❝𝐈𝐗 - 𝐏𝐑𝐎𝐂𝐄𝐃𝐔𝐑𝐄𝐒❞


إجراءات

❝𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗❞



❝𝐑𝐎𝐓𝐓𝐄𝐑𝐃𝐀𝐌 - 𝐍𝐄𝐓𝐇𝐄𝐑𝐋𝐀𝐍𝐃𝐒

𝐓𝐀𝐒𝐍𝐈𝐌 𝐒𝐀𝐑𝐈𝐘𝐀'𝐒 𝐕𝐈𝐄𝐖𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓

𝟏𝟒𝟒𝟏 - 𝟐𝟎𝟏𝟗❞



J'avais ouvert la fenêtre et un vent frais venait remuer ma chevelure et caresser mon visage, comme lors du dernier soir que j'avais passé en hôpital psychiatrique. Mais le vent était cette fois-ci plus froid, plus glacial, aussi gelé que le serait le corps de la procureur demain.

J'étais revenue à l'hôtel où Ryan m'avait fait déposer mes affaires, observant Rotterdam par la vitre, m'en tenant un peu éloignée. Mon sac avait été retourné par moi-même, alors que je savais que je n'avais que deux jours à faire ici. Je devrais bientôt tout ranger, ce que je ferais sûrement demain matin si la fainéantise s'abstenait de venir s'ajouter à mon état.

Mais j'avais plus important que des vêtements à plier. Je tenais toujours dans ma main droite un papier, sur lequel était écrit de multiples informations qui concernaient ce que je ferais demain. Le procès était programmé pour quinze heures, et devrais en théorie durer une heure et demi, en fonction de la tournure qu'il prendrait.

Ryan s'irritait vite, je ne savais pas comment faisait-il pour exercer un métier où il fallait garder son calme. Demain, de ce que j'avais compris, serait compliqué, et ADAK risquait gros dans cette affaire.

Je relu la feuille que je tenais. Elle expliquait ce qu'il se passerait demain, contenait aussi des informations sur Noam El-Sayed. Mais Ryan n'était pas mentionné dans le document, son nom n'apparaissait nulle part. ADAK ne devait pas être au courant qu'il était l'avocat de l'homme qui passait à la barre.

D'ailleurs, comment se nommait cet accusé ? Je parcourrai donc de nouveau des yeux les lignes serrées, à la recherche de son nom : Jafar Bakhtiyari. Accusé d'actions criminelles, l'affaire avait été traînée en cassation après de nombreux plaidoyers écrits, des plaintes de différents partis. Personne n'avait en fait de preuves concrètes le concernant, mais on savait qu'il y avait quelque chose.

D'après les dires du lieutenant que j'avais pu rencontrer cette nuit, El-Sayed avait fait preuve de beaucoup d'engouement et de ferveur dans le procès, comme si elle y avait un intérêt. Or, il était impossible de lui soutirer la moindre information. Et c'était pour ça que l'on devait l'éliminer.

L'exécuter était une mission périlleuse, et surtout risquée, je savais bien que c'était pour cela que l'on me la confiait à moi. Personne au sein de cette mafia à laquelle j'avais été introduite les deux heures précédentes ne voulait se risquer à être pris sur un fait comme celui-ci.

El-Sayed disparaîtrait. Elle était un barrage à mes plans, pour rentrer au sein d'ADAK et découvrir les dernières vérités de ce monde, dans le laps de temps très limité que je possédais, je me devais de la tuer, sans la connaître.

D'un geste désinvolte, je lâchai la feuille que je tenais jusque-là, la déposant sur le chevet blanc à côté du grand lit. Elle se retrouva en compagnie de mon portable, que je consultais rapidement. Ryan ne m'avait pas renvoyé de message après notre appel qui fut relativement bref.

Je ne lui avais pas détaillé ma soirée, je le ferais plus tard si jamais c'était nécessaire. Il n'avait pour le moment pas besoin de tout connaître du déroulé, même si c'était lui qui m'engageait et m'assumait financièrement. Lui non plus ne m'avait pas expliqué comment s'était passée son début de nuit, il m'avait simplement dit qu'il était à Amsterdam parce que je lui avais posé la question. De surcroît, il n'avait pas pris la peine de m'informer du fait qu'il plaidait aux Netherlands avant notre départ.

Je fermai la fenêtre et me plaçais dos au mur, m'y appuyant. J'aurais pu m'allonger ou m'asseoir, mais j'étais trop fébrile et excitée pour ça, je ne dormirais probablement pas jusqu'au matin, il était déjà trois heures du matin.

