Chapitre 23
Quelques heures se sont écoulées depuis les essayages et j'ai à peine revu Rewind de la soirée. C'était la même chose pour Victoria et j'ai supposé qu'ils devaient passer des moments ensemble. Ça m'a rendu tellement jalouse que je suis restée avec William jusque tard et nous avons discuté de tout et de rien. Il m'a demandé à quoi j'aspirais dans la vie et je n'ai pas su quoi répondre.
Qu'est-ce que je veux devenir ? L'idée de demeurer une princesse écervelée toute ma vie m'agace. Je ne rêve pas non plus de mariage ou d'enfant, alors qu'est-ce que je désire ?
Rewind.
J'ai longtemps pensé que j'arriverai à m'en sortir seule dans la vie. Et je n'ai réalisé que récemment à quel point Rewind occupait une place importante dans mon quotidien. Et au-delà de ça, lui et moi nous ressemblons. Je me rappelle encore l'année dernière, une discussion que nous avons eu et qui m'a profondément marquée.
× × ×
Je suis assise au milieu de l'herbe, devant l'immense forêt de Lucrenda avec ses arbres majestueux. Il pleut des torrents et pourtant, il fait si chaud que j'enlève le châle sur mes épaules. Je le pose à côté de moi et l'observe prendre la boue. Je devrai le laver mais c'est bien la dernière de mes préoccupations.
Le Jeu des Roses commencera demain et heureusement que je n'y participe pas. Eileen fera une excellente cavalière et je suis persuadée qu'elle pourrait même gagner. Lassée, je laisse mes yeux contempler le ciel étoilé, le cœur léger, l'esprit quelque peu apaisé. Cela me fait du bien d'être ici, loin d'oncle Ednard et de ses réprimandes à longueur de journée. Peu après qu'Eileen soit partie, il m'a jurée que je ne resterai pas les bras ballants dans cette maison et une semaine plus tard, il a organisé ce mariage avec lord Herndon.
Le pire dans toute cette histoire, c'est que je n'ai pas mon mot à dire. J'ai protesté, comme à chaque fois que quelque chose m'énerve, et je pense que c'est de famille. Ma mère faisait la même chose quand mon père lui imposait ses lois. Alors je suis descendue dans le salon et j'ai crié. J'ai crié toute ma rage de me faire fiancer à seulement dix-sept ans. Et la seule réponse que j'ai pu récolter, c'est une claque en pleine figure.
Je suis tombée lourdement au sol si bien que je suis restée quelques secondes clouée, incapable de bouger. Alors mon oncle m'a donné un seul et unique coup de pied dans l'estomac qui m'a fait comprendre ce qu'était réellement la douleur physique. Je suis retournée dans ma chambre en retenant mes larmes. J'ai toujours détesté montrer mes émotions aux gens. C'est comme si je dévoilais la réelle partie de moi, celle qui n'assume pas d'exister.
Et j'ai pleuré une fois dans mon lit. J'ai souhaité sa mort, j'ai pleuré le lendemain puis j'ai de nouveau protesté et mon oncle m'a de nouveau frappée. Plus fort cette fois-ci. Plus longtemps. Et quand j'ai monté les escaliers cette fois-ci, j'ai vu flou. Je suis arrivée dans ma chambre et la seule chose qui m'a procuré un peu de bien, c'était mes griffures.
Ça me remplissait l'esprit alors que mon cœur était déjà bien vide sans Eileen.
Je sors de mes pensées lorsqu'un bruit de portière claquée retentit dans la nuit sombre. Lorsque je lève les yeux, je réalise qu'il ne fait plus tout à fait nuit. Jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, des voix retentissent et je fronce les sourcils lorsqu'un homme s'avance vers moi.
Très grand et très musclé, ses gros bras se balancent alors qu'il se rapproche. Je ne discerne pas très bien son visage d'ici mais je l'entends me demander :
— Que faites-vous là, mademoiselle ?
Je me sens alors très nue devant cet homme. Bientôt, il n'est qu'à un mètre de moi et je me laisse le regarder. Il est beau à s'en damner.
— Je n'arrive pas à dormir.
— Et vous êtes...?
— Ce serait plutôt à moi de vous retourner la question ! m'exclamé-je.
