Recommandation musicale : Dynasty de MIIA

Épuisée, je me suis laissé glisser sur mon lit et ai savouré la sensation de la douce couverture sous mon corps. J'aurais pu m'endormir immédiatement, si je ne voulais pas attendre le retour de Luz.

J'ai regardé un instant mon épée, rangée dans son fourreau. Je l'avais posé distraitement contre le mur en arrivant dans la chambre. Je l'ai glissé sous le lit. Je ne voulais pas la voir.

Je me suis demandé ce que nous allions faire, désormais. Nous ne pouvions pas rester ici indéfiniment, il nous fallait retrouver nos familles. D'autant plus que Mme Davies ne semblait pas ravie de notre présence dans l'immeuble.

Un étrange sentiment de malaise me prenait quand je pensais à cette femme. Sans hésitation, je pourrais affirmer que c'était une des plus belles personnes que je n'avais jamais rencontrées, avec son port gracieux et ses longues jambes fines. Cependant, quelque chose dans ses manières clochait. Elle paraissait froide et hautaine, tandis que Tarek était rêveur et chaleureux. Maintenant que j'y pensais, je me rendais compte qu'Ange était le parfait mélange de ses parents : distant et constamment dans la lune.

Je me suis demandé ce qu'Ange faisait en ce moment. Il devait être seul dans sa chambre, comme moi. Cela m'étonnerait que ses parents soient avec lui, ils n'avaient pas vraiment l'air de se soucier de leur fils. Une dynamique assez spéciale semblait régner entre ces trois-là.

J'ai hésité à aller le rejoindre. Cela me faisait étrange d'être séparé ainsi, après avoir passé toutes ces journées ensemble. Je crois que je commençais à la considérer comme le petit frère que j'avais toujours rêvé d'avoir.

Ayant pris ma décision, je suis sorti à pas silencieux dans le couloir. Je passais devant la salle de bain. Luz s'y était enfermée quelques minutes plus tôt, sous prétexte d'une envie pressante. Des sanglots étouffés me sont parvenus à travers la cloison. J'aurais voulu aller la voir, mais je savais que Luz préférait rester seule dans ces moments-là. J'ai descendu les escaliers, ma chemise de nuit frôlant les marches.

Arrivée au rez-de-chaussée, j'ai passé en revue toutes les portes qui aurait pu abriter la chambre d'Ange. J'ai tout de suite éliminé la première à droite, puisque c'était le salon. Mon regard s'est accroché à un dessin enfantin accroché à une des portes de gauche. Je me suis approché, prenant le temps de l'observer. Il représentait un petit garçon grossièrement dessiné, entouré d'une femme et d'un homme. Ils tenaient chacun une main de l'enfant et abordaient un sourire éclatant. Je me suis demandé si cette scène s'était déjà déroulée.

Poussant un soupir, j'ai toqué à la porte d'Ange.

— Entrez ! s'est écrié le garçon.

J'ai avancé dans la pièce. Le sol était froid sous mes pieds nus. Il était assis sur son lit, le nez plongé dans un énorme livre. Ange a semblé un peu déçu quand il m'a aperçu, comme s'il attendait quelqu'un d'autre. Je me suis assise sur la douce couverture orange à ses côtés.

— Tu lis quoi ? ai-je demandé.

Il a levé la tête vers moi.

— Un livre sur les pirates. C'étaient des espèces de bandits qui pillaient les mers grâce à leurs immenses navires, il y a longtemps, a-t-il rajouté devant mon air perdu. C'est très intéressant.

À Subterra, le peu de livres que nous avions était réparti entre les écoles de chaque étage. Celle du quatrième étage en possédait la moitié, celle du troisième la moitié de la moitié et ainsi de suite. À la suite d'un défi que Zoélie lui avait lancé, Tristan en avait un jour volé un et me l'avait offert.
Un sourire mélancolique a percé mon visage malgré moi. « L'encyclopédie des animaux », il était encore caché sous mon oreiller.

