Chapitre 33

Darren me lâche lorsqu'une ribambelle de gardes déboulent pour régler le problème mais il faut dire que... le problème est déjà réglé. Adryen est toujours écroulé au sol, en sang, et j'entends appeler à l'aide car il a l'air vraiment mal en point. Je suis tentée de leur dire que cet enfoiré ne mérite aucune aide mais je ne dis rien.

Darren essuie le sang qui s'écoule de son nez, et au loin j'aperçois Père débouler suivi d'une escorte de gardes, dont Monroe. Non loin, Freya et Hedge observent la scène d'un air circonspect.

— Que s'est-il passé ici ? s'écrie Père.

Il reprend son rôle de roi d'Imir, sa posture autoritaire et son regard froid. Ses yeux balayent la scène et se posent sur Darren, dans l'attente d'une explication.

Darreb renifle, ses cheveux gouttant sur son front plein de sueur. Il ne laisse transparaître aucune émotion sauf celle de la colère lorsqu'il déclare posément :

— Il a insulté votre fille et votre arbre généalogique sur toute une génération. J'ai estimé qu'il méritait ce qu'il lui arrivait.

Père serre les mâchoires. Je doute qu'Adryen ait seulement fait cela mais je lui demanderai des réponses plus tard. Pour toute réponse, Père hoche la tête dans un signe de respect.

— Tu as bien fait dans ce cas.

Les mouvements se tassent. Les gardes emmènent Adryen loin d'ici, et Père reprend ses fonctions. Au-dessus de nos têtes, le ciel gronde et des frissons me parcourent l'échine.

— Je déteste les orages, murmuré-je.

Darren s'avance vers moi et hausse les épaules d'un air nonchalant.

— Je peux rester avec vous.

Lorsque je le regarde, quelque chose se perd en moi. Ses yeux m'évitent, et il tente de passer sa main dans ses cheveux mais se heurte à la saleté et au sang. Son visage est plein de boue et de sang séché, et ses poings tellement écorchés que je doute qu'il n'ait pas vraiment mal actuellement.

— Cela serait vous donner l'avantage à vous. Les autres prétendants pourraient avoir des représailles.

Il ose enfin croiser mon regard. Ses yeux étincellent d'une lueur nouvelle, et il s'essuie la bouche avant de lâcher si bas, que j'ai presque du mal à l'entendre :

— N'est-ce pas ce que vous voulez ?

Il s'approche, fait un pas. Le monde autour de moi se tasse. Les silhouettes de Freya et de Hedge ne sont plus qu'un lointain souvenir. Le grondement de l'orage ne m'effraie plus lorsqu'il n'est plus qu'à quelques centimètres de moi.

— Si vous avez l'intention de remporter ce tournoi, alors peut-être.

— Je n'en ai pas seulement l'intention, Reyna. Je gagnerai. Pour vous.

— Mais je n'ai jamais connu ce genre...

Je me tais. Il m'observe avec curiosité. Lève la main pour caresser mon visage. La foule autour de nous peut nous observer, je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien, sauf ses doigts sur ma joue. Je ne pense à rien d'autre.

— Que voulez-vous dire ?

Il paraît confus, comme s'il ne comprenait pas où je voulais en venir.

— Si vous gagnez... si vous gagnez ce tournoi, Darren... que se passera-t-il ensuite ?

Son regard se fige, puis s'illumine. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, alors qu'il se penche vers mon oreille, lentement, très lentement.

— Je vous embrasserai.

— Et pourquoi ne le faites-vous pas maintenant ?

Son souffle se coupe. Je l'entends. Je le sens se figer. Se glacer presque. Il recule, et son visage passe par un millier d'émotions. Il me dévisage, totalement confus comme si je venais de chambouler son monde. Il m'observe, et j'ai l'impression que mon cœur va s'extirper de ma poitrine. Tous mes sens sont dès à présent aux aguets.

Darren me regarde, et en ce moment même, c'est la chose qui me rend la plus heureuse.

— Reyna... je ne peux pas... je ne peux pas...

Il recule de plusieurs pas, troublé. Mais son attitude est différente. Quelque chose cloche. Quelque chose que j'ignore.

Il s'enfuit. Il s'en va, me laissant toute seule. Et au loin, les silhouettes de Freya et de Hedge n'inaugurent rien de bon. Tous deux me fixent, l'air impénétrable mais je me doute que quelque chose ne va pas.

