— Quel nom avez vous inscrit sur votre bulletin pour le tournoi ?

Je referme ma lame et pointe le bout contre son torse. Pile à l'endroit du cœur. J'appuie légèrement jusqu'à le faire reculer. Darren Sans Nom lève alors les mains en l'air, un sourire enjôleur aux lèvres.

— Qui vous dit que j'ai voté ?

Son dos heurte le mur et il doit baisser la tête pour me regarder. J'ai l'air d'un chien enragé mais je n'en ai que faire ! Ce Darren n'a rien à faire d'ici et en plus de cela, il se montre arrogant.

— Pourquoi n'auriez-vous pas voté ? je rétorque. Votre sort dépendra de votre réponse alors choisissez bien !

— Laissez-moi deviner... Je vous dis avoir voté pour vous, Votre Altesse, et vous me transpercez le cœur ; ou bien mon vote peut être adressé à votre frère et alors... Quelle sera la sanction ? M'embrasserez-vous avec fougue et passion ?

Son sourire s'étire et j'ignorais qu'un être humain pouvait avoir autant de dents.

— Répondez ! je grogne.

Il se penche alors en avant, et me chuchote à l'oreille :

— J'ai inscrit votre nom, Reyna.

Je tente d'ignorer les réactions de mon corps et appuie de plus en plus ma lame sur son torse.

— Alors vous êtes contre moi. Et si vous êtes contre moi, vous êtes un homme mort. Des prières à prononcer, Darren Sans Nom ?

Un rire lui échappe. Puis les secondes qui suivent me laisse bouche bée. D'un mouvement aussi rapide que l'éclair, il parvient à me tordre le poignet, faisant tomber ma lame au sol, puis sa main m'attire à lui. Mon dos vient heurter son torse alors que je brasse de l'air avec mes bras pour m'échapper.

— Je vous ferai enfermer pour tentative de meurtre ! vociféré-je.

Mais son bras se place tout contre ma gorge. Cet imbécile va me tuer ! Bon, peut-être pas au vu de la force qu'il met, mais tout de même !

— J'en doute fort, reine. Quand vous serez chouchoutée par tous vos prétendants, je serai bien le cadet de vos soucis. En attendant, vos appuis sont faibles et votre agilité laisse à désirer.

— Ça tombe bien, j'aurai tout le temps de m'entraîner contre mes prétendants.

Il me relâche en riant de nouveau. Mais cette fois-ci, il paraît sincère et je me retiens d'être agréable. Au lieu de cela, je continue de le fixer comme un animal.

— Alors vous ne désirez pas de ce mariage ?

— Sommes-nous assez intimes vous et moi pour que je vous parle de mes envies ? Sortez d'ici, Darren, avant que je ne vous envoie moi-même au cachot où vous moisirez avec les rats.

— Emmenez-moi donc, reine.

Cet idiot me défie du regard. Je suis à deux doigts de l'emmener au cachot.

— Arrêtez de m'appeler ainsi !

— Vous êtes une reine, pourtant. Votre prénom porte ce rôle, votre famille des décennies durant. Vous devriez vous sentir flattée.

Je m'apprête à lui répondre mais mes yeux s'attardent sur la porte qui vient juste de s'ouvrir. Quelqu'un est là. Anthos passe la tête et il nous dévisage tour à tour, un air sceptique au visage.

— Reyna, l'issue du vote va être annoncée.

Il ignore totalement Darren Sans Nom et il a bien raison ! Je m'éloigne de l'intrus, avant de lui jeter un dernier regard assassin. Je vois dans ses yeux une lueur de mépris pure et simple, dont je ne comprends même pas l'origine.

Peu importe. Les portes se referment derrière nous. Anthos me tend son bras et je souris en acceptant.

— Qui était ce type ?

— Un intrus. Darren Sans Nom paraît-il. Je rêvais de lui trancher la jugulaire mais ses techniques m'ont précédée.

Anthos lâche un rire avant de hausser un sourcil.

— C'est le résultat de ton absentéisme aux cours de combat, ma luciole.

Je fais une grimace. L'heure n'est plus aux rires. Mon destin va se sceller pour les prochaines semaines, et c'est bien quelque chose que j'aurais aimé éviter.

Nous franchissons les portes de la salle de réception. Au loin, Père sautille sur place comme un petit garçon excité.

— Je présume donc que je suis envoyée à la mort.

Je lâche le bras d'Anthos et rejoint le socle royal. Notre père se tourne vers moi, un sourire  implacable au visage.

— Ma fille adorée, tu trouveras dès cet été un compagnon de vie ! Mais attention... il devra être validé par papa.

Derrière lui, Mère lève les yeux au ciel. J'ignore volontairement celui qui me sert de père et vais m'assoir à mon siège, agacée. Bien sûr que l'idée d'avoir des prétendants pour soi n'est pas le pire des supplices, mais les hommes sont une espèce à part entière. Et de ma précédente relation, j'estime que je me porte mieux seule. Je suis libre d'être qui je veux et de faire ce qui me chante.

Pas avec un homme.

La réception est lancée. Les trompettes cessent de jouer au moment où mon père prend la parole :

— Mon cher peuple, aujourd'hui, vos votes ont été décisifs pour l'avenir de l'un de mes enfants.

Je balaie du regard le public. Je grimace en voyant Darren debout sur le côté gauche. Un sourire s'étire sur ses lèvres quand il comprend que je l'ai vu. Je mime du geste une gorge tranchée et il sourit de plus belle. Comme si je l'amusais !

— Après de longues heures de dépouillement, l'issue est annoncée. J'ai l'immense honneur, moi roi d'Imir, de vous annoncer que ma progéniture Reyna d'Imir sera l'objet du tournoi de cette année !

Exclamations. Applaudissements.

Je roule des yeux. Tant de fioritures pour si peu de matière. Ce tournoi est d'une superficialité à tout casser.

— Mais ce tournoi ne pourrait exister sans un nombre de prétendants requis. Ainsi, se présenteront dès maintenant tous les candidats qui prétenderont au cœur de ma fille. J'estime important de faire quelques rappels : le cœur à prendre se réserve le droit de refuser l'issue finale du jeu. Et en cette année si spéciale, je me réserve aussi le droit de refuser un prétendant à ma fille. Quel père voudrait voir son enfant épouser un vaurien ?

Il offre un sourire charmeur à la cour qui s'exclame de nouveau. Père a le don de savoir faire passer des messages en toute légèreté.

— Ainsi, le tournoi est officiellement lancé. Que le Jeu des Cœurs commence !