— Je suis le prince Rewind du royaume d'Imir, venu assister au tournoi de demain. Nous sommes arrivés plus tôt que prévu. Vous êtes...?
Un sourire s'étire sur ses lèvres et je le trouve pétillant. Plein de vie. Comme s'il était une grosse bouffée d'air et que jusqu'ici j'avais la tête en-dessous de l'eau.
— Bianca, je m'appelle Bianca.
Sans me demander, il s'assoit à côté de moi et son sourire étincelle dans la nuit.
— C'est un joli prénom pour une jolie demoiselle comme vous.
— Et Rewind, ce n'est pas commun.
— Vous aimez ?
— De quoi ?
— Mon prénom.
Je le jauge, l'air mauvais.
— Alors, vous aimez ?
— Non.
— Je suis touché en plein cœur, dit-il en apportant sa main à sa poitrine comme s'il était blessé.
— Je n'appelerai certainement pas mon fils Rewind, ça c'est sûr.
— Comme je n'appelerai pas ma fille Bianca. J'ai changé d'avis, ce prénom est d'une laideur ! Je comprends mieux pourquoi vous le portez.
Il m'arrache un sourire. Et Dieu sait qu'il est dur pour moi de sourire en ce moment.
— C'est dangereux pour une femme de rester ici en pleine nuit, vous savez. Imaginez un seul instant que des loups surgissent des bois et vous dévorent toute crue.
— Il n'y a pas de loups à Lucrenda, rétorqué-je.
Il me dévisage et ses yeux alternent entre les miens et ma bouche. J'ai l'impression qu'il va pour m'embrasser un instant mais il n'en fait rien. Jamais il ne m'embrasserait, qu'est-ce que je suis sotte !
— Et quand bien même il y aurait des loups, je les chasserai à mains nues.
— Ou vous pourriez appeler le grand et beau, que dis-je, le sublime et fantastique homme que je suis à la rescousse !
J'éclate de rire. Il ne manque pas d'humilité celui-là !
— Plutôt mourir que de vous appeler.
— Vous me brisez le cœur, Bianca. Moi qui nous imaginais déjà mariés avec de beaux enfants qu'on appelerait Rewinda et Rewindo.
Et nous partons lui et moi en fou rire. Je ne le connais même pas mais j'avais raison. Il est une grande bouffée d'oxygène dans ma vie.
— Alors Bianca, que faites-vous ici ?
— Je vous l'ai dit, je n'arrive pas à dormir, réponds-je simplement en levant les yeux vers les étoiles.
— Je ne vous crois pas.
— Et pourquoi donc ?
Il me sourit de nouveau et quelque chose me saisit en plein cœur. C'est comme si... Comme si je connaissais déjà cet homme. Comme si lui et moi nous étions promis l'infini, comme si nos cœurs étaient déjà liés depuis longtemps.
— Vos yeux parlent pour vous.
Un silence s'ensuit. J'ignore ce qu'il veut dire. Suis-je triste au point de porter ce nuage de détresse en permanence autour de moi ? Quoiqu'il en soit, le prince Rewind se lève et me tend la main.
— Allez, levez-vous. Vous allez me faire visiter le palais, rajoute-t-il devant mon regard interrogatif.
— Mais il fait nuit !
— Et alors ? Qui a dit que les palais devaient être visités la journée ? Surtout que celui-ci n'a pas encore reçu mon agréable présence !
— Que de modestie, vous êtes.
— Modeste est mon deuxième prénom, je ne vous l'ai pas encore dit ?
Et il me fait un clin d'œil, digne des plus gros dragueurs de l'histoire. Alors sans réfléchir, sans même penser sérieusement à ce que ce geste pourrait engendrer, je saisis sa main.
Ce geste est peut-être anodin mais pour moi il ne signifie beaucoup. Car pour la première fois depuis des jours, j'ai enfin l'impression de respirer de nouveau.
× × ×
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
Aujourd'hui, je suis assise par terre. De nouveau. Comme l'an passé. Sur ce sable chaud, mes mains restent cependant gelées. Le vent balaie mes cheveux gracieusement et je me retiens de pleurer.
