Chapitre 38

On me jette en prison. Dans les prisons de ma propre demeure. J'observe mon environnement autour de moi. Une couverture est aposée au sol comme si j'étais un vulgaire animal à la recherche d'une niche. Il n'y a rien d'autre à part un toilette. Je suis destinée à passer la nuit dans ce taudis.

Je suis seule dans ma cellule, aucun membre de ma famille n'est présent. Il n'y a que moi. Et l'obscurité. Les torches éclairent avec peine l'allée menant aux cellules. Je tente de secouer les barreaux, en vain. Je ne sais pas ce que j'espère. Je ne sais pas ce que j'attends.

La mort, peut-être. Car il n'y a qu'une seule issue à ce renversement de situation. Je vais mourir. Le fichu roi de Kelinthos me fera exécuter, je n'ai aucun doute là-dessus.

J'ai peu de connaissances quant à la guerre qui a eu lieu il y a trente ans. Elle a fait beaucoup de morts et reste douloureuse dans l'esprit de mes parents. Je sais seulement que Kelinthos n'a jamais voulu faire la paix avec Imir, ni avec les autres pays alliés. Cette nation est toujours restée très éloignée de la nôtre, et le peu d'informations que j'ai sur ce pays, je les tiens de Père.

Quoiqu'il en soit, Sa Majesté de Kelinthos ne me laissera pas vivre. Quelque part, je suis triste de me dire que je vais mourir sans savoir réellement pour quelles raisons mon exécution est souhaitée.

La fin est tragique. Elle l'est toujours. Une seule issue possible : la mort. La délivrance, peut-être. Je n'en sais rien. Vais-je souffrir ? Mes parents regarderont-ils la scène ? Hurleront-ils de douleur ?

Un million de questions m'assaillent. Mais par-dessus tout, ma peine n'a jamais été aussi intense. Le goût de la trahison est amer. Je n'aurais jamais cru une seule seconde Darren capable de me trahir de la sorte. Je n'aurais jamais pensé qu'il se serait opposé à moi.

Mais maintenant que j'y pense, les pièces du puzzle s'assemblent. Il a toujours été contre moi. Dès le début, il ne pouvait pas me supporter. Ses regards obliques, ses émotions refoulées : il tentait de dissimuler son aversion pour moi. Et le soir où j'ai failli mourir, il semblait désolé. Désolé de quoi, au juste ? Cet homme m'a menti sur toute la ligne. Je n'ai jamais été sa rédemption. Je n'ai été qu'un moyen pour lui de me livrer à son père.

Mon cœur ne m'a jamais fait aussi mal. Je n'ai jamais eu de peine de cœur. À dire vrai, je n'avais jamais ressenti cela pour quelqu'un. Mais ce soir, tout est trop fort. Savoir que l'on vous a dupée, trompée, est la pire blessure possible. La douleur physique n'équivaudra jamais à celle que je ressens actuellement.

J'avais vraiment pensé que Darren serait... que Darren... Je l'avais cru différent. Sans l'ombre d'un doute, j'avais placé tous mes espoirs en lui. Car il aurait été le seul prétendant que j'aurais accepté d'épouser. Secrètement, j'aurais aimé qu'il remporte cette finale. Tout allait si bien avant la fin de cette maudite danse ! Il m'aura menti droit dans les yeux jusqu'au bout.

Je commence à renifler, et finit par m'asseoir par terre. Je ne tiendrai pas la nuit debout. Je sens que le sol est sale, et il émane de ces cellules une puanteur d'ogre. Tant pis pour ces conditions, j'ai tout perdu.

— Reyna ?

La porte du sous-sol s'ouvre et j'entends quelqu'un pousser le grillage. Une mince silhouette s'avance d'un pas feutré. Mon cœur s'arrête.

— Enora !

— J'ai trouvé les clefs sur le garde. Freya m'a crié de venir te chercher ici. Tu dois t'enfuir ! chuchote-t-elle.

De ses petites mains tremblantes, elle s'empresse d'entrer la clef dans la porte. Je ne me suis jamais redressée aussi vivement. J'ai peur pour elle, peur qu'elle se fasse attraper et tuer, mais surtout, je ne comprends pas comment elle est arrivée ici.

— Où est Freya ? Comment a-t-elle pu passer l'armée du roi de Kelinthos ?

Le visage d'Enora est à peine éclairé par les torches. Je vois que ses mains ont du mal à faire rentrer la clef dans la serrure, mais elle finir par réussir.

