Chapitre 30

Aujourd'hui est un jour de regrets. Sans surprise, comme à mon habitude. Je fais ou dis quelque chose et le regrette dans la seconde. J'agis sans me poser de questions. Et le lendemain, j'évite tout. J'évite William, j'évite mes sentiments et j'évite surtout de montrer ce que je peux ressentir. Parce que je suis comme ça, au final.

— Quel empoté, celui-là !

Je relève la tête. Danïa s'assoit à côté de moi, les jambes écartées, sa canne dans une main, une paire de lunettes de soleil dans l'autre. Elle porte son regard au loin qu'elle finit par poser sur moi, dans un geste bienveillant. Avant même que je puisse comprendre de qui elle parle, elle me prend de court :

— Tu l'aimes bien, William, détrompe-moi ?

Une vraie curiosité s'installe et se dégage d'elle. Elle n'est ni méchante, ni malveillante, juste... intriguée. Je lutte en ce moment même pour garder les yeux ouverts et lui fournir une réponse adéquate :

— Euh... Je ne le connais pas très bien.

— Quand j'étais jeune, il y avait ce garçon... Frank ? Aucune idée, je ne me rappelle plus de son nom. J'ai eu tellement d'aventures que je ne les compte même plus ! Tout à fait ravissant, et très séducteur. J'ai toujours aimé les garçons qui se démarquaient des autres, un brin rebelle.

Elle ne finit pas son histoire. Sa main saisit sa canne et je l'interroge :

— Et alors ?

— Je l'ai rencontré via mon frère. Tous les deux s'entendaient à merveille et par conséquent, je voyais souvent Frank. Il a passé tout un été avec moi durant lequel nous étions inséparables. Enfin, bon, tu sais, j'ai toujours eu un grand caractère et cela ne m'a pas souvent réussie. Mais Frank savait me prendre, il arrivait à me comprendre.

Alors, elle semble reconnaître quelqu'un au loin et s'interrompt.

— Tu m'excuseras, je dois parler à quelqu'un.

— Mais... la fin de l'histoire ?

Elle ne répondra jamais à ma question puisqu'elle se dirige tout droit vers le roi de Meridia. Toujours aussi austère, il la daigne de haut alors qu'elle fait de grand gestes.

Je me désintéresse d'eux lorsque Lina se dirige directement vers moi. L'air joyeuse, ses cheveux noirs noués en un chignon bas, elle s'assoit à côté de moi en poussant un soupir.

— Cette épreuve aura été un fiasco total !

Et elle a raison. Il est un peu plus de treize heures et deux heures auparavant, nous étions en plein duel de culture général. Étant donné que ma culture s'arrête aux frontières d'Ecclosia, les peu de fois où nous avons utilisé le buzzer, c'était William qui donnait les réponses. Toujours aussi charmant, il m'offrait un sourire à chaque tentative ratée que j'ai effectuée.

« Ça va aller, Bianca. On vient ici pour s'amuser. » Alors il avait sûrement raison étant donné que la récompense, cette année, a changé. Sir Caster ne nous a toujours pas dévoilé la surprise mais ça m'agace. J'aimerais savoir ce que je perds. Au final, c'est le roi de Meridia et la fille aux cheveux roux qui ont gagné cette première manche. Je les ai observés tout le long de l'épreuve et ils n'ont fait que de se lancer des regards haineux. Ou de se chamailler.

Quant à Rewind et Victoria... N'en parlons même pas. Il n'a fait que la toucher et elle rire à ses blagues débiles. Je préférerais m'enterrer vivante que de devoir supporter leur comédie encore plus longtemps. Quoique... Plus les jours passent et plus je doute que cela soit mis en scène. Et si Rewind était amoureux de Victoria ? Bon Dieu... Je dois me le sortir de la tête !

— Tu as l'air pensive... C'est à William que tu penses ? m'interroge Lina.

— Pourquoi tout le monde croit que je n'arrête pas de penser à lui ? m'exclamé-je un peu trop fort.

Lina rit et j'avoue que son rire m'avait manqué. Elle finit par s'étirer puis étale ses longues jambes devant elle.

— Peut-être parce qu'il te dévore constamment des yeux ? Et que ça n'a pas l'air de te déranger.

— Eh bien, si ça me dérange, rétorqué-je.

Et je sors mon ombrelle pour me parer contre le soleil tapant.

— Ce n'est pas mal d'être désirée, tu sais, souffle-t-elle.

— Je n'ai pas envie d'être considérée comme un bout de viande à acquérir.

— Qui a dit qu'il te considérait comme tel ? Tu es peut-être l'une des plus belles princesses qu'il ait jamais vues, et il t'imagine sûrement la future mère de ses enfants.

