❝𝐕𝐈𝐈𝐈 - 𝐎𝐔 𝐋𝐀 𝐇𝐀𝐈𝐍𝐄 𝐏𝐋𝐎𝐍𝐆𝐄 𝐕𝐄𝐑𝐒 𝐋'𝐀𝐁𝐈𝐌𝐄 #𝟐❞
❝𝐑𝐎𝐓𝐓𝐄𝐑𝐃𝐀𝐌 - 𝐍𝐄𝐓𝐇𝐄𝐑𝐋𝐀𝐍𝐃𝐒
𝐓𝐀𝐒𝐍𝐈𝐌 𝐒𝐀𝐑𝐈𝐘𝐀'𝐒 𝐕𝐈𝐄𝐖𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓
𝟏𝟒𝟒𝟏 - 𝟐𝟎𝟏𝟗❞
C'était mon ferme serment, auquel je ne faillirais en aucun cas, il n'y aurait que la mort pour m'arrêter. Et encore, je ne savais pas si elle serait en mesure de mettre fin à mes agissements, si je me trouvais dans l'incapacité d'aller au bout de mes convictions, je ferais en sorte que mes actes se perpétuent, dévoilant la vérité au grand jour. Ou plutôt à la grande nuit, puisque j'agissais majoritairement pendant celle-ci.
Je ne réalisais toujours pas. C'était devant l'édifice d'une puissante mafia que je me trouvais, à Rotterdam, au nord de l'Europe. J'étais prête à tuer, à voler, pour rentrer dans ce réseau, basé dans une ville qui constituait un puissant centre économique. C'était près d'un port je me tenais, après avoir quitté les émirats, où on m'avait rejeté. Ici serait probablement le lieu où je me ferais enfin accepter, où les maux dont je souffrais ne seraient vu que comme un atout, laissant rage et haine mûrir en moi, muant en détermination.
Je jetai un coup d'oeil derrière moi, constatant que la Porsche noire de Ryan avait disparu, et lui avec. Je ne savais pas où il était parti, mais j'étais en tout cas sûre qu'il ne rentrait pas aux émirats. Son air fatigué et préoccupé m'avait convaincue que lui aussi avait à faire aux Pays-Bas, des affaires probablement presque aussi sérieuses que les miennes.
Ben Sayour... Il m'avait laissée me débrouiller, seule face aux bâtiments, même si j'en savais déjà assez pour mener à bien ma mission. J'avais des ordres concis, bien que face à l'imposant bâtiment, ils me semblaient insignifiants. L'édifice était d'aspect très moderne, en accord avec l'ambiance de la ville, mais sombre comme le ciel qu'il venait chatouiller. Aucune fenêtre n'en était allumée, tout était noir. Il n'y avait que le port, quelques autres bâtiments et lampadaires pour éclairer les alentours.
J'étais placée devant l'entrée, raide comme les bras de Ben Sayour sur le volant. L'entrée était conçue de façon à être tournante, telle celles des grands centres commerciaux. Construite dans le verre cerclée de joints noirs de jais, je pouvais vaguement m'apercevoir dans la matière, constatant que j'étais aussi fatiguée que l'avocat qui m'avait accompagnée jusqu'ici et ce dans tous les sens du terme. Sur un panneau fixé dans le mur, je pouvais lire en anglais que le bâtiment était ironiquement dédié à la médecine, avec des noms de médecins issus de toutes ethnies, aussi à consonance africaine qu'arabe, aussi bien à consonance asiatique qu'européenne. On y faisait aussi du droit et de la comptabilité, plusieurs domaines s'entremêlaient ici, aussi étrange soit-il.
Il allait bien falloir que j'entre. Je n'avais aucune idée de comment était fait l'intérieur, ni même de comment accèderais- je à ADAK, si l'édifice était dédié aux soins médicaux, où se trouvait en fait ce que je cherchais ? Je mis, très fébrilement, un pied sur le verre, et avançai enfin.