— Je ne sais pas comment elle a fait, murmure-t-elle. Mais elle est venue me chercher dans ma chambre. Les gardes de l'armée royale de Kelinthos ont tenté de nous attraper et... ils ont tué deux domestiques. Elles étaient... Enfin, Freya m'a protégée. Elle n'était pas seule, il y avait aussi... le bras-droit de Sa Majesté...

— Monroe, oui.

— Il faut que nous partions d'ici tout de suit ! s'écrie-t-elle subitement. Freya nous attend en haut. Elle fait le guet.

Je pousse la porte pour m'extirper de ma cellule. J'ignore combien de temps je suis restée dedans. Une heure ? Deux heures ?

Avant de remonter, je m'empresse de tirer sur mes jupons pour les déchirer. Ma robe est trop longue. Enora me regarde d'un air peinée, car c'est elle qui m'a vêtue pour cette grande soirée et je viens de tout gâcher. Je m'excuse silencieusement. Au bout de quelques secondes, je me sens nettement plus légère. Il n'y a que la sous-robe qui reste en place mais si je dois m'enfuir, je me sentirais mieux de cette manière.

Sans un mot, nous montons les marches quatre à quatre, et la porte d'en haut s'ouvre devant nous. Des traits fins et des yeux verts nous accueillent : Freya a noué ses boucles en un chignon avec un crayon, et saisit Enora par le bras pour la faire avancer.

— Sortez de là, vite !

Dans le couloir, c'est le chaos. La scène qui se déroule devant moi est un pur carnage. Plusieurs gardes de l'armée de Kelinthos jonchent le sol, morts, tandis que d'autres arrivent par dizaines.

Freya se dresse toujours en de longues jambes interminables et sort de je-ne-sais-quel endroit deux fins poignards qu'elle fait tournoyer. Je ne le vois que maintenant, mais Monroe avance dans le couloir comme un conquérant. Il pousse des cris en abattant un à un les soldats de son épée, qui paraît très lourde vue sous cet angle. Son visage est plein de sang. Sa tunique également tachée du sang de ses victimes. Il n'a jamais paru aussi féroce.

En comparaison, Freya rayonne. Elle contre un des soldats qui tentent de s'attaquer à nous tout en me criant :

— Votre père s'est fait attrapé ! Il a tenté de protéger la reine à tout prix, mais ce fichu bâtard de Kelinthos a tenté de la poignarder en plein cœur. Il a manqué, et votre père s'est rendu. Votre mère a été enfermée quelque part dans une chambre avec votre plus jeune frère. Quant à Anthos, il se bat au péril de sa vie dans l'aile est avec l'aide des derniers gardes d'Imir. Il ne tiendra pas longtemps.

Si nous étions dans une autre situation, je serais admirative de la façon dont elle combat tout en m'adressant parfaitement la parole.

Elle a un instant de répit. À peine essoufflée, elle se tourne vers moi, me dévisage de haut en bas.

— Vous devez vous enfuir, princesse. Vernock a pour projet de faire exécuter les enfants de Sa Majesté d'Imir. Votre temps est compté.

— Vernock ?

— Celui qui sert de roi à ce foutu pays de traîtres.

Freya s'élance en avant. Elle roule, plante l'un des soldats, se retourne contre un autre pour lui trancher la gorge. Ses mouvements sont souples, pleins de grâce.

Cette fille danse avec la mort.

Ses techniques sont tellement développées que je peine à comprendre comment elle parvient à en tuer trois à la minute.

— Salope ! s'écrie l'un des soldats.

Il se rue vers elle, et à cette insulte, Monroe se tourne vers lui. Son regard est empli de fureur. Dans un geste vif, il lance une de ses lames sur celui qui vient d'insulter Freya. Le couteau vient se planter entre les deux yeux du type qui n'a pas le temps de voir arriver sa mort.

— Je n'avais pas besoin de votre aide, grince-t-elle.

Monroe se fait surprendre à ce moment-là. Son visage est couvert de sueur et de sang séché. L'un des gardes parvient à lui entailler la jambe et il pousse un grognement.

Les choses se compliquent. Freya parvient jusqu'à moi, me saisit par les épaules et lance à bout de souffle cette fois-ci :

— Partez. Partez loin d'ici. Ne vous retournez jamais. Mais il faut que vous vous en alliez maintenant ! Il y a un passage que nous avons dégagé aile ouest, les escaliers sont libres. Sortez de ce palais et n'y revenez plus, ou vous mourrez.

Je ne perds pas un instant. J'agrippe la main d'Enora et m'élance de l'autre côté du couloir. En jetant un coup d'œil en arrière, je vois Freya lutter pour sa vie mais je sais que la situation est perdue : les gardes sont trop nombreux, Monroe est au sol et la princesse de Meridia à présent acculée contre le mur.

