Chapitre 6
J'ai pitié de vous, Eileen.
Mes yeux restent bloqués sur la carafe en crystal posée sur la table. Ça doit bien faire cinq minutes que j'ai le regard complètement dans le vide, anéantie. J'avais conscience que ces derniers jours, j'étais tombée bas. Mais je ne pensais pas être tombée si bas.
Après ma petite entrevue avec le roi, il a repris son chemin et j'ai pris le mien. Je suis partie me maquiller rapidement, j'ai gardé la robe rouge, car après tout, c'est la plus belle selon les dires de Bianca. Elle me tombe juste au-dessus du genou dans un mouvement fluide et est un peu fendue sur le côté droit. Elle n'est ni trop décolletée, ni pas assez, juste ce qu'il faut et le dos est clairement magnifique. De toutes les robes que je possède, c'est la plus adaptée pour aller à un restaurant chic. Pour accompagner le tout, je me suis fait rapidement un chignon et ajouté un peu de mascara et j'étais enfin prête.
Quand je suis descendue, oncle Ednard m'a prévenue que le roi était déjà parti dans sa propre limousine avec sa propre escorte. Au dernier moment, il a prévenu Bianca qu'elle ne pouvait pas venir et je l'ai haï sur le moment d'être aussi méchant. Elle s'était apprêtée et était magnifique.
Elle a soufflé puis a traité notre oncle de "connard" et est remontée dans sa chambre.
— Pourquoi Bianca n'a pas le droit de venir ? demandé-je en revenant subitement à la réalité.
Les regards de mon oncle et du roi se posent sur moi au même moment et je me racle la gorge. J'apporte la fourchette à ma bouche, observant tout autour de moi.
— Parce que ta sœur est une empotée incapable de se tenir correctement. Des deux à marier, tu es la plus sauvable, si je puis me permettre.
Je le vois qui ricane du regard. Comment peut-il dire ça devant le roi ? Et ce dernier ne réagit même pas ! Une lueur malsaine traîne dans les yeux de mon oncle et j'ai clairement envie de lui arracher ses testicules et des les montrer au restaurant tout entier.
— Avec l'âge, cela ne doit pas être trop compliqué de se trouver une femme ? C'est sûr qu'après toutes celles qui t'ont lâché, la vie doit être bien plus rude, remarqué-je en portant ma coupe de champagne aux lèvres.
S'il veut jouer sur ce terrain-là, alors jouons. Moi aussi je peux faire mal. Le roi nous observe un à un, l'air ailleurs et pensif.
— Tu t'éloignes de la conversation initiale, Eileen. Ta sœur ne peut pas venir car elle n'a pas l'âge pour prendre part à un repas d'affaires.
— Parce que tu appelles ça un repas d'affaire ? réponds-je d'un ton bas. Ça doit bien faire une heure que nous sommes ici et personne ne parle. Les affaires sont aussi médiocres que ta recherche de nouvelle femme à ce que je peux voir.
Je finis d'une traite ma coupe de champagne sous les yeux amusés du roi. Mon oncle me fusille du regard mais je m'en fiche un peu.
— Veuillez m'excuser, messieurs, j'ai besoin de me remaquiller.
Je me lève de mon siège et me dirige directement vers les toilettes où je sens le regard des deux hommes se poser sur moi. Je me retourne avant d'entrer et vois que le roi a les yeux braqués sur mon dos. La robe fait son effet à ce que je peux voir... Je referme la porte derrière moi et ferme à clef. Je contemple le visage qui me fait face dans le miroir et soupire. Je suis exténuée et à bout. J'ai envie de rentrer chez moi et de me coucher dans mon lit.
Je ne prends pas trop de temps et sors des toilettes en me dirigeant de nouveau vers la table où le roi continue de me dévisager. Où que j'aille, quoique je fasse, il me regarde et ça me dérange. Je sais qu'il me juge et qu'il doit penser un millier de choses de moi mais je ne sais rien. Et je ne peux même pas poser de questions puisque mon oncle est ici.
Comme s'il avait lu dans mes pensées, ce dernier se lève et s'adresse à moi :
— Je vais rentrer, je suis épuisé. Passez une bonne soirée. Eileen, Votre Majesté...