Ce fut sur un hall relativement grand que je débarquai, fait de murs sombres, décoré de tableaux et de pancartes dont les lumières s'allumèrent automatiquement en détectant ma présence, mais avec peu de luminosité. On aurait dit le rez-de-chaussée d'un hôpital, avec son ambiance de morgue et d'ennui malgré les efforts faits pour rendre la salle attachante.
Quelque peu stressée, je dégainai mon téléphone rangé dans la poche intérieure de mon kimono. Ben Sayour m'avait envoyé un message il y avait déjà cinq minutes, court et explicite :
" Porte noire à droite." m'indiquait- il.
Je regardais autour de moi. Il y avait effectivement sur ma droite une porte noire, bien cachée, on en voyait seulement la moitié, déguisée par un meuble. Je m'en approchais, et l'éclairai à l'aide du flash de mon portable. Avec cette lumière supplémentaire, je pu constater que des mots étaient gravés sur la porte.
Les mots étaient inscrits en arabe, en contour blanc. Il était écrit le nom du réseau, soit Ad-Dawla al-Khafiyyah. L'Etat caché. Je passais doucement le bout de mes doigts sur les gravures, m'en imprégnant. Ryan m'avait amenée au bon endroit, m'avait certes laissée seule, mais où il le fallait.
J'étais seule, dans un silence religieux, ce qui était ironique puisque les actes mafieux allaient chacun à l'encontre de toute confession. Je poussais donc la lourde porte de métal, le plus silencieusement possible, mais elle émit un grincement glauque dans la nuit, qui aurait pu m'effrayer si je n'avais pas été Tasnim Sariya.
ADAK. Je doutais qu'ici, au milieu de Rotterdam, beaucoup sachent lire l'arabe. Ces lettres de notre belle langue incrustées dans l'acier devaient s'apparenter à des décorations pour ceux qui ne savaient malheureusement pas pour eux la lire. Si ici était le quartier général du réseau, il était bien caché, et insoupçonnable. Le bâtiment était énorme, et comme Al-Hakikah, ADAK devait être basé en souterrain.
Les escaliers face auxquels je me trouvais maintenant, après avoir poussé la porte, étaient étroits et s'enfonçaient profondément, en tournant. Avec un rayon de lumière, je pu constater qu'il avaient été taillés dans le marbre noir, avec d'abstraites lignes d'or pailleté. Du luxe, encore et encore. Mes quelques mois restants se ferait dans cette ambiance, étouffante, mais bien loin de me déplaire.
J'étais plutôt de nature sereine, et là, mon assurance me quittait peu à peu, pour laisser place à l'anxiété. Je n'avais été exposée à aucune source de stress ces deux dernières années, seulement à des sources d'envie destructrices d'aller contre lois et principes. Ce que j'allais enfin pouvoir faire en toute impunité.
Les escaliers donnaient sur un second hall, plus vide que le premier, mais tout aussi luxueux si ce n'était plus. Mon téléphone vibra dans ma poche dès que j'eus mis le pied sur le velours rouge qui tapissait le sol. Je le sortis, et vis une nouvelle fois que c'était Ryan qui m'avait expédié un texto. Dans tous les cas, il n'y avait que lui pour le faire, seul lui possédait mon contact.
" Tu en es où ?" m'interrogeait -il alors que je l'avais précédemment laissé en vu.
"Dans un hall. J'observe."
Il vit le message de suite, comme si il avait été à l'affût d'une réponse de ma part.
" Tiens -moi au courant. Quoi qu'il arrive tu seras testée"
Je le laissais une nouvelle fois en état de lecture, n'ayant rien à répondre. Ce type me laissait trop perplexe et me gênait alors que j'étais en train d'accomplir quelque chose d'important, pour moi et pour lui.
