Chapitre 13
— Cher peuple, chers prétendants, après un facheux évènement survenu hier, le Jeu des Cœurs reprend aujourd'hui lors d'une épreuve toute inédite. Avant de présenter celle-ci, je m'adresse, moi, roi d'Imir, aux candidats de cette année. Il est formellement interdit de tuer ou d'agresser sauvagement un autre prétendant, de quelque manière qu'il soit. Malgré mes précédentes recommendations, hier un candidat s'est fait éliminé pour ne pas avoir su respecter les consignes. Je conseille donc aux dix-neuf autres prétendants de suivre le règlement s'ils veulent rester en lice.
Père adresse un sourire à la foule qui l'applaudit haut et fort pour la justesse de ses mots. J'aperçois Mère assise dans la tribune royale, accompagnée de ses fidèles gardes du corps. Elle a revêtu un chapeau haut-de-forme et une jolie robe rose poudré. Du regard, je la vois balayer les dix-neuf prétendants restants.
De mon côté, je décide d'aller la rejoindre. Père continue de s'exprimer au micro mais je l'écoute d'une oreille abstraite. Après l'incident d'hier, des mesures ont été prises. Des gardes sont postés aux quatre coins du domaine pour surveiller les candidats en cas de dérive, et une tribune royale a été aménagée.
J'aperçois là-bas Mère, Morgan et son époux ainsi que les jumeaux. Il reste une place rien que pour moi alors je m'y faufile aux côtés de Mère.
— Cette épreuve s'avérera croustillante, sourit-elle.
Je reporte mon attention sur la scène. Père reprend alors :
— L'épreuve se nomme : le chemin des héros. Nos prétendants auront un quota de sacs à porter tout le long d'un parcours durant lequel ils devront faire preuve d'adresse et d'agilité. Je vous rappelle, chers prétendants, que la première phase du tournoi se base sur vos aptitudes physiques. J'espère donc que vous saurez utiliser chaque muscle de votre corps pour parvenir à franchir la ligne d'arrivée en premier. À noter que l'épreuve se divisera en trois manches durant lesquels vous effectuerez le parcours trois fois : la première fera éliminer dix d'entres vous, les dix moins bons. La deuxième en évincera six et à la fin, vous ne serez plus que trois. Vous l'aurez compris, le premier sera proclamé gagnant de cette épreuve. Avant de vous montrer le parcours, dernières informations : il est interdit de pousser ses adversaires ou même de modifier les obstacles de l'épreuve pour en désavantager certains.
Père s'arrête de parler sous les applaudissements de la foule. Je ne compte même plus combien de gens sont venus assister au tournoi mais ils viennent du monde entier et tous regroupent fièrement l'étendard de leur pays.
De mon côté, je cherche des yeux mes prétendants mais ils me tournent le dos, bien trop obnubilés par les explications de Père sur l'épreuve. Ce dernier fait un très bon présentateur, il parvient à captiver son auditoire. C'est un bon point.
— Vous commencez la course avec dix kilos. Dès le départ, ma fille Reyna viendra désavantager l'un de vous et en avantager un autre. À l'issue de la deuxième course, chaque candidat prendra un bonus de dix kilos, et ce de même pour la finale de l'épreuve. Une nouvelle fois, libre à Reyna de vous rajouter quelques kilos en plus ou de vous en enlever.
Je sais déjà que je vais avantager Gortus. Nous avons un marché lui et moi et c'est pour le meilleur que je veux le voir gagner cette épreuve.
Père m'adresse un signe, comme pour me dire qu'il est temps de descendre jouer mes manigances.
— Qui vas-tu pénaliser, Reyna ? s'enquit Mère en m'offrant un sourire jovial.
— Le même qu'hier. Je suis pleine de rancœur.
Je lui renvoie son sourire et le sien se ternit légèrement. Derrière elle, Anthos ricane et m'offre un clin d'œil plein d'encouragement.
Darren a parié et je suis joueuse. Je suis certaine qu'il ne gagnera jamais cette épreuve. Je suis même persuadée que je n'ai pas besoin de le désavantager pour qu'il perde de lui-même, mais s'il tient à jouer en mode difficile, alors je lui offrirai cette chance nouvelle.
Je m'éloigne de la tribune mais Mère me retient :
— Ne sois pas vilaine, Reyna. Il est blessé aux deux bras et ils porteront les sacs sur les épaules. Tu risques d'aggraver ses blessures.
— Mère, je vous aime de tout mon cœur mais vous êtes trop bonne pour ce monde. Ce type est un vaurien qui s'était introduit dans la bibliothèque royale le premier jour, et dans ma chambre hier. Il ne mérite aucune once de pitié de ma part.
