Chapitre 6
Cela faisait trois jours que nous étions enfermés dans cette petite salle sombre. Trois enfants avaient été contaminés par la maladie d'Amy, puis emmenés par les soldats. Ils avaient tous ressenti les mêmes symptômes : cela commençait par un mal de tête, puis la victime était prise de violents tremblements. Elle s'étouffait ensuite dans son sang qu'elle crachait à grands flots.
Les journées se ressemblaient toutes, seulement animées par l'arrivée des soldats quand des enfants tombaient malades. Il semblait que cela touchait surtout les plus jeunes.
À un moment donné, Alex avait imaginé faire semblant d'attraper la mystérieuse maladie pour pouvoir s'échapper. Il avait finalement abandonné. On ne savait pas où les gardes emmenaient les victimes, peut-être même qu'ils les tuaient pour éviter de propager le virus. Et où serait-il allé une fois enfui ? Subterra n'était pas bien grand, il aurait vite été retrouvé par Cassius.
Je me suis levé pour tresser les cheveux d'une petite fille qui me le demandait. Tout en rassemblant ses mèches brun clair, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce qui lui arriverait, si elle aussi finirai traînée par les gardes, gémissant de douleur. Si elle aussi finirai morte.
Car il ne peut rien leur être arrivé d'autre que la mort, impitoyable et tranchante.
Mon cœur s'est serré dans ma poitrine. Même si elle ne mourait pas, elle se verrait obligée de servir Cassius et ses idéaux pour toujours, en l'échange d'un maigre salaire qui ne suffirait probablement pas à couvrir le cout de la vie à Subterra.
J'aurais aimé courir au gouvernement et planter mon stylo entre les yeux perçants de Cassius, lui hurler d'aller se faire foutre et de nous laisser enfin en paix. Je le savais vicieux, mais je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse se servir de pauvres orphelins ainsi. Malheureusement pour moi, j'allais bientôt apprendre qu'il était capable de bien pire.
Elle m'a remercié avant de partir jouer avec ses amis dans un coin. En me relevant, j'ai croisé le regard d'Ange à l'autre bout de la salle. Je lui ai adressé un sourire forcé. Il m'a répondu de la même façon, puis a tourné son attention vers quelqu'un d'autre.
C'était une chose que j'avais remarquée chez lui : au lieu de jouer avec les enfants de son âge, Ange s'installait dans un coin et regardait tout ce qui l'entourait. Il semblait constamment dans son petit monde.
J'ai entendu quelqu'un arriver derrière moi. Je me suis retourné, espérant apercevoir Luz, mais la jeune fille m'ignorait toujours ostensiblement. C'était Alex qui s'approchait.
— Ça va ? ai-je demandé en fronçant les sourcils.
Il avait une mine affreuse, le teint cireux et les yeux cernés. Je ne devais pas être beaucoup mieux.
— Ouais, je suis juste crevé, a soufflé Alex en passant une main dans ses cheveux blonds fillasses. Heureusement que tu es là. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi.
Alex et moi passions nos journées à nous occuper des enfants, à les rassurer quand ils pleuraient et à leur promettre de trouver un moyen de nous sortir d'ici. Difficile de les convaincre quand nous-mêmes nous n'y croiions plus. Nos âges avancés nous avaient tout de suite placés en haut de l'échelle. On était un peu devenu l'équivalent des parents de ce groupe d'orphelins.
— Tu serais surement mort, enterré à coup de « Alex, viens m'aider ! » ai-je plaisanté.
Un garçon a appelé mon ami, comme pour confirmer ma remarque. Fatigué, Alex a vérifié ce qu'il se passait avant de l'ignorer. Il avait dû remarquer que personne ne crachait de sang et avait décidé de s'accorder une petite pause.
On s'est laissé glisser contre un mur, exténués. Alex et moi nous étions beaucoup rapprochés ces derniers jours. On parlait souvent ensemble tard le soir, quand les enfants étaient couchés. Cela expliquait probablement notre fatigue, mais j'avais besoin de ces temps où je pouvais me confier.
J'ai enfoui la tête dans mes bras, comme pour m'enfoncer le plus loin possible de tout ça. De ma responsabilité auprès des enfants, de la peur qui suintait de cette salle, mais surtout de la mort, cette mort qui pesait comme une lourde menace au-dessus de nos têtes. Je ne pouvais m'empêcher de regarder les plus petits, me demandant quel serait le prochain. J'avais fait en sorte de ne pas trop m'attacher à eux, mais c'était peine perdue.
J'ai relevé la tête. Je ne pouvais pas me permettre de rester dans mes pensées trop longtemps. Je sentais le regard d'Alex sur moi. J'ai fait comme si je ne le voyais pas.
Au moment où j'avais décidé de me relever, la porte s'est ouverte sur cinq gardes armés jusqu'aux dents, jaillissant dans un rayon de lumière. J'ai jeté des regards frénétiques autour de moi, cherchant la pauvre victime que je n'avais apparemment pas remarquée avant. Alex et moi pensions que des caméras étaient dissimulées dans les murs, car les soldats arrivaient toujours dans la minute où l'enfant était pris de tremblements. Je me suis demandé si c'était le petit garçon qui appelait mon ami tout à l'heure. Non, je le voyais, à l'autre bout de la salle. Mais qui était-ce, alors ?!