Nous étions maintenant le trois décembre. Hier avait été la fête nationale aux émirats, que je n'avais pas célébrée depuis un certain temps. Je n'éprouvais pas même une once d'envie de la fêter, ni de regarder à travers mon écran, loin d'Abu Dhabi, les gens le faire. Je ne faisais plus partie du peuple émirati, surtout aux yeux de ce dernier, j'étais simplement originaire du pays. Je l'avais quitté moins de vingt-quatres heures auparavant comme on l'avait tant réclamé.

J'expirai profondément d'un souffle chaud qui traduisait une légère irritation à cette pensée. J'avais tué et on m'avait exclue de la société, alors que ma victime avait amplement mérité qu'on lui arrache la vie. Ali... Ali. Un cadavre enterré six pieds sous terre, c'était tout ce qu'il était. Et l'internat qui avait suivi mon crime était à présent derrière moi. Je n'avais plus à y penser, j'avais accompli ce que je m'étais promis de faire lorsque j'avais vingt ans.

Et demain je recommencerai. Je tuerai de nouveau, et je devrais faire preuve du même sang froid que lorsque je m'étais mouvée avec aisance dans son appartement au quartier des affaires. Cette fois-ci, je le ferais dans un tribunal, l'arme à la main de la même manière.

Je me demandais si j'aurais encore l'occasion de jeter quelqu'un du haut d'un bâtiment. D'une part, j'en avais de nouveau envie, le pousser avait été si satisfaisant, ça avait été pour moi un énorme soulagement. D'une autre, je voulais qu'assassiner de cette manière reste quelque chose d'unique, propre à cet homicide de 1441.

Passant mes doigts les uns contre les autres, je fermai les yeux pour me replonger dans mes souvenirs. Je ressentais le métal froid de la gâchette contre ma peau, glaciale sensation qui venait hérisser ma chair.

J'étais toujours vêtue de mon haut, mon kimono et mon jean. Je les sentais coller à ma peau, avec la sueur de la journée. Demain j'opterais pour une tenue plus sobre, plus discrète, mais qui m'accorderait tout de même du crédit face à Ad-Dawla al-Khafiyyah et le tribunal. Si on me voyait en ce dernier et qu'on m'interpellait, il fallait que je sois habillée de façon crédible, de manière à pouvoir mener à bien ma mission.

J'avais répondu à trois énigmes, trois questions formulées comme des poèmes, qui avaient fait appel aux sentiments pour y répondre. Je m'en souvenais approximativement. Non... Je m'en souvenais parfaitement, elles avaient été l'objet de profondes réflexions, longues devant la table de bois, avec le sentiment d'avoir été observée.

"Je suis plus fort que l'acier, mais je fonds sous la chaleur.

Je suis invisible, mais mon absence fait hurler les hommes.

J'habite entre deux mondes : le devoir et l'émotion.

Qui suis-je ?"

La loyauté. Sans elle, les hommes criaient, hurlaient, se déchiraient. Elle était à la fois un sentiment, et un devoir, imposé au sein de la mafia. Sous la chaleur de l'envie et du désir, elle fondait, mais se devait d'être forte. Elle était parfaitement choisie.

Pour répondre à chaque énigme, j'avais du remuer mes méninges, je l'avouais. Chacune s'était faite un dilemme, en particulier la seconde, plus compliquée qui avait été une question ouverte.

"Deux chemins s'offrent à toi, mais un seul mène à la vérité.

L'un est pavé de richesse et de gloire,

L'autre, d'obscurité et de silence.

Prends le mauvais, et tu perds ton âme.

Prends le bon, et tu perds ton cœur.

Que choisis-tu ?"

Le dilemme. L'énigme mettait en scène celui-ci, m'y confrontant et me testant par le biais de cette confrontation. La réponse était ouverte, et j'avais répondu que je prenais le bon chemin. C'était hypocrite de ma part, j'aurais en réalité choisi le mauvais si je n'avais pas été dans des examens aussi cruciaux. Je ne craignais guère que l'on considère que j'ai perdu mon coeur, c'était fait depuis longtemps déjà.

Je préférais gloire et richesse à loyauté, sang et obscurité. Mais avec ADAK, je ne pouvais pas me le permettre, silence et pénombre étaient la mafia, reconnaissance et argent étaient l'autre côté. L'autre côté, celui qui s'opposait à la mafia, et ces deux éléments pourraient tout aussi bien représenter les inconnus dirigeants de ce monde, que je savais régner quelque part, tirant les ficelles de la vérités.

