Chapitre 21
Ses mouvements sont fluides dans l'eau, si bien que je le soupçonne d'avoir pratiqué la natation à haut niveau. Tous les candidats sont revêtus d'un fin haut de natation, et le sien moule les muscles de son dos à la perfection.
— J'ignore si Sir Darren parviendra à rattraper le retard considérable qu'il a pris, murmure Enora à mes côtés.
— Je ne l'espère pas.
Mon ton est sec, mais mes yeux ne peuvent s'empêcher de suivre la trajectoire de Darren. Il a pris bien trop de retard. La plupart des prétendants ont déjà passé la moitié de la course. Il va s'en dire que celle-ci est tout sauf compliquée : une ligne droite qu'il faut parcourir d'une traite sans s'arrêter.
En tête, le pire candidat que j'imaginais : Adryen. Il nage de manière féroce, ses mouvements sont brutaux machinales. Et il s'est créé une large avance, si bien que je regrette presque de ne pas avoir avantagé Gortus. Une séance avec les journalistes n'aurait pas été désagréable en sa compagnie.
Alors qu'avec Adryen...
Je déglutis discrètement. Darren est toujours si loin... il ne rattrape aucun candidat. Et il risque l'élimination, ne le sait-il pas ? Il aura été donc si prétendant et arrogant tout le long pour absolument rien !
J'en ragerai presque.
— Vois-tu cela, ma chère sœur, ton candidat favori frôle l'élimination d'une seconde à l'autre.
Car la course est bientôt terminée. Pas de surprise : Adryen arrive en tête, suivi de peu d'un autre et de Gortus.
Je tourne la tête vers Anthos qui semble surpris de la performance de Darren. Tout le monde semble surpris dans l'assemblée. Je vois déjà les titres des journaux : « Le candidat défavorisé vainqueur et roi des épreuves éliminé sur une pauvre course de natation. »
— Je n'en crois pas mes yeux, soupire Anthos. Je plaçais tellement d'espoirs en lui. Il semblerait qu'il n'ait pas acquis mes talents en natation.
— Excuse-moi, Anthos, quels talents, au juste ?
Il me montre son majeur et je lui offre mon plus beau sourire.
Devant nous, la course semble terminée. Et pourtant, non. Un candidat s'est arrêté de nager, bousculé par un autre qui lui aurait donné un coup de poing pour atteindre la rive avant lui. Les deux hommes en viennent à se battre dans l'eau, laissant ainsi l'opportunité à Darren de se rattraper.
Il ne met que quelques secondes à arriver alors que les deux types se hurlent maintenant dessus, en tentant de s'attraper l'un l'autre. Ils se relâchent finalement en voyant le dernier candidat arriver vers eux, et tendent leurs bras pour atteindre la rive le plus vite possible.
Ces hommes le savent : deux prétendants seront éliminés à l'issue de cette épreuve.
Darren plonge alors dans l'eau, disparaissant de nos radars. Je n'y comprends rien, mais tout s'éclaire quand je le vois remonter à la surface en un rien de temps.
Les mains sur le rivage.
Loin devant les deux autres hommes.
Un tonnerre d'applaudissements retentit venant de la foule, et j'y comprends alors ma défaite. J'aurais beau haïr de tout mon être Darren, les spectateurs et la cour le portent dans leur cœur. En le désavantagant à chaque épreuve, j'en ai fait un héros et un vainqueur.
Si bien que maintenant, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
• • •
La journée passe. Le soir tombe, et Enora m'aide à me vêtir pour le dîner de famille. Cela fait un moment que nous n'avons pas été réunis ensemble car, de manière générale, je mange bien trop vite pour avoir un semblant de discussion avec mes parents, et dans d'autres cas je reste cloîtrée dans ma chambre.
— Vous êtes très jolie.
Elle me sourit dans le reflet de la vitre. J'aimerais lui renvoyer le compliment mais je trouve le moment mal choisi car elle est en pleine préparation. Elle noue mes cheveux avec un nœud en arrière puis recule, satisfaite du résultat.
— Merci infiniment, Enora.
Je lui offre un petit sourire. Je sais qu'il n'est pas question que d'un repas puisque je serai dans l'obligation de fournir cette maudite interview à Adryen dès ce soir. Le prétendant que j'abhorre le plus avant Darren.
Lequel ne détestes-tu pas ?
Je chasse cette maudite voix de ma tête. Quoiqu'il en soit, Père a fait venir une journaliste hors-pair, m'a-t-il dit. L'interview ne devrait durer qu'une dizaine de minutes, un temps relativement court mais qui ne me déplaît pas car je pourrais m'enfuir sous peu, libre du restant de ma journée.