• • •

La fin d'après-midi s'écoule sans incidence. Je dîne en silence avec ma famille, et pour une fois, nous ne discutons pas des prétendants mais de simples banalités. En revanche, Anthos ne cesse de m'embêter avec le peuple qui raffolerait de Darren. En attendant, celui-ci est parti comme un voleur. Et je tente de ne plus penser à lui, jusqu'à m'endormir.

Plus tard, ma nuit est agitée. Je le sais car de grosses sueurs froides me traversent. Je me réveille plusieurs fois, par intermittence. Mon cœur bat fort toute la nuit et je laisse cela sur le compte de l'orage.

Mais je me réveille en sursaut en pleine nuit. Un frisson me parcourt l'échine. Mon corps est plein de sueur alors que je suis presque dénudée, et ma tresse à moitié défaite. Je redresse la bretelle de mon haut, et pousse un gros soupir.

J'ignore si mon état est dû au stress ou bien à l'orage qui ne cesse de faire rage au-dehors. Il faut avouer que l'état de stress serait légitime. Le bal aura lieu demain soir, et il ne reste plus que cinq prétendants. Je saurai à l'issue de cet événement qui sera mon potentiel et futur époux. Je suis terrifiée. Terrifiée à l'idée de m'unir à quelqu'un que je n'aime pas.

Lorsque je repense à Darren... Je ne devrais pas penser à lui. Il s'est montré odieux au début du tournoi mais il a ensuite agi avec beaucoup de bonté et... J'ignore quoi penser de lui et de cette situation.

Quoiqu'il en soit, je dois dormir. Je vais pour me rallonger lorsqu'un mouvement extérieur attire mon attention. Je me glace d'horreur.

Il y a quelqu'un sur mon balcon.

Je me retiens de crier. Je vois des mains gantées tenter d'ouvrir le loquet de mes portes-battantes, et mon cœur se fige de terreur. Une sueur froide me prend. Si je hurle, les gardes rappliqueront. Mais qui m'indique qu'ils seront dehors, devant ma porte ?

Le loquet grince, et je plaque ma main sur ma bouche pour ne pas hurler. Ma porte de chambre me paraît tellement loin, mais je ne peux pas m'enfuir, ou bien j'attirerais l'attention de l'intrus sur mon balcon.

Du coin d'œil, j'observe tout ce qui pourrait m'être utile en arme. Ma lampe de chevet ? Une pince à épiler ? Non. Je dois m'enfuir.

Alors, je ne pense plus à rien. Je ne pense plus au sentiment d'effroi qui fait tordre mon ventre lorsque je m'extirpe de mes draps. Debout, j'avance à pas feutrés, mais l'intrus perçoit mon mouvement et s'énerve sur le loquet qui ne semble pas se dévérouiller.

Alors, dans un bruit sourd, le type casse la vitre de son arme. Je ne réfléchis plus : je prends mes jambes à mon cou.

Je me rue vers la porte de ma chambre que j'ouvre, pour alerter mes gardes mais mes pieds butent dans quelque chose de lourd et dur. Je baisse les yeux au sol et hurle de toutes mes forces.

Au sol, les deux gardes ont la bouche ouverte et les yeux injectés de sang, la gorge tranchée profondément. Les larmes coulent sur mes joues lorsque je les enjambe pour courir dans le palais.

Je n'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. J'ose tourner la tête derrière moi pour voir l'intrus me prendre en fuite, une épée en main. Mes poumons me font mal lorsque je tourne à un couloir. Le type va me rattraper. Je suis pieds nus, en vêtements légers et n'ai rien pour me défendre.

Les gardes du palais ont disparu. Personne ne viendra me sauver. Personne ne veillera sur moi. Arrivée au bout du couloir, acculée contre le mur, je me retourne vers mon ennemi. Son visage n'est même pas caché. Barbu et trapu, il ressemble à un ogre. Derrière lui, d'autres silhouettes se détachent et je devine être ses acolytes.

— Que me voulez-vous ?

Il grogne comme un animal en se jetant sur moi. Il m'agrippe par la chemise, et son haleine fétide s'écrase contre mon visage lorsqu'il répond, tout sourire :

— Venger notre roi.

Il lève son épée et j'attends le coup de grâce, qui ne vient jamais. Il n'aura jamais le temps de me frapper, ni de me faire du mal, j'espère. Il se retient, pas pour moi, mais parce qu'un hurlement masculin résonne dans tous les recoins du palais. Dans son dos, j'aperçois la silhouette de Darren et de deux autres hommes. Je les devine être Père et Monroe.