Mais j'avais noté et sorti de ma bouche, prononcé avec mes lèvres, que je choisissais le bon chemin, soit celui du silence et de l'obscurité. Bien que cette notion de bien et de mal soit relative, il fallait replacer les choses en contexte, ce dernier étant important afin de fournir de correctes réponses. Le chemin mafieux, loyal et conservateur formait dans ces questions le bon, et celui opposé le mauvais, en étant considéré comme ennemi.

Beaucoup auraient répondu avec honnêteté à ces quelques questions, mais moi, j'avais pris le choix de le faire avec hypocrisie, je devrais user à dessein de cette dernière pour me montrer le plus possible à mon avantage et convaincre. Et j'avais produit l'effet recherché auprès de ceux que j'avais ce soir rencontré.

La dernière question avait été formulée autrement, mais restait dans le thème du dilemme. Elle n'avait fait qu'exposer qui j'étais, ou plutôt l'avait tenté, il n'était pas facile de me déjouer :

Dans un jardin, une rose pousse au milieu des ronces. Un serpent veille, prêt à frapper quiconque s'approche.
Tu peux choisir :

Tenter de cueillir la rose, au risque d'être mordu.

Laisser la rose derrière toi et avancer.
Quelle est la meilleure décision ?


Aucune. Aucune n'était une bonne décision, simplement ils cherchaient par cette question à savoir comment les pensées du candidat s'organisaient-elles, notamment face au risque. Ils avaient su ce qu'ils faisaient en posant cette question, beaucoup n'auraient pas su quoi y répondre.

Me concernant, j'avais choisi la première proposition. Elle témoignait du courage et de la volonté, la rose représentait ici une récompense, et pour moi, une des vérités de ce monde, pour lesquelles je pourrais risquer ma vie afin de les cueillir. On aurait pu penser que je préconiserais la précaution, mais en aucun cas.

Replongée dans les souvenirs de quelques heures auparavant, revivant chaque instant, j'étais toujours adossée au mur. Je changeai de place, m'asseyant au bord du lit dont les draps étaient repassés et frais.

Je n'étais pas venue jusqu'ici pour faire preuve de bonté, de tolérance, d'humilité ou encore même de sincérité. Je m'étais rendue jusqu'ici, à Rotterdam, j'avais quitté les émirats qui m'étaient pourtant chers pour découvrir les vérités enfouies de ce monde, pour savoir ce qui jusqu'ici avait été caché, que ce soit à moi ou au peuple.

Comme je me l'étais promis, je révèlerais ce que je découvrirai au grand jour, j'obtiendrais ensuite gloire, recevrais reconnaissance et détiendrais pouvoir. On me jetterais des fleurs, à moi, Tasnim Sariya, qui avait pourtant toujours été dénigrée.

Il fallait aussi que je tienne compte du temps qu'il me restait. Quelques mois, environ une année. J'étais saisie de façon récurente par de fulgurantes douleurs au milieu du ventres, de remontées acides. J'avais une véritable maladies, quelque chose se faisait en moi, je pouvais le sentir. Mais ce serait loin de m'empêcher de faire ce que j'avais à faire.

Je mis la tête entre mes deux mains, massant légèrement mon front de mes longs et fins doigts. Ce geste me surprit, mais il était agréable, je n'avais pas l'habitude de le faire. C'était Ben Sayour qui se comportait souvent de la sorte lorsqu'il s'enfermait sur lui-même, réfléchissant.

Je lui avais peut-être inconsciemment emprunté ce geste. Humoristiquement, je me demandais si au tribunal il se permettait d'avoir cette pose aussi, agacé par ses procès.

Un petit rictus s'échappa de mes lèvres dans le silence de la grande suite que j'occupais seule. Mes cernes tiraient mes yeux, que la fatigue venait aussi piquer. Pourtant, je n'avais pas sommeil, et ne possédais pas non plus le temps de dormir. Je devrais retourner au quartier général d'ADAK aux alentours de midi.

Maquillée, déguisée, habillée discrètement je serais. On ne me reconnaîtrait pas et j'exécuterais mon taff à la perfection, montrant de quoi j'étais capable. ADAK m'intégrerait, ferait de moi son élite et j'aurais alors accès à toutes les informations dont j'aurais besoin.