Je ne me retourne plus. Mes pas me conduisent tout droit vers le passage dégagé. La tresse d'Enora s'agite alors que nous courons dans les escaliers au péril de nos vies. Mon souffle est court, je sens le sien aussi. Mes pieds me font mal mais j'ignore la douleur.

Arrivées en bas, le passage est effectivement dégagé. Les portes sont fermées mais il nous suffit de quitter les escaliers pour aller les ouvrir. Ce qui signifierait, être à découvert.

— Attends-moi ici, je vais ouvrir ces fichues portes pour que nous puissions sortir.

Je ne réfléchis plus. Je ne pense plus au tas d'hommes morts au sol, le marbre du palais taché de sang, leurs gorges ouvertes et la plaie béante. Mon ventre se tord lorsque j'arrive aux portes.

En un mouvement sec et fort, je tire les grosses poignées vers moi pour en ouvrir au moins une sur les deux. Ces portes pèsent un âne mort. Lorsque le vent vrais vient effleurer mon visage, un sentiment de soulagement s'infiltre en moi.

Je m'apprête à appeler Enora, lorsqu'elle m'interrompt dans mon élan :

— Princesse ! Courez !

Je fais volte-face. Une horde de soldats s'élancent de l'autre côté du couloir, vers Enora, qui ne bouge pas d'un iota. Elle va rester là. Car si elle commence à courir, les soldats l'auront avant moi. Ils la tueront sans hésiter. Elle lève alors les mains en l'air pour se rendre, et mon cœur se serre lorsque je comprends que celui qui dirige ce groupe est Darren.

Il est en tête, et son regard est braqué sur moi. J'articule un « je suis désolée » à mon amie, avant de prendre la fuite.

Il fait froid ce soir, et la lune brille suffisamment fort pour éclairer mon chemin. À la différence de Darren, je connais le domaine par cœur.

Je m'élance dans les jardins, et le cri de Darren résonne dans mon dos :

— Elle est pour moi ! Restez là !

Il compte me chasser. Je n'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. J'ai tellement mal aux poumons, je risque à tout moment de recracher tous mes organes au sol mais l'adrénaline qui s'écoule dans mes veines est bien plus forte que la douleur qui irradie mon corps.

Je zigzague entre les arbres, je sens que Darren n'est pas loin. Je risque un coup d'œil derrière moi pour le voir une lame à la main, prêt à en découdre avec moi. Ses mouvements sont beaucoup plus rapides que les miens et je sais très bien ce qui suivra ces maudits arbres : la plage à l'arrière du palais.

Je vais m'enfoncer dans le sable, ou m'échouer dans la mer, et Darren avec ses lourdes bottes me rattrapera en un rien de temps. Mais je n'ai pas d'autres issues. Je ne peux pas faire demi-tout.

Alors mes pieds m'amènent jusqu'à la plage. Je n'ai aucune arme sur moi, et je continue de courir. La vue est enfin dégagée devant moi : une étendue de sable à perte de vue ne vaut pas la rangée d'arbres aléatoires du jardin.

Mes cheveux volent au vent et les volants de ma robe s'élancent derrière moi alors que la douleur présente dans ma poitrine s'intensifie. Le froid s'abat sur mon visage et j'ai le malheur de me retourner.

Darren se jette sur moi de tout son poids. Je pousse un cri lorsque mon dos heurte l'étendue de sable et Darren tente de me bloquer les poignets mais je saisis dans ma main une poignée de sable que je lui balance en pleine figure. Il pousse un grognement en me relâchant et j'en profite pour m'extirper de sa poigne.

— Sombre connard ! je m'écrie en me relevant.

Il se frotte les yeux en grimaçant et s'avance vers moi. Mon cœur n'a jamais battu aussi fort de toute ma vie.

— Je me suis confiée à toi ! Je t'avais donné mon cœur, Darren. Je n'avais jamais ressenti cela pour personne d'autre.

Ses yeux se rouvrent. Et dans son regard brille une lueur froide. Il n'a plus rien d'humain.

— Je me fous de ce que tu as pu ressentir pour moi. Je ne t'ai jamais aimée.

— Foutaises ! Les yeux ne mentent pas.

Il tente de se maîtriser. Je vois ses poings se serrer et se desserrer en continue. Je ne sais pas contre quoi il lutte, mais il semble en conflit avec lui-même.

— Tu sais quoi ? Ramène-moi à ce fichu palais. Laisse ton père m'exécuter demain au petit matin. Regarde-moi mourir. Regarde-moi dans les yeux lorsque l'on passera la corde à mon cou, car je sais que j'y lirais du regret. Les yeux ne mentent pas, et le cœur encore moins. Ce que nous avions était bien réel mais tu es trop aveuglé par les ordres de ton père pour t'en rendre compte.

