Chapitre 14

DARREN
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Cette garce peut aller patauger avec les ânes comme elle le dit si bien, je ne bougerai pas le petit doigt pour remporter cette épreuve. Cette maudite épreuve ! Parcourir trois fois le tour du palais sous une chaleur aveuglante et avec des poids, c'est tout sauf humain. Hargneux, je défais les premiers boutons de ma chemise pour me laisser respirer. J'ai beau m'agiter comme un taureau, la sorcière a déjà rejoint sa tribune comme la bonne petite fille à papa qu'elle est.

Perchée dans sa tour, je la vois m'observer de ses jumelles. Je me demande bien si lui brandir mon majeur suffirait à la mettre en rogne, mais je me retiens. Je dois me montrer plus malin que cela. Cela fait des années que je me prépare pour conquérir le cœur de Reyna. Je ne peux pas bouleverser les plans pour une simple rancœur d'âmes. Cette fille a beau être une peste, elle n'en demeure pas moins une jolie créature pour laquelle dix-huit autres hommes sont prêts à se battre.

Et je les vaincrai tous.

Mais pour cela, je dois me ressaisir. Me concentrer sur mon objectif et ne pas faillir. Reyna sera bientôt mienne. Je me jure qu'à la toute fin du mois, elle sera ravie de dire oui sur l'autel.

Sa Majesté le roi d'Imir se dirige vers ce type qui intéresse autant la princesse. Gortus, il me semble. Aussi baraqué qu'un ours, il a l'air cependant assez inoffensif. Je suis persuadé que Reyna l'a avantagé et quand je comprends que Sa Majesté lui retire son sac pour lui en donner un plus léger, mes doutes se confirment.

Il se dirige alors vers moi et je feins l'innocence. L'épreuve va commencer d'ici une dizaine de minutes et le roi pousse un profond soupir. Il pose une main sur mon épaule d'un geste compatissant et se penche vers moi comme pour me confier un secret :

— J'ignore pourquoi elle te déteste autant, petit. Je lui ai assuré que tu serais le gendre idéal mais elle n'en fait qu'à sa tête.

— Je crois que je lui plais mais que cela la froisse, je lance sans me démonter. Sans vous manquer de respect, Votre Majesté, votre fille a un caractère exécrable.

Il secoue la tête comme si c'était une évidence qu'il refusait tous les jours depuis sa naissance.

— Dix-huit ans qu'elle foule le sol de cette terre, dix-huit ans que j'en patis. Ne te laisse pas faire, Darren, Reyna a besoin de quelqu'un qui lui réponde et je suis sûr que tu ferais un très bon parti.

Mieux que tu le penses, vieillard.

Je t'en donne un de cinq kilos en plus. Dix est déjà trop élevé pour la première manche.

Je le remercie d'un hochement de tête alors qu'il me tend un autre sac, plus petit que le premier. Quand tous les autres concurrents n'ont qu'un seul sac, je m'en coltine deux. Et le parcours s'étend sur plus d'un kilomètre et demi. Autant dire que je serai mort avant d'avoir atteint la ligne d'arrivée.

Il ne faut pas que je finisse dernier. C'est la seule chose qui compte. Si je ne termine pas la course, mes espoirs de conquérir son cœur seront fichus.

Je remporterai cette épreuve. Je m'en fais la promesse.

L'heure a sonné. Après avoir jeté un dernier regard à la tribune où cette garce se délecte de la situation, je me place sur la ligne d'arrivée. Comme j'ai un sac de plus que les autres, je suis autorisé à me placer devant eux.

Je contre-balance le poids des sacs des deux côtés mais celui de cinq kilos penchera forcément plus léger. Alors je le place sur mon épaule qui supportera moins tous ces kilos. Après que Javier a tailladé mes deux bras la veille, c'est à peine si je sens mes muscles aujourd'hui.

Et pourtant, je vais devoir montrer le meilleur de moi-même.

— Prêt à perdre, Darren ? ricane une voix rocailleuse dans mon dos.

Adryen, l'un des prétendants, crache à mes pieds et je hausse un sourcil moqueur.

— La première chose que je ferai quand j'aurai la princesse rien que pour moi, poursuit-il, c'est...

Le coup d'envoi est lancé. Cet imbécile continue de parler mais sa phrase se meurt alors que dix-huit moutons se mettent à courir comme si leur vie en dépendait sur la ligne droite qui se dessine devant nous.

Je commence à trottiner. Les autres sont déjà loin devant moi, mais j'ai tout de même cinq kilos de plus. Et je vise loin. Se fatiguer lors de la première manche serait contre-productif, en sachant que des obstacles nous attendent.

Adryen me dépasse et crie :

— C'est pas le footing du dimanche, sombre merde !

