Chapitre 25

C'est la main tremblante que je repose la lettre sur mon lit. Pétrifiée, je n'ose pas bouger pendant quelques secondes en scrutant nerveusement le moindre mouvement autour de moi. Il faut que j'arrête d'être parano, il n'y a personne dans ma chambre, et encore moins lui. Pourquoi serait-il ma première pensée ? Je l'ai vu mourir de mes propres yeux, transpercé par un coup d'épée en plein ventre. J'ai vu la lame d'Ander s'enfoncer profondément dans son abdomen, il est impossible qu'il ait survécu.

Mon cerveau fuse à mille à l'heure. Si bien que les battements de mon cœur commencent à s'accélérer et que je suis saisis de panique, une panique qui se répercute dans chaque partie de mon corps. Une sueur nouvelle perle sur mon front et je dois m'assoir sur mon lit pour tenter de me calmer, en vain. Je suis terrifiée alors qu'il est mort. J'ai le ventre noué alors qu'il ne devrait plus qu'être un souvenir enterré.

Mais c'est plus fort que moi, je revis toutes les scènes d'horreur en boucle dans ma tête, comme pour me torturer de ne pas avoir été assez forte pendant ces moments-là. J'ai l'impression d'éclater en mille morceaux pour finir par m'étaler sur le sol. Une vague de souvenirs me fait immerger de nouveau la tête sous l'eau et cette fois-ci, je n'ai aucun moyen de lutter. Je n'ai plus aucune bouée à laquelle m'accrocher.

× × ×

— Arrêtez !

Mon cri résonne dans ma chambre en même temps que je me débats. Il est impossible pour moi de le combattre, cet homme est beaucoup trop fort. Lord Herndon ricane en s'approchant de mon visage, saisissant brusquement mes bras au-dessus de ma tête pour me bloquer. Il empeste l'alcool et la cigarette mais ce n'est pas la seule chose qui me rebute. C'est sa main tiraillant mes poignets et l'autre nichée au creux de ma poitrine qui me donne envie de lui vomir en pleine face.

— Arrêtez, bon sang !

J'ai les nerfs. Ma rage coule abondamment dans mes veines en même temps que je bats des jambes pour le repousser. Un sentiment de haine envahit mon cœur alors qu'il continue ses assauts et que sa bouche vient se poser sur la mienne. Je ne réagis même pas et sans un élan de folie, je plie ma jambe et mon genoux vient cogner dans son entrejambe. Il étouffe un grognement mais ne se laisse pas saisir par la douleur et commence à tirer mes cheveux.

— Sale garce !

Que fait Eileen ? Ne devrait-elle pas être en train de me chercher à l'heure qu'il est ? Ne devrait-elle pas déjà venir à ma rescousse ? Je veux bien admettre que le Jeu des Roses est terminé ; elle ne peut déjà pas profiter de sa balade au lac des Cylles –du moins si elle a gagné–. Si ?

Lord Herndon me gifle. Son coup fait valser ma tête d'une violence inouïe. Je n'ai pas le temps de me ressaisir que cette fois-ci, son poing se loge au creux de mon ventre. J'en reste pantelante, le souffle coupé comme si mes poumons avaient été broyés. Je suis tellement sonnée que je n'arrive plus à me défendre et que des étoiles dansent devant mes yeux.

Il en profite pour tirer sur ma chemise, dénudant ma poitrine et sa bouche descend dans mon cou. J'ai envie de vomir le reste du repas de ce soir. Il pue, il me dégoûte et je me rends soudainement compte que je pleure. Pile au moment où les ricanements de mon oncle résonnent dans le couloir. Il a parfaitement conscience de ce qu'il se passe ici mais il fait la sourde oreille. Je ne fonde aucun espoir en lui pour venir m'aider. C'est même lui qui l'a incité à venir me voir, j'en suis sûre.

— Arrête de te débattre !

Je lutte encore ? Je croyais que j'avais arrêté. Mes muscles sont tendus, vifs et sa bouche est partout, sur chaque partie de mon corps. J'émerge des coups qu'il m'a portés et je le repousse une dernière fois, en vain.

— Arrêtez, s'il vous plaît...

Mes paroles se noient dans mes pleurs et j'éclate en sanglot comme je l'aurais fait quand j'avais cinq ans. Sauf que cette fois-ci, je n'ai plus cinq ans. J'en ai dix-sept et je me fais agressée par un homme qui me donne envie de mourir.

J'ai dix-sept ans, et je me vois retirer tout ce en quoi je croyais. Mes aspirations, mes rêves, mais également ma confiance en un homme.

