Chapitre 41

Nous courons dans les allées de la ville. Darren m'entraîne dans sa suite, mais j'ai le sentiment de le ralentir. Je le vois ralentir ses pas pour me permettre de suivre le rythme et quelque part, cela me fait me sentir faible. Je ne sais pas me défendre. Je ne sais pas tenir le rythme. À quoi suis-je douée ?

— Continue de courir, Reyna. Nous devons nous éloigner un maximum du centre d'Edros.

Nous continuons, et je réalise alors pleinement la situation : je fuis mon palais. Je fuis ma maison. Je suis en train de m'enfuir de ce que j'ai toujours connu, accompagnée de celui qui m'a trahie. De celui qui m'a blessée.

Le vent souffle sur mon visage et la pluie a rendu mes cheveux trempés et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi libre. Mes jambes me font mal, mais cette douleur m'est bénéfique. J'ignore si c'est la présence de Darren qui me fait me sentir bien, ou si c'est tout simplement de m'être éloignée de ma maison, mais je respire enfin.

Darren se retourne alors, et ses sourcils se froncent. Lui aussi est trempé. Et j'ai du mal à ne pas lorgner sur les muscles de son dos. Il a eu le temps de rattraper sa tunique à terre mais elle est toujours déchirée au dos. Et le devant est une tentation pour les yeux. Je pince des lèvres.

— Les soldats de Kelinthos nous suivent. Nous allons couper par-là.

Nous empruntons une petite ruelle et Darren m'entraîne dans sa course. Mon cœur n'a jamais battu aussi vite, pour Darren ou pour les pas que je fais, je l'ignore, mais ce que je sais, c'est que l'adrénaline n'a jamais autant pulsé dans mes veines.

À un détour, Darren regarde à droite, puis à gauche. Il s'arrête enfin dans sa course, essoufflé, et semble réfléchir à la suite.

— Où courons-nous ? lâché-je, à bout de souffle.

— Il y avait un point de rendez-vous un peu plus loin. Dans un bar de la ville. Mais après ce qu'il s'est passé, c'est bien trop risqué. J'aimerais t'emmener quelque part, mais nous devons trouver des chevaux.

— Ce n'est peut-être pas le moment de m'emmener en lune de miel, ironisé-je.

Il pose enfin les yeux sur moi et un léger sourire se trace sur ses lèvres, en dépit du sérieux qu'il tente de maintenir. Il me regarde comme si j'étais une merveille du monde, et cela me laisse pantelante.

— Je t'emmènerai en lune de miel lorsque toute cette histoire sera terminée, ne t'en fais pas pour cela. Je connais un petit coin perdu à où l'endroit est parfait pour... se découvrir l'un l'autre, si tu préfères.

Ses yeux me dévorent et je suis au bord de l'évanouissement. Il me lance alors un regard explicite avant de ressaisir ma main.

— Là-bas ! Des chevaux !

Il m'entraîne de nouveau dans sa course et je grommelle. Je n'en peux plus de courir, mais il le faut bien si nous voulons survivre.

À quelques pas d'ici, il y a une étable à laquelle nous pouvons... emprunter un cheval. Mais Darren l'ignore. Je me fige dans ma course. Il fait volte-face, surpris, et me tire pour me faire avancer mais je ne bouge pas d'un iota.

— Reyna ?

— J'ai une peur bleue des chevaux.

J'ai hérité de cette maudite peur de Mère. Elle aussi en était terrifiée et Père avait extrêmement du mal à la faire monter à cheval.

Elle me racontait souvent que, lorsqu'elle était petite, sa sœur était une excellente cavalière et n'avait pas peur de passer ses après-midis en forêt à chevaucher entre les arbres. Pendant ce temps, Mère restait au palais et préférait les activités manuelles. Maintenant que j'y pense, cela fait un moment que je n'ai pas revu Tante Eileen. Il faut dire que Mère et elle ne se voient plus trop. Le temps sépare.

— Eh, Reyna. Ce n'est rien, d'accord ? Ce n'est pas grave d'avoir peur. Tout va bien se passer. Nous avons besoin de ce cheval pour nous enfuir, mais je ne t'obligerai pas à monter si tu ne te sens pas de le faire.

Il a beau me regarder, je lis dans ses yeux de la hâte. Il est pressé de partir loin d'ici, et refuser de monter nous ferait perdre du temps, pire, nous nous ferions peut-être attraper par l'armée de Kelinthos.

Alors je secoue la tête, et accepte la main qu'il me tend.

— Partons d'ici.

• • •

Je crois que nous avons chevauché une bonne partie de la matinée. Lorsque la fumée derrière moi a disparu, je me suis rendue compte que nous étions très loin d'Edros. Nous avons emprunté des sentiers et des routes peu utilisées, et il faut avouer que Darren est un excellent cavalier.

Le soleil ne se montre toujours pas. J'ai étonnement froid alors qu'à Imir il fait toujours une chaleur à mourir. Au-dessus de nous, l'orage menace d'éclater. Après quelques temps, Darren m'indique que nous allons nous arrêter pour faire une pause, et peut-être trouver un endroit où manger.

— Il y a un bar dans le petit village d'Amrid, et j'ai quelques pièces sur moi. On verra ce qu'on peut trouver.

