Chapitre 10

Après nous être nettoyés dans une source, nous avons repris la route. Le soir commençait à tomber et Ange paraissait préoccupé.

— On a perdu beaucoup de temps, expliquait-il. Je préfère ne pas marcher de nuit, il vaudrait mieux trouver un nouvel immeuble où nous abriter.

On a marché quelques minutes avant d'apercevoir la pointe d'un immeuble au loin, sa silhouette s'élevant contre le ciel teinté de rose et d'orange. Le bâtiment semblait abandonné depuis longtemps, ses fenêtres brisées et les murs recouverts de lierre et de graffiti.

Nous avons avancé vers l'immeuble, les bruissements des feuilles nous entourant comme un murmure inquiet. Une ambiance lourde pesait entre nous trois. Les corps des enfants étaient toujours gravés dans ma mémoire et quelque chose me disait qu'ils n'en sortiraient pas de sitôt.

Une fois à l'intérieur, nous nous sommes faufilés à travers les débris, contournant des morceaux de verre et des déchets. La lumière du jour s'éteignait rapidement, projetant des ombres inquiétantes sur les murs délabrés. On a monté les escaliers d'un accord commun, comme le dernier soir. Arrivé en haut, j'ai poussé une porte. J'avais hâte de pouvoir me coucher.

Soudain, une créature est tombée du plafond et s'est accrochée à mon sac à dos. J'ai senti des griffes se planter dans ma peau. Étouffant un cri, j'ai donné un coup dans l'air. La petite bête est restée agrippée tandis qu'une autre m'a bondi sur la tête, suivie de deux autres. Combien étaient-ils ?!

Paniqué, je me suis tourné vers mes amis. Luz, le poignard à la main, essayait de me venir en aide en donnant des coups au hasard tandis qu'Ange poussait des cris suraigus.

Je me suis secoué pour tenter de me libérer, la respiration saccadée. Soudain, j'ai trébuché et je me suis écroulé au sol, enseveli sous une dizaine de petits monstres plantant leur griffe dans ma chair. Des larmes chaudes ont coulé le long de mes joues. Comme je n'arrivais pas à me relever, je me suis protégé le visage entre les mains. Mon corps entier a semblé se crisper, chacun de mes muscles, bandés.

La panique obscurcissait mes pensées, et je sentais la douleur se répandre dans tout mon corps. Le pelage rêche des créatures frottait contre ma peau, leur souffle froid m'angoissait. C'était comme si tout s'était figé autour de moi, un tableau vivant de désespoir et de violence. J'ai repéré des détails au hasard : un corps élancé, une queue touffue, un pelage grisâtre...

Serrant les mâchoires, je me suis efforcé d'analyser le type d'animal auquel j'avais affaire, comme je l'avais fait pour l'ours. J'ai visualisé mon livre dans ma tête jusqu'à arriver à un petit mammifère en apparence inoffensif : l'écureuil.

Tuée par des écureuils, ai-je pensé dans un dernier élan de raison. La mort la plus glorieuse qui soit.

— Iris, s'est écrié Ange, le sac à dos !

Haletante, j'ai tourné la tête vers lui. Un écureuil en a profité pour s'agripper à mon visage et j'ai dû l'arracher à deux mains, poussant un cri de fureur. Le sac à dos, avait dit Ange. Mon sac était rempli de nourriture, ce qui avait dû exciter les écureuils.

La vision terrifiante de Luz récitant un horrible discours à mon enterrement m'a redonné un peu de courage. J'ai alors compris qu'il fallait agir vite. Paniquée, j'ai attrapé tant bien que mal la lanière de mon sac à dos en me tordant contre le sol. Je l'ai levé au-dessus de ma tête, les bras tendus.

Ange a attrapé mon sac tandis que Luz fauchait à coup de poignard chaque écureuil qui essayait de s'accrocher à lui. Ange s'est précipité vers la fenêtre. Se protégeant les yeux d'un bras, il a balancé le sac contre la vitre qui s'est brisée en un bruit assourdissant. Des éclats de verres ont rebondi contre le sol.

Comme guidés par un seul esprit, les écureuils ont foncé vers la fenêtre. Ils s'y sont jetés et ont disparu dans le vide, emportés par la chute. Le calme est retombé alors que les derniers cris des petits animaux s'éteignaient dans l'air frais du soir.

Je me suis relevé en position assise, le souffle court et les mains tremblantes. Ange, quant à lui, regardait la fenêtre brisée, comme s'il s'attendait à ce que les écureuils reviennent, prêts à se venger.

— Est-ce que ça va ? a murmuré Luz en s'agenouillant à mes côtés. Son visage était assombri par le choc et un soupçon d'inquiétude.

J'avais l'impression qu'on m'avait planté des aiguilles sur tout le corps. J'ai levé les bras au niveau de mon visage. Ils étaient constellés de petites griffures, peu profondes, mais douloureuses. J'ai fermé les yeux quelques secondes. Je sentais le sang palpiter contre mes tempes.

J'ai acquiescé en luttant contre les larmes qui menaçaient de surgir à nouveau. Mon cœur battait encore la chamade. J'ai ramené mes genoux contre ma poitrine.

Ange est arrivé avec la trousse d'infirmerie. Il a appliqué délicatement une crème apaisante sur mes égratignures. Sans dire un mot, Luz et lui ont commencé à panser mes blessures les plus graves. J'ai fermé les yeux, tentant de chasser les images des créatures furieuses et de la frayeur qui m'avaient submergée.

— Ça ira, dis-je finalement, ma voix tremblante révélant le tumulte de mes émotions.

Luz, concentrée, m'observait d'un regard inquiet. Ses boucles grasses pendaient autour de son visage pâle. Elle a repositionné un morceau de bandage autour de mon bras.

Un détail m'est revenu à l'esprit.

— Nous n'avons plus de nourriture, ai-je articulé lentement, le regard dans le vide. Toutes les réserves étaient dans mon sac.

Je me suis sentie instantanément coupable. Ange a levé ses yeux vers les miens.

— Ne t'en fait pas pour ça, Iris, nous serons bientôt arrivés. Tu devrais dormir un peu. Je vais prendre la garde.

Je n'ai pas protesté et je me suis endormie contre Luz presque aussitôt.

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