Je regardais une nouvelle fois l'écran de mon portable, relevant la tête de mes mains. Ryan ne m'avait pas recontactée, il devait être en train de dormir, après tout, c'était lui qui serait demain le plus actif.

Mes paupières, contre mon gré, tendaient à se fermer, et ma vision devenait floue, alors que je voulais voir clair. Ce fut bientôt tout mon corps qui s'alourdit, pris d'assaut par la fatigue. Je ne le sentais presque plus, et malgré la lutte acharnée que je menais pour rester éveillée, je m'assoupie, mon dos tombant lourdement contre le matelas.

La sonnerie de mon portable résonna dans la chambre, me réveillant avec joie et engouement, soit tout le contraire de mon humeur. Les paupières à peine entre- ouvertes, je me levais, titubante comme une ivrogne pour en regarder l'écran.

C'était Ryan qui m'appelait, alors qu'il était seulement dix heures passées. La sonnerie prit fin sous mes yeux, puisque j'avais mis trop de temps à répondre, mais reprit, à mon grand désespoir, de plus belle lorsque quinze secondes après, il me passa un nouvel appel. J

Je décrochais sans en avoir l'envie, sachant pertinemment que si je ne répondais pas là, il insisterait encore et encore.

Allô, me lança-t-il d'un ton aussi froid qu'à son habitude.

Quoi.

Je lui avais répondu sans vraiment le faire sèchement, de ma voix endormie, rauque et masculine au réveil.

Au bout du cinquième appel, ce n'est pas trop tôt.

Oh, Ben Sayour, est-ce que c'est toi qui a veillé pour rencontrer une mafia ? Non, donc laisse-moi tranquille.

— Jamais, rétorqua-t-il d'une voix sérieuse mais trahie par une note d'amusement. Raconte-moi comment c'était exactement hier. Tu ne m'as pas donné de détails au téléphone.

A l'autre bout du fil, je soufflais, ce qu'il ne sembla pas remarquer. Il devait être au volant, je l'entendais conduire, reconnaissant le bruit du moteur de la Porsche de la veille.

— J'ai dû répondre à quelques questions, et j'ai fait la rencontre d'un lieutenant qui ne m'a pas dit son nom. Et il m'a expliqué quels seraient les tests d'admission, l'informais-je après le blanc qui avait témoigné de ma réticence à lui parler.

— D'accord répondit-il simplement. Tu viens de te lever ?

Il le savait bien que je sortais de mon lit, à l'entente de ma voix c'était évident, mais il posait tout de même la question alors qu'il n'y avait pas d'intérêt.

— Tu es où ?

J'avais répondu à sa question par une autre, l'esquivant. Ce qui, je le sentais, allait l'irriter de bon matin. Alors que nous devions faire preuve de sérieux pour les procédures qui allaient suivre, alors que je tuais, alors qu'il plaidait, nous nous exercions au sarcasme et à l'agacement.

— En route vers le tribunal, et toi toujours à l'hôtel. Et vous or-

— Mais dis-moi, Ben Sayour, le coupais-je, pensant subitement à quelque chose. En fait, tu savais très bien que je devrais partir le jour de la fête nationale, étant donné que ton procès était programmé le lendemain.

— Non, le procès a été avancé, et quoi qu'il arrive je voulais à l'origine faire un aller-retour.

Sa réplique avait été rapide, et dite avec spontanéité. Sans doute s'attendait-il depuis longtemps à ce que je lui pose la question, du fait qu'elle éclaircissait l'enchaînement des évènements.

— Donc, reprit-il, j'allais te demander, comment organisez vous les choses cette après-midi ?

— Je retourne à ADAK vers midi, je vais au tribunal avec, j'y pénètre et je fais ce que j'ai à faire.

Je triturais d'une main fébrile mes cheveux détachés en bataille, tenant de l'autre le téléphone contre mon oreille. J'entendis l'Algérien souffler comme je l'avais fait quelques instants auparavant, sûrement saoulé de ma personne.

— Là-bas, si on se voit, Sariya, commença-t-il gravement, c'est comme si on ne se connaissait pas. Et quoi qu'il arrive, tu devras être méconnaissable. Habille-toi avec discrétion cette fois, lâche la mode khaleeji pour quelques temps.

Si il pensait m'apprendre quoi que ce soit en me disant cela. J'avais déjà prévu d'agir comme il venait de me l'ordonner, c'était évident d'agir comme cela dans une pareille situation.