La pièce qui s'étendait face à moi baignait dans la pénombre, mais j'avais passé tant de temps dans cette dernière que je ne la percevais plus, je parvenais même à distinguer les détails des lieux dedans. Les meubles étaient revêtus du même tissu que le sol, dans des coloris qui différaient et divers. Une table s'imposait en long et en large dans la partie droite de la salle. Quelques papiers étaient posés dessus, d'un blanc éclatant, et de multiples lignes imprimées dessus. Je m'en approchais, à pas feutrés, discrète alors que j'étais venue me faire remarquer.
La pièce était aussi silencieuse que le précédent hall. Je recommençais à me questionner, où Ryan m'avait-il en fait amenée ? Si au début l'endroit m'avait paru être fait pour moi, il était maintenant à mes yeux plus macabre et je craignais d'être tombée dans un quelconque piège. J'avais manqué de vigilance face à lui puisque je n'avais senti en sa personne aucun mal, je l'avais perçu dès le départ comme inoffensif, mais aurais -je eu tort ?
Je délaissai cette réflexion pour m'attaquer aux quelques feuilles qui reposaient sur le bois du meuble devant lequel j'étais. Elles étaient rédigées en arabe, et en anglais sur d'autres. J'en étais peu étonnée, du fait que le réseau portait déjà un nom extrait de l'arabe littéraire. Je pris le temps de les lire, alors que rien, pas même une ombre ne venait me tenir compagnie. J'étais en souterrain, dans l'ambiance quelque peu angoissante de la nuit.
A la lecture du papier, je fus très surprise, et j'eus une expression stupéfaite, aussi choquée que je l'avais été devant les articles d'Abu Dhabi Noor. Ma figure s'était décomposée et mes traits crispés.
C'étaient des espèces d'énigmes méticuleusement choisies qui avaient soigneusement été rédigées sur le papier blanc. D'étranges énigmes, qui faisait appel aux sentiments. Elle étaient compliquées à comprendre, la tournure en était spéciale, mais j'apercevais là où elles cherchaient à emmener.
Ryan m'avait parlé de tests d'admission à plusieurs reprises, si ces épreuves ne s'avéraient qu'être de simples énigmes à résoudre avec un peu de réflexion, j'excellerais dans ce réseau.
Je saisi la feuille en anglais pour la lire aussi. Bien que je sois plus à l'aise avec la langue arabe puisqu'elle était ma langue natale, mais peut-être les devinettes seraient -elles plus compréhensibles en anglais.
Mon cœur, quant à lui, n'avait cessé de tambouriner dans ma poitrine. Il continuait à y prendre de plus en plus de place, la pression étant loin d'être retombée. Je sentais aussi quelque chose s'ajouter à l'atmosphère, venant presque imperceptiblement la troubler. J'avais le sentiment, pour une fois que j'en ressentais un concret, que quelque chose passait sur moi, venant me déranger dans ma lecture comme il avait changé l'ambiance.
Je relevai les yeux. Non pas juste de ma feuille, mais de devant moi, pour fixer le plafond haut. Il n'y avait pas de lustre, la pièce était à peine éclairée par quelques lampes sur les cotés de la hauteur.
Une vitre. Une vitre était incrustée dans le plafonnier, en carré. Je ne pouvais à présent n'y observer que du noir, mais j'étais persuadée qu'on m'y avait observée avant de se retirer. J'en étais sûre et certaine.
Le lieu était bien trop calme pour que quelque chose ne s'y cache pas, un lieu de ce genre devrait normalement à cette heure-ci regorger de vie. Quelque chose se terrait, tapis dans l'ombre, et je devrais y faire face. Ou plutôt, j'irais à sa rencontre, si je voulais intégrer Ad- Dawla al-Khafiyyah.
Je ne sortis pas mon téléphone, de peur qu'on ne m'attrape entrain d'informer l'avocat d'origine algérienne des évènements. Je scrutai à la place autour de moi, et remarquai qu'un stylo stagnait au bout du meuble sans que je l'ai remarqué. Je m'en emparai, d'un geste qui contre mon gré avait tremblé.
