Chapitre 26

Lorsque je descends les marches du palais, quelque chose m'interpelle. L'ambiance est étrange. Les gardes qui surveillent l'entrée ne sont plus à leur poste, et le jardin est atrocement vide. Le soleil brille toujours haut et fort dans le ciel bleu, mais ce n'est plus comme avant.

Je suis, dès à présent, supposée partir avec Darren pour Edros, et pourtant, quelque chose me retient.

Je remonte les marches que je venais de descendre en soulevant les pans de ma jupe, et m'empresse de rejoindre l'allée centrale du palais. Arrivée en haut, je fonce dans un torse dur. Il appartient toujours au même.

Darren me saisit par les épaules pour m'arrêter dans ma lancée.

— Votre Grâce ?

Il paraît inquiet. Je m'éloigne de lui, peu attentive. Mes yeux balaient le couloir. Les gardes se précipitent dans les couloirs d'un pas pressé, comme si le danger appelait.

Je suis soulagée lorsque j'aperçois Mère au tournant d'un couloir. J'accours vers elle en abandonnant Darren et m'écrie :

— Que se passe-t-il, bon sang ?

Mère paraît contrariée. Ses grands yeux bleus se posent sur moi, puis sur Darren derrière moi. Elle me prend alors par les mains pour me tirer à l'écart.

— Écoute, je ne suis pas supposée t'en parler.

— Je mérite de savoir, imploré-je.

Elle a l'air tellement pressée qu'elle ne semble pas s'attarder sur mes lamentations. Elle m'explique alors d'une traite, et d'un regard vacant :

— Plusieurs attentats ont été perpétrés à Imir depuis le début du tournoi. On suppose que c'est une attaque directement visé de Kelinthos. Ton père a des différends avec leur roi qui remontent à bien longtemps avant ta naissance. Or, ces attentats ont pu avoir lieu grâce à l'aide d'une personne infiltrée dans le palais. Seul ton père avait accès à certaines informations, et un petit voleur s'amuse à vagabonder la nuit dans le palais pour récupérer ces informations. On a d'abord supposé qu'il agissait parmi les nouveaux employés que l'on a embauchés pour le tournoi mais... On pense qu'il se cache parmi les prétendants au jeu, Reyna.

J'écarquille les yeux. À l'issue même de ses mots, Père apparaît derrière elle, la main sur son fourreau comme prêt à bondir.

— On l'aura trouvé d'ici ce soir, marmonne-t-il. Reyna, il me semble que tu as des devoirs pour cette après-midi.

Il me désigne d'un signe de tête Darren dans mon dos. Je m'offusque alors :

— Et s'il est l'infiltré ?

— Il n'est pas la taupe. J'ai déjà vérifié. Je les ai passés au crible ces dernières heures, et s'il le faut ils subiront un interrogatoire spécialisé. En attendant, file. Je crois bien qu'il est presque plus dangereux de rester dans ce palais que dehors.

Il saisit Mère par le bras pour l'amener à l'écart et je brûle de savoir ce qu'il se dit. Mais lorsque je me retourne, Darren m'attend, les mains dans le dos, un air impénétrable au visage.

• • •

Le soleil me brûle le visage. Lorsque nous arrivons au cœur de la capitale, ce qui n'est qu'à une vingtaine de minutes du palais, je me sens reposée. Le trajet a été silencieux en compagnie de Darren. Il a passé le plus clair de son temps à regarder dehors sans jamais me parler de ce qu'il s'est passé tout à l'heure.

Il a bien vu les gardes pressés dans tous les sens. Pourquoi n'a-t-il rien dit ? Se pourrait-il que Darren soit la taupe malgré les vérifications de Père ?

Mes yeux s'attardent sur lui. Il s'est changé. Il a revêtu une chemise en lin, déboutonnée pour laisser un début de torse musclé apparaître. À son poignet, une petite chaînette en or brille. Il regarde droit devant lui, mais je sais qu'il m'a vue.

— Avez-vous des questions à me poser ? s'amuse-t-il alors que nous descendons de la calèche.

Je repasse mes mains sur les plis ma robe. Mes boucles sont lourdes dans mon dos et laisse apparaître une fine couche de sueur tant il fait chaud. Je sens que mes joues sont bien rouges.

Nous avançons sur l'avenue principale de la ville, tandis que les deux gardes dans mon dos gardent une distance respectueuse.

— Pourquoi n'avez-vous pas posé de questions sur ce qu'il s'est passé tout à l'heure ?

— Je ne voulais pas vous importuner, dit-il en haussant les épaules.

Il a une démarche assurée. Il y a beaucoup de monde en cette fin d'après-midi. Certains nous lancent des regards étranges, d'autres nous fixent avec insistance. Nous continuons à marcher en silence, et je me sens de plus en plus mal à l'aise avec les regards que l'on me porte.

Je sors peu du palais en temps normal. J'ai peur de rencontrer la foule. J'ai peur de croiser les yeux de mon peuple et d'y lire de la déception. J'ai peut-être peur d'affronter le monde, tout compte fait.

— Vous êtes mal à l'aise.

Et il le remarque. Ses yeux m'étudient avec curiosité. J'ose affirmer que son regard sur moi a changé. Il se montre... protecteur.

— Je n'aime pas être le centre d'attention.

