Chapitre 7

— Une petite partie d'échecs, ma luciole ?

Je plisse les yeux. Anthos m'offre un sourire radieux, allongé dans son sofa, les jambes croisées, en sachant pertinemment qu'il n'est pas désigné comme trophée pour une maudite compétition.

Je pousse un soupir en m'allongeant à côté de lui.

— Je vais faire une crise d'ici là.

— Ah non ! Reyna, on s'en fiche de ce tournoi. Ne le prends pas au sérieux. Laisse ces idiots se battre pour toi, pimente le jeu à ton gré et refuse le mariage à la fin. Ni plus ni moins. Tu es libre et personne ne te retirera ce droit.

Il me sourit. Anthos est fort pour remonter le moral des gens. Mais parfois, mes pensées sont trop intrusives. Trop présentes.

— Je les décevrai si j'en venais à refuser le mariage.

Je n'ai pas besoin de les mentionner pour savoir que je parle de nos parents. Ils seraient tellement contrariés, et cela serait la première fois qu'un cœur refuserait d'être pris !

— Non, tu ne les décevrais pas. Papa et Maman seront fiers de toi peu importe l'issue finale. Essaye de relâcher la pression, Reyna. Tu es la seule décisionnaire de ton futur.

Je lui souris en retour mais mon sourire paraît faux. Il se frotte les mains en se redressant.

— Tu sais ce que je pense ? Tu devrais te changer les idées ! Boire un petit coup, danser sur de l'électro, je ne sais pas, quelque chose qui te fasse aller mieux. Allez, viens !

• • •

— Qu'est-ce que tu dis ! Je ne t'entends pas ! hurlé-je à l'autre bout de la pièce.

Puis je me mets à éclater de rire. Au loin, Anthos a dressé ses fidèles lunettes de soleil sur son nez et bouge les hanches au rythme de la musique. La salle de réception est sans dessus dessous. Les rideaux traînent par terre parce que je m'y suis malencontreusement accrochée (et suis tombée), quelques verres ont été brisés (Anthos dit que cela libère les émotions négatives de casser des trucs) et renversés.

Pour toute réponse, Anthos monte le son de sa radio portative dont il est fier. Puis, il bouge la tête sans s'arrêter, court vers moi, attrape mes mains et me fait tournoyer au-dessus de lui.

J'éclate de rire alors qu'il beugle, totalement ivre, des mots incompréhensibles. Or, c'est à ce moment-là que la porte s'ouvre, laissant la lumière s'infiltrer dans la pièce. Je braque mon bras devant mes yeux, aveuglée, alors que deux figures nous font face. J'ignore quelle heure il est mais je suis convaincue que les problèmes nous attendent.

— Inconscients, vous êtes tous les deux inconscients ! s'écrie une voix familière.

J'abaisse mon bras et accourt vers Anthos. Je tire sa main, complètement ailleurs, et me mets à sautiller comme une enfant.

— Papa et Maman sont là, Anthos ! Vite, fuyons. Sautons par la fenêtre, nous atterrirons dans les jardins royaux.

Je suis peut-être soûle mais pas autant qu'Anthos qui saisit ma main et hurle comme un conquérant :

— À L'ABORDAGE !

Sur le moment, je crois bien que ses mots ne sont pas adaptés à la situation. Père se précipite vers nous pour nous séparer afin d'éviter que nous ne volions à travers la fenêtre.

— Mais ils sont complètement ivres, ma parole !

Mère accourt à son tour et réprimande Anthos :

— Qu'est-ce que tu as encore fait à ta petite sœur ?

— À babord ! À babord, Reyna ! Les pirates nous envahissent !

— Je vais le faire coucher, soupire Mère d'un ton empli de reproches.

Elle saisit Anthos par le bras comme s'il ne faisait pas trois fois sa taille et pesait une plume. Père s'empresse de la suivre, me prenant par la main comme si j'étais une enfant irresponsable.

Quelque part, je le suis peut-être mais je m'amuse comme une enfant. Demain, ma liberté me sera enlevée. Autant en profiter maintenant.

Je ne marche pas droit. Je sens encore le goût de l'alcool au fond de ma gorge, si bien que je dois m'accrocher de toutes mes forces au paternel pour ne pas trébucher.

— Ce n'est pas comme ça que nous vous avons élevé. Les jumeaux viennent tout juste d'arriver avec leurs parents, et regarde comment tu agis.

— Peut-être que si tu... n'avais pas organisé ce Jeu des... Cons... je ne serais pas dans cet état-là actuellement !

Et j'éclate de rire. Je l'entends soupirer, exaspéré.