J'ai fermé les yeux après l'avoir pris. Réunissant toute la concentration et l'intelligence que je possédait, je cherchais réponse aux questions. Si elles étaient là, c'était bien pour qu'on y réponde. J'avais senti qu'elles demandait de réfléchir avec les sentiments, or les miens étaient devenus inexistants, je semblais ne plus rien ressentir depuis Ali.
Mais il fallait que j'y réponde. Je sentais quelques réponses venir... Je sentais aussi ces énigmes m'appeler, comme si elle retenait en elles quelque chose d'important. En même temps, placées ici, mises en évidence, elles ne pouvaient qu'être essentielles à ma mission. Je savais ce que je voulais et était prête à tout pour l'avoir.
De ma main droite, qui ne tenait pas le stylo, je massai légèrement mon front. Une migraine y naissait, c'était pour ça un très mauvais moment. Elle devait avoir été engendrée par la réflexion dans laquelle je venais de plonger. Mais ma cogitation touchait à sa fin. Oui... C'était ça. J'avais trouvé réponses aux trois.
Je soufflai, et sur le coup d'une impulsion, ou plutôt d'une intelligente envie guidée par le désir de me faire entendre, prononçait les réponses à voix haute en les écrivant à même le papier sur lequel elles avaient été écrites.
L'impression d'être regardée était revenue, et peut-être avait -elle jouée un rôle dans cette pulsion, je la sentais encore plus que tout à l'heure. Mais, je ne flanchais pas, et m'impliquais dans ma tâche, écrivant rapidement en arabe, mais le plus lisiblement possible.
Une fois fini, je rabattis mon kimono sur ma poitrine, me protégeant d'un courant d'air. Ce dernier venait d'apparaître, étrange coïncidence avec le fait que je vienne de terminer de répondre. Une porte ou une fenêtre avait été ouverte quelque part, l'air marin glacé de la nuit néerlandaise venait me chatouiller et hérisser ma chair. Je percevais quelque chose venir avec ce courant, la même chose qui m'avait observée.
C'était le début des vraies choses. Je pouvais aussi le voir venir, comme Ryan me l'avait déjà dit. Ben Sayour n'avait en fait jusque-là aucunement menti, il semblait au contraire être un homme d'une profonde honnêteté, presque ridicule. Il avait finalement eu raison de m'emmener jusqu'ici, les sept heures de vol en avait largement valu la peine.
Ma mission, certes longue, semblait bien commencer. Les quatre murs de la pièce qui m'encerclaient formaient pour moi un lieu d'accueil, où je passerais du temps. La haine que je retenais depuis tout ce temps servirait enfin à quelque chose.
Des pas, avançant au même rythme que tambourinait encore mon coeur dans ma poitrine, se firent entendre de plus en plus puissamment à quelques mètres de moi. Une ombre se déplaçait, je commençais à la distinguer, trace noire dans la pénombre grisâtre. Une silhouette se dessinait, masculine, appartenant à un homme haut.
— Vous savez réfléchir, à ce que je vois.
Mon corps se raidit. Une voix rauque, grave, mais légèrement plus aigüe que celle de Ryan, avait retentit dans la salle.
❝𝐑𝐘𝐀𝐍 𝐁𝐄𝐍 𝐒𝐀𝐘𝐎𝐔𝐑'𝐒 𝐕𝐈𝐄𝐖𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓
𝐀𝐌𝐒𝐓𝐄𝐑𝐃𝐀𝐌 - 𝐍𝐄𝐓𝐇𝐄𝐑𝐋𝐀𝐍𝐃𝐒
𝟏𝟒𝟒𝟏 - 𝟐𝟎𝟏𝟗❞
Ting. Une notification de la part de Sariya. Je coinçai la serviette autour de ma taille, caressant légèrement le bas de mon torse, avant de saisir d'un geste détendu mon portable. M'étant lavé à l'eau brûlante, mes vaisseaux sanguins s'étaient complètement dilatés, réduisant ma tension et accentuant ma fatigue. Il n'y avait en moi que ce sentiment, avec la sensation d'avoir le corps mou et inutile.
