aide, n'est-ce pas ? dis-je, faisant ainsi du chantage. Je connais mieux Ecclosia que toi, je saurai où aller. Toi, non. À part faire joujou avec tes bateaux et jouer à la bataille navale, tu n'as jamais mis les pieds sur un autre continent.
Je m'adosse contre le mur, satisfait de mon petit jeu. Et alors qu'un sourire se dessine sur mes lèvres, William n'en démord pas.
— Je ne peux pas te parler de ça. Tu dois l'entendre de sa bouche. Que tu m'aides ou non, dans les deux cas je ferai tout pour la sauver.
Sur ces mots, il ouvre la porte et sort en coup de vent. C'est pile à ce moment-là que Victoria daigne refaire surface et son regard noir se pose sur moi.
— Tu comptes y aller ?
— Le devoir m'appelle, dis-je d'un air résigné, comme si je ne pouvais pas faire autrement.
Elle me fusille sur place.
— C'est moi ou elle, tu en as conscience ? Nous avons un tournoi à gagner et un mariage à préparer ! William est déjà assez, il arrivera à la rattraper. Son aide est déjà amplement suffisante.
— Tu n'es personne pour me dire ce qui est suffisant ou non, et encore moins lorsqu'il s'agit de Bianca.
Elle se décompose une nouvelle fois. Jamais je ne lui avais parlé ainsi et c'est bien la première fois qu'elle voit mon vrai visage. Je la vois déglutir alors que j'ajuste mes manches et sa colère se propage jusqu'à moi. Je la sens remplir la pièce, l'envahir d'un sombre nuage.
— Je ne te reconnais plus, souffle-t-elle.
Sa voix n'est qu'un murmure lorsque ma main se fige sur la poignée de la porte. Peut-être parce que jusqu'ici, je n'étais que l'ombre de moi-même. Peut-être parce que pendant tout ce temps, j'ai essayé de me conforter à un rôle qui ne me correspond pas. Peut-être parce que j'ai essayé de refouler mes sentiments, en vain, tout en prétextant ressentir quelque chose pour une femme qui m'indiffère.
— Ce sera toujours Bianca.
Et j'ouvre la porte d'un brusque mouvement, laissant ma fiancée complètement brisée.
• • •
— De quel côté est-elle partie ?
William est aussi paniqué que j'essaie de paraître détendu. Nous sommes allés rendre visite au garçon d'écurie qui a bredouillé que Bianca s'était enfuie avec le cheval le plus rapide de l'étable. Par la suite, William a bondi sur un cheval au même moment où je grimpais sur le mien.
Me voilà maintenant, les mains crispées sur les rênes, le cheval galopant à vive allure. L'aube commence à pointer et j'ai beau abandonner mon regard sur l'horizon, je n'y vois qu'une forêt abondante d'arbres. Pas de trace de Bianca. Nous pourrons peut-être la retrouver à temps avant qu'elle n'embarque dans un bateau en direction d'Ecclosia.
— Pour rejoindre le port, elle devrait avoir pris la grande route à l'est. Celle longeant les champs de blé. J'ai déjà averti la garde royale d'Imir que Bianca s'était enfuie. Nous avons déjà des dizaines de contrôleurs aux frontières, elle ne pourra pas prendre la mer.
William paraît quelque peu soulagé mais son cheval continue sa course. Nous devons être les premiers à intercepter Bianca. Les soldats d'Imir ne seront pas aussi aimables que nous, surtout selon mes indications. Une princesse en fuite peut-être très mal vu à Imir, et créer des ragots et calamités dans tout le pays.
— Regarde, elle est là-bas !
Je lève la tête, plisse les yeux et mon cœur s'affole. Je la vois. Ses cheveux blonds se soulèvent et forment une énorme masse d'or dans son dos. Penchée sur son cheval, j'ai l'impression qu'elle galope plus vite que nous mais lorsque nous nous mettons à la rattraper, je comprends que non.
William se positionne sur la gauche et moi sur la droite et lorsque nous ne sommes plus qu'à quelques mètres d'elle, William l'apostrophe. Bianca se retourne vivement, l'air plus agacée qu'autre chose et lorsque son regard croise le mien, ses sourcils se froncent. Elle ne s'attend sans doute pa à me voir.
