❝𝐈𝐕 - 𝐑𝐀𝐓𝐓𝐑𝐀𝐏𝐄𝐑❞



❝𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒❞

4- اللحاق






❝𝐀𝐁𝐔 𝐃𝐇𝐀𝐁𝐈 - 𝐔𝐍𝐈𝐓𝐄𝐃 𝐀𝐑𝐀𝐁 𝐄𝐌𝐈𝐑𝐀𝐓𝐄𝐒

𝐑𝐘𝐀𝐍 𝐁𝐄𝐍 𝐒𝐀𝐘𝐎𝐔𝐑'𝐒 𝐕𝐈𝐄𝐖𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓

𝟏𝟒𝟒𝟏 - 𝟐𝟎𝟏𝟗❞




Les mains sur mon visage, je le touchais du bout des doigts. Il était froid, gelé de stupeur. Mes yeux étaient rivés sur l'écran de mon portable, qui était sur ma conversation avec Ayotunde, et sur le lien qu'elle m'avait envoyé. Elle aussi se tenait dans l'encadrement de la salle, et son visage était pâle comme le mien devait l'être.

Les ennuis, avec les articles de l'autrice sénégalaise, n'avaient fait que commencer, et n'allaient que s'amplifier dans les prochaines heures.

Il se passe quoi, Ben Sayour ?

C'était Sariya qui m'avait posé cette question. J'avais été si stupéfait que j'en avais oublié le monde autour de moi. Incapable de prononcer le moindre mot, je préférais donc lui tendre mon téléphone, qu'elle tenta de prendre, ce dont je l'empêchais, lui faisant simplement lire le flash info.

Elle haussa les sourcils, mais ne parut pas plus surprise que cela. Elle ne devait pas bien assimiler l'information, ni réellement se rendre compte de ce que cela représentait.

Une fusillade avait eu lieu au palais de l'émir. De l'émir d'Abu Dhabi. Et il avait été touché. Touché à l'épaule. Alors que nous étions la veille de la fête nationale, la veille du deux décembre.

Je n'en redescendait pas. Une fusillade aux Emirats Arabes Unis. Ceux l'ayant déclenchée étaient cagoulés, on ne connaissait ni leurs identités, ni leurs genres, ni leurs motivations, la seule chose qui était assurée était qu'ils n'avaient en aucun cas eu de bonnes intentions. Et à la suite de la disparition du Coran bleu, à quatre-vint-dix pour-cent de chance volé, c'était étrange, et je doutais que les événements soient sans lien.

Et personne ne savait où Tasnim et moi étions. Bien que je fut à ce jour un avocat relativement réputé à travers le pays, le peuple et mes collègues dans l'exercice du droit n'auraient aucun scrupule à m'accuser, du fait que j'étais pour eux le "camarade" de Sariya, l'ayant défendu deux ans auparavant.

Cette femme avait choqué les Emirats, et elle allait sûrement les marquer à jamais. Ses cheveux oscillant entre le brun et le jais seraient probablement ancrés pour toujours dans l'esprit de certains, une marque indélébile dans l'histoire des drames et de la presse Emirati. Que je soit associé à elle était pour moi terrible, surtout en regard de mon métier, mais je n'avais pas réellement le choix.

J'avais encore le visage enfoui dans mes grandes mains, elle aussi froides, alors qu'elles avaient pour habitude d'être plutôt chaudes. J'étais toujours aussi blême et stupéfait, frappé par l'information comme par la foudre, et Ayotunde, à l'expression qu'elle avait eu, avait été touchée par l'événement comme l'émir par la balle qui lui avait été tirée à l'épaule. Il n'y avait que Tasnim qui ne saisissait pas.

Elle et moi étions en danger avec ce grave incident. Alors que nous étions déjà associés au possible vol du Coran Bleu, nous allions être associés à cette fusillade. De plus, on savait que j'avais des compétences en maniement des armes, et c'était un secret ayant pourtant été diffusé, qui ne ferait que me porter préjudice. De plus, si j'étais en danger, je risquai à tout moment d'être saisi, l'organisation avec.