Le message de l'émiratie me secoua légèrement, assez court mais explicatif, et composait un nom :
" Ben Sayour. Noam El-Sayed, tu connais ? Je dois ramener son corps pour intégrer ton réseau"
Franc, froid, Tasnimien. Sec comme elle savait le faire, tout juste loquace, mais je notais qu'elle avait tenté d'imiter ma manière d'écrire, qu'elle avait cherché à être distante alors qu'elle manquait terriblement de tac.
Mettant cela de côté, j'observais plutôt le nom qu'elle m'avait écrit. Noam El-Sayed, un nom qui me disait vaguement quelque chose. J'en avais l'image sur un papier blanc, imprimé dans une police similaire à celle d'un script, en lettres latines. Un nom arabe, qui pourrait être aussi bien maghrébin que khaleeji, bien que Noam soit un prénom plutôt donné au Maghreb.
Je répondis à Tasnim, lui demandant pourquoi elle devait ramener cet. . . homme ? Ou cette femme ? Le prénom était mixte, même si il était plus donné aux hommes. J'ajoutais la question avec à l'émiratie, lui demandant le sexe de la personne. Elle me fournit aussitôt une réponse, mon téléphone vibrant dans ma main :
" Une femme d'origine égyptienne. Une procureur, c'est ton domaine, ça"
Une femme procureur. A la lecture de son message , j'eus un éclair de lucidité. Noam El-Sayed était la femme qu'on avait annoncée comme procureur au procès pour lequel je plaidais demain. Son nom, bien qu'important, apparaissait peu dans le dossier. J'avais retenu le nom de la juge : Tyssam Fadlallah, mais pas totalement celui de la procureure.
Le procureur conduisait les enquêtes et décidait des poursuites, si l'affaire avait été portée sur la scène judiciaire de la sorte, c'était parce qu'elle l'avait décidé. Le procès de demain allait être serré, et elle y serait. Or, cela signifiait que Tasnim devrait y intervenir, pendant, avant ou après pour agir au plus vite et intégrer ADAK.
L'émiratie devrait la tuer. J'imaginai que le réseau la couvrirait et qu'elle n'aurait pas de suite, et qu'El-Sayed serait portée disparue. Mais ce serait une étrange coïncidence qu'elle disparaisse alors qu'elle avait été présente au même moment et au même lieu que moi, alors que j'étais le complice de Sariya et que personne ne savait où elle se situait, ni même n'en avait une idée. C'était encore moi qui devrait prendre les responsabilités, ainsi les risques qui allaient avec.
Mais je n'avais pas le choix. C'était soit cela, soit je laissais mes projets tomber à l'eau, se noyant, mes objectifs avec et une partie du sens de ma vie s'envoler. C'était comme ça, et inévitablement, j'obtiendrais un retour.
Tasnim m'avait répondu, ou plutôt m'avait relancé. Elle m'avait simplement écrit " Alors ? ", étant donné qu'elle s'était retrouvée en vu. Sans plus chercher à lui parler par message, je l'appelais directement. Je réajustai légèrement la serviette que je portais toujours, attendant qu'elle décroche. Concentré sur ses informations, j'avais fait totale abstraction du froid qui m'avait envahi, tendant ma chair et mon épiderme, risquant de me rendre malade.
L'émiratie ne décrocha pas. Où était -elle passée entre son message et mon appel ? Si elle pensait éviter une conversation téléphonique, elle se trompait, elle y aurait souvent droit.
J'enfilais rapidement un short long et un maillot large, abandonnant le tissu dont j'étais vêtu quelques instants auparavant sur le lit impeccablement fait. Je la rappelais ensuite, et cette fois-ci, elle décrocha à la première sonnerie.
— Allô, Sariya.
Je plaquais en même temps l'appareil contre mon oreille, prenant appui contre un meuble.