— Mais vous êtes un modèle pour ces gens.

— Je ne dirais pas un modèle...

Mais j'ai parlé trop vite. Darren me fait un signe de tête pour expliciter ses propos. Deux petites filles accourent vers moi en me tendant leurs mains. Elles doivent avoir huit et dix ans et sont tout simplement adorables.

Je m'agenouille pour être à la hauteur, et autour de moi un murmure surgit des foules. Les deux gardes dans mon dos se crispent, prêt à refouler le mouvement créé par les gens. Mais ils n'empêcheront pas ces deux fillettes de me parler.

— On t'a cueilli des fleurs, clame l'une d'entre elle.

— Maman a dit que ça pouvait te faire plaisir.

— C'est très gentil à vous, je souris.

Elles me tendent chacune des fleurs, des marguerites. L'une d'entre elle me demande si elle peut me la glisser dans les cheveux et je ris en acquiesçant.

— Tu es trop belle ! s'écrie la plus petite. Quand je serais grande, je veux être comme toi.

Lorsque je relève la tête, les yeux de Darren se mettent à briller. Il me dévisage avec une rare émotion, que je lui ai peu souvent vue. Sa bouche est légèrement ouverte alors qu'il tend le bras pour toucher du bout des doigts la fleur dans mes cheveux.

Alors à ce moment, j'ai l'impression d'être un trésor à ses yeux. Car il ne me dévisage plus de la même manière qu'il le faisait au début. Tout est différent.

— C'est qui le monsieur avec toi ?

— Oh, lui ? Il s'appelle Darren, et il m'accompagne cette après-midi pour une balade.

Les deux fillettes se mettent alors à le dévisager avec des yeux aussi brillants, comme si elles venaient tout juste de tomber amoureuses.

— C'est ton prince charmant ?

Je lâche un rire en me redressant. Darren semble lui aussi attendre une réponse de ma part, et la maman des fillettes par la même occasion qui me dévisage avec un grand sourire admirateur.

Mes yeux voyagent entre Darren et les fillettes et je finis par répondre :

— Pour cette après-midi, oui.

Elle poursuivent leurs interrogations.

— C'est ton amoureux ?

Darren n'a jamais paru aussi investi dans une question posée. Il me scrute avec intensité, comme si ma réponse allait changer quelque chose entre nous.

Comme si ma réponse était décisive dans le choix d'un plus tard.

— Peut-être.

Mais mes joues sont bien rosies sous l'effet de cette question. Les fillettes ne semblent pas satisfaites de ma réponse et accourent jusqu'à Darren en s'accrochant à son pantalon.

— Reyna c'est ton amoureuse ?

Il semble pris de court. C'est à mon tour de le regarder avec amusement. Ses yeux se posent sur moi, s'accrochent aux miens et ne les quittent pas lorsqu'il répond :

— C'est mon amoureuse, oui.

Arrêt sur image. Mon cœur s'arrête. Saisit la portée de ces mots. Les réévalue. Puis il repart. Bat si fort qu'il me fait mal.

Les petites filles se mettent alors à sauter et à crier de joie. Des applaudissements retentissent dans la foule, et comblent les murmures curieux.

Les gens accourent alors, pour nous féliciter de cet amour naissant, ou simplement pour nous dire qu'ils suivent le tournoi avec beaucoup d'attention, que Darren est leur favori depuis le début des jeux, ou bien que je suis une splendide jeune femme qui sied parfaitement au gentleman à mes côtés.

Quoiqu'il en soit, on nous félicite d'un amour fictif. Car après tout, ce ne sont que des réponses attribuées à des enfants pour ne pas leur briser le cœur sur leur vision de l'amour, non ? Rien de tout cela n'est sincère, n'est-ce pas ?

La foule commence à grossir, si bien que Darren est obligé de me tenir à l'écart pour que nous puissions retrouver du calme. Au tournant d'une rue, je réalise que les deux gardes sont fidèles à leur poste. Ils ne nous ont pas lâchés.

Je reprends mon souffle dans le coin d'une petite rue, un grand sourire aux lèvres.

— Quelle aventure !

Darren me renvoie mon sourire. Il devient étonnamment appréciable de l'avoir en sa compagnie. Il devient presque... agréable de l'avoir à mes côtés.

— Vous l'avez dit...

Je me redresse l'espace d'un instant pour le dévisager, mais tout vole aux éclats. Sous mes yeux, trois hommes accourent vers nous et transpercent l'un des deux soldats de leur épée. Je pousse un hurlement en voyant le garde s'effondrer à mes pieds. En quelques secondes à peine, un autre tranche la tête du second sous mes yeux pétrifiés.

Sa tête roule jusqu'à mes pieds, et je crois bien que je vais faire un malaise. Mais Darren me saisit par le bras pour me tirer à l'écart, pour nous permettre de fuir.

Nous avons à peine fait quelques mètres que Darren se fige en poussant un grognement. Lorsque je vois sa chemise se tinter de sang, quelque chose s'arrête en moi. C'est peut-être mon souffle. C'est peut-être mon cœur.

Je fais volte-face pour tomber nez à nez avec les trois hommes.

— On emporte la fille. Tuez l'autre.

Mais je n'ai pas le temps de saisir la portée de ces mots qu'il m'assène un violent coup à la tête.

Et mon monde vire soudain au noir.

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