× × ×

Bianca ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Je relève la tête. Je m'attendais à voir William ou bien Eileen mais j'ai en face de moi un Rewind soucieux, l'air inquiet. Je pleure à chaudes larmes et je me dois de les effacer devant lui. Ma vie n'est que du paraître, elle l'a toujours été.

— Je suis dans ma chambre, peut-être ?

Ma voix tremble. J'essuie rageusement mes larmes et renifle en me redressant. Il ne bouge pas d'un millimètre alors que je pince les lèvres, me donnant un air agacé. Je dois me ressaisir.

— Ça ne marche plus avec moi, tu sais, lâche-t-il d'une voix trop douce.

Je ne comprends pas ce qu'il fait ici. Je ne comprends pas pourquoi il ne s'en va pas, pourquoi il ne me laisse pas tranquille. Parce que c'est ce que je mérite au final. J'ai bousillé ma vie à taire mes sentiments, à me laisser faire comme une idiote pendant ces maudites agressions. Finalement, je suis comme cette rose déposée sur mon lit. Fanée jusqu'à en faire tomber mes pétales par terre.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Je te signale que je viens d'annoncer à ma sœur que tu m'avais embrassé ! Elle devrait te sermonner à l'heure qu'il est et tu devrais me haïr d'avoir tout raconté.

Il s'adosse à la porte qu'il referme derrière lui et croise ses bras sur son torse. Ses biceps ressortent et je ne peux m'empêcher de le comparer à William. Il est beaucoup plus séduisant et plus attirant. C'est méchant pour le parti adversaire, mais je ne peux m'empêcher de penser cela.

En plus, il a la peau bronzée ce qui fait davantage ressortir ses yeux verts. Ses cheveux sont sûrement un peu trop longs, j'aimais bien l'année dernière quand il les avait assez courts. Il devrait probablement passer un coup de ciseaux, mais honnêtement, il reste l'homme le plus beau que j'ai jamais rencontré.

— Je ne pourrais jamais te haïr, Bianca.

— Mais c'est ce que tu devrais faire ! m'emporté-je. Je t'ai lâché comme une vieille chaussette l'année dernière, tu as refait ta vie et c'est tant mieux pour toi. Je ne peux que m'apitoyer sur mon sort, pleurer toutes les larmes de mon corps un bon coup et ça passera. J'irais mieux, mais par pitié, arrête de m'approcher.

— Tu pleurerais pour moi ?

C'est une question idiote. Et il a l'air curieux de connaître la réponse. Qu'est-ce qu'il pourrait bien tirer de cette information ? Ah ! Je sais. Flatter son ego.

— Non, c'était ironique. Je m'en fiche complètement de toi et de ta petite fiancée, je m'en fiche que tu sois parti et que tu te maries la semaine prochaine. Si tu veux tout savoir, je m'en rejouis.

Je mens comme je respire. Et cet idiot me croit. Je vois son regard s'assombrir et il se redresse un peu, penche la tête puis demande :

— Vraiment ?

Alors, je coupe le lien. D'un coup de couteau bien aiguisé, sans me soucier de ce qu'il adviendrait par la suite, je poursuis mon mensonge. Parce que c'est la seule manière pour moi de remonter à la surface et de reprendre ma respiration. C'est la seule façon de survivre après tout ce que j'ai vécu. Je protège mes remparts que j'ai dressés en lui répondant :

— Vraiment, Rewind. Fais ta vie, marie-toi, je viendrai à ce mariage avec joie. Je serai la première à vous applaudir et à sourire. Je ne t'en veux pas d'être parti. Ce que nous avons pu vivre n'est maintenant plus que du passé et on se doit d'avancer, moi avec William et toi avec Victoria.

— Bianca...

Sa voix se serre. Il a l'air secoué. Il réfléchit. Puis, il se ressaisit. Rewind est fort, Rewind est beau. Rewind ne paraît pas, il est. Il ne boira pas mon mensonge, il va réfuter et chercher à comprendre. Il s'accroche à notre lien alors que je tente de remonter à la surface.

Il me connaît mieux que quiconque.

— Tu mens, reprend-il et son visage s'illumine. Je te connais par cœur. Et je connais ces yeux-là. Je connais ce regard.

— Quel regard ?

Il se décolle du mur et s'approche de moi. Figée, je ne bouge pas. Il saisit alors mes mains et me force à me lever.

— Tu penses que m'éloigner est la meilleure chose à faire mais tu te trompes sur toute la ligne.

