Chapitre 20

D'un pas incertain, je me dirige vers l'estrade. Les regards sont rivés sur moi, et j'arbore mon plus beau sourire afin d'annoncer la maudite épreuve qui va s'ensuivre.

Au premier rang devant moi, Mère sourit si fort que ses dents blanche manquent d'étinceler. Père, lui, garde la tête droite. Dans son regard brille l'assurance d'un roi, celui capable de prendre les pires décisions.

Je prends une inspiration pour lire le texte qu'on me tend dans les mains, mais je ne peux décrocher mes yeux de mes parents. Ceux qui m'ont élevée. Qui m'ont fait rayonnée et devenir celle que je suis aujourd'hui. Ces mêmes parents qui m'envoient en pâture à la dizaine de candidats qui s'imposent au devant de la tribune.

— Aujourd'hui, le Jeu des Cœurs se poursuit...

Ma voix se casse. Mère fronce les sourcils. Je dérape. Mon regard se perd dans l'assemblée et trouve celui d'Anthos qui se redresse au moment où mes mains tremblantes s'accrochent au pupitre. Ce n'est que la maudite annonce de l'épreuve, pourtant ! Et je suis tellement anxieuse que mon sourire se crispe de plus belle.

Mais les yeux de Père restent braqués sur moi. Ses sourcils sont froncés. Il ne semble pas aussi inquiet que Mère, plutôt... dans l'attente. Dans l'attente d'une déception que je vais provoquer. Car je suis sa fille, une fille qu'il se doit de faire marier. Suis-je un fardeau pour lui ? Une erreur ?

Non, Reyna. Tu es sa plus grande fierté. Alors reprends-toi et finis-en.

Je me ressaisis comme on l'attend de moi. Je relève la tête, souris comme s'il ne s'était rien passé et annonce l'épreuve d'un ton éclatant :

— Aujourd'hui, le Jeu des Cœurs se poursuit avec une épreuve bien connue, qui a su départager de nombreux candidats bien classés les dernières années ! Qui aura l'honneur de remporter cette course de natation effrénée ? À l'issue de celle-ci, le vainqueur aura le droit à une interview spéciale en ma compagnie. Nous savons ô combien les journalistes peuvent se montrer curieux, et accorder un entretien spécial avec l'un d'entre vous, mes chers prétendants, est un cadeau des plus précieux.

Je m'interrompts, et la foule applaudit en m'acclamant. Toujours souriante, je poursuis :

— L'épreuve se déroule en une seul et unique manche : le premier atteignant le rivage gagne l'épreuve haut la main. Comme à mon habitude, je serai en mesure d'avantager ou de désavantager un candidat. Je crois que le vilain petit canard de la saison me rejoindra bientôt afin de recevoir son malus habituel (et mon sourire brille de mille feux.), quant au candidat que j'avantagerai... je n'en nomme aucun.

Si j'en considère les dires de Darren, tous sont là pour profiter de moi. Même Gortus que j'appréciais, tout compte fait, je ne le connais pas si bien que cela.

Quant au vilain petit canard, il m'offre un sourire tellement mauvais que je vois la pourriture et la méchanceté s'échapper de ses yeux.

— Que le meilleur gagne !

Je quitte le micro sous les applaudissements incessants de la foule, descends de l'estrade et Darren se dirige vers moi comme s'il était habitué.

Il mime une piteuse révérence et lâche d'un ton arrogant :

— Comment Sa Grâce souhaite-t-elle me désavantager, cette fois-ci ?

— Vous partirez quinze secondes après le reste du groupe.

Un sourire moqueur s'étire sur sa bouche. Je croise les bras sur ma poitrine alors qu'il réplique :

— Vous avez bien conscience que ces quinze secondes ne me feront pas reculer ?

Je hausse les épaules d'un air désintéressé.

Mes yeux s'attardent quelque peu sur lui. Ses cheveux prennent un reflet bronze au soleil, et lorsqu'il passe une main dans ceux-ci, je remarque que les boutons de ses manchettes sont défaits, dévoilant ses avant-bras bronzés. Ses yeux, eux, étincellent. Ils brillent si fort que je ne peux nier leur couleur : d'un gris perçant.

— Peut-être vous ces quinze secondes vous ralentiront-elles un moment, en vain. Au moins vous apprendront-elles que tout ne vous est pas dû dans la vie.

Il fait un pas en avant, et son sourire s'étire. Darren se penche vers mon oreille et me dit d'une voix bien trop douce :

— J'aime les défis, Votre Altesse.

Je tente de rester immobile et indifférente mais mon cœur s'affole dangereusement.

— Encore plus quand ceux-ci ont la tête d'un joli minois aux cheveux or.

Et il recule suffisamment pour planter ses yeux dans les miens, amusé. Je l'amuse. J'amuse ce type.