— Tu tiens aussi mal l'alcool que ta mère.

— Oui, je suis la copie conforme de Maman ! Je me demande bien commen elle a pu te supporter tout ce temps.

Je relève la tête et comprends aussitôt que je l'ai blessé. Il me lâche le bras et rétorque de sa voix de papa en colère :

— Eh bien, débrouille-toi pour rentrer à ta chambre, Reyna.

— Rewind !

Mère l'assassine du regard au bout du couloir. Il soupire de nouveau en me reprenant comme si j'étais une tâche dont ils devaient s'occuper.

Arrivés devant la porte de ma chambre, il me laisse entrer.

— Au lit ! Demain, le tournoi commence et tu auras tout sauf l'air d'une princesse avec la soirée que tu viens de passer. Je suis loin d'être fier de toi, Reyna.

J'ignore ce qu'il est advenu d'Anthos mais je réalise pleinement la situation : lui et moi, ivres, devant être ramenés de force à notre chambre.

Je me glisse sous les draps alors qu'il attend, comme si j'allais m'excuser ou lui demander pardon. J'ai dix-huit ans et suis incapable de vivre ma vie sans parents pour me surveiller.

— Tu n'es jamais fier de nous.

Je rabats la couette sur moi pour lui tourner le dos. Père n'a pas bougé, je le sens et pourtant il ne peut rien répondre. Les larmes menacent de couler à tout moment.

J'ai l'alcool honnête.

Quand un bruit de porte résonne, je m'attends à ce qu'il soit parti mais au contraire. Il s'avance et vient s'assoir au bord de mon lit, comme si mes mots l'avaient affligé.

Le calme résonne dans ma chambre. Dehors, le vent souffle fort contre les battants des volets. Il fait nuit noire et je comprends qu'Anthos et moi avons passé bien trop de temps à boire de la sorte.

— Bien sûr que je suis fier de toi.

— Non, tu ne le dis jamais. Et c'est bien aujourd'hui quand je t'affirme cette vérité que tu prétends le contraire. C'est inutile.

— Je vais te raconter quelque chose. Tu sais pourquoi tu t'appelles Reyna ?

Je repousse ma couette pour m'assoir en tailleur et l'observe. Il est épuisé, je le devine à la fatigue sur ses traits. Et je ne parle même pas seulement d'une fatigue physique mais mentale.

— Tu me l'as déjà raconté cent fois.

— Non, je t'ai narré la version édulcorée. Anthos avait à peine deux ans quand nous avons appris que ta mère était enceinte. Tu sais, on ne s'attendait même pas à ravoir un enfant aussi vite. Mais tu étais notre cadeau du ciel. Tu étais inattendue, et dès lors j'ai su que tu serais unique. Unique en ton genre et c'est bien vrai ! Tu as hérité de mon adorable caractère et de l'odieuse attitude de ta mère, quelle poisse !

Il réussit à me faire rire derrière mes larmes, et poursuit :

— Il te fallait donc un prénom adapté. Adapté à la princesse que tu serais. Reyna m'est venue comme une évidence. Je me suis dit que ma fille serait aussi intelligente et bornée que son père, et c'est le cas. Avant même ta naissance, tu avais déjà une couronne posée sur ta tête. Tu étais déjà la petite reine d'Imir.

Il me tend un mouchoir parce que je me suis mise à pleurer comme une madeleine.

— Tu sais, je n'ai pas eu la chance de connaître suffisamment mes parents pour recevoir tout l'amour dont un enfant a besoin. Mais ce que je sais, c'est que je suis fier de toi. Je suis fier de mes trois grands et beaux enfants que j'ai aujourd'hui. Alors, Reyna, quoiqu'il advienne de ce tournoi, jamais je ne me permettrai de t'emprisonner dans un mariage malheureux. Tu décideras toujours, et quoiqu'il arrive, du chemin que tu veux emprunter.

Il se lève, comme si son discours avait suffi. Et il suffit. Il ne m'a jamais parlé comme il vient de me parler ce soir. Je crois bien que le ciel lui est tombé sur la tête.

— Maintenant, dodo. J'ai beau être fier de toi, je ne suis pas fier de ta bêtise de ce soir. L'alcool est dangereux, jeune fille.

Il lève l'index pour me réprimander puis le fait tournoyer avant d'appuyer sur mon nez et de crier « POUET », si bien que Mère débarque dans ma chambre en le fixant comme s'il ne lui restait plus que trois neurones.

J'éclate de rire devant la situation. Puis bientôt, le reste me paraît flou. Je sais seulement que l'on m'embrasse sur le front avant que la porte ne se referme.

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