Un des gardes a refermé soigneusement la porte. Ils se sont plantés au milieu de la salle, les bras sur les hanches. Je me suis sentie toute petite devant eux. Ils nous ont toisés d'un air hautain pendant quelques instants.
Un soldat s'est éclairci la gorge.
— Nous n'avions pas prévu que votre groupe puisse être victime d'une épidémie d'Hématofulgor. Dans tous les cas, cette maladie n'emporte que les plus faibles. Nous ne pouvons pas reculer l'entrainement, nous prendrons simplement quelques mesures de sécurité. Des questions ?
Un silence de glace s'est installé dans la salle, sous les regards lourds des soldats. Oh oui, nous en avions des questions. Trop pour savoir laquelle poser.
— Et les autres, a commencé Luz d'un ton menaçant. Qu'en avez-vous fait ? Vous les avez soignés, au moins ?
Le garde s'est avancé vers elle, la main sur la gâchette de son pistolet.
— Comment t'appelles-tu ? a-t-il demandé en lui relevant le menton du bout de son arme.
— Lu-Luz...
La jeune fille a mordu la main de l'homme, qui a lâché son pistolet.
— Luz, a-t-il répété calmement, bien qu'on puisse percevoir son agacement. Sache, Luz, que la sélection naturelle s'est occupée d'eux. S'ils n'ont pas été capables de résister, tes petits camarades ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Ce n'était pourtant pas si méchant, cette épidémie ne touche que les enfants.
Comment pouvait-il parler ainsi ? Je me suis demandé s'il fallait suivre des cours d'insensibilité pour devenir garde. J'y serais absolument nulle, je n'arrivais aucunement à contrôler mes émotions. Elles voudraient jaillir, exploser à la tête de ce garde cruel et effacer cette mine suffisante de son visage !
Il a désigné son pistolet, qui gisait toujours au sol. Le reste des gardes observaient la scène en silence.
— Maintenant, ramasse.
Luz a secoué la tête, bravache, mais une lueur de peur s'était allumée dans son regard. Elle avait trop de fierté pour s'abaisser aux pieds de ce garde, mais cela devait surement lui couter.
Un soldat, dont les longues mèches blondes tombaient devant les yeux, s'est avancé et a ramassé le pistolet. Il s'est relevé doucement pour le redonner à celui qui semblait être son chef.
— Voilà, a-t-il dit d'une voix grave en retournant à sa place. Ton pistolet.
J'ai croisé son regard un instant. Il avait des yeux très bleus, à moitié cachés par des mèches blond platine. Pendant une milliseconde, j'ai presque cru qu'il m'avait adressé un sourire, puis son visage s'est figé en une expression menaçante que je connaissais bien. C'était celle qu'abordaient tous les soldats.
Il a sorti un papier froissé de sa poche. C'était à lui de parler.
— Vous commencerez votre formation avec mes supérieurs ici présents. (Il a relevé le regard, semblant sonder la foule) sauf quelques-uns qui viendront avec moi. Votre sort sera moins agréable.
Un brouhaha a commencé parmi les enfants, qui jusque-là étaient trop terrifiés pour prononcer le moindre mot. Alex a regardé avec méfiance les trois hommes, sans porter importance aux enfants. Je leur ai fait signe de se taire.
Le garde aux yeux bleus a lu les noms sur son papier.
— Iris Shatner et Luz Ira, il parait que vous avez causé quelques problèmes à mes collègues. Cela ne m'étonne pas. Vous serez accompagnées d'Ange Davies.
Mon cœur s'est retourné à l'annonce de mon nom. Qu'allait-il se passer ? Je me suis tourné vers Luz. Elle regardait droit devant elle, les bras croisés devant sa poitrine.
Avant que je n'aie pu réagir, les gardes nous ont attachés les mains derrière le dos et j'ai eu comme une impression de déjà-vu. Mon cœur battait si vite que je pouvais presque entendre ses battements résonner à mes oreilles. J'ai serré les doigts très fort contre le lien qui me les liait.
Alex a couru vers moi, un air soucieux au visage. J'aurais voulu lui dire comment j'avais peur, comment j'aurais aimé rester avec lui, mais il a déposé un baiser sur ma joue avant que je n'aie pu prononcer le moindre mot. Ses lèvres étaient sèches et brulantes. Mon estomac a semblé s'amuser à faire du trampoline sur mes organes vitaux et je me suis demandé un instant si moi aussi, je n'aurais pas attrapé l'hématofulguritus , ou quelque chose comme ça.
— Nos chemins se recroiseront bientôt, s'est-il écrié lorsque trois gardes l'ont attrapé par les bras pour le ramener avec les autres. Un soldat lui a assené un coup dans le ventre et il s'est plié en deux.
J'ai hoché la tête en essayant de me convaincre moi-même.
Un soldat a ouvert la porte. Luz et Ange se tenaient à mes côtés. Je me suis mordu très fort la lèvre inférieure pour ne pas pleurer.
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