Ils sont à l'autre bout du couloir. Ils n'auront jamais le temps de venir jusqu'ici pour me sauver. D'autant plus quand les deux acolytes de l'homme qui va me tuer les retiendront. Ils dégainent leurs épées, prêts à frapper à tout moment.

L'ogre me lance un sourire carnassier en m'agrippant par ma tresse. Il me plaque contre le mur comme si je ne valais rien, et ses grosses mains s'arrêtent sur ma poitrine. Son regard change alors, et une lueur perverse y scintille.

— Non ! Non !

Je hurle, tente de me débattre, mais rien n'y fait. Ses mains s'agitent, ses doigts s'agitent sous mon débardeur et je pleure tellement que j'en ai mal au ventre. Je ne veux pas mourir comme ça, je ne veux pas mourir après avoir souffert, je veux simplement qu'on me laisse, qu'on arrête de constamment me prendre pour la propriété de tout le monde, qu'on cesse de me traiter comme si je n'étais qu'un bout de viande, qu'un ridicule bout de viande.

Au loin, je vois Darren et Père se figer d'horreur. Mais une figure se distingue.

Monroe dégaine ses armes. De fins poignards bien tranchants. Dans un grognement inhumain, il se rue vers ses adversaires, les plantant comme s'il avait huit vies devant lui. Il égorge l'un d'entre eux, envoie valser son poignard dans un autre, et n'est plus qu'à une dizaine de mètres de moi.

— Relâchez la princesse ou mourrez.

Sa voix est calme, précise. Il ne laisse rien paraître.

La brute qui me tient en tenaille me lâche pour me plaquer contre lui, sa lame se refermant sur ma gorge.

— Un mouvement et je l'égorge !

Je pleure encore plus lorsque je réalise que mon haut a été déplacé et que l'on voit quasi tout. Je pleure quand je vois les traces de doigts de mon agresseur sur mes bras, si rouges, si forts, si... dégoûtants.

Monroe semble hésiter. Il sait que s'il tire, je suis morte. Il sait aussi qu'il ne peut se le permettre. Un mouvement d'hésitation le saisit. Une horde de gardes déboulent dans son dos pour mettre fin au carnage. Père hurle alors :

— Lâchez tous vos armes !

Monroe hésite encore mais lève les mains en l'air. On parle de la vie de la princesse. Les gardes laissent tomber leur épée, et seul Darren est sans armes. Il me fixe, un air navré au visage comme s'il s'excusait du malheur qu'il me causait alors qu'il n'y est pour rien. Pas vrai ?

Mon agresseur presse sa lame contre ma gorge si fort que le sang se met à couler. Je ne veux pas mourir comme cela. Devant un tas de gens qui me regardent avec pitié car je suis incapable de me défendre.

— Nous allons enfin pouvoir négocier, jubile mon agresseur.

Père est au bord des larmes. Derrière lui, j'entre aperçois Mère, Anthos et Nethan.

Je ne veux pas mourir devant ma famille.

Mais une voix s'élève au-delà du silence, forte, féminine et plus tranchante que jamais, comme la lame aiguisée qui vient se nicher entre les deux yeux de mon agresseur :

— Je ne crois pas, non.

Le corps du type retombe lourdement derrière moi, et je m'effondre à genoux en larmes.

Au loin, une silhouette se distingue de toutes ces carrures masculines. Taillée comme une déesse, de longues boucles brunes encadrant son visage, Freya s'avance et dépasse Monroe qui la dévisage comme si elle venait d'invoquer tous les dieux réunis.

— Vous hésitez trop, peuple d'Imir. Osez un peu plus la prochaine fois.

Elle s'avance jusqu'à moi, déloge son poignard de l'homme à présent mort et s'abaisse devant moi. Ses yeux sont grands et plongent dans les miens.

— Essuie tes larmes, reine.

Elle remet en place mon haut qu'elle s'assure de redresser suffisamment pour qu'aucun bout de sein ne soit visible puis me serre dans ses bras pour étouffe mes sanglots.

Derrière elle, le monde vire au noir lorsque je vois plusieurs silhouettes accourir vers moi. Plus rien n'a d'importance, sauf la présence de celle qui vient de me sauver la vie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top