Il ne dit rien. Ses yeux m'étudient. Même pas l'ombre d'une émotion. Il finit par déclarer d'un ton amer :

— Ta mort sera ma délivrance.

— Tu n'es qu'un menteur ! Tu mens en permanence ! Depuis le début !

Il s'avance alors, furieux, pour me saisir par le bras, fou de rage.

— Quand comprendras-tu que je n'ai jamais nié ne jamais t'aimer ! Dès le début, mes intentions étaient claires. J'ai même eu du mal à imiter un semblant d'attirance. Tu n'as jamais rien signifié pour moi, Reyna. Je t'aurais seulement séduite pour t'avoir dans mon lit, rien de plus. Car tu ne vaux rien d'autre à mes yeux.

Mon cœur éclate en mille morceaux. J'ai l'impression de m'être faite giflée sur place. Je recule d'un pas, pantelante. Il jubile. Il jubile de me voir souffrir.

— Tu étais seule dans cet amour. Je n'ai jamais rien ressenti pour toi. J'ai appris à inventer un tas d'histoires. À créer un tas de sentiments. À penser autrement. Je me suis conforté dans ce que j'avais créé pour rendre l'illusion réelle. Mais tu n'as jamais su briser cette barrière. Tu ne m'as jamais provoqué l'ombre d'un sentiment, sauf celui du dégoût et de la haine.

Il sourit. Pour la première fois, il sourit. Je profite de son absence, pour lui arracher des mains sa lame. Son sourire s'efface automatiquement.

J'incline la lame vers moi, proche de mon ventre.

— Si je n'ai jamais rien signifié pour toi, alors tu ne verras aucun inconvénient à ce que je décide de ma propre mort.

Je n'ai aucune hésitation. Je n'ai plus rien à perdre. Je n'ai qu'un cœur en miettes dispersé ici bas, entre les grains de sable, et aucun geste ne saurait me sauver.

Je prends une impulsion mais Darren s'écrie d'un ton précipité :

— Arrête, bon sang !

Je lève les yeux vers lui. Pour la première fois, il laisse son visage pleinement être. Je n'ai jamais lu une peur aussi intense dans les yeux de quelqu'un. Ses yeux sont braqués sur le poignard que je tiens entre mes mains, emplis d'effroi.

Il tente de s'avancer pour m'empêcher de passer à l'acte mais j'approche la lame de ma paume de main et l'entaille légèrement. La douleur est atroce mais pas autant que celle qui me brûle le cœur.

— Qu'est-ce que tu fais ! rugit-il, hors de lui.

— Je m'abîme. Je ne signifie rien pour toi. Je m'abîmerai jusqu'à en mourir, et si tu fais un pas vers moi, ce couteau finira planté dans mes entrailles.

Je recule encore, mes yeux fixés sur la lame. Darren serre les mâchoires, visiblement en colère de ma piteuse tentative de faire sortir quelque chose de lui.

— Qu'est-ce que tu veux entendre ? Que je t'aime ? Que tu es mon monde entier ? Que je ne saurais vivre sans toi ?

— Je veux la vérité !

— Tu n'auras aucun aveu ! Car il n'y a rien à avouer ! s'écrie-t-il, visiblement à bout.

Ses cheveux se soulèvent. Il ne cesse de fixer la lame que je pointe vers moi. Je m'entaille l'autre paume et il paraît désormais désemparé. Comme si la situation lui échappait totalement.

— Je peux te servir des mensonges si tu le souhaites. Tu es la femme de ma vie. Celle qui illumine mes journées, celle qui...

— Je veux la vérité ! et ma voix se brise. Après tout ce qui s'est passé, je mérite de connaître la vérité ! Je n'ai jamais...

Ma voix n'est plus que sanglots et larmes. Je n'ai jamais eu aussi mal au cœur. J'ai mal d'avoir vu en lui un... époux.

— Je n'ai jamais causé le moindre mal à quiconque... je n'ai même jamais eu d'ami ou de petit ami... je ne suis jamais sortie de ce fichu palais, même pas pour voir le monde ! J'ai toujours vu Anthos être admiré pour être le premier enfant né, et sais-tu ce que je faisais lorsque Père le présentait à ses conseillers ? J'étais enfermée dans ma chambre avec le maître d'école qui m'enseignait les actes héroïques des hommes de l'Histoire. Je n'ai jamais été autre chose que la princesse d'Imir, la fille parfaite du grand roi Rewind, je n'ai été qu'admirée toute ma vie ! Alors oui, si je mérite une chose, c'est bien de connaître cette foutue vérité !