Lorsque je relève la tête, mon cœur se serre de douleur. Le chagrin vient inonder ma poitrine, formant une flasque de désespoir qui menace de dévaler mes joues à tout moment.
Ce soir, ce n'est pas Rewind qui me rejoint. Ce soir, le lien enserrant nos deux cœurs se fragilise encore plus. Ce soir, je réalise enfin que je me suis trompée sur toute la ligne et que peut-être, peut-être que Rewind n'a jamais été fait pour moi. L'amour est illusoire et je n'avais jamais compris cette phrase jusque-là.
— Je n'arrive pas à dormir.
— Tiens, moi non plus.
William s'assoit à côté de moi puis m'adresse un sourire sincère. Ses cheveux sont un peu humide et d'ici, je sens son odeur délicieuse qui voyage vers mes narines. Il se rapproche un peu de moi puis je ramène mes genoux contre ma poitrine, les yeux portés vers la mer. Je n'arriverai pas à affronter son regard.
— Tu penses beaucoup, je trouve.
Je relève la tête. William rajoute :
— Parfois, les choses sont très simples. Parfois, nous empruntons des chemins différents et ce n'est pas pour le pire, Bianca. Rewind a été quelqu'un que tu as aimé et tu ne peux le nier.
Un silence prend place. Imposant, lourd de conséquences. Une larme pointe au bout de mon œil droit et vient flouter ma vision. Je désire tellement Rewind que cela en devient maladif.
— C'est juste que... Je n'arrive pas à l'oublier.
— Tu ne pourras jamais l'oublier. Tu pourras tourner la page, avancer mais il fera toujours partie d'un morceau de ta vie.
— Alors qu'est-ce que je suis censée faire...
Et j'éclate en sanglots. Parce que l'ancien Rewind me manque, parce que je ne suis rien sans lui et que je me sens vide comme une coquille. J'éclate en sanglots en même temps que mon cœur éclate en mille morceaux. Je pleure pour toutes les choses que je n'ai jamais dites, pour tous ces regrets qui me broient de l'intérieur.
Alors, William se penche et passe son bras autour de mes épaules. Je laisse aller ma tête contre son épaule et mes larmes roulent sur mes joues à vitesse grand V. Il me serre un peu plus contre lui, et pose son menton sur ma tête.
— Ça va aller, Bianca. Je suis là et je serai toujours là pour toi. Quoiqu'il arrive, tu ne seras jamais seule.
Et ses paroles me touchent en plein cœur. Alors je relève la tête, croise son regard et sans vraiment réfléchir, sur un coup de tête, je m'avance un peu plus.
Je sais qu'il n'y aura pas de demi-tour possible et je sais aussi qu'à son regard, il désire la même chose que moi. Il est le premier à combler la distance, sûrement parce qu'il sait que je n'oserais jamais pleinement m'approcher de lui ainsi. Sans crier gard, il pose ses lèvres sur les miennes et ne bouge pas.
Sa main remonte jusqu'à mon dos pour ensuite saisir mon visage et il remue les lèvres. Notre baiser est salé à cause de mes larmes mais je m'en fiche. J'ai le cerveau en compote et peut-être que je regretterai ce geste demain, peut-être que je m'en voudrais au point de l'ignorer pendant des jours mais c'est la dernière chose dont je me soucie.
Demain commencera le tournoi du Jeu des Roses. Demain, il sera sûrement mon partenaire pour cette compétition et j'affronterai Rewind et Victoria. Demain, un nouveau jour s'annonce.
Et je ne prête même pas attention à la silhouette au loin, devant le palais, tournée vers nous. Je ne prête même pas attention lorsque deux chiens foncent sur cette même silhouette pour quémander des caresses.
Notre baiser met un point final à cette page. Il est temps pour moi de commencer un nouveau chapitre.
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coucou !
j'espère que vous allez bien :)
et que le chapitre vous a plu (dites-moi surtout si les retours dans le passé ne sont pas trop dérangeants ou si au contraire c'est perturbant)
Je voulais vous dire aussi que je participe à un concours pour LJDR (tome 1) et que vous pouvez aller voter pour moi dès maintenant ! Le lien est sur mon fil d'actu ^^
Le prochain chapitre sortira demain (jeudi)
Bizz bizz
🐝❤️
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