Je passais ma main sur mon visage, descendant jusque mon cou, tirant légèrement ma chair vers le bas, dans un fatidique geste. Tasnim, lorsqu'elle vit que j'avais fini ma réflexion, vint s'asseoir à côté de moi sur le divan. Je posais mes mains sur ce dernier, ) côté de mes cuisses, caressant du bout des doigts le velours gris.

Ca ne change rien à ce que tu m'as expliqué ? me demanda-t-elle, positionnée sur l'accoudoir.

Elle n'avait donc pas pris conscience que j'appréciais peu sa proximité Elle était avec moi à son aise, me parlant presque amicalement. Un peu plus et elle deviendrait tactile. Qu'est-ce qui m'avait donc prit de l'utiliser elle ? J'aurais dû aller chercher un prisonnier détenu depuis plusieurs années, j'aurais obtenu la même chose, sans doute aurait même t-il été mieux qu'elle. Elle était une femme, et je considérai ces dernières comme peu qualifiées pour ce que je lui réservai, c'était une franche mauvaise idée de ma part d'engager une femme pour ce type de choses. Je doutais fortement du fait qu'elle ne flancherait pas, bien qu'elle ait beau faire la forte pour le moment. Elles étaient certes des êtres importants, mais délicats, que je me voyais peu envoyer en pleine bataille.

Mais c'était mieux si c'était elle. C'était beaucoup mieux, ça aurait une valeur personnelle, plutôt que d'utiliser un vulgaire fou, même si Tasnim l'était aussi. Elle était la meurtrière de 1442, et elle semblait n'éprouver que peu de sentiments, bien que sa santé soit imminente à s'user, elle n'était sensible à rien. Elle serait poussée par l'énergie du désespoir, en vue de sa mort, elle ne pourrait qu'être dévouée à la cause que nous partagions. En revanche, il fallait qu'elle comprenne dans quoi nous nous étions retrouvé avec tous ces incidents.

Sariya, j'espère que tu te rends compte, lui lâchais-je.

Elle ne répondit pas, elle se contenta de me dévisager, un air d'incompréhension sur la face, comme si j'étais insensé, alors que la seule personne à manquer de raison ici était elle. Je me détournai d'elle, préférant regarder Ayotunde. Le long voile culturel de cette dernière avait glissé, laissant apparaître ses cheveux blonds décolorés, plaqués, qui changeaient souvent de couleur. Parfois, on avait même du mal à la reconnaître, et aujourd'hui c'était le cas, non pas à cause de sa chevelure, mais de la couleur blafarde que sa peau avait pris. Elle n'avait pas non plus bougé depuis son arrivée, elle était coincée dans l'entrée, appuyée avec le côté de son corps sur le mur.

Ca va ? lui demandais-je avec de l'inquiétude dans la voix.

Elle mit un instant avant de me répondre par un hochement de la tête, s'étant complètement déconnectée de la réalité. Ayotunde, en raison de la place importante qu'elle occupait au sein de notre groupe, avait conscience de ce que représentait ce nouvel événement, qui, cumulé aux deux précédents, soient la sortie de Sariya et le vol du Coran Bleu, était la goutte de trop, celle qui faisait déborder le vase. Et la liberté de la femme ainsi que la méconnaissance de sa résidence actuelle formaient le vent qui viendrait faire vaciller ce vase, jusqu'à le renverser et le briser. Un vase cassé l'était en fait à tout jamais, certes il serait recollé, mais on en verrait à tout jamais les fissures. Les marques que nos agissements et ceux de ces inconnus laisseraient serait indélébiles, visibles pour toujours, si jamais ce vent devenait trop puissant.

— En effet, cela ne change rien à ce que je t'ai expliqué tout à l'heure, confirmais -je à l'assassin que j'avais pourtant défendue.

Elle m'avait posé la question plusieurs minutes auparavant, mais je n'y répondais que maintenant. Mieux valait tard que jamais, elle devait même s'estimer heureuse que je lui ai fourni une réponse.

