Chapitre 28
REYNA
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Ma tête me fait mal. Si mal que lorsque je rouvre les yeux, le monde me paraît différent. Le soleil ne m'éblouit plus. La chaleur ne me brûle plus la peau. Il fait sombre et froid là où je me trouve. Un frisson me parcourt l'échine. Des voix me font écho mais je suis encore sous le choc du coup que je me suis pris.
— ...Majesté de Kelinthos serait déçu de vous...
Des bribes incessantes et tellement peu cohérentes de voix se font bataille dans ma tête.
— ...accomplirons le travail que vous n'avez su effectuer...
Je lutte pour comprendre ce qu'il se dit. Mais je crois que j'ai été droguée. Impossible que le coup à la tête m'ait abattue de la sorte.
— ...qu'un bon à rien...
Je mets plusieurs minutes à découvrir mon environnement. Je suis liée à une chaise, et dans l'incapacité de bouger mes mains et mes pieds. En face de moi, le type qui m'a asséné un coup me dévisage avec un sourire pervers.
Derrière lui, Darren est ligoté sur une chaise. Son visage est plein de sang et d'éclaboussures comme s'il avait semé la mort autour de lui. Et il ne ressemble plus du tout à l'homme que j'avais en face de moi tout à l'heure. Ses cheveux sont trempés de sueur et de sang, ses joues rouges sous l'effort qu'il a dû fournir pour contrer nos assaillants. Sa chemise est elle aussi pleine de sang.
Il me dévisage sans un mot, la haine présente dans son regard. Lorsque j'admire le lieu autour de moi, je suis dans une sorte de vieille église. Il n'y a personne d'autre que moi, le balafré et Darren.
Le balafré vagabonde d'ailleurs avec une fine lame dans les mains. Il avance vers moi, un sourire triomphant aux lèvres.
— Cet arme appartient à ton cher et tendre. Sais-tu pourquoi il se balade depuis le début du tournoi avec une arme sur lui ?
Je suis encore dans les vapes pour pouvoir répondre. Au lieu de cela, mes yeux croisent ceux de Darren. Pour la première fois, j'y lis de la peur. La peur de... de quoi, au juste ?
— Avant de te tuer, j'estime que tu dois connaître la vérité quant à son sujet. Darren est un maître d'armes. Férocement entraîné depuis sa tendre enfance pour accomplir une seule et unique mission. Vois-tu, son père l'a élevé dans le silence et l'ignorance du monde pour pouvoir faire de lui un soldat. Il devait combattre pour son pays...
Le balafré s'approche de moi. Ses doigts caressent ma joue et je retiens un hoquet de dégoût.
— ...vaincre l'ennemi. Mais il a échoué. Et son père le sait. Il en a été informé en ce jour. Il viendra bientôt remplir lui-même la mission.
Il vient faire traîner la lame contre ma peau nue. Appuie légèrement au creux de ma clavicule et je me crispe de douleur. Il appuie plus fort et je pousse un grognement presqu'inaudible.
— Laisse-la tranquille ! rugit Darren.
Le balafré s'arrête, étonné. Ses yeux parcourent Darren, puis moi. Il ne cesse d'alterner entre nous deux et il finit par éclater d'un rire tonitruant.
— M'enfin... les pièces du puzzle s'emboitent donc !
Le sang goutte le long de mon épaule et je me retiens de geindre. Ma tête bascule sur le côté d'épuisement, alors que je vois Darren lutter pour défaire ses liens. La rage est explicite sur son visage.
— Le petit prodige n'a pas pu remplir sa mission, vois-tu, Reyna, poursuit le balafré. Il a eu comme, qui dirait, un contretemps. Et ce contretemps, c'est toi !
Il m'agrippe la tête et plaque sa lame contre ma gorge. Je vois Darren pousser des hurlements de taureau en faisant valser sa chaise dans tous les sens. Je ne l'ai jamais vu aussi agité.
— Cet idiot s'est épris pour celle qu'il était supposé t...
Je vois flou. Devant moi, Darren s'extirpe de ses liens et avant que le balafré n'ait pu me trancher la gorge, il dégaine une arme à feu. Et vise la tête du type en moins d'une seconde.
Tout se passe à une vitesse éclair. Le corps du balafré retombe lourdement dans mon dos. Des étoiles dansent sous mes yeux. Je ne comprends pas comment Darren a réussi à s'échapper.
Tout ce que je sais, c'est qu'il dénoue mes liens en un rien de temps et me saisit dans ses bras.
— Qu'étiez-vous supposé faire... je souffle, reprenant les derniers mots de notre agresseur.
— Chut, fermez les yeux, Reyna. Je vous ramène à la maison.
Et tout devient sombre.
• • •
Lorsque je rouvre les yeux, je suis allongée sur mon lit comme si j'étais sur mon lit de mort. Il fait sombre, signe que la nuit est tombée. Ma tête me fait atrocement mal, et lorsque j'apporte mes doigts à mon crâne, j'y sens une bosse.
Je manque de lâcher un cri lorsque je vois le corps de Darren allongé à mes côtés. Il a les yeux ouverts et se redresse lorsqu'il réalise que je suis réveillée. Il paraît fatigué, et peut-être sommes-nous au milieu de la nuit car il s'est probablement endormi.
— Vous avez dormi plusieurs heures. Vous sentez-vous mieux ?
Mais lorsque je le vois, lorsque j'appose mes yeux sur lui, quelque chose a changé. Tout me revient en mémoire comme une bombe à la tête.
Le petit prodige n'a pas pu remplir sa mission.
Et le balafré me sourit.
Et son père le sait.
Et sa lame descend sur moi.
Je bondis de mon lit, le cœur battant à vive allure. Je regarde cet homme qui a provoqué un tumulte de sentiments en moi, et je ne le reconnais plus.
— Qui êtes-vous ?
Il quitte mon lit, les mains en l'air en signe de rédemption.
— Ce n'est pas ce que vous croyez, Reyna.
— Qui vous a donné l'autorisation de m'appeler ainsi ? Gardes ! je m'époumone. Gardes ! L'imposteur est ici !
Je hurle de toutes mes forces. Mais personne n'accourt. Darren me dévisage avec un air peiné.
— Vos gardes sont morts. Et ceux postés devant votre chambre ont été assassinés il y a quelques heures, lorsque nous étions encore à Edros.
Je retiens un hoquet. Comment se fait-il que...
— Lorsque je vous ai ramenée au palais, en sang et vous mal en point, vos parents se sont inquiétés. Vos gardes avaient été tués un peu plus tôt et l'on avait peur pour votre vie. Tout compte fait, nous avons bien fait de nous éloigner du palais. Le traître a tenté d'attenter à votre vie, Votre Grâce. Mais Sa Majesté est parvenu à coincer l'assassin.
Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Je dévisage Darren, accablée par ces récents événements. S'il n'est pas le traître, qui l'est ?
— Reyna, prenez un moment pour vous asseoir.
Je l'ignore. Je scrute la moindre parcelle de son visage, le moindre signe qui montrerait chez lui un soupçon de trahison. Mais rien ne vient. Il paraît sincère.
— Dites-moi qui est accusé.
— Assey...
— Dites-le-moi !
Il attend quelques secondes mais s'il ne parle pas maintenant, je m'en irais. Heureusement pour lui, il ouvre enfin la bouche.
— Enora a été attrapée. Elle sera exécutée au petit matin demain. À l'aube.
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