Chapitre 15
C'était étrange comment en l'espace de quelques jours, tout pouvait basculer. Ma vie à Subterra me semblait revenir à des années, comme un lointain souvenir d'enfance auquel on repenserait avec nostalgie. Zoélie, Tristan, l'école du troisième étage et mes petits soucis insignifiants avaient été remplacés par la peur, ma responsabilité envers Luz et Ange, mon inquiétude pour ma famille et l'horrible sentiment de ne jamais être à la hauteur. Ragoutez à ça le fait que je devais mentir à un petit garçon dont j'avais difficilement gagné la confiance. Ma vie partait vraiment dans tous les sens.
Je me suis demandé ce que faisaient Alex et les enfants en ce moment. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pensé à eux et, à vrai dire, je m'en voulais un peu. Le garde avait dit qu'ils devaient nous rejoindre en cas d'échec. Comment Cassius aurait-il connaissance de l'avancée de la mission ? Nous n'avons aucun moyen de communiquer.
J'ai poussé un long soupir. J'avais l'impression que cette expédition avait été organisée à la va-vite pendant la panique de l'explosion. Dans le style : " Envoyons trois enfants à la Surface, il n'y a absolument aucune chance que cela tourne mal. Tiens, et si on tuait les plus faibles, pour voir ce que ça fait ?"
J'ai ramené quelques mèches brunes derrière mon oreille. Le vent qui s'engouffrait par la fenêtre grande ouverte ramenait sans cesse mes cheveux devant mes yeux, mais j'aimais sentir sa violente caresse contre ma peau. Elle me maintenait en éveil, me vivifiait.
Un éclat argenté a attiré mon attention. Je me suis approché et ai aperçu mon épée, abandonnée depuis quelques jours sous mon lit. J'aurais aimé pouvoir la laisser ici, mais je savais que ce n'est pas possible.
J'ai vérifié une dernière fois le contenu de mon sac (enfin, le sac d'Ange. J'avais laissé le mien aux écureuils). Des sous-vêtements de rechange, une bouteille d'eau, la trousse à pharmacie et quelques vivres fournis par les Davies. J'ai enfilé mon épée dans son trousseau et j'étais prête.
Tarek avait décidé que nous partirions pendant la nuit, une fois qu'Ange serait endormi. À son réveil, Elisabeth Davies lui assurerait que Tarek nous accompgnait Luz et moi à Subterra. Que nous avions abandonné la mission. Cela me faisait mal au cœur mais je n'avais pas le choix.
Luz est entré dans la pièce d'un pas trainant et s'est laissé tomber sur son lit.
— Alors, ai-je demandé d'un air faussement enjoué, tu as apprécié la vaisselle avec Mme Davies ?
Luz a fait mine de s'étrangler, poussant un râle d'agonie.
— Tu veux rire, la démone m'a encore sermonnée pendant tout le service, a-t-elle dit en riant.
Nous avions passé la journée à aider les Davies dans les tâches ménagères afin de les remercier pour leur accueil.
J'ai ri doucement, puis on est resté en silence un moment.
Mon regard a glissé le long de la chambre, analysant les objets plus extravagants les uns que les autres et les rideaux colorés. Sur le grand bureau en bois étaient posées des feuilles de papier et un pot rempli de quelques crayons de couleurs.
Soudain, j'ai eu une idée. Je me suis assise sur la chaise en face du bureau, j'ai attrapé un crayon vert et l'ai tripoté fébrilement entre mes doigts. Luz m'a lancé un regard interrogateur depuis son lit.
Je cherchais mes mots. Cela me brisait le cœur de faire croire à Ange que nous l'avions abandonné. Il fallait que je lui explique clairement notre projet, sans pour autant le paniquer. Je lui laisserais le mot quelque part pour qu'il le découvre à son réveil.
J'ai commencé à écrire frénétiquement, penchée sur le bureau. Le bruit de mon crayon frottant sur le papier résonnait dans la pièce.
Ange,
J'espère que tu as passé une bonne nuit.
Ne t'en fais pas, nous revenons bientôt. Tes parents pensent que nos familles sont détenues au camp du Minotaure.
À notre retour, il ne faudra pas que tu leur dises que je t'ai laissé ce petit mot. Je voulais juste te rassurer. La mission continue.
Bisous,
Iris
J'ai relu ma lettre une dernière fois. Voilà qui était mieux.
— Que fais-tu ? a demandé Luz en s'approchant.
La rouquine a attrapé la feuille et commencé à lire. J'attendais sa réaction, assise sur ma chaise, à me tordre les doigts. Ses épais sourcils se fronçaient au cours de sa lecture. Finalement, elle a reposé la lettre et m'a fixé un instant, l'air désespéré.
— Iris, a-t-elle soufflé. Les Davies vont te tuer... C'était la condition pour qu'on puisse continuer.
Je lui ai lancé un regard implorant. Je savais que c'est une mauvaise idée, mais je ne pouvais simplement pas faire autrement.
— Je sais... mais il n'y a aucune raison qu'ils le découvrent.