— Moquez-vous de moi et je demande spécialement votre renvoi.

— S'il y a bien une chose que je n'oserai jamais, c'est me moquer de vous, Reyna.

Et il prend un ton très sérieux en disant cela. Je recule de moi-même. Ce type est incernable. Mais je m'en fiche. Je lui mettrai des bâtons dans les roues jusqu'à la fin.

Je me détourne de lui pour rejoindre ma place dans la tribune. Je passe alors devant quelques candidats qui ne se gênent pas pour m'observer de la tête aux pieds. L'un d'eux a les cheveux roux qui frisent sur son crâne et sourit de ses dents jaunes. Il salive en zieutant sur mon décolleté et je manque de m'étouffer avec ma salive.

— Son Altesse profitera-elle de la compagnie que j'ai à lui offrir lors de l'épreuve ?

Je fais volte-face. Enora ! Je n'ai jamais été aussi heureuse de voir un visage familier autre que ma famille. Je lui tends mon bras qu'elle accepte en souriant. Cette fille est d'une beauté absolue.

— Vous me sauvez, Enora. J'ai bien cru que j'allais m'évanouir devant les regards de ces mal-élevés.

— Si l'envie vous prend d'en apprendre plus sur les prétendants, j'ai réussi à dégoter quelques informations qui pourraient vous être utiles.

— Volontiers, allons nous installer.

Je me dirige tout droit en contrebas de la tribune, pour accueillir le vainqueur lorsque celui-ci aura terminé sa course. Père tient à ce que je réserve un grand triomphe au gagnant.

— Que pensez-vous de Sir Adryen ? je l'interroge donc.

Elle tique, et mes mains ne quittent pas les siennes comme si elle était ma plus proche amie depuis toujours.

— Il est un riche marchant et négociateur mais paraît-il irrespectueux vis-à-vis de la gente féminine. Plusieurs plaintes ont été déposées contre lui, sans succès.

— Que fait-il donc encore en lice ?

— Je crains, Votre Grâce, que vous ne deviez le supporter plus longtemps encore. Il est fort et bourru, il passera la première phase à coup sûr.

J'oubliais complètement que cette épreuve physique était la dernière à se jouer avant l'ouverture de la deuxième phase.

— Et Sir Gortus ?

— Gortus de Saint-Evylier. C'est un honnête homme et preux chevalier de Socrenia. Il a été envoyé par ses parents pour se trouver une épouse.

— J'ignore comment vous parvenez à en savoir autant sur les candidats, Enora, mais votre don me fascine.

— Oh, on parle énormément dans ce château, ma dame. Je ne fais que tendre l'oreille.

— Reyna, je vous prie. Cessons ces formalités. Cependant, je m'interrogeais... Sir Gortus est-il bien... je veux dire... Il se pourrait qu'il m'ait admis être attiré par...

— Sans vouloir être offensante, Reyna, il a passé la première nuit du jeu avec un homme. Même les autres prétendants sont au courant de sa supercherie.

Je suis soulagée. Au moins ne m'a-t-il pas menti. Mais il est maintenant bien trop tard pour l'avantager.

J'aperçois les candidats se mettrent en place. Je me redresse quelque peu, et découvre à l'autre bout du rivage dix-sept corps masculins se frayer un passage jusqu'à la ligne de départ. Lorsque le corne de brume résonnera, ils plongeront pour remporter l'épreuve.

Je n'ai aucune difficulté à trouver Darren. Il est au bout de la file et se place à une extrémité, comme s'il était dernier. Je le reconnais car il est le plus taillé des prétendants. Il n'est pas très grand, mais son ossature et sa musculature font de lui un homme imposant.

Alors qu'Enora poursuit ses explications sur les autres prétendants, le coup d'envoi est lancé. Au loin, toutes les silhouettes des prétendants se jettent à l'eau pour mener la course de leur vie.

Tous, sauf un. Une montre de poche lui a été fournie afin de vérifier l'heure. Il n'a que quinze secondes à attendre.

Quinze pauvres secondes.

Je compte dans ma tête. Mon cœur bat si vite, si fort, et je n'entends plus les voix autour de moi. Le chaos l'emporte sur cet homme qui ne bouge pas d'un iota.

Même quand les quinze secondes se sont écoulées. Aucun mouvement.

Au loin, Darren me sourit de toutes ses dents. Il attend. Il me nargue. Il le fait exprès. De rallonger sa sentance. Car quinze secondes ou trente ne l'empêcheront pas de se faire une place dans la seconde phase. Et le temps semble interminable. Et je regrette presque de l'avoir désavantagé. Et je le maudis presque pour la perfection de son être.

C'est après une éternité que Darren plonge dans l'eau avec la grâce d'un poisson.

Et je réalise que j'avais retenu mon souffle pendant tout ce temps.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top