Je grince des dents puis détourne le sujet :

— Et toi alors, avec Therys ? Tout se passe pour le mieux, j'imagine ?

Lina n'en démord pas et s'extasie :

— Il est absolument parfait. Gentil, drôle et admirable. Et ses parents m'aiment déjà !

Je ferme la bouche. Je me retiens de lui avouer qu'ils sont loin d'être ce qu'ils prétendent être. Je pourrais lui raconter mais je ne suis pas sûre que William me laisserait faire dans l'idée.

Et s'il mentait ? Et si, comme Sebastien l'avait fait avec Eileen, il inventait de toute pièces mensonges par mensonges pour me faire tomber dans ses bras ? Non... William ne ferait pas ça. Il ne serait pas comme ça. Je le connais. Je ne le connais même pas.

Alors quand je lève les yeux cette fois-ci pour chercher William du regard, quelque chose se bloque en moi. En bas des gradins, placé au centre du rond formé pour l'épreuve de ce matin, il est en pleine discussion avec son frère Therys. Tous les deux souriants, l'air rieur.

— Tout va bien, Bianca ? me demande Lina.

Incapable de déclarer quoique ce soit, je hoche simplement la tête. Mes yeux se fondent au loin, sur la silhouette athlétique de William et je me retiens, je me retiens de douter de lui.

Mais c'est plus fort que moi. Je remets tout en question.

× × ×

— Tu es prête ?

Je ne relève pas la tête. Positionnée dans une des dix entrées du labyrhtine, je me contente de fixer l'horizon devant moi.

— Bianca ? m'interroge William.

— Oui, je suis prête.

Il doit bientôt être vingt-deux heures et nous voilà parés pour la seconde épreuve de la journée : le labyrinthe.

— Pour rappel, lance voix familière, le premier couple à s'échapper du labyrinthe gagnera l'épreuve !

Sir Caster nous fait des signes derrière tandis que le public est réuni devant les entrées du labyrinthe. À peine le coup de feu annonçant le départ retentit que j'aperçois Rewind et Victoria s'élancer à vive allure dans le labyrinthe.

— Allez, Bianca !

William me saisit par la main mais je me dégage de lui aussi vite que l'éclair. Je me mets à courir de mon côté, entrant enfin dans le labyrinthe. Sir Caster a annoncé que pour corser l'épreuve, quelques pièges ont été installés dedans mais franchement, c'est le dernier de mes soucis.

Plus vite je sortirai du labyrinthe, plus loin je serai de William. Il me suit toujours derrière tandis que je tourne à une intersection pour me retrouver tout droit dans une impasse.

— Bianca, quel est le problème ? s'agace William.

Il me bloque la sortie alors que je vais pour faire demi-tour.

— Il n'y a aucun problème.

Je le dépasse, mon épaule heurtant la sienne et ce n'est que lorsque je lève les yeux vers le ciel que je réalise à quel point il fait sombre. La lune nous éclaire à peine et je me demande comment j'ai réussi à courir sans me soucier d'où je mettais le pied.

— Je vois bien que quelque chose ne va pas, relance William.

— Puisque je te dis que tout va bien !

— Bon sang, mais parle-moi !

Je le fusille du regard même si je sais qu'il me voit à peine et je me remets à arpenter le labyrinthe pour trouver cette maudite sortie. Deux couples nous ont dépassé depuis que je suis entrée dans cette impasse et j'ai conscience que les secondes nous sont comptées.

— Bianca...

Je l'ignore. Bianca par-ci, Bianca par-là, et Bianca dis-moi quel est le problème et Bianca qu'est-ce que tu es belle... J'en ai marre, moi !

— La Bianca ivre était beaucoup plus courtoise que celle en face de moi actuellement ! s'exclame-t-il alors que je m'enfuis.

Je n'ai pas le temps de faire plus de deux mètres que je me prends les pieds dans un filet. C'est donc ça les maudits pièges dont parlait Sir Caster ? C'est tout à fait absurde !

Agacée, je me dépêche d'enlever ces maudits filets qui nouent mes chevilles mais dans mon élan, je les emmêle encore plus. Je claque ma langue contre mon palais alors que mes doigts s'actionnent plus vite sous le regard de William.

— Merde !

— Une princesse n'est pas supposée jurer, remarque-t-il.

Les bras croisés sur sa poitrine font ressortir les muscles de son torse et je réplique :

— Qu'est-ce que j'en ai à faire ?

— Rien, je suppose. Besoin d'aide ?

— Non !

Sauf que si, j'ai besoin de son aide. Je n'arrive pas à les démêler et j'ai beau tirer dessus, rien n'y fait. J'ai aggravé mon cas et j'ai formé plus de nœuds qu'au départ.