Il serait trop étrange de nous trouver en même temps, au même endroit. J'espérais aussi qu'ADAK ne sache pas que Ben Sayour et moi nous connaissions, sinon, nos plans seraient gâtés. Les émirats et les Pays-Bas étaient séparés par des milliers de kilomètres, en théorie, ils ne savaient pas que Ryan et moi avions pris contact. Lorsqu'il m'avait défendue, je ne l'avais même pas su, dans l'imaginaire de la mafia nous ne devions toujours pas nous connaître.

Nous étions toujours au téléphone, mais ne nous disions plus rien. Je pris une grande inspiration, commençant à être réveillée. Ryan l'entendit, et relança :

— Ce que je t'ai donné, les papiers avec entre outre tes articles, tu en as eu besoin ?

— Oui, pour décliner mon identité ainsi que prouver ma criminalité, ça m'a été utile.

— Tant mieux alors, ils ont compris que tu n'étais donc pas n'importe qui. Bon, j'y suis. Recontacte-moi dans l'après-midi.

— Tiens-moi au courant aussi.

Je raccrochai avant qu'il n'ait le temps de le faire, appuyant avec satisfaction sur le bouton rouge. La fin de l'appel était arrivée rapidement, il avait brutalement retourné la conversation, alors qu'habituellement, c'était moi qui le faisait.

Mettant dans un coin de ma tête l'étrange avocat, je sortai de mon sac le chargeur de mon portable pour en ficher le bloc dans le mur et réalimenter le cellulaire, qui je le sentai, serait mon allié tout au long de cette épopée.

Je tirai également du bagage des vêtements, cette fois-ci sobres, noirs. Un kimono moins ample que celui dont j'étais à l'actuelle vêtue, et une abaya légèrement cintrée, qui laisserait apparaître la forme de mes hanches. Ce serait sûrement surprenant pour les néerlandais de voir une femme habillée comme ça, mais pas flagrant.

J'abandonnai l'idée d'ajouter un voile culturel à ma tenue. Il serait trop repérable et montrerai clairement que j'étais khaleeji. Même si j'y tenais, je devais le mettre sur la touche pour le moment. Ben Sayour serait heureux de voir que j'avais appliqué sa consigne, de laquelle je m'étais d'abord moquée en mettant dans mes affaires de nombreux vêtements voyants.

Mes vêtements à la main, je poussais la porte de salle de bain y prendre une douche. L'eau brûlante glissa en minces filets sur ma peau sèche et terne, sans me déranger avec sa chaleur excessive. Je me demandai si je ne faisais pas une quelconque carence alimentaire, mais en réalité, cela m'était guère important. Mon pancréas se mourrait, et j'étais loin d'en être préoccupée, alors comment pourrais-je être inquiétée par une carence en vitamine D ou en fer ?

Sortant d'entre les rideaux blancs, je m'habillais rapidement. Je m'observais ensuite dans le miroir qui recouvrait le mur, d'abord l'entièreté de mon corps, estimant que ma tenue était correcte, puis seulement mon visage.

Ce dernier était aussi terne que le reste de ma peau, mon teint virait au gris, révélateur du cancer dont je souffrais. Prenant place sur un tabouret, je débutais une longue séance de maquillage, m'appliquant à changer d'apparence. Je durcissais mes traits, en adoucissais certains. Ma mâchoire devint brute, mon nez plus bossu, mes lèvres plus rondes et claires.

Je soulignai mon regard d'un crayon bleu foncé, qui sous certains angles apparaissait gris. Je ne recourbai pas mes cils, contrairement à mon habitude, les laissant droits et légèrement tombants. Je n'avais pas non plus réchauffé mon teint, le laissant clair et froid, d'une pâleur similaire à celle de la mort malgré que je vienne d'un pays où les températures étaient élevées.

Une fois le travail achevé, je m'observai de nouveau. J'étais en effet méconnaissable, c'était pour le moins troublant de ne pas se reconnaître soi-même. Mais qu'importait-il, c'était nécessaire pour mener à bien une mission de la plus haute importance, qui serait décisive pour mon avenir et mes recherches. Je ne doutais pas une seule seconde que je réussirais à l'effectuer comme il le fallait.

Me munissant d'un élastique, j'attachais mes cheveux en un chignon décoiffé, laissant deux mèches encadrer mon visage, avant de quitter la pièce. Le changement de température fut frappant, ma chair se tendit en sentant le vent froid la caresser.

Je consultai mon téléphone, qui m'informa qu'il était déjà onze heures et quart. M'apprêter avait bien sollicité une bonne heure, et je devrais bientôt sortir.