D'un signe de la main comme je faisais si souvent, j'invitais Ayotunde à venir s'assoir en face de moi. Tasnim était toujours de mon côté gauche, et elle ne semblait pas avoir l'intention de rejoindre sa collègue féminine.

Parle-lui d'ad-dawla al-khafiyya, priais -je la nigériane une fois qu'elle fut bien installée, tout en désignant Tasnim.

Pourquoi tu ne lui sors pas les papiers ? Et tu comptes l'y emmener ? me rétorqua-t-elle, non sans une pointe d'agressivité.

Elle était sûrement encore secouée, il ne fallait peut-être pas lui parler pour le moment. Ayo semblait particulièrement atteinte, je comprenais qu'elle soit inquiète et stupéfaite, mais sa réaction commençait à devenir désabusée. Cela dit, elle n'avait pas tort, j'avais bien les papiers des rapports à montrer à Tasnim, ils lui seraient sûrement plus utiles. Ils étaient dans mon bureau, situé à l'étage encore en bas. Ils avaient déjà plusieurs semaines, la situation du réseau avait dû évoluer, mais les rapports composaient tout de même des informations qui seraient essentielles au travail de la femme.

Je descend te chercher ça, alors.

Je me levais, et je pris quelques secondes pour étirer mes épaules, puis sous le regard persistant de l'Emiratie, je m'en allais lui ramener ce que je lui avais promis. En passant par d'autres escaliers, eux aussi taillés dans le marbre, je parvenais à mon bureau. Si l'on exceptait les couloirs, la pièce devait bien occuper le tiers de l'étage, et j'y avais bien droit. C'était moi qui avait fondé cette organisation, malgré mon occupation déjà prenante d'avocat.

Quelques dossiers et livres reposaient sur mon bureau, soit le meuble qui occupait la majeure partie de la pièce. Un roman était posé sur le coin du bureau, et au milieu trônait glorieusement le journal intime de Tasnim, que je n'avais pas refermé hier soir, encore sous ma lampe. Des affaires de droit étaient avec, j'en avais à traiter, la manière dont j'avais permis à Tasnim d'échapper à la peine de mort avait impressionné le peuple émirati, et beaucoup souhaitaient à présent que je plaide leur cause.

Les dossiers que j'étais à l'origine venu récupérer, avaient été relégués par moi-même dans l'armoire qui épousait l'angle de la pièce. Ils étaient pourtant d'une grande valeur, mais ce monde avait tendance à minimiser la valeur des objets ainsi que des gens, et à en attribuer à ce et ceux qui en avaient en réalité peu. Je m'en approchais, il me semblait les avoir laissé dans une pochette à la couleur sobre et sableuse. Je les retrouvais facilement, d'un rapide coup d'oeil, d'où l'utilité d'être un minimum organisé.

Je m'emparais de la dizaine de feuilles retenues dans leur contenant, laissant ce dernier à l'abandon dans l'armoire. Je les relisais sans vraiment le faire, en parcourant simplement du regard les lignes, rédigées avec soin. Une profonde interrogation commençait à naître dans mon esprit, y envoyer Tasnim était véritablement une bonne idée ?

Elle devrait faire ses preuves, tout en sachant que je ne savais pas comment elle s'y infiltrerait. Elle aurait carte blanche pour cela, et si je doutais de ses capacités, je ne doutais en revanche en aucun cas de son inspiration et de sa sérénité face à la violence. Au contraire, elle semblait même se délecter de cet dernier acte, son homicide l'avait prouvé devant tout Abu Dhabi, elle l'avait même clamé face aux 7 émirats.

J'allongeais mon bras contre ma cuisse, et quittais mon espace de travail en en éteignant la lumière blanche. Je remontais, en prenant mon temps, ce qui constituait un tort de ma part. J'avais laissé les deux femmes ensemble, aurait-ce été une erreur de ma part ? Je craignais que l'une d'entre elles ne soit sautée sur l'autre, la psychopathe aurait bien pu gratifier ma collègue nigériane de la même marque que celle à laquelle j'avais eu le gracieux droit.