— Très bien. Nous allons encore perdre cette épreuve.

— Tu crois vraiment que c'est ce maudit tournoi qui m'importe au-delà de tous les problèmes que j'ai dans ma vie ?

Et je me suis emportée. Je m'emporte encore de la même manière que je l'ai fait l'autre jour avec Rewind sur la plage.

Et je ne me reconnais pas. Je ne reconnais plus la Bianca de l'année dernière, je ne reconnais plus la petite fille que j'étais, celle qui souriait tout le temps sans se soucier des conséquences de ses actes.

Aujourd'hui, mon cœur se tait. J'ai mille choses à dire que je n'avouerai jamais, j'ai mille envie de faire, d'agir. D'être de nouveau Bianca.

— Je t'ai toujours dit que je serai là pour toi, souffle William en s'accroupissant. Tu ne m'écoutes pas et tu ne me parles pas. Pourquoi tu as aussi peur de te livrer ?

Un silence des plus accablants s'écoule. Des secondes longues et tardives qui tombent comme des gouttes d'or.

Je relève la tête et la vérité sort de ma bouche :

— Personne ne m'écoute. Eileen ne m'écoute pas, elle ne fait même pas attention à moi ! À chaque fois que j'essaie de lui envoyer des signaux, elle change de sujet. Elle est obnubilée par son couple. La seule personne à qui j'ai envie de parler me déteste à l'heure actuelle et est fiancé.

William se relève. Mes mots le blessent, je le perçois. Et ce n'était pas mon intention alors fébrile, je rajoute :

— Ce n'est pas que je ne veux pas te parler, William. J'ai juste peur que tu me laisses tomber comme tous les autres. J'ai attendu trop longtemps pour me confier à Eileen ou à Rewind et maintenant, ils ne sont plus là pour moi.

— Mais je suis là... souffle-t-il.

— Pour combien de temps ?

— Jusqu'à ce que tu en aies marre de moi.

— Alors ce sera rapidement fini, dis-je pour rire.

— Je suis si agaçant que ça ?

Il s'abaisse de nouveau et ses doigts effleurent mes chevilles alors qu'il se met à enlever la corde. D'un geste simple et rapide, me voilà libérée. Sauf que ses mains ne me quittent pas. Posées sur mes chevilles, ses doigts remontent lentement jusqu'à arriver vers mon tibia.

Il s'arrête, relève la tête alors que je lutte pour calmer mon cœur. Reprendre mes esprits, le repousser. Lui dire que c'est mal. Mais je ne fais rien. Je pose ma main sur la sienne et rapproche mon visage du sien. J'ai les joues qui brûlent, j'ai mal à la poitrine.

— Bianca...

Un nuage passe et dévoile de nouveau la lune. La lumière illumine son beau visage et ses yeux brillent d'un désir nouveau, un désir que je partage.

Je retire ma main et réalise deux choses. La première étant que c'est bien la première fois qu'il me touche sans que je ne me mette à paniquer. J'accepte enfin son toucher, c'est un cap que je m'étonne d'avoir passé. La seconde étant que je meurs d'envie de l'embrasser.

Nos visages sont si proches que je n'aurais qu'à bouger légèrement la tête pour combler la distance entre nos lèvres. Il pourrait faire la même chose mais il ne bouge pas d'un millimètre. Sa main remonte et touche mon genou, s'arrête sur le début de ma cuisse. Je suffoque. L'oxygène me manque.

— Tu veux que j'arrête ? souffle-t-il.

Et je ne dis rien. Mes yeux expriment ce que je n'arrive pas à dire. Ses doigts commencent alors à tracer des cercles sur ma peau et font remonter quelque peu le fin tissu de ma robe. Les feuillages me griffent le dos et j'ai probablement le derrière taché de terre mais je m'en fiche.

N'y tenant plus, je comble la distance. Mes lèvres se posent sur les siennes, ma main se cale sur son avant-bras et la douceur de sa bouche me fait réaliser à quel point je n'ai jamais goûté quelque chose d'aussi bon sur terre. M'attirant un peu plus contre lui, son autre main vient se nicher sur mon cou et nos poitrines se collent l'une contre l'autre.

Notre baiser est différent. Il est symbole de vérité, symbole de toutes les choses que je n'ose pas encore dire et de toutes celles que j'ai réussi à lui avouer.

— Nous allons perdre l'épreuve, chuchote-t-il contre ma bouche.

Et c'est entre deux baisers que je réponds :

— On s'en fiche.




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Hey !

Le prochain chapitre sortira cette semaine normalement :)

Bizz bizz

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