— Ben Sayour, me lâcha-t-elle simplement.
Sa voix avait un ton irrité, comme si elle était fatiguée. Si elle pensait l'être plus que moi, elle se trompait. Je devrais pour nos intérêts, endurer nos humeurs, aussi bien la sienne que la mienne.
— Tu es où actuellement ?
Elle m'avait subitement interrogée, alors qu'elle n'avait pas de réel intérêt à savoir où je me situais.
— A Amsterdam, à l'hôtel. Et toi, toujours vers ADAK ?
— Je suis revenue à l'hôtel, mais je devrais intervenir où tu es demain.
— Je le savais déjà. Noam El-Sayed est la procureur du procès où je plaide demain.
— Comment ça, s'exclama-t-elle dans un élan de surprise.
— L'affaire concerne ADAK, ce n'est pas étonnant qu'ils te demandent de l'éliminer. C'était même évident, c'est elle qui a pousser l'affaire jusqu'en cassation, l'informais- je, restant pour ma part calme.
Intérieurement, j'étais loin d'être confiant, c'était un risque énorme qui était prit là. L'autre, que j'avais croisé deux jours plus tôt dans le magasin d'électronique n'avait pas eu tord en me disant que ce que je m'apprêtais à faire était beaucoup trop risqué, j'en prenais seulement conscience maintenant que tout se concrétisait.
— Fais ça proprement, Tasnim, ajoutais -je.
— Ne t'inquiètes pas pour ça, Ben Sayour, c'est déjà calculé. Je n'agirais qu'à la fin du procès. Mais pourquoi tu ne m'avais pas dit que tu plaidais aux Pays-Bas ?
Elle me demandait de ne pas m'inquiéter dans une telle situation, ou plutôt me l'ordonnait, ce qui ne faisait qu'encore plus attiser mon inquiétude. Elle était aussi qualifiée pour la mission que dangereuse pour celle-ci. De surcroît, elle s'était permise d'enchaîner avec une question.
Je soufflais, avant de lui répondre :
— Je n'étais pas obligé de te le dire. Fais très attention alors, Sariya. On se verra demain.
— Oui, fit-elle juste, sèche et cassante.
— A demain, alors.
Je raccrochais, sans lui laisser le temps de me redire quoi que ce soit. Quoi qu'il arrive, je doutais fortement qu'elle aurait pu me retourner ma salutation, je commençais à la connaître.
Je m'asseyais sur le bord du lit, dont les draps étaient toujours frais. J'enfouis la tête dans mes deux grandes mains après avoir posé mon téléphone sur le chevet.
Ach katdiri, ya Tasnim ?
J'avais senti dans sa voix de la confiance et de la sérénité, alors qu'une personne normale aurait été tout le contraire. Si l'histoire tournait mal, ce serait moi qui prendrait. Avec elle, c'était mon droit d'exercer que je risquais, mais après tout, elle était une psychopathe et de son trouble résultait une irresponsabilité persistante malgré ses vingt-quatre ans et un mépris envers la sécurité. Elle ne prendrait jamais conscience de la gravité des faits, et même si elle finissait par s'en rendre compte, ça ne l'arrêterait jamais tant elle était prête à tout pour parvenir à ses fins.
La fatigue s'emparait de moi, en même temps qu'un léger stress. Je me savais très bien nerveux, et ce que Tasnim faisait là était très mauvais pour mon humeur et ma santé mentale, elle cherchait à me faire craquer. Tasnim Sariya. . . la femme qui de son crime avait marqué les émirats et avec qui je collaborais maintenant étroitement.
J'ai passé ma main sur mon visage, ramenant ce dernier vers l'arrière, passant ensuite mes doigts entre les grosses mèches de mes cheveux qui formaient de grossières ondulations. Le procès était prévu pour quinze heures or il était déjà une heure du matin. Si je restais comme ça, j'irais en ayant fait une nuit blanche, ce qui ne serait pas la première fois. C'était fort probable que ça arrive, je sentais le sommeil s'éloigner de moi malgré la fatigue que je ressentais. Mes pensées me tortureraient jusque l'aube, chaque détail que j'avais loupé viendrait me triturer et me tourmenter, me ferait me remettre totalement en question.