Nous n'avons pas besoin de plus pour la faire s'arrêter. Elle tire sur les rênes et je me retiens de balayer son corps du regard. C'est plus fort que moi. Son corsage creuse sa taille qui me cause des tourments chaque nuit. Bianca fait volte-face, dévoilant son beau visage rougie par le vent.
— Pourquoi diable me suivez-vous !
— Pourquoi diable t'es-tu enfuie, oui ! m'exclamé-je.
— Mêle-toi de ce qui te concerne ! crie-t-elle.
Lassée de devoir encore me disputer avec elle, je laisse le silence faire les choses. Elle croise les bras sur sa poitrine, dévoilant le haut de son décolleté et me fusille intensivement du regard quand je me mets à lorgner dessus.
— Bianca, murmure William, pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
— Bien évidemment, tu as lu la lettre. Vous vous mêlez tous les deux de choses qui ne vous concernent pas ! Alors quoi ? Vous êtes maintenant meilleurs amis pour la vie ? Fichez-moi la paix !
— On se soucie simplement de toi, rétorqué-je. Mais ça, tu sembles trop idiote pour le comprendre. Te mener directement au suicide n'est pas une solution, encore moins pour une mort inutile !
— Alors arrêtez de vous soucier de moi, laissez-moi qui je veux être et quand je veux l'être ! Si je veux mourir, c'est MA décision, si je veux revenir à Ecclosia, vous n'aurez pas votre mot à dire ! Parce que c'est MA vie !
À bout de souffle, les larmes roulent sur ses joues en même temps que William semble désemparé. Il est tellement amoureux d'elle que cela me donne envie de vomir. Je reste indifférent devant ses cascades d'eau roulant sur son beau visage mais à l'intérieur de moi, je bouillonne. Je tuerais n'importe qui la faisant souffrir pour elle, je mettrais le monde à feu et à sang s'il le fallait. Mais elle ne m'appartient pas. Elle ne m'a jamais appartenue. William s'en chargera à ma place.
Je ne me laisse pas abattre lorsqu'elle reprend à s'époumoner :
— Ce sont mes choix. Laissez-moi agir. Laissez-moi, le temps d'un instant, prendre ma vie en mains. Laissez-moi reprendre mon souffle. J'ai l'impression... j'ai l'impression que... que je n'arrive plus à respirer.
— Mais Bianca, intervient William. C'est un piège. Ton oncle –ou quelconque autre individu se faisant pour lui–, ne te laissera pas t'exprimer. Il n'y aura aucun marché d'établi, tu ne sauveras personne.
Ses yeux sont sans espoir. Je ne sais pas ce qu'elle a vécu mais elle est au bord du précipice. Elle est tellement désemparée qu'elle serait prête à se jeter dans la gueule du loup sans une once de regret.
— Je me sauverai moi. Je n'en peux plus, William. Je pensais que j'arriverais à tourner la page avec toi, mais je n'y arrive pas. Chaque nuit est un cauchemar, chaque souvenir me donne envie de mourir.
Je suis perdu. Je ne comprends pas de quoi elle parle mais je sais qu'elle a mal. Je le vois dans son regard si triste, dans ses yeux emplis de larmes. Je le sens lorsqu'elle se met à renifler et quand ses mains s'attardent sur ses avants-bras. Qu'elle se met à se griffer en profondeur. Que ni William ni moi ne prononçons un mot. Elle se fait mal et je lis un certain soulagement sur son visage. La voir ainsi me brise le cœur.
Je n'y tiens plus. Je descends de mon cheval. Bianca ne me remarque même pas, elle est bien trop occupée à se saigner. Je m'approche de son cheval, lève la tête vers elle et saisis sa main d'une douceur que je ne me reconnais pas.
— Arrête ça, Bee.
Ses larmes dévalent sur ses joues, toutes plus nombreuses les unes que les autres. Pendant un instant, je la vois. À travers ses yeux brillants, je la vois. Ma Bianca. Celle qui m'a fait sourire dès les premières secondes où mes yeux se sont posés sur elle. La Bianca qui riait sans se soucier des conséquences que son chant provoquait sur moi. La Bianca qui m'a fait tomber amoureux d'elle, encore et encore. La Bianca que j'ai aimé un peu plus chaque jour et que je continue de chérir aujourd'hui.
— Rentrons à la maison.
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