Je revenais dans le salon, et directement, les visages des deux femmes se tournèrent vers moi, les lèvres suspendues dans le vide comme si elles voulaient aspirer ce dernier. J'avais dû interrompre une sérieuse conversation. Je taillais leurs expressions, cherchant sur leurs traits à savoir de quoi avaient- elles parlé. Ceux d'Ayotunde m'avaient l'air plutôt tendus, tandis que ceux de Tasnim étaient relaxés, presque impassibles, seulement un peu interrogatifs.

J'avais, en partant, oublié mon téléphone portable. Il était resté posé sur la table basse, l'écran en était contre le bois vernis, alors que de souvenir, il était resté dans l'autre sens. Il était tout aussi possible que je l'ai retourné instinctivement sans m'en souvenir. A moins que Tasnim ou Ayotunde ne se soit permise d'y toucher, mais ni l'une ni l'autre n'en possédait le code, je n'avais donc pas à m'inquiéter. Je regardai chacune de deux femmes, tour à tour, avec un air qui se voulait soucieux, toujours sur le seuil de la salle.

Après avoir fini de les scruter, chose qu'elles faisaient en retour, je m'approchais de la table basse, saisissant l'appareil conçu par Apple. Je le vérifiais machinalement : aucune nouvelle page n'avait été ouverte ni aucune n'avait été fermée. Je le fourrai donc au fond de la poche de mon vêtement culturel, à présent plus serein.

La liasse de feuilles que j'étais descendu chercher était encore coincée dans ma main gauche, qui était crispée dessus. Je la jetais sur le meuble, qu'elle claqua. J'avais fait en sorte de les balancer le plus proche de Tasnim, alors que je rejoignais Ayotunde en face d'elle.

Tiens, ce sont les fameux rapports, lui fis-je en les désignant.

D'un lourd geste, la femme s'empara de la première feuille. Toutes étaient écrites dans une police ronde, et du peu que je me souviennes, les ayant lus quelques semaines auparavant, étaient complets et détaillés, comme à l'habitude d'Ayotunde.

Tasnim commença à les lire, sous mes yeux qui n'avaient pas cessé de la fixer. Elle ne lut que quelques lignes avant de laisser mollement retomber la feuille avec une moue. J'haussais les sourcils :

Qu'est-ce qu'il y a ? la questionnais -je, sachant qu'elle allait encore m'irriter.

Je te mens pas, Ben Sayour, j'ai un peu la flemme de tout lire. Parle m'en directement, quitte à avoir d'éternelles conversations.

Je soupirai. Elle me parlait de flemme, mais pour ce qui avait été de préméditer son meurtre, elle avait été à des centaines de milliers de kilomètres de la fainéantise.

Tu veux que je parte ? intervint ma collègue d'Afrique- ouest en me voyant déconcerté et embêté.

Je veux bien.

Tasnim allait lui répondre à ma place, elle avait ouvert la bouche, mais malheureusement pour elle, j'avais déjà terminé ma phrase. Ayotunde se leva donc, et sortit de la pièce. Le bruit de ses talons joua du tambour contre le parquet, rythmant sa sortie. L'Emiratie me jeta un bref coup d'œil, accompagné d'un sourire controversé, fait à l'envers mais qui se voulait joyeux, comme heureuse de rester seule avec moi, alors que nous allions parler de choses violentes et désagréables, tout du moins pour des esprits sains.

Ad-Dawla Al-Khafiyyah, comme je te l'ai dit précédemment, est un réseau mafieu, repris-je. Situé aux Pays-Bas, on a là-bas les mêmes idéologies que les tiennes.

Comment ça, que les miennes ?

Elle m'avait répliqué de façon interrogative, mais il m'avait semblé percevoir une pointe d'ironie dans la manière avec laquelle elle m'avait questionné. Faisait- elle semblant de ne pas comprendre ? A ses traits qui semblaient vouloir faire le tour d'Abu Dhabi, et à son teint cireux, je pouvais aisément deviner qu'elle avait du mal à réfléchir correctement. Ça devait être pour ça qu'elle avait du mal à saisir la gravité de la situation.