Me levant, je tirai de mes affaires le dossier de demain. Il était relativement épais, composant une vingtaine de feuilles, aussi bien manuscrites que tapuscrites. Les rapports des différents partis y étaient, avec mes plaidoyers écrits ainsi que des notes d'arguments appuyées par des articles de lois et des preuves, certes minces mais présentes. Quoi qu'il arrivait, les autres partis ne possédaient pas plus de preuves pour accuser que je n'en avais pour défendre.
C'était l'affaire Bakhtiyari, homme qui serait jugé aux Pays-Bas dans le système néerlandais, mais selon la loi émiratie, impliqué dans Ad -Dawla Al-Khafiyyah, dangereusement impliqué dans ce réseau. Il était à la base irakien, mais s'était installé aux émirats et en possédait la nationalité. C'était une coïncidence bien intrigante, sur laquelle je me devais d'approfondir mes recherches.
J'effectuais une brève relecture du contenu de la double feuille en papier craft beige, avec le nom du dossier inscrite au feutre indélébile noir. Mes plaidoyers avaient été plutôt bien réussi, et je savais qu'ils avaient fait effet. Je me savais doué pour convaincre et argumenter. Il y avait peu de concret concernant Jafar Bakhtiyari ainsi que sur ADAK, et je m'en étais plutôt bien sorti en jouant principalement sur cet argument. Il était impossible de condamner avec aussi peu d'affirmations.
Mais on tenait à le sanctionner, je l'avais bien constater dans ce qui m'avait été rendu, il était pour la justice un criminel, ce qui en soi n'était pas faux. Je commençais à croire que j'éprouvais de l'attraction envers ces derniers, même si Sariya était en son genre spéciale, un spécimen rare de son espèce.
Je notais bien, en revanche, qu'on avait désigné des arabes pour en juger un autre. C'était surprenant, en soi, l'affaire était plutôt jugée grave, au point d'être traînée en justice malgré que l'on possède peu de preuves à l'encontre de Jafar. Fadlallah, de ce que je savais d'elle, n'était pas spécialement expérimentée, mais rigoureuse.
Demain. Demain serait encore plus décisif qu'il n'était déjà censé l'être. Un procès et une tentative d'homicide importants auraient lieu l'un à la suite de l'autre.
Tasnim ne m'avait pas plus que ça donné d'indications ni de détails concernant sa rencontre avec ADAK. Je lui en réclamerais plus tard, soi dans la soirée soit demain. Comme je lui avais clairement dit lors de notre première rencontre, je lui fournissait les moyens et elle mettait le temps qu'il lui restait à notre profit ce qui impliquait qu'elle me brief sur tout, j'avais besoin des moindres informations du déroulé des évènements. Je ne doutais pas de sa détermination, ni de sa volonté, mais elle me devait tout de même un minimum de comptes.
Elle voulait que je lui accorde de la confiance, elle souhaitait s'affirmer dans le monde criminel, mais de par son instabilité mentale, je ne pouvais lui conférer cette confiance. Si jamais elle faisait un faux pas, je risquais gros aussi. En lisant son journal intime, qui avait d'ailleurs disparu de mon bureau, j'avais bien compris quels sentiments elle nourrissait envers le monde, je la savais prête à le briser pour atteindre ses objectifs. J'aurais aimé retrouver le lourd cahier et l'amener ici, mais je n'avais pas le temps de gérer une disparition de journal intime avec l'enchaînement des évènements.
Les fenêtres de la chambre laissaient passer de petits rayons de lumière nocturne, que projetait l'astre sur le sol. Les vitres filtraient le ciel gris et sombre, annonciateur des événements du lendemain.