Je l'ignore. La ligne droite s'étend sur une centaine de mètres. J'accélère le pas alors que nous pénétrons dans la forêt.

Au total, il y a trois obstacles. Le premier est une haie haute de quatre mètres qu'il faut escalader. Ce n'est qu'une formalité lorsque j'atterris de l'autre côté. Je dépasse deux prétendants qui s'entraident pour tenter de monter le mur, en vain. Un soulagement me parvient lorsque je comprends que je ne suis pas loin derrière les autres.

Le deuxième obstacle est un pont sous lequel il faut avancer dans l'eau. Avec la force de celle-ci, chaque mouvement est une douleur. Adryen me dépasse et me bouscule, me faisant pousser un grognement. La sueur perle sur mon front mais j'ignore la fatigue qui s'empare de mon corps. Ce n'est que la première étape. Je dois rester fort.

J'arrive au troisième et dernier obstacle qui n'en est même pas un à proprement parler. C'est seulement une pente assez raide qui nous fait arriver de nouveau vers les tribunes et l'animation, formant un parcours en boucle.

J'ai seulement quinze kilos. J'essaye de me raisonner de la sorte. Ma tunique est trempée, pleine de terre de mon atterrissage après la haie à gravir, mais je compte au loin seulement sept prétendants devant moi. Et Adryen est juste devant.

Je n'accélère pas pour le rattraper. Gortus est arrivé premier, je le vois quand Reyna se lève dans la tribune, toute excitée.

C'est en grognant que je dépasse la ligne d'arrivée et balance mes deux sacs à terre. Ce fut moins difficile que ce que j'aurais imaginé. Mais je sais que la dernière phase sera mortelle puisque j'aurai le triple du poids, voire plus.

Mes cheveux gouttes sous la chaleur. Le soleil brille trop fort, si bien que ma tête commence à tourner. Je m'assois quelques minutes mais je sais que mon repos sera de courte durée.

Au micro, le roi d'Imir s'exclame :

— Nous avons déjà nos vainqueurs de cette première phase. Cher peuple, chers prétendants, ma fille a déjà fait le choix de la récompense attribuée au vainqueur. J'espère que celle-ci vous motivera suffisamment pour donner le meilleur de vous-mêmes : un petit-déjeuner romantique sous le lever du soleil dès demain matin. Puisse le Jeu des Cœurs exaucer vos rêves et que la deuxième phase commence !

Je lève la tête vers la tribune. Reyna me jette un regard assassin et descends de son poste une nouvelle fois pour attribuer les bonus et les malus.

Lorsqu'elle descend les marches, je ne peux m'empêcher de la détailler sous tous les angles. Elle a revêtu une robe crème fluide, tombant sur ses hanches et cintrée à la taille. Ses boucles blondes tombent en cascade sur sa poitrine dont le décolleté laisse peu place à l'imagination.

Elle s'avance vers moi et je dois me faire violence pour garder mon masque impénétrable. Elle se dirige tout droit vers des bacs où sont entreposés les sacs, en saisit un, revient vers moi, et me le plaque au torse.

— Bon courage.

Ce sont les seuls mots qu'elle m'adresse. Or, elle repasse devant moi et m'effleure. Son parfum circule jusqu'à mes narines et... son odeur est enivrante. Je lève la main comme pour marquer le moment mais c'est quand je réalise qu'elle m'a tendu un sac de dix kilos que je reviens à la réalité.

Elle se dirige alors vers Gortus qui ne doit porter maintenant que quinze kilos. J'en ai au total trente-cinq avec les dix kilos en plus que je récolte de la première phase.

Cette fois-ci, j'ignore si je parviendrai à finir le parcours. Ce que je sais, c'est que la plupart des prétendantes n'ont que vingt kilos et transpirent déjà comme des bœufs.

L'un s'effondre au sol lorsque le silence est lancé. Moi, j'ai du mal à courir avec tout ces poids mais je tiens bon. Je trottine sur la ligne droite, et Adryen arrive à mon côté droit.

— Je disais tout à l'heure avant que nous ne soyons interrompus, quand je gagnerai le tournoi, j'enverrai Reyna t'offrir ses services. Tu pourras profiter aussi, vieux, t'en fais pas.

Il m'adresse un sourire moqueur et je me retiens de lui en coller une.

— Elle n'est pas une courtisane, et encore moins ta pute attitrée.

Adryen lâche un ricanement avant de me dépasser. Quelques secondes plus tard, je suis en train d'escalader le mur avec plus de difficultés que la première fois. Je suis le dernier de la course.

Je retombe tant bien que mal sur mes pieds et mets toute l'énergie dont je dispose dans ce parcours. Devant moi, Adryen patauge dans l'eau, et a visiblement du mal à avancer. J'arrive à sa hauteur et sa voix désagréable résonne de nouveau à mes tympans :

— Elle a tout l'attitude d'une pute mal-baisée. Et je me ferai une joie de corriger ça.

