Chapitre 30

— T'ont-ils fait du mal ?

Je prends Enora par le bras de la plus douce manière possible. Elle a l'air mal en point. Ses traits sont tirés et un bleu s'est dessiné sur le haut de sa pommette. Quelqu'un a dû la frapper.

— Ils sont venus me chercher lorsque je dormais. Je me reposais, chuchote-t-elle. Et maintenant, je n'arrive plus à fermer l'œil.

— Je suis désolée d'avoir attendu la nuit, Enora. J'ignorais où tu étais enfermée et il fallait que je parle à mes parents. Ils ne veulent rien entendre, mais... tu devras rester dans ta chambre. Et ne pas en sortir avant que je puisse te défendre.

Elle s'appuie sur moi et nous sortons de ce maudit cachot. J'ai ordonné aux gardes de me laisser entrer, mais me laisser sortir est une toute autre chose.

Sans un mot, je me dirige vers les escaliers. Arrivée en haut, je pousse la porte, Enora toujours accrochée à moi. Ses petites mains s'agrippent à ma robe comme si sa survie dépendait de moi, ce qui l'est pour le coup.

La sortie mène tout droit au rez-de-chaussée du palais puisque les prisons sont situées dans les souterrains. Lorsqu'Enora rentre en contact avec la lumière du jour, ses yeux se plissent. Je tombe nez-à-nez avec deux des gardes.

Ils me surplombent de toute leur hauteur et je lâche d'une voix mauvaise :

— Poussez-vous.

— Nous avons des ordres stricts de Sa Majesté, Votre Altesse. Hors de question de laisser la fille s'en sortir.

— Poussez-vous ou vous finirez à la potence à la place de l'accusée.

Aucun des deux ne cille. Je les observe d'un air agacé. L'un d'eux doit avoir quarante ans, l'autre la trentaine. Ce qui est sûr c'est qu'ils me barrent le chemin.

— Les ordres sont les ordres.

— Et les ordres le seront aussi lorsque la couronne sera transmise. Lorsque mon père mourra ou décidera de déléguer le pouvoir, le règne reviendra à mon frère Anthos. Mon cher et proche frère. Qui n'hésitera pas à suivre mes ordres de vous retrouver et de vous faire pendre sur la place publique pour avoir osé désobéir à la princesse d'Imir. Je vous ordonne de vous pousser.

L'un d'eux cille. C'est suffisant. Il s'écarte et son collègue se sent dans l'obligation de suivre. Sans un mot, je les dépasse et me déplace dans les couloirs sous les regards ébahis des domestiques et des autres gardes qui osent à peine bouger.

Au bout du couloir, les candidats avancent en groupe et croisent notre chemin. Moi, une maudite princesse, avec sous le bras une jeune fille apeurée et battue qui a l'air en piteux état.

Anthos surplombe le groupe. Ses yeux ne sont pas posés sur moi, mais sur Enora. Quelque chose s'anime dans son regard. Il est d'une colère noir. Il traverse le couloir, ses bottes claquant contre le marbre et il ne fait que passer à côté de moi.

— Je vais raisonner Père. Cette pauvre fille s'est fait battre et salir sans aucune raison.

J'ignore pourquoi il tient subitement avec moi, mais ce que je sais, c'est qu'il a l'air furieux. Et Enora n'a pas levé les yeux de tout le long, peut-être est-ce dû à la lumière aveuglante, ou bien à autre chose, mais je n'en ai pour l'instant aucune idée.

• • •

Père n'est pas là pour présenter l'épreuve de cette après-midi. La dernière avant la finale. Ils ne sont plus que sept et à l'issue de celle-ci, ils ne seront plus que cinq.

Aujourd'hui, le soleil ne brille pas haut et fort. J'ai conseillé à Enora de ne pas bouger de sa chambre avant que nous puissions la défendre. Il nous faut des preuves solides qui ne l'incriminent pas. Et étrangement, Anthos semble prêt à m'aider.

Assis à mes côtés, nous observons les drapeaux d'Imir s'affoler au gré du vent. C'est presque une tempête à ce stade. Le ciel est si gris, annonciateur d'un orage à venir.

— Cette fille n'y est pour rien.

— Je le sais. Enora ne voudrait jamais me tuer.

— Au-delà de cet aspect, Reyna, explique Anthos, elle passe son temps à coudre et à traîner dans les cuisines pour donner un coup de main. Quand tu étais sorti avec Darren à Edros, je l'ai vue. Elle préparait un gâteau dans les cuisines pour toi, lorsque tu serais revenue. Elle baisse les yeux dès qu'elle voit quelqu'un dans les couloirs, peine à se faire entendre par la douceur de sa voix, et aurait été capable d'assassiner deux gardes à mains nues ?

Anthos me paraît différent. Il a l'air calculateur, comme si quelque chose se préparait, et que j'ignorais tout de ces plans. Un long silence s'installe et je finis par demander :

— Que se passe-t-il, Anthos ? J'ai l'impression qu'avant ce tournoi, nous nous disions tout mais depuis quelques temps... tu m'es distant. Je me sens écartée des confidences de cette famille et... cela me blesse. J'aimerais que nous soyons unis toi et moi.

Il fronce les sourcils en observant au loin comme si ces vérités qu'il devait m'avouer lui étaient douloureuses.

— Reyna...

— Parle-moi, Anthos. Je suis ta sœur. Tu es mon frère, mon sang. Laisse-moi savoir.

Je le détaille. Il a revêtu une veste rouge bordeaux aujourd'hui, et ses cheveux sont coiffés différemment. En à peine quelques semaines, il a changé et je ne me suis aperçue de rien.

— Une guerre se prépare. Et j'ai peur pour toi, petite luciole. Car si demain, le palais se fait envahir, j'ai peur de ne pas savoir te protéger.

— Tu sauras m'aider, Anthos. Et je saurai me défendre.

— Mais tu as la fragilité de Mère, Reyna. Tu es innocente et... sans défense, les hommes armés que Père me décrit sans cesse ne feront qu'une bouchée des gens de ce palais.

Tu as la fragilité de Mère.

Ces propos m'hérissent le poil. Mais je n'ai pas le temps de lui répondre car aussitôt, on prend le micro pour annoncer la prochaine épreuve.

C'est Mère, qui a rabattu les pans de sa robe contre elle pour se protéger du vent.

— Chers candidats, aujourd'hui la dernière épreuve avant la finale se jouera et vous départagera. Comme a pu le préciser mon époux, cette épreuve a su être mythique autrefois dans le Jeu des Roses. J'annonce : le labyrinthe des cœurs ! Vous devrez faire preuve d'ingéniosité et de logique pour retrouver votre chemin et espérer remporter la première danse du bal avec Reyna, organisé demain soir.

Aoutch. J'oubliais que la finale était si proche de la dernière épreuve. Au loin, mes yeux se posent sur Darren et je commence à avoir un très mauvais pressentiment.

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