Quelles sont tes idéologies, Sariya ? rebondissais -je rhétoriquement.

Elle réfléchit un instant, détournant de moi son regard d'émeraude. Elle l'avait vaguement souligné à l'aide de khôl, ce qui n'était pourtant pas nécessaire, elle aurait dû s'abstenir du fait que ses longs cils et ses cernes noires, assorties à ses cheveux, le soulignaient déjà assez.

— Je pense que le monde n'est pas dirigé par ceux que nous pensons, et qu'il renferme bien des secrets.

Elle m'avait répondu alors que moi aussi je m'étais désintéressé d'elle. Étonnement, elle m'avait dit exactement ce que j'attendais qu'elle me réponde. Elle semblait se laisser manipuler, alors que les psychopathes étaient eux-mêmes des manipulateurs, qui pouvaient aussi faire preuve de paranoïa. Mais il fallait croire que Désir et Conviction étaient plus forts que sa conscience, la guidant aveuglément. Elle accepterait sans se poser de questions ce que je lui proposerai, j'en étais convaincu.

— Exact. Et ce réseau le pense aussi, et ce n'est pas juste une pensée anodine. C'est une véritable piste qu'ils ont.

Je ne savais même plus vraiment si ce que je disais était conforme aux rapports d'Ayotunde, mais mes propos me paraissaient évidents, c'était bien la raison pour laquelle la nigériane avait rédigé dessus avec application.

Je me penchais sur la table, venant récupérer les feuilles que Tasnim avait repoussé vers le centre du meuble. Elle n'avait véritablement pas envie de les lire, et c'était elle qui perdait.

— Et donc ? Dis m'en plus.

— C'est une organisation tout de même dangereuse, mais maintenant, il n'y a plus de marche arrière possible. Du peu que j'ai vu, la violence est loin de te faire peur, alors je ne doute pas que tu t'y imposeras.

Elle approuva du menton mes mots, sans plus chercher à ajouter quoi que ce soit. Elle avait croisé les jambes dans sa abaya noire, et fixait le sol, en pleine réflexion. Je me demandais souvent ce qui se déroulait dans son esprit, ce dernier étant si dérangeant qu'il m'intriguait, j'aimerais parfois y pénétrer, mais j'avais peur de ce que je pourrais y trouver. Des images les plus effrayantes les unes que les autres devaient y défiler, l'hantant constamment, et à perpétuité. Ce que je m'apprêtais à lui faire vivre ne ferait que renforcer la violence de ses souvenirs, et celle de ses pensées, mais cette torture mentale qu'elle ne ressentait pas ne durerait pour elle que quelques mois, les seuls qu'il lui restait encore à vivre. Elle était condamnée, à quoi bon plus se soucier de comment allait- elle ?

J'éprouvais tout de même de la peine, mais elle ne le méritait pas, après ce qu'elle avait fait subir. Son passé n'était pas des moindres, et on le savait dans tout le golfe, même en Algérie les plus intéressés par l'actualité arabophone la connaissaient.

N'est-ce pas, Tasnim Sariya ? la relançais- je.

Bien sûr, Ryan.

Elle m'avait appelé par mon prénom, chose inhabituelle de sa part. Sûrement avait -elle voulu mettre l'accent sur son accord et sa détermination.

Si je peux tout apprendre, je ne ferais que foncer, je déterrerais les vérités, enfouissant à leur place les mensonges. C'est ma promesse.

J'aime cette attitude, Tasnim. Le code omerta, tu le connais ?

La loi du silence, interdisant de divulguer la moindre information aux autorités sous peine de mort. J'ai déjà échappé d'assez près à cette dernière pour ne pas aller répéter ce que j'apprendrais, me dit-elle.

Sauf à moi, bien évidemment.

Je finissais ma phrase avec un sourire, qu'elle ne me rendit pas. Elle détourna vers le bas son visage, sans paraître réellement détachée de la conversation. Elle était d'une asociabilité flagrante, si ce n'était aberrante.

Tasnim, c'est la condition, c'était écrit dans ce que tu as signé du liquide qui coule dans tes veines. Tu n'as pas le choix.