Il remet sa veste correctement puis se dirige vers la sortie, me laissant seule avec le roi en face de moi. Il a beau ne pas porter de couronne, il me fait peur. Dans notre pays, il n'est pas du tout connu, ou les gens ne font pas vraiment attention à lui. Il faut dire que dans le restaurant où nous nous trouvons, il n'y a pratiquement que des hommes d'affaires qui ont probablement autre chose à faire que de s'attarder sur ce qui pourrait s'apparenter à un « couple » à table.
— Je pense que je vais rentrer aussi.
Je n'ai aucune idée d'où le roi va passer la nuit mais à dire vrai, je m'en fiche un peu. J'ai bien l'intention de rentrer dormir. Je m'apprête à me lever quand sa main se referme autour de mon poignet.
Premier contact physique.
— Restez ici.
Je me rassois docilement et pousse un soupir.
— Et maintenant ?
— Maintenant, posez-moi des questions, tout ce que vous voulez.
Je réfléchis. Je pourrais lui demander ce qui le passionne ou aussi pourquoi il compte épouser une gamine de dix-neuf ans ?
— Pourquoi moi ? Je n'ai rien demandé à personne.
Stupide comme question mais tant pis. Il s'en accomodera.
— Je veux dire, vous êtes loin d'être laid, vous n'avez pas l'air désagréable, vous pourriez trouver une femme qui vous aimerait vraiment pour ce que vous êtes mais vous préférez en choisir une au hasard ?
Il hausse les épaules d'un geste nonchalant.
— Aucune ne me correspond.
Je ris nerveusement et marmonne :
— On est des milliards sur cette terre et vous préférez me choisir moi plutôt qu'une femme par amour. Ne seriez-vous pas un peu dérangé ?
Il me fusille du regard et joint ses mains, l'air sévère.
— Cela ne se dit pas. Je vous pensais mieux élevée. Et j'ai répondu à votre question, aucune femme ne me correspondait.
— Je ne vous corresponds pas non plus.
— J'en doute fort.
— Je vous fais pitié, rappelez-vous, lâché-je amèrement.
— J'ai bien conscience de vous avoir blessée mais c'est la stricte vérité, Eileen. Quel âge avez-vous ?
Il sait très bien quel âge j'ai. Mon oncle lui a donné une fiche avec ma photo, nom, prénom, date de naissance, loisirs etc... Il n'y a plus de surprise à présent. Tout est déjà dévoilé.
— Dix neuf et vous ?
— Vingt-quatre.
— Est-il possible d'annuler ce mariage ?
Il me toise un court instant et répond :
— Non.
Zut.
— Est-ce que je pourrais divorcer ?
Qui ne tente rien n'a rien, comme on dit !
— Non plus.
— Qu'est-ce que vous voulez, en fait ?
Cet homme est beaucoup trop mystérieux. Je ne comprends pas ce qu'il veut, ses objectifs et surtout ce qu'il attend de moi. Quand il me regarde, on devrait pouvoir lire des émotions mais il renferme tout. Il reste neutre, impassible et ça me torture l'esprit de ne pas savoir ce qu'il pense.
— Je pense que vous connaissez déjà la réponse, Eileen.
Énervée mais surtout frustrée, je pose mes mains sur la table et me penche vers lui pour lui intimer d'un ton calme :
— Écoutez-moi bien, Monsieur je me la joue mystérieux, ou vous me dites ce que vous voulez réellement ou bien je m'en vais d'ici et je dis non au mariage, c'est compris ? Vous êtes peut-être le roi de Lucrenda, le pays inconnu, mais je suis Eileen de Montancourt, princesse d'Ecclosia et j'ai beau avoir perdu ma liberté, je n'ai pas l'intention de me laisser faire.
— Enfin un peu de répondant, c'est ce que j'attendais. Je ne peux pas vous dire le pourquoi de ma visite maintenant. Je peux seulement vous dire une seule chose pour l'instant mais vous devez m'assurer de ne rien dire à personne.
— J'ai compris, oui. Je ne dirai rien.
Il regarde à droite et à gauche puis déclare :
— Je ne suis pas le roi de Lucrenda.
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