𝐃𝐄𝐔𝐗.
L'appartement de Hori n'était pas très loin du centre de Shibuya en transports, mais à pied il y avait bien une petite heure de trajet. Le soleil avait disparu derrière la ligne d'horizon depuis peu, les plongeant dans une obscurité effrayante. D'autant plus qu'elles étaient habituées aux néons colorés qui caractérisaient Tokyo.
Soudain, l'immense écran de l'un des immeubles de Shibuya s'alluma tout en blanc, leur provoquant un sursaut général.
— Qu'est-ce que- fit Hori en plissant les yeux le temps qu'ils s'habituent à la luminosité.
Des kanjis noirs apparurent alors sur l'écran.
— « Bienvenue à tous les joueurs. Le jeu va bientôt commencer. » lut Linh.
— Le jeu ? répéta Toru.
L'écran changea à nouveau et une flèche apparut, pointant leur gauche. Les trois sœurs se tournèrent vers la direction indiquée et Linh montra du doigt des lumières semblables visibles derrière des immeubles, à plusieurs centaines de mètres de là.
— Regardez ! s'exclama-t-elle. Il y a peut-être quelqu'un ?
— Allons-y ! trancha Hori en s'avançant déjà vers la lumière.
Linh et Toru acquiescèrent de la tête et s'engagèrent à sa suite.
•••
Près d'une demi-heure de marche plus tard, elles arrivèrent au pied d'un immense château d'eau d'une bonne soixantaine de mètres de haut. Des néons fixés un peu partout sur la structure les aveuglaient de leur lumière blanche. Juste au dessus de la porte d'entrée, trônait un petit écran blanc, affichant l'écriture anglaise : [GAME]. Une flèche noire pointant la porte d'entrée leur indiquait la direction à suivre.
Sans échanger de mots inutiles, les trois sœurs pénétrèrent à l'intérieur de l'immense structure hydraulique, où régnait une odeur nauséabonde d'humidité. Elles suivirent plusieurs flèches noires avant d'enfin déboucher sur une large pièce circulaire d'environ 20 mètres de diamètre, où l'odeur était plus forte que jamais. Hori devina qu'il s'agissait du réservoir d'eau, vide, même si les parois restaient humides.
Au moment où elles passèrent la porte, trois petits « bip » successifs se firent entendre, mais si ce détail accapara un instant l'esprit d'Hori, il fut vite chassé par une information bien plus surprenante et intéressante : la présence d'autres individus dans la pièce.
Ses yeux firent rapidement le tour et Hori compta exactement 12 personnes : une femme et un homme quadragénaires se serrant l'un contre l'autre comme si leurs vies étaient menacées, trois hommes en costumes de travail discutant à voix basse, deux lycéennes de l'âge de Toru en uniformes scolaires, une femme sexagénaire accompagnée d'un homme qui était probablement son fils, puis des solitaires : un jeune adulte à l'air un peu bête avec un t-shirt batman, une jeune femme de petite taille aux cheveux noirs coupés courts et enfin un homme barbu et enrobé qui avait l'air de ne pas trop comprendre ce qu'il faisait là.
Devant ce constat, Hori ne put retenir l'interjection surprise qui franchit ses lèvres. Tous les regards se tournèrent vers elles, et Toru en profita pour demander :
— Hé ! Vous savez ce qui se passe ? Pourquoi tout le monde a disparu ? C'est quoi cet endroit ?
Toutes les conversations se turent et il y eut un silence pesant, durant lequel tout le monde se plut à les dévisager avec des regards dans lesquels se mêlaient pitié, mépris et agacement, avant qu'un homme en tenue de travail ne lui réponde :
— Si tu ne veux pas mourir, tu es obligée de jouer. Et ne pense même pas à prendre la fuite : la barrière que vous venez de passer vous pulvériserai sur place si vous tentiez de faire marche-arrière.
Hori déglutit difficilement et elle sentit Linh se tendre à ses côtés.
Il ne daigna pas leur donner plus d'informations et retourna à la discussion qu'il tenait à voix basse avec ses collègues.
Hori remarqua alors un détail qui lui avait échappé : au centre de la pièce, se tenait une table circulaire sur laquelle étaient posés trois téléphones, et chaque individu en tenait un dans sa main.
Toru prit l'initiative d'en prendre un et d'en passer deux autres à Hori et Linh.
L'écran noir s'alluma et afficha « Reconnaissance faciale en cours, veuillez patienter ». Suite à cela l'écran devint blanc et afficha un compte à rebours de deux minutes. Une voix robotisée féminine s'éleva de tous les téléphones portables de la salle :
— Attendez le début du jeu. Fin des inscriptions dans deux minutes. Actuellement, il y a 15 participants.
— Cet endroit me fou les chocottes. chuchota Linh une fois que tous les regards se furent décollés d'elles.
— Apparemment on doit participer à un jeu. fit Toru en se tournant vers ses deux sœurs. Mais c'est quoi cette histoire de mort ? En temps normal, j'aurai traité ce mec de fou, mais son regard était vraiment... effrayant.
— Tout leurs regards sont effrayants. rectifia Linh en frissonnant. Comme si...
— Ils avaient tous déjà vus et vécus des choses horribles. compléta Hori avec gravité.
— Bon sang mais où est-ce qu'on a atterri ? gémit Toru d'un ton angoissé.
Sur leurs téléphones, le compte à rebours atteint 00:00:00, et la même voix féminine s'éleva à nouveau :
— Inscriptions terminées. Le jeu va commencer. Jeu : Château d'eau. Difficulté : neuf de pique.
À ces mots, nombre de participants blêmirent, certains poussèrent même des petits cris effrayés.
— Neuf de pique ? répéta Linh. Qu'est-ce que ça signifie ?
La voix du téléphone poursuivit :
— Règle du jeu : Escaladez les parois du château d'eau pour atteindre la sortie. But du jeu : Quitter le château d'eau dans le temps imparti. Temps imparti : 30 minutes. Le jeu commence à partir de maintenant.
Aussitôt, un compte à rebours de 30 minutes s'afficha sur les écrans des téléphones. Hori remarqua alors les échelles accrochées aux parois. Seulement, elles étaient cassées par endroits. Pour certaines, il y avait des écarts de plusieurs mètres entre les deux bouts, impossibles à franchir. C'était là toute la difficulté du jeu : non seulement il fallait s'évader dans le temps imparti, mais en plus de ça il fallait choisir son échelle avec soin.
— D'accord, je vois. fit Toru en se grattant le menton. C'est un jeu d'enfant !
Linh leva la tête vers le plafond pendant quelques secondes, examinant chaque échelle avec soin, avant de pointer une échelle du doigt :
— Celle qu'il faut prendre, c'est celle-là !
— Ahah ! Merci pour l'info ! s'exclama un homme en costume avant de la devancer pour s'emparer de l'échelle que Linh avait désigné, suivi de ses deux acolytes.
— Eh ! Redescends tout de suite trou du cul ! fulmina Toru. C'est notre échelle !
— C'est pas grave. fit Hori en posant une main sur son épaule, pour l'empêcher d'aller se battre contre l'homme.
Pas qu'elle s'inquiète de la défaite de sa petite sœur, non, Hori avait surtout peur pour l'homme.
— Il y a bien une autre échelle valide, non ? poursuivit-elle en se tournant vers Linh qui était déjà en train d'examiner les autres échelles.
— Celle-là. annonça-t-elle sur un ton plus bas cette fois-ci, en se dirigeant vers l'échelle en question.
Après avoir rangé les téléphones en sûreté, les trois sœurs grimpèrent une par une : Toru en première, puis Linh suivit, et Hori monta en dernière. Elle n'était pas aussi sportive que Toru, mais elle se débrouillait, tandis que Linh était vraiment... peu douée -ou plus exactement dépourvue de tout talent- pour toute activité demandant un effort physique. Ainsi, Hori pourrait la rattraper en cas de chute, tandis que Toru leur ouvrirait la voie, et les avertirait en cas de prise risquée.
Les barreaux de l'échelle étaient humides et glissants, ce qui compliquait leur ascension.
Cinq minutes plus tard, Hori marqua une petite pause pour observer les autres joueurs : la jeune femme de petite taille était en tête loin devant, Hori l'aperçut sauter de son échelle pour s'accrocher à une autre, avec une aisance telle que l'on aurait dit qu'elle avait fait ça toute sa vie, sûrement était-ce le cas. Les trois hommes en costume suivaient. Elles-mêmes étaient quelques mètres plus bas qu'eux. Hori voulut ensuite regarder vers le bas, et fut tout d'abord prise d'un léger vertige, mais s'obligea à observer la position de chaque joueur, faisant abstraction de sa légère nausée.
Les autres participants étaient plus bas et se débrouillaient plus ou moins bien. Quelques mètres en dessous d'elles, progressaient le couple ainsi que les filles en uniformes scolaires. Plus bas, la femme sexagénaire progressait lentement mais sûrement grâce à l'aide de son fils. Et tout en bas, à 5 mètres du sol, le barbu semblait en difficulté en raison de son poids et de son manque évident de muscles.
Hori remarqua alors que le jeune adulte à l'air un peu bête avait emprunté la même échelle qu'elle et ses sœurs. Cela ne lui posait pas de problème dans la mesure où il était encore loin derrière, mais elle se promit tout de même de le tenir à l'œil.
Soudain, un brouhaha semblable à celui d'une cascade s'infiltra dans le réservoir. Interpellée, Hori regarda à nouveau vers le bas, et constata avec horreur que de l'eau envahissait peu à peu le réservoir. Et le niveau progressait effroyablement vite.
Le barbu fut bien vite rattrapé par l'eau et sombra dans les flots tumultueux, dans un hurlement déchirant. Et c'est en entendant ses cris anormalement douloureux, qu'Hori comprit qu'il ne s'agissait pas simplement d'eau. Elle observa avec horreur la peau du barbu se dissoudre et ce qu'elle soupçonnait d'être de l'acide se teinter de sang, emportant avec lui toute trace de l'être humain.
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