Et en même temps je ne devrais pas me faire attraper, tu es bien considéré comme une autorité du fait que tu es un avocat.

Oui. Et tu sais, une mafia est comme une famille. Tu y rentreras et tu y resteras éternellement, en soi.

Elle ne répondit pas non plus. C'était une mission périlleuse, qui se ferait sur le long terme. Tasnim avait le mental pour, elle avait un passé criminel et une personnalité psychopathique, elle serait vite acceptée au sein de ces criminels. De plus, Ayotunde en revenait, elle serait le contact qui permettrait de faire passer les test d'admission à Tasnim. Ceux ci, dans ce réseau, variaient souvent, et j'espérais pour la femme qu'on lui ordonnerai de commettre un meurtre. Avec les compétences dont elle pouvait faire preuve, elle saurait se rendre indispensable.

En attendant, j'aurai des choses à gérer, des dossiers m'attendaient, et surtout, l'affaire du Coran Bleu et la sortie de Tasnim. Personne ne devait savoir où je l'emmènerai. Et demain, serait la fête nationale. L'attention serait porté sur la fusillade de ce matin, qui à la fois m'embêtait, mais m'arrangeait pour demain.

Demain, tu quitteras le territoire émirati pour les Netherlands, annonçais-je de façon ferme à la femme en face de moi.

Es-tu sûr qu'il me laisseront passer ? La douane n'aura pas été avertie ?

La douane n'est pas un problème pour moi, un collègue d'ici y sera, et personne n'a aucun droit de t'arrêter. Le droit est mon domaine, et dans le cas où nous nous trouvons, tu n'as rien à te reprocher, pour le moment rien n'a été prouvé, tu restes intouchable, tu as des papiers encore valides.

J'ai pas récupéré mes papiers, Ben Sayour.

Je l'ai fait pour toi ne t'inquiètes pas. Demain, alors que toute l'attention sera fixée sur les événements de la fête et sur les discours prononcés, on s'en ira. Je ferai l'aller-retour avec toi.

Tu m'escortes ? s'étonna-t-elle avec une once d'ironie.

Pas le choix sinon tu vas faire n'importe quoi, Tasnim.

Elle releva son regard vers le mien. Sûrement en avait- elle marre que je la ramène sans cesse à son statut de folle qui risquait à tout instant de vriller, mais je n'en avais en fait pas le choix. Elle m'observais d'un air sceptique, dans lequel je pouvais même déceler un peu de pitié. J'étais à ses yeux pitoyable et pathétique, et je l'avais bien senti dès notre première rencontre.

Je dois commencer à faire mes valises ? Et je vais rester en contact avec toi par pigeon voyageur ?

Elle avait aligné deux questions qui n'avaient aucun rapport l'une à côté de l'autre. Son agressivité ne me surprenait plus, elle faisait intégralement partie d'elle et de sa personnalité troublée.

Oui, tu peux commencer à faire des bagages, mais légers. Tu n'auras pas besoin de grand-chose une fois arrivée là-bas. On pourra finir de parler pendant le vol, si tu le souhaites.

Je me levais, mais elle ne suivit pas mon mouvement. J'émettais un soupir, sous ses yeux verts fumé qui me toisaient.

Tu préfères quoi comme type de téléphone ? la questionnais- je.

N'importe.

Sa réponse, qu'elle avait donné en étant quelque peu surprise ne m'aida pas beaucoup. Mais elle n'avait pas tort, qu'importait vraiment la marque d'un portable, dès lors où il était impossible de le tracer ? Tant que celui que je lui prendrai serait impossible à pirater, impossible à localiser, impossible à tracer, c'était suffisant. Il n'y aurait que moi qui disposerait du privilège d'y accéder.

Je dois sortir, Tasnim, ne fait pas de bêtises. Je vais te laisser avec Ayotunde.

Nouveau regard sceptique de sa part. Un regard cette fois-ci empreint de dégoût, de plus elle avait rentré son visage, se créant un double- menton. Cette expression lui allait à merveille, elle reflétait ