𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟕 - Dɪ̂ɴᴇʀ ᴇᴛ ʀᴇɢᴀʀᴅs
J'étais en train de me raser méticuleusement le début de barbe qui avait commencé à élire domicile sur mon menton, et je me maudissais intérieurement pour avoir accepté d'accompagner Saint-Potter chez les deux bouffons qui lui servaient d'amis. Lui prenait sa douche en chantonnant à l'autre bout de la pièce, ce qui était franchement irritant. Ce n'était pas tant qu'il chantait mal, c'étaient ses intonations trop aiguës. Le jet d'eau ne servait - pour mon plus grand malheur - pas à couvrir sa voix, et, lorsqu'il sortit de la douche après un quart d'heure de concert, sa serviette blanche soigneusement nouée autour de sa taille, je vis son reflet dans le miroir et ma lame de rasoir ripa.
⸺ Ah ! criai-je par réflexe en portant la main à ma mâchoire.
Je m'étais fait une coupure, et je sentis immédiatement un liquide brûlant et poisseux me couler sur les doigts. Il n'y en avait sans doute pas beaucoup, mais la peur panique de l'hémoglobine que j'avais développée pendant la guerre et ma courte captivité à Azkaban ne me permettait pas de réfléchir de manière rationnelle. Harry, déjà affublé d'un pantalon, se précipita vers moi, tâchant visiblement de garder son sang-froid.
⸺ Que se passe-t-il ? Tu t'es coupé ?
J'inspirai et hochai la tête, lui montrant l'égratignure.
⸺ Ce n'est rien, mets un peu d'eau dessus, je dois avoir du désinfectant dans mes placards.
Obéissant à son conseil, je m'aspergeais de ce liquide transparent si rare dans certaines parties du monde en essayant de me calmer. Harry m'avait dit que ce n'était rien. Il fallait que je respire. Ça ne devait pas être bien grave. Ça ne l'était pas.
⸺ J'en ai trouvé, annonça sa voix, se rapprochant de moi.
Je me retournai et hochai la tête. J'allais déjà un peu mieux. Ce n'était pas tant la douleur qui m'avait fait paniquer, lui dis-je d'une voix tremblante et mal assurée. C'était le sang. Je ne supportais pas sa vue. À chaque fois, j'avais l'impression d'être de retour à la Guerre, en plein milieu des massacres de masse, des meurtres et tortures que faisait subir ma folle de tante dans mon manoir. L'Élu m'adressa un regard bienveillant et appliqua un coton imbibé de désinfectant sur ma coupure, plein de douceur, comme une mère qui soigne son enfant. Il plongea ses yeux dans les miens et je lui souris, reconnaissant, oubliant pendant quelques instants qu'il aurait très bien pu me soigner en deux temps trois mouvements avec la magie, mais qu'il ne l'avait pas fait. Pourquoi ? Je n'en savais rien. Harry Potter était quelqu'un qui m'échappait, que je ne comprenais pas. Il me fixait avec attendrissement, et je me surpris à oublier d'avoir peur.
⸺ Tu sais, je comprends que tu craignes le sang, après tout ce que tu as vécu. Ça va ? Comment t'es-tu fait cela ?
Gêné, je lui désignai la grande cicatrice boursoufflée qui lui barrait le torse.
⸺ J'ai vu ton reflet dans le miroir. Je ne m'attendais pas à... ça. Les blessures m'angoissent.
Il m'adressa un regard désolé.
⸺ Excuse-moi, Drago. C'est ma faute.
Entendre mon prénom dans sa bouche sonnait de manière... presque agréable. Je savais bien que son attitude miséricordieuse ne durerait pas, mais je me confortai dans ce ton empli de gentillesse pour me rassurer.
⸺ Ce n'est rien, Potter. Je vais m'habiller - et tu ferais bien de faire de même -, puis nous irons dîner chez les deux Bouffondors, qu'en dis-tu ?
Il rougit imperceptiblement, puis attrapa son t-shirt et son sweat, tandis que je me rendais dans ma chambre. Une dizaine de minutes plus tard, nous étions prêts. Harry me présenta son bras, je m'y accrochai, et, aussitôt, nous transplanâmes.
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La maison des deux anciens étudiants n'était pas aussi spacieuse que le manoir familial, mais semblait plutôt respectable. Nous étions en plein centre-ville, et le bruit des moyens de locomotion moldus était franchement pénible. Ne me permettant pas de faire des remarques désobligeantes sur cet environnement hostile et pollué à ma guise, Harry me tira par le poignet et frappa à la porte de l'appartement. La porte s'ouvrit sur un Seamus au sourire niais et au regard lumineux, et il salua L'Élu comme s'il était le roi du monde.
D'accord, j'exagère peut-être un peu, mais n'oubliez pas que le sarcasme est une de mes spécialités.
⸺ Heureux de te voir !
Finnigan fit une accolade à son ami, puis son regard rencontra le mien, et, aussitôt, il fronça les sourcils.
⸺ Bonsoir, Malefoy. J'espère que tu vas bien également. Harry nous a mis au courant de... tout ça. La sentence de ton procès, ajouta-t-il comme si je ne savais pas de quoi il parlait. Entrez, ne restez pas sur le pas de la porte.
Nous entrâmes dans la petite maison sous le regard impatient de Finnigan. Il nous débarrassa de nos manteaux et nous invita à passer dans le salon : son ami nous y attendait comme si nous étions la huitième merveille du monde.
Après de multiples formules de politesse banales et la mise au courant de tout ce qu'il s'était passé ses derniers mois - un moment bien ennuyeux si vous voulez mon avis -, je me rendis compte que j'avais raté beaucoup trop de choses durant ma détention. Rien d'étonnant, nous n'avions pas accès aux informations du dehors. Mais enfin, vous imaginez rater six mois de votre vie ? Rester prostré, toute votre joie aspirée par les Détraqueurs - je pourrais les appeler Détracœurs tellement ils me l'ont détraqué -, survivant plus que vivant tandis que le monde continue de tourner en vous oubliant ?
⸺ Mais assez parlé de cette horrible période post-guerre ! Si nous passions à table ?
Ladite table était un petit support rond en bois brut, bien éloigné des immenses buffets en marbre que j'avais connu durant ma jeunesse, et la nourriture était également bien différente. Un poulet fermier bien rôti, quelques morceaux de charcuterie, une ratatouille et une tarte aux pommes un peu trop cramée en guise de dessert. J'avais déjà été habitué à la nourriture du peuple, après avoir passé plusieurs mois chez Harry, aussi eus-je le bon sens d'adresser un grand sourire à Thomas en le complimentant sur sa cuisine.
⸺ Bon, et sinon, depuis quand avez-vous aménagé dans ce charmant appartement ?
Les deux Bouffondors se regardèrent, puis revinrent au sujet principal.
⸺ Nous avons pris cet appartement en toute hâte deux semaines après la bataille. Nous devions trouver quelque chose afin de pouvoir vivre, c'était devenu vital. Puis... les sentiments ont pris le dessus, comme on dit.
Après un regard plein de tendresse et de niaiserie, Seamus posa sa main sur le genou de son petit ami et lui vola un baiser, aussi grinçai-je d'une voix morne :
⸺ Je ne voudrais pas casser l'ambiance, mais... nous sommes à table. Si vous pouviez faire ça plus tard... je suis conscient que nous sommes chez vous, mais... si vous pouviez éviter de faire ça maintenant...
Dean eut un rire poli, et je vis Harry et Finnigan réprimer le leur, ce qui se transforma en toussotements loin d'être discrets. Je croisai les bras, boudeur.
⸺ C'est ça, foutez-vous de moi.
⸺ Allons, Malefoy, on ne se fout pas de toi. C'est juste que tu es tellement... fidèle à toi-même. Rigueur et bonne tenue et tout le bla-bla des aristocrates. D'accord, j'aurais peut-être pas dû... maintenant. 'Scuse.
J'hochai la tête, embêté d'avoir réagi si vivement. Enfin, non, c'est vrai, quoi ! Même si Harry, Thomas et Finnigan étaient des amis très proches, ce n'était pas une raison pour s'embrasser à table ! À table. Franchement ! Je ne peux pas m'imaginer embrasser Potter à table, moi, alors pourquoi eux le font-ils ? Oh non, non, non. Pitié, Merlin. Je ne veux même pas m'imaginer cela.
⸺ Au lieu de fixer le vide avec cet air de réflexion intense et ce sourire niais, Malefoy, que dirais-tu de passer au dessert ? Malefoyyy, ici la Terre !
Seamus, amusé, passait une main rougie par le froid devant mes yeux, et je sursautai.
⸺ Excuse-moi.
⸺ À quoi pensais-tu ? demanda Thomas en se levant pour aider son compagnon à débarrasser la table, tel un Elfe de Maison.
⸺ Rien, rien, grognai-je d'une voix morne et renfrognée.
Qu'aurais-je pu dire d'autre ? Vous voir vous embrasser à table m'a fait me retranscrire la scène dans mon esprit en me prenant moi comme personnage principal afin que je me rende compte de son absurdité. J'ai pris la seule personne dont je suis proche comme la personne à embrasser, et, ladite personne, c'était Potter. J'étais en train de m'imaginer embrasser Potter, oui. Je deviens fou, il n'y a aucune autre explication. Cette explication vous va-t-elle ? Comment m'imaginer pouvoir me regarder dans une glace après ça ? Excellente question.
Voyant que Saint-Potter me fixait, je tournai la tête vers lui pour lui faire signe de laisser tomber. Mais, dans ses yeux, il n'y avait pas que de l'incompréhension. Il y avait... autre chose. Je ne sais pas. Il semblait inquiet, mais il me regardait de manière... intense. C'était pathétique dans un sens bien évidemment, mais, dans un autre, j'avais l'impression d'exister lorsqu'il me regardait. J'avais l'impression de pouvoir vivre, d'être quelqu'un. Potter, c'était comme un mince fil doré qui me rattachait à l'existence.
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