Je me hate dans les couloirs pour rejoindre rapidement la salle de réception. En son sein, la table a été dressée et je suis celle qu'on attend, puisque tout le monde a déjà pris place.
Je me mets à table sans un mot.
— Tu es en retard, me souligne Père.
— Je devais me faire toute belle pour cette interview, tu sais, celle que tu m'imposes de par ta hiérarchie, je riposte.
Il hausse un sourcil tandis que Mère tente de l'apaiser en mettant sa main sur son avant-bras.
Les mets sont servis. Mais je n'ai aucunement faim.
Le silence règne lorsqu'Anthos prend la parole :
— J'ai entendu cette après-midi, en me baladant dans les tribunes et parmi la foule, le succès que rencontre Darren. Les dames sont folles de lui et les gentilhommes estiment qu'il ferait un parfait époux pour Reyna.
— C'est vrai qu'il est plutôt bel homme, reconnaît Mère.
Elle me sourit d'un air complice comme si je partageais son avis mais je réplique :
— Ce n'est pas mon style.
— Tes yeux en disent autrement, pourtant. Tu le regardais avec curiosité cette après-midi, durant l'épreuve.
— Je ne veux pas de lui ! je m'écrie. Lui et moi ne partageons rien. Je ne partage rien avec aucun de ces prétendants !
Je jette un froid à table. Père se crispe, je le vois à ses doigts qui serrent trop fort la fourchette. Il finit par la poser dans un tintement aigu, et lève ses yeux vers moi.
— Reyna. Tu devras te satisfaire de l'un d'entre eux. Refuser un mariage pour un membre de notre famille serait vu comme inacceptable, qui plus est quand tu auras passé trois mois en compagnie de jeunes hommes. Le peuple attend un mariage.
Le peuple attend un mariage.
Je lève les yeux vers lui, mon père, mon modèle. Celui qui m'a bercée de rêves et d'illusions toute mon enfance.
— Je croyais que j'étais libre de choisir, je siffle.
Mes muscles se crispent. Mère baisse les yeux, ne sachant comment réagir.
— Et tu as le choix. Entre ces vingt prétendants.
Anthos se fait tout petit dans sa chaise. Aucun ne devine la fureur que je suis sur le point de livrer. Je la contiens. Je me force à respirer pour ne pas exploser.
— Ce n'est pas ce que j'appelle un choix.
Père me regarde d'une extrême froideur. Je ne le reconnais plus.
— Je me moque bien de ce que tu appelles un choix, Reyna. Je t'offre des possibilités car tu es ma fille, mais tu ne changeras pas l'issue des Jeux de cette année. Tu as un devoir royal, ne l'oublie pas. Anthos le sait bien, lui. Il perpétuera la lignée. Quant à toi, tu te dois de t'assurer un avenir, et cela passe par un époux. De notre temps, le choix n'était pas possible. Regarde Tante Eileen, elle n'a jamais eu le choix dès le départ, mais l'amour fait bien les choses.
Mais la fureur est envahissante. Elle s'insinue au plus profond de mon être, rouvre mes blessures les plus intimes, les lacère, les fait souffrir. Ma colère est telle qu'elle se libère, dans un cri strident :
— L'amour fait bien les choses ? Je n'ai pas été élevée dans l'absence totale de liberté ! Toi qui prônais le choix de rester célibataire à la fin du Jeu des Cœurs, tu ne l'appliques qu'aux autres, c'est ça, hein ? Tu es d'une malhonnêteté à en vomir. Pour les autres oui et pour ta chair, non ? Tu vendrais ta fille en pâture à un parfait inconnu au nom du devoir, de l'honneur et du peuple ! Je m'en contre fiche de ton peuple !
— Ton peuple est aussi le mien ! s'enrage-t-il. Et ne me parle plus jamais sur ce ton !
— Je suis libre d'épouser qui je veux, libre d'aimer qui je veux ! je rugis. Tu ne me forceras pas au mariage à l'issue de ce tournoi, et je le jure, au nom du Ciel Éternel, que si c'est le cas, Anthos et toi serez haïs pour avoir mis mon nom sur ces fichus papiers !
Anthos ne bronche même pas. Je crois qu'aucun d'entre nous n'a jamais vu Père dans une aussi grande fureur. Nethan trie ses pommes de terre, les joues rouges comme su c'était moi qui le disputais.
— Tant que tu vivras sous mon toit, Reyna, tu m'obéiras. Je suis ton père, et je suis aussi ton roi. Et je t'ordonne de respecter tes devoirs.
Les larmes roulent sur mes joues tellement je suis furieuse de cette situation. Je repousse ma chaise qui vient s'écrouler en arrière et m'enfuis en courant. J'entends les cris de Mère qui m'appelle, mais je n'écoute pas.
Je ne suis que désolation.
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