Je pris quelques instants pour ranger mes affaires, les pliant avec plus ou moins de soin. Je fourrai ensuite mon portable dans la poche de ma abaya, enroulant le chargeur et le rangeant lui aussi dans mon sac. J'avais à peu près débarassé la pièce, je pouvais la quitter.

Pour les chaussures, j'optais pour une paire d'escarpins relativement hauts, Jimmy Choo, stables et élégants qui ne contrasteraient pas avec ma tenue, au contraire qui rendaient cette dernière plus crédible.

Les clefs de la chambre en main, je quittais cette dernière, reposant l'objet à l'accueil. Me retrouvant dans les rues de Rotterdam, où les néerlandais parlaient dans leur étrange langue, je repris le chemin vers le bâtiment où s'était implanté Ad-Dawla Al-Khafiyyah. Une fois devant, j'en fis le tour. On m'avait la veille ordonné de passer par l'arrière, pour plus de discrétion.

Je passais furtivement un grillage, pour me retrouver face à l'arrière du bâtiment. Je poussai une porte exactement comme celle du hall qui m'avait menée aux énigmes. Elle aussi était gravée du nom du réseau en arabe, et donnait sur des escaliers, moins étroits que celui du hall. Je les descendai, les yeux fixés sur la pénombre. Je commençais à être expérimentée en escaliers, avec tous ceux que j'avais pu voir en quelques jours.

J'arrivais dans une pièce que je n'avais pas visité la veille, mais on m'y attendait déjà, en cercle autour d'une table. Cinq hommes, assis derrière une table de bois verni, pour ne pas changer du luxe. Un de ce cinq, les mains croisées sur la table, me regarda immédiatement d'un regard insistant, pénétrant. 

  — Bienvenue à toi, Tasnim Sariya, me lança-t-il. Viens t'asseoir devant moi. 

Je m'exécutais, bien évidemment sans en avoir l'envie, son ton dictateur n'avait en moi que suscité la volonté de retourner le meuble. Mais, en acceptant les tests de la veille ainsi que les consignes de Ben Sayour en cherchant à intégrer la mafia, j'acceptais aussi les ordres malgré mes envies destructrices d'aller contre ce qui était établi et ordonné. 

L'homme décroisa les mains, m'en tendant une, que je serrais fermement. Il en parut surpris, ne l'ayant pas connu la veille, il ne savait pas que j'avais autant de poigne qu'un homme faisant ayant jusqu'à deux fois plus de masse musculaire que moi. L'observant, ancrant mon regard dans le sien, je le reconnus : c'était l'homme de la veille, qui était venue à ma rencontre tard, faisant résonner sa voix dans la pièce où j'étais, Aylan Al-Mahdi, le lieutenant d'ADAK. 

Avoir à faire à lui dès le départ m'avait surpris, mais après tout j'étais une criminelle réputée, et cette mafia étant arabophone, elle avait du avoir vent de mon existence, et d'après Ben Sayour, elle avait attendu ma venue depuis longtemps. 

Tu sais ce qu'on fait aujourd'hui, Sariya, reprit-il. 

Mes tests d'admission, répondis-je avec un grand sourire, presque arrogante. 

Effectivement. Comme je te l'ai déjà dit hier, ta cible est Noam El-Sayed, la procureur du procès de Jafar Bakhtiyari, un de nos membres s'étant fait attraper. 

Il saisit une pochette à côté de lui, m'en tirant un cliché. Il le mit face à moi, me laissant l'analyser. 

C'est elle, Noam El-Sayed, âgée de 29 ans, elle n'exerce que depuis deux années ici, aux Pays-Bas, mais avec sa ferveur elle s'est fait une place facilement dans son métier, m'expliqua-t-il. Elle a un peu trop traîné l'affaire avec Jafar, cherchant par tous les moyens à pousser son affaire sur la scène juridique, le conduisant en procès. Elle est un danger pour nous et - 

Et c'est pour ça que je dois l'éliminer, complétais-je en l'interrompant. 

Effectivement. ADAK compte sur toi, Sariya, si tu réussi, tu feras partie de nous. 

Considérez que c'est déjà fait. On y va ? 

Je me levais de la table, sans autorisation, et Aylan m'adressa un sourire, que je lui rendit par un confiant. Son regard restait malgré tout froid, je ne le connaissais que depuis hier soir, et je constatais bien que son comportement était de glace. 

Allons-y, lâcha-t-il, prenant avec moi la direction des escaliers. 

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