Darren descend du cheval avec une aisance née. Il tend alors ses bras pour me hisser à terre, sans que je ne le demande. Ma sous-robe autrefois dorée, n'est plus qu'un sillon de tâches et de boue. Mais Darren semble s'en ficher. Sa tunique moule son torse à cause de la pluie, et probablement de la sueur.

Il garde son cheval par les rênes puis arrivée à l'entrée du village, parvient à l'attacher à un ponton en bois.

— J'ai besoin de réponses, lui dis-je.

— Je sais. Attendrons d'entrer d'abord.

Je connais peu de choses sur Amrid. Je sais seulement que c'est un village situé au nord d'Edros, à plusieurs heures de ma ville natale. À dire vrai, j'ai tellement peu visité mon pays que je ne connais pratiquement pas grand chose sur les autres villes et villages qui font d'Imir ce qu'elle est.

Darren s'avance jusqu'au centre du village, puis pousse les portes d'une sorte de petite taverne. Lorsque nous entrons, le lieu nous apparaît tout de suite bruyant et animé. Darren se place devant moi, peut-être pour me cacher aux autres, je l'ignore. Personne ne fait attention à nous, si bien que lorsque nous nous asseyons à une table au fond de la taverne, je me permets de souffler enfin.

Je vois que Darren est toujours sur ses gardes, et quelque part je ne peux m'empêcher de me demander si ce qui nous est arrivé aujourd'hui était le plan d'action initial qu'il aurait suivi.

— Que veux-tu savoir ? finit-il enfin par demander.

Je l'observe à la dérobée. Il s'est placé de manière à avoir une vue d'ensemble sur le lieu, et ses yeux naviguent de personne en personne. Il semble analyser la situation dans laquelle nous nous mettons, comme prêt à me délivrer d'un potentiel mal à tout moment.

Ses cheveux bruns gouttent devant ses yeux, et les cernes se dessinent sous ceux-ci. Ses mains se referment alors qu'ils posent les coudes sur la table, et ses manches laissent apercevoir des veines bien tracées sur ses avant-bras.

Enfin, il me regarde.

— Comment... comment est-on parvenu à s'en sortir ? Darren, je me suis vue sur la potence. Ton père allait me faire exécuter. Et tu avais assuré venir me chercher mais tu n'es jamais venu.

— J'allais venir te chercher, c'était le plan. Mais je n'ai pas pu. Vernock m'a assommé, et j'ai passé tout la nuit attaché sur un lit à méditer sur mon incapacité à venir te sortir de cette cellule. Le lendemain matin, il nous a fait rassembler sur la place, avec toute ta famille et Freya et Monroe. Cette fille ne desserrait pas les mâchoires. Il est parvenu à rassembler toute un monde sur la place par la menace de tuer ces pauvres gens. Mais Vernock a été stupide sur un point. Il nous a attachés, mais il nous a laissés parler entre nous. Ton père et ta mère étaient trop loin pour entendre la conversation que nous avons eu.

Un silence s'écoule. Darren passe la main dans ses cheveux et poursuit :

— Hedge ne s'est jamais fait attrapé. J'ignore comment, il était au palais pendant l'attaque mais a su éviter soigneusement l'armée de Kelinthos. Freya dit qu'il a un talent pour se dissimuler facilement des autres. Quoiqu'il en soit, elle m'a assuré qu'il viendrait nous sauver, surtout en sachant que sa sœur s'était faite attrapée. J'ignorais qu'il ferait usage... d'explosifs en tout genre. À dire vrai, j'ai du mal à cerner Freya et son frère. C'est à ce moment-là que nous nous sommes donnés rendez-vous dans ce bar à Edros mais c'était stupide et inconscient de notre part puisque Vernock s'est emparé de la ville. Alors, je leur ai dit qu'en cas de pépin, la forteresse de Dreyron serait le lieu pour se retrouver.

— La forteresse de Dreyron ? je répète.

Je n'ai jamais entendu parler de ce nom. Darren explicite alors :

— Lorsque Vernock m'a envoyé ici en mission, j'ai passé plusieurs jours dans cette forteresse abandonnée. Je suis tombé par hasard comme j'évitais soigneusement les grandes routes pour ne pas me faire repérer.

— Repérer de quoi ? De qui ?

— Reyna, quand on est un intrus en voie de prétendre au cœur de la fille du roi d'Imir, on évite de vagabonder et de se faire remarquer partout. Je voulais disparaître. Et j'ai ficelé mon plan dans cette forteresse : de notre première rencontre jusqu'au moment où je te tuerais. Tout avait été pensé.

Mon souffle se bloque. J'ignorais que me tuer était une activité qui demandait autant de temps et de réflexion.

— Quoiqu'il en soit, reprend-il, nous atteindrons Dreyron d'ici ce soir. Et j'espère que Freya, Hedge et Monroe seront là-bas.

— Pourquoi ? Que se passera-t-il s'ils n'y sont pas ?

— Nous n'aurons aucun allié. Et nous en avons cruellement besoin. C'est aussi pour cela que la prochaine étape du plan est mise en route.

Darren semble percevoir mon malaise. Mes doutes et mes questionnements. Il lance alors, avec un sourire mystérieux :

— Rendez-vous à Ecclosia. Là où tout a commencé.

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