Luz s'est mordu longuement la lèvre. Elle a ramené une mèche rousse derrière son oreille, puis a poussé un soupir résigné.
— Passe-moi ça.
Elle m'a arraché la feuille des mains et a attrapé un crayon rouge dans le pot. L'air sûr, la jeune fille a écrit son prénom en lettres majuscules à côté du mien.
— Voilà, s'exclame-t-elle en me la rendant.
J'ai pris la lettre et l'ai regardée avec émotion. Luz avait peut-être plein de défauts, mais je savais que je pourrais toujours compter sur elle pour m'aider. Je lui ai adressé un sourire reconnaissant. Pour toute réponse, la jeune fille m'a envoyé un geste obscène avant de tomber lourdement sur son lit.
Toujours assise sur ma chaise, j'attendais patiemment que Tarek nous fasse signe de le rejoindre. Nous nous préparions mentalement à la suite des événements.
Après quelques longues minutes, des coups pressants, mais discrets ont résonné à la porte, qui s'est ouverte pour révéler Tarek Davies, un sac sur l'épaule.
— On y va, a-t-il murmuré, l'air grave.
J'ai acquiescé doucement, jetant un regard entendu à Luz. Ma main s'est resserrée sur la feuille de papier.
— Je vais aux toilettes. Retrouvez-moi devant l'immeuble.
Tarek a semblé agacé, mais a accepté, me faisant signe de me dépêcher. J'ai avancé à pas pressés vers la salle de bains avant de faire demi-tour une fois assuré d'être hors de leur vue.
Je me suis demandé où est-ce que je pourrais cacher la lettre pour qu'il la découvre sans difficulté. Au moment où je décidais que la glisser sous sa porte était la meilleure solution, un bruit a retenu mon attention. Tendant l'oreille, j'ai perçu des sanglots étouffés venant de la chambre d'Ange.
Il ne dormait pas.
Et il pleurait.
N'entre pas, Iris. N'entre surtout pas.
Les dents serrées, j'ai passé la lettre sous la porte le plus silencieusement possible. Il ne devait la découvrir que le lendemain matin. Je me suis relevé, m'efforçant de ne pas écouter ses sanglots enfantins. Quelle que soit la raison pour laquelle il pleurait, je ne devais pas m'en mêler.
Je me suis détourné au prix d'un effort insoutenable, tournant le dos à ses soucis. Après tout, je n'étais pas sa mère. Ce n'était pas à moi de prendre soin de lui.
Je descendais doucement les escaliers quand j'ai croisé mon reflet dans la fenêtre. Mon visage affichait une expression déterminée, la mâchoire serrée, et mes cheveux étaient attachés en une longue queue de cheval. J'avais enfilé une vieille veste en cuir marron par-dessus mon haut élimé. Tarek appelait ça une "veste d'aviateur". C'est lui qui me l'avait donné.
J'arrivais au rez-de-chaussée. J'ai poussé la porte d'entrée. Accueillie par une rafale glacée, je frissonnais. Le ciel était sombre, seulement éclairé par la pale lueur de la lune. Je ne comprenais toujours pas comment elle tenait dans le ciel, et je n'osais pas poser la question aux Davies. Je craignais de passer pour une idiote.
Je me suis approché des trois ombres.
— Pas trop tôt, a marmonné Mme Davies.
Elle portait un pantalon serré et ses longs cheveux étaient tressés en arrière, mettant en valeur ses traits fins. Il avait été convenu qu'elle resterait ici afin de veiller sur Ange. Elisabeth Davies a embrassé son mari avant de nous adresser de secs au-revoir.
Tarek nous a fait signe de le suivre derrière l'immeuble. Mon cœur battait la chamade. Si tout se passait bien, j'aurais retrouvé mes parents, Sybil et Tristan avant deux jours.
Tarek nous a arrêtés devant une grande porte métallique. Elle s'est ouverte en grinçant, dérangeant le silence de la nuit.
Nous sommes entrés dans une pièce sombre, à peine éclairée par de pauvres lampes tremblotantes suspendues aux murs. L'air était humide et sentait l'argile, un peu comme à Subterra. La lueur des lampes dansait sur le béton, créant des ombres qui se mouvaient comme des spectres autour de nous.
Au milieu de la pièce se trouvait un objet imposant en métal brillant, avec des roues rondes et noires, presque aussi haut que moi.
Tarek s'est accoudé contre l'objet avec un sourire fier.
— Vous aurez la chance de voyager dans l'une des dernières voitures du monde. Une Toyota 3 Safari.
Je fixais l'objet, les yeux écarquillés.
Tarek a ouvert une portière et nous a fait signe de monter. Luz semblait méfiante, et je ne voyais pas vraiment en quoi s'enfermer dans une cage à roue allait nous guider jusqu'au clan du Minotaure. Mais j'avais décidé de faire confiance aux Davies.
Luz et moi sommes montées à l'arrière, tandis que Tarek s'est installé au volant.
C'était ainsi, dans le calme oppressant de la nuit, que nous avons entrepris notre mission périlleuse.
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