Ni une ni deux, j'envoie valser mon poing dans sa figure. Il ne s'y attendait pas, mais riposte rapidement. Sa main s'écrase sur mon visage alors que je le saisis par le cou pour l'envoyer brasser l'eau. Je l'entends grogner et c'est à mon tour de crier de douleur lorsque ses doigts appuient sur mes bandages, avec toute la force dont il dispose.

Je le repousse tant bien que mal mais la douleur est fulgurante. La plaie se remet à saigner et Adryen s'échappe de l'obstacle pour aller vomir plus loin, visiblement trop épris par l'épreuve.

Je ne perds pas plus de temps avec lui. J'en ai déjà trop perdu. Je m'empresse de finir le deuxième obstacle et c'est lorsque j'arrive au troisième que je réalise que les autres ne sont pas plus avancés que moi.

Nous ne sommes plus que dix mais certains sont arrêtés sur le bas-côté, à bout de leurs performances.

Je sais que ce parcours n'est qu'une simple affaire pour moi. Je me suis déjà entraînée un nombre incalculable de fois. J'ai reçu les meilleurs entraînements, et les plus solides enseignements.

Alors je gravis la pente. C'est long et douloureux, mes bras saignent mais j'outrepasse la douleur. Je dois gagner cette épreuve. Je dois réussir.

J'aperçois enfin le bout de la tribune. Au loin, des applaudissements retentissent.

La sueur perle sur mon front, ma tunique me colle à la peau à cause de l'eau mais je cours. Je cours à en perdre haleine, essayant de tenir piteusement l'un des sacs de dix kilos pour m'alléger. Je cours et mon dos me hurle de m'arrêter tant le poids est insupportable.

Mais enfin, j'y parviens. Je passe la ligne d'arrivée. Des applaudissements retentissent, et mon premier réflexe est de lever la tête vers Reyna. Elle a l'air surprise, même choquée mais surtout furieuse. Furieuse que je me sois qualifiée sur cette seconde phase.

Au loin, Gortus est en train de boire de l'eau. Il est le premier arrivé, et je suis le deuxième. Pas loin derrière moi, Hunter passe la ligne d'arrivée.

— Que de péripéties pour cette épreuve ! s'écrie le roi dans le micro. Qui aurait cru voir le candidat soutenu et le candidat désavantagé dans le top trois de cette épreuve ! Il va sans dire que nos prétendants marquent des points auprès de la princesse et auprès de vous, cher peuple.

La dernière phase est imminente et je suis certains de ne pas la remporter. Gortus transpire mais a l'air de se porter bien. Hunter, lui, est essoufflé depuis qu'il vient d'arriver.

Et je sais déjà que Reyna va m'empêcher de remporter l'épreuve. Répétant le même rituel, elle se dirige vers les bacs, me tend un sac de vingt kilos. Le peuple murmure, visiblement choqué de sa cruauté. Même moi je reste abasourdi devant le sac qu'elle vient de déposer à terre.

— Vous demandiez comment se portaient mes blessures, je lance, je peux vous assurer que ces vingt kilos m'amèneront droit vers l'infirmerie de nouveau.

Ses yeux se posent sur le sang qui a taché ma tunique et je lis dans son regard une pointe de culpabilité. Ses yeux émeraude se lèvent vers moi, pleins de douceur, pour une fois, et pourtant :

— Prenez celui de dix kilos alors.

Je la hais.

Je la hais d'être une créature aussi ravissante et pourtant, d'avoir toujours et en permanence des mots crus et des agissements de pimbêche.

Gortus se récolte un bonus et ne porte que vingt-cinq kilos. Hunter en est à trente. Et moi, j'ai cessé de compter.

Le départ sur la ligne d'arrivée est lancé. Furieux, je saisis le sac traînant par terre et le jette dans le bac. Je laisse tomber aussi mes autres sacs, créant le doute chez le peuple. Suis-je en train d'abandonner ?

Mais contre toute-attente, je me dirige vers la tribune. Je suis plein de sueur et loin d'avoir l'air attirant, mais je n'en ai que faire. Je monte les marches, sous l'attente de tout le monde. On n'attend plus que pour moi pour terminer cette maudite épreuve.

Les gardes tentent de s'interposer mais Sa Majesté la reine lève la main en guise de renoncement. Reyna se fige d'incompréhension.

D'un pas bourru, je la soulève dans mes bras alors qu'elle proteste.

— Lâchez-moi, inconscient !

— Je les porterai vos cinquante kilos, Reyna.