— Cassius a donné à mes parents quelques livres sur la vie avant Subterra, pour les aider dans leurs recherches, a dit Ange en levant ses grands yeux gris vers moi.

Je suis resté pétrifié une seconde. C'est cela le problème, ses grands yeux gris. Quand je l'avais vu pour la première fois, j'avais cru un instant qu'Ange était aveugle. Déjà, ils m'avaient semblé anormaux. Maintenant que j'avais rencontré ses parents, je savais qu'Ange n'avait pu hériter ce trait d'aucun d'entre eux, puisque leurs yeux étaient marrons.

Je l'observais attentivement, essayant de déchiffrer le mystère qui l'entourait. C'était comme un puzzle dont il me manquait une pièce essentielle.

— Tu aimes les pirates ? ai-je murmuré, tentant de détourner mon attention de mes pensées troublées.

Mes yeux étaient toujours ancrés dans les siens. Son sourire s'était affaissé, comme s'il avait lu dans mes pensées.

— Oui, a-t-il murmuré d'une voix presque inaudible. Ils sont fascinants.

Un détail m'est revenu. Sur le dessin accroché à sa porte, le petit garçon était dessiné avec des yeux marron. J'ai été prise d'un frisson.

Ange a détourné le regard. Il m'a tendu son livre sans me regarder, les yeux fixés sur le sol.

— Tu veux bien me lire un morceau de l'histoire pour m'aider à dormir ?

J'ai acquiescé, m'efforçant de penser à autre chose. Je m'efforçais de mettre le ton, de faire des pauses aux moments opportuns et j'ai fini par me perdre moi aussi dans l'incroyable aventure de Black Bart, le pirate ayant capturé 400 navires en seulement deux ans. Il voyageait par les mers à bord du Royal Fortune, pillant corsaires et marchands. Je ne comprenais pas la moitié des mots que je lisais, mais qu'importe. L'image de ses grands yeux gris me revenait toujours en tête.

Lorsque j'ai relevé la tête, Ange dormait paisiblement. J'ai replacé tendrement sa couette et je suis sorti de la chambre sans bruit. J'ai remonté les escaliers en jetant un coup d'œil à la fenêtre. Il faisait sombre dehors, je reconnaissais les étoiles que le petit garçon m'avait montrées lors de notre première nuit à la Surface. Je ne pensais pas être restée aussi longtemps avec lui, mais il fallait dire que l'histoire de Black Bart le pirate était vraiment intéressant.

— Eh ! Que fais-tu là ?

J'ai sursauté, manquant de tomber dans les escaliers. Les yeux noirs de Mme Davies me fixaient durement. Elle était vêtue de la même chemise que moi et ses cheveux tressés étaient retenus dans un bonnet de soie.

— Euh, je suis désolée, bafouillai-je. J'étais avec Ange.

Elle pinçait les lèvres, me dominant de toute sa hauteur.

— Tu ferais mieux de le laisser tranquille.

M'excusant platement, j'ai rejoint ma chambre le plus vite possible. Mon cœur palpitait, elle m'a vraiment prise par surprise. Je me suis demandé ce que je lui avais fait pour qu'elle me déteste autant, à moins que cela n'était juste son comportement habituel.

J'ai poussé la porte. Luz m'attendait dans la chambre, assise sur le bord de son lit.

— Enfin !, s'est-elle exclamée d'un ton faussement exaspéré. Qu'est-ce que tu faisais ?

Je me suis glissé sous les grosses couvertures colorées tandis qu'elle éteignait la lumière. Je lui ai raconté mon altercation avec Mme Davies. Luz m'écoutait d'un air distrait, déjà à moitié endormie. J'apercevais les contours de son visage dans la pénombre. Ses cheveux roux formaient comme une douce aura autour d'elle. J'ai fermé les yeux à mon tour, l'esprit embrumé.