Je me rappelais que lorsque Ayotunde avait passé quelques semaines à ADAK, elle s'y était introduite par le biais d'un contact et n'avait eu qu'un trafic de marchandise à effectuer, et à la différence de Tasnim, elle n'avait pas visé le secteur qui possédait l'idéologie complotiste. La Nigériane avait seulement fait de l'introduction et de la collecte d'informations précieuses.
Je posai mon téléphone portable sur le chevet. Je me sentais maintenant lourd, et un poids pesait sur ma cage thoracique. Cette dernière était pressurisée, trop pleine de tant d'émotions que je ne parvenais même plus à interpréter ce que je ressentais. Ou peut-être ne ressentais -je finalement rien... N'éprouvais -je pas seulement de l' anxieuse rage et du regret ?
Toujours assis au bord du lit, je passai ma main sur mon visage. Un visage que je sentais maintenant être un masque, un faux plafond pour cacher la misère. Si ils voyaient qui j'étais, si jamais le regard du monde perçait mes apparences, si l'on m'arrachait ce sous quoi je me cachais ?
Tasnim, elle, avait une parfaite image d'elle tout entière, et moi, n'avais confiance qu'en celle que je renvoyais vraiment. Après tout, j'étais devenu un avocat presque éminent qui demain plaiderais aux Pays-Bas pour une affaire d'haute importance. Mais j'étais un avocat qui laissait les activités criminelles perdurer, et qui y participait même. Je m'apprêtais indirectement à commettre du mal.
Un mal nécessaire mais qui me pèserait sur la conscience. Avant de me lancer, je n'avais pas réfléchi à comment vivrais -je avec l'ombre de sang sur les mains. Tasnim porterait ces tâches de liquide humain pour moi, ou plutôt avec moi. J'en verrais les ombres sur mes mains, elle tirerait et je serais son silencieux.
J'exerçais le droit, rendait la justice, mais permettait à une femme d'enlever la vie. J'avais défendue corps et âme, deux ans auparavant, une femme ayant commis un crime jugé des plus graves, et cela m'avait valu le mépris de mon institution. Et maintenant, elle était à Rotterdam, conduite par moi là-bas, passant dans un réseau illégal. Voilà qu'elle devrait de nouveau tuer, et cette fois-ci sous mes propres ordres.
J'étais Ryan Ben Sayour, d'origine algérienne et diplômé du droit aux émirats arabes unis. Je n'avais pas à avoir ce type de réflexion, je n'avais seulement qu'à exercer mon métier, nourrir mes propres intérêts, et à arriver au bout de mes projets. Ces derniers nécessitaient les agissements que j'allais laisser sévir, j'avais besoin de ces actes et de Tasnim pour parvenir à mes fins, connaître chaque vérité et tenir mes promesses.
Il le fallait. Même si cela me faisait mal intérieurement et que je devais me rendre fou, finir pire que Tasnim, je le ferais. Chaque personne sur cette terre a des désirs, et comme tout le monde, j'en possédais de profonds, que je ne souhaitais qu'assouvir, et que j'assouvirais.
Le dossier jeté sur le lit avec la serviette, je l'en enlevai, ne voulant pas l'abîmer avec l'humidité. J'en aurais besoin, demain il serait mon outil, avec lequel je ferais un premier pas vers la réussite. J'étais certes un homme qui se cachait, un homme qui s'en voulait, un homme qui pour certains n'en était pas un, mais j'étais un homme qui tenait sa parole. Je défendrai Jafar Bakhtiyari et le ferais acquitter. J'avais promis à Tasnim de lui fournir les moyens d'arriver au bout de ses convictions, de mener à bien sa mission, et je lui les fournirais sans broncher.
Je savais, tout comme elle, que des dirigeants se cachaient pour gouverner le monde, et je voulais, à son instar, savoir qui ils étaient et quels étaient leurs véritables agissements. Alors pour cela, j'acceptais de vivre avec du sang sur les mains, en étant le silencieux d'une femme qui finirait par dénoncer des maux.
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