Je rejoins la ligne d'arrivée avec une princesse ne cessant de se débattre dans mes bras. Pour ne pas avoir à la supporter, je la balance sur mon dos, sous l'hilarité du roi qui ne se retient pas de se moquer ouvertement de sa fille.

— Ça c'est du spectacle !

Le coup d'envoi est lancé. Reyna hurle à pleins poumons quand je me mets à trottiner sur la ligne droite. Gortus et Hunter ne sont pas loin devant et je vois combien ils sont épuisés de leur course précédente.

— Je vous maudis ! Je vous maudis, Darren, vous et vos manières insupportables !

Elle me tape le dos de ses petits poings ce qui me fait doucement rire. Étrangement, le parcours paraît plus facile avec elle sur mon épaule.

— Vous osez me parler de manières insupportables alors que vous portez en permanence le masque d'une idiote cruelle et sans cœur. Je décrocherai votre cœur, Reyna, enfin ce qu'il vous en reste du moins.

J'arbore un sourire moqueur aux lèvres alors que nous arrivons au premier obstacle. Je la relâche au sol.

— Accrochez-vous à moi.

Elle n'obéit pas. Cette crétine n'allait jamais obéir. Elle me renvoie un regard plein de défi et je suis à deux doigts de l'insulter de tous les noms possibles. Croisant les bras sur sa poitrine, elle regarde avec fierté Gortus escalader le mur.

— Accrochez-vous où je vous fais passer de force de l'autre côté.

— Il faudra me passer sur le corps pour gagner cette épreuve.

Je l'ignore et l'attrape par la taille alors qu'elle hurle et se débat de nouveau. Je la hisse tant bien que mal en haut du mur, et mon cœur loupe un battement lorsque sa robe se soulève et que ma main entre en contact avec la peau nue de sa jambe. Je tente de la pousser et de me ressaisir mais elle s'agite comme un ver de terre.

Lui donnant une dernière impulsion, je la fais basculer de l'autre côté. Je me dépêche de franchir le mur alors qu'Hunter arrive enfin sur le premier obstacle.

Parvenu de l'autre côté, je m'apprête à la reprendre sur mon épaule quand je la découvre tentant d'escalader le mur de l'autre côté.

— Vilaine fille.

Je la hisse comme si elle ne pesait rien.

— Je vous ferai pendre ! s'égosille-t-elle.

— Que prendrez-vous pour le petit-déjeuner, Votre Altesse ? je me moque.

Reyna cesse de se débattre puisqu'elle semble comprendre qu'elle ne gagnera pas à ce petit jeu avec moi. Alors contre toute-attente, nous arrivons au deuxième obstacle sans crise et combat sanguinaire.

C'est de cette manière que je rattrape Gortus. Il peine à porter ses sacs. Étrangement, j'ai l'impression d'avoir recouvert toute ma force. Reyna a accepté son sort, si bien que je change de position pour la prendre dans mes bras.

— Cela évitera de tremper votre robe, j'explique.

Mon visage dégouline de sueur et elle me fixe comme si j'avais perdu la tête. Je m'empresse d'avancer, concentré sur mon objectif et je la vois lancer un regard affolé à Gortus.

— M'enfin, Gortus ! Battez-vous, je vous en prie !

— Je suis à bout, Votre Altesse, suffoque-t-il. Je... je n'en peux plus...

Il est trop lourd. Cela l'a sûrement désavantagé sur les trois obstacles. Et je ne vais pas m'en plaindre. Un sourire flotte sur mes lèvres alors que je remonte le courant d'eau.

La main de Reyna se pose alors sur ma nuque et un frisson me parcourt l'échine. Je croise son regard et jure que ses joues sont en ce moment même en train de rougir. Mais elle détourne rapidement les yeux.

Bientôt, le troisième obstacle n'attend plus que moi. Plus que nous. Reyna semble être au plus bas point.

— Je ne comprends pas ! Je vous avais désavantagé, vous n'étiez pas censé gagner, vous...

Ses mots se meurent. Elle me dévisage comme si elle me voyait pour la première fois, toute haine dissimulée. Ses doigts se perdent sur ma blessure, et elle semble enfin réaliser que me désavantager ne serait qu'une bataille perdue d'avance pour elle.

Je gagnerai toujours.

Je remonte la pente, le souffle court. Mes jambes me hurlent de m'arrêter, mon cœur bat si fort que j'en tremble, et le sang continue de perler... mais je continue. Je ne m'arrête pas, et ose seulement m'accorder un moment de répit lorsque j'aperçois de nouveau la tribune.

C'est en marchant que je passe la ligne d'arrivée. Je repose Reyna au sol, complètement K.O. et m'effondre par terre. Ma blessure m'arrache un grognement de douleur et lorsque je relève la tête vers la princesse, je comprends que la Reyna détestable est revenue.

— Je prendrai des œufs et du saumon. Et vous ?

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