— Elle a totalement raison, lance tout à coup une voix nouvelle, celle de Morgan. Quand on n'aime pas quelqu'un, on lui montre. Mettre des bâtons dans les roues de ses adversaires, c'est ce que je préfère. Je l'ai fait avec Erkel, et regarde aujourd'hui, je suis mariée à cet imbécile !
Je me tourne vers elle et plisse les yeux.
— Je ne me marierai pas avec une fripouille.
Morgan m'adresse un sourire charmeur alors que ses ongles se baladent sur le bras de son époux, Erkel, qui visiblement n'a pas l'air enchanté d'être ici.
— Tu es encore jeune, ma fleur. Tu apprendras avec l'âge que les plus belles histoires d'amour surviennent lorsqu'on s'y attend le moins. Et parfois avec les gens qu'on déteste le plus.
Puis elle adresse un sourire moqueur à son mari. Je roule des yeux avant de tourner les talons. Je m'empresse de descendre les marches, tenant avec soin les plis de ma robe afin de ne pas trébucher sur celle-ci.
Lorsque je me dirige vers Père qui est descendu de la tribune, mes yeux croisent ceux de Gortus à l'avant des prétendants. Tous sont en train de s'échauffer ou de faire fonctionner leurs articulations. Seul Darren reste assis de côté, à attendre que le temps passe.
— Sais-tu déjà qui tu as l'intention de désavantager ? Ou bien préfères-tu finaliser ton choix. L'épreuve commence dans trente minutes alors tu as encore du temps.
— Je vais aiguiller mon choix, je reviens te l'annoncer après.
Je le quitte pour me faufiler entre les corps des prétendants. Ils sont tous gigantesques. Je me dirige vers Gortus qui a revêtu un habit bien plus léger que son armure pour la course. À peine l'ai-je rejoint qu'il me gratifie d'un grand sourire.
— Je vous avantegerai, Gortus, ne vous faites aucun souci pour l'épreuve.
— Ma dame, j'ai fort peur que ce défi ne soit pas pour moi. M'avez-vous vu ?
Il lâche les bras comme si la réponse était évidente. Je le dévisage. Certes, il fait bien deux mètres et a pour lui plus d'une centaine de kilos de muscles, m'enfin !
Du coin de l'œil, j'aperçois Darren nous détailler avec mépris. Je l'ignore et réponds d'un ton enjoué :
— Je suis convaincue que vous gagnerez l'épreuve, mon doux !
Je lui offre un baiser soufflé ce qui fait enrager les autres prétendants et me dirige ensuite vers Darren. Assis, les jambes écartées comme s'il était l'homme originel, ses yeux se posent sur moi sans l'ombre d'une émotion.
— Darren, je me permets de venir vous voir pour prendre des nouvelles de vos blessures.
— Mes blessures n'ont pas encore la possibilité de parler mais quand elles le pourront, vous serez la première informée, Votre Altesse.
Il crache ses mots comme si je n'étais qu'une pouilleuse arrogante qui le détournait de son objectif, quelqu'il soit.
— Sombre idiot, je vous demande si vous allez mieux depuis hier et vous vous permettez de m'envoyer patauger avec les ânes. Savez-vous qui je suis ?
— Ô, Son Altesse Royale, la suprême Reyna que rien n'arrête. Si vous voulez mon respect, princesse, vous devrez le mériter.
Je suis persuadée que sa haine vient de toute autre chose. Et je suis aussi convaincue qu'il n'a rien à faire dans ce tournoi. Quelqu'un l'a envoyé, ce n'est pas possible !
— Votre blessure, repris-je, les traits déformés par la colère. C'est tout ce qui m'importe.
— Vous n'en avez que faire de ma blessure, Altesse.
— Je suis à deux doigts de vous arracher votre tunique, Darren, et pas pour les raisons que vous imaginez. Alors si j'étais vous, je répondrai à la question.
Quelque chose s'anime dans son regard. Ses yeux se mettent à briller et un sourire moqueur flotte sur ses lèvres.
— Déshabillez-moi, Reyna, je n'attends que ça.
J'ignore pourquoi ses réactions s'impriment autant dans mon esprit. J'ignore pourquoi je le fixe comme s'il était le seul homme sur terre. Mais ce que je sais, c'est que je ne l'aime pas.
Je fais volte-face et m'écrie :
— Père, dix kilos de plus pour ce Darren !
— Espèce de petite...
Il ne termine pas sa phrase. Je me tourne vers lui, les sourcils haussés, un sourire enjôleur aux lèvres.
— Je croyais que nous avions parié, mon cher et tendre ?
Or, je ne pense pas qu'il s'attendait à prendre dix kilos de plus que ses adversaires dès le début de l'épreuve...
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