— Non, je ne me trompe pas. Tu es fiancé, merde ! Et j'ai une vie à commencer, tu n'as pas le droit de me retenir alors que tu es promis à une autre.

Il ne répond rien. Il me contemple, et je lis sur son visage de la déception. Il est illogique. Et il le sait sûrement. Il est comme moi, il veut ce qu'il n'aura pas. Peut-être que je l'ai entraîné avec moi, finalement ? Et que l'un comme l'autre nous essayons de remonter à la surface.

— Écoute, Rewind. Tu vas te marier et vivre une vie belle, longue et heureuse avec Victoria. J'irai bien, je te le promets. Vous aurez des beaux enfants, vieillirez ensemble et de mon côté, je serai la plus épanouie des femmes. Le monde sera parfait.

— Non. Mon monde ne peut pas exister si tu n'en fais pas partie, Bianca.

Il regrette ses mots une fois sortis de sa bouche. Je le lis dans ses yeux, je le vois à son visage. Il regrette d'être aussi sincère avec moi.

Et ça me comprime le cœur. Ça me brûle la poitrine de l'entendre dire ça. J'ai juste envie de le serrer dans mes bras à tout jamais, en le sachant à mes côtés le lendemain. Je rêve de nous voir ensemble, main dans la main. Cette réalité n'existera pas.

Il se penche pour m'embrasser mais je le repousse. Il est aussi étonné que moi et je dois me faire violence pour aller ouvrir la porte et le pousser à l'extérieur. Ses yeux se voilent et je suis à deux doigts d'éclater en sanglots.

— Au revoir, Votre Altesse.

Puis je referme la porte. Le lien coupé, je m'effondre au sol et me laisse submerger de nouveau par ces maudits souvenirs.

× × ×

— Peut-être que si tu te montrais un peu plus cordiale et gentille avec lui, il ne te traiterait pas ainsi. Tu sais Bianca, satisfaire les désirs d'un homme et ton rôle premier. Maintenant, tu en paies les conséquences.

Je lui sers le thé, les dents serrées. Je suis devenue la nouvelle domestique de maison, paraît-il. À dire vrai, pas vraiment. Oncle Ednard m'exhibe au peuple comme si j'étais un bijou de qualité et on a dû m'appliquer une grosse couche de fond de teint pour faire disparaître les bleus sur mon visage.

Il m'ordonne des choses que je fais. De toute manière, je sais ce qu'il m'arrivera si je n'obéis pas. Il me frappera et appelera lord Herndon pour venir "passer un séjour" chez nous. C'est la dernière chose dont j'ai envie en ce moment. Quand il remettra les pieds ici, je sais à quoi m'attendre. Chaque soir où il vient dans ma chambre est un combat à mener. Lutter, reprendre ma respiration, le repousser et le supplier pour qu'au final il me laisse avec quelques mains brûlantes sur la peau et quelques bleus par-ci par-là.

Il reviendra de toute manière. Mon oncle a avancé les procédures de mariage. Je serai bientôt mariée à une ordure.

— Tes parents ne t'ont pas éduquée ?

— Parce que ta mère a été éduquée ainsi ? Dommage qu'elle ait mis au monde un connard dans ton genre.

Son visage devient rouge et dans un élan de colère, il me frappe au visage. Je lâche la théière qui vient se répandre sur ma main pour la brûler. J'esquisse une grimace et mon oncle sourit, satisfait.

— Tu sais, je trouve que c'est une plutôt bonne idée de te faire épouser lord Herndon. Lui au moins, t'éduquera. Et si cela doit passer par la violence, cela se fera. Tes nuits ne seront plus aussi douces, mon enfant.

Et il saisit son téléphone pour l'appeler directement. Sans un mot, je vais pour quitter la pièce mais il claque des doigts et m'ordonne de rester ici. Il m'oblige à écouter sa conversation avec lord Herndon et je l'entends lui dire à quel point "il me manque". Lord Herndon promet de venir pour quelques jours ici et qu'il s'occupera bien de moi.

Je me liquéfie sur place et je me retiens de verser une larme. L'enfer ne fait que commencer.

× × ×

Écarter Rewind ne me permettra pas de m'en sortir. Le supprimer de ma vie n'arrangera rien. Flirter avec William ne me sauvera pas.

En l'éloignant définitivement de ma vie, je me suis condamnée. Sans le savoir, j'ai pris ma dernière inspiration.



________

heyy

le prochain chapitre sortira demain sûrement :)

bizz bizz

❤️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top