— Et tu te plains d'être admirée ! s'étonne-t-il, scandalisé.

— Quand on n'existe qu'à travers les yeux des autres, oui ! Quand on n'est qu'une plante verte à longueur de journée désirée par les plus odieux et jalousée des autres, oui ! Je n'ai jamais compté pour quelqu'un d'autre que pour ma famille ! Je n'ai... je n'ai jamais été aimée pour qui je suis. Et je mourrais sans savoir ce que l'amour signifie réellement !

J'éclate en sanglots. Je crois que je n'ai jamais autant vidé mon sac de toute ma vie. Darren ouvre la bouche. La referme. Ses poings se serrent. J'ai envie de m'écrouler au sol mais j'aurais honte de m'abaisser face à lui.

— Tu veux la vérité ?

Et il s'avance. Je vois sa pomme d'Adam tressauter, alors qu'il déclare d'un ton calme, maîtrisé et toujours dénué de sentiments.

— La vérité c'est que l'on m'a confiée une mission simple d'apparence, et pourtant cruelle de la plus sournoise des manières : assassiner la princesse royale d'Imir. Je ne te connaissais pas. Je n'avais aucune idée de qui tu étais, Reyna. Mais ce que je sais, c'est que je n'ai pas su me résoudre à te tuer. J'ai versé du poison dans ta tasse lorsque tu avais le dos tourné, durant l'une des épreuves. Je n'avais aucune hésitation. Mais je n'ai pas réussi. J'ai fait semblant de renverser cette tasse pour que tu n'en boives jamais le contenu.

— Mais pourquoi ?

— Parce que je n'avais pas envie de te voir mourir. Comme l'autre soir. J'ai effectué ce que l'on m'a demandé : j'ai tué les gardes pour permettre aux mercenaires de t'avoir. Mais je n'ai pas fini le travail. Je suis revenu dans le palais pour voir ta mort de mes propres yeux. Pour l'empêcher, je ne sais pas. Mais je voulais me punir d'avoir contribué à ton assassinat. Je voulais que mon esprit n'oublie jamais comment j'avais déshonoré mes sentiments les plus profonds. Je ne t'ai pas seulement trahie, Reyna. Je trahis mon cœur un peu plus chaque jour en me refusant à toi.

— Rien ne t'empêche de t'ouvrir à moi, Darren, je...

Il fait un pas encore en avant.

— Il y a des choses que je ne peux pas t'expliquer, Reyna. Mais ce que je sais, c'est que j'ai fauté. J'ignore si je regrette d'être venu ici, ou si je regretterai plus tards les mots que je prononce ici bas, mais je ne pourrai jamais réussir ma mission. On pourra m'ordonner n'importe quoi, te tuer m'est impossible. Car l'on ne tue pas ce qui s'est ancré en nous du plus profond. On ne peut pas tuer ce qui nous colle à la peau, ce qui nous fait vibrer. On se contente seulement de l'admirer, et si cela nous fait mal, on ferme les yeux. Il n'y a que cela à faire contre celle qu'on aime.

Ses yeux brillent d'une émotion nouvelle. J'ignore s'ils sont remplis de larmes ou s'ils scintillent d'émotions, mais je ne les ai jamais vus aussi expressifs.

Mon souffle ralentit. Je murmure d'un ton si bas qu'il aurait du mal à entendre :

— Alors quoi ? Tu laisseras ton père me tuer demain ?

— Comme je t'ai dit, il y a des choses que je ne peux pas expliquer pour le moment.

— On ne laisse pas mourir celle qu'on aime, répliqué-je.

Ses yeux se lient aux miens. J'y lis une infinité de promesses. De promesses sûrement non-tenues.

— Je n'ai jamais dit que j'allais laisser faire mon père. Mais je ne peux rien te dire pour le moment.

— Ton cœur ne s'ouvrira pas ce soir à moi ?

Son regard dévie vers mes lèvres et je le vois lutter contre une force intérieure. Contre quoi lutte-t-il ?

— Il s'est déjà bien livré ce soir, princesse. Mais je dois le mettre sous clef jusqu'à demain. Laisse-moi te rejeter en prison, et fais-moi confiance. Tu ne mourras pas, mais pour cela, n'oublie pas que tu me détestes du plus profond de ton être maintenant. Nos vies sont mises en jeu.

J'ignore ce que cela annonce, mais ce que je sais, c'est qu'au moment où Darren saisit mon poignet, il revêt son masque habituel de froideur et mépris.

Et c'est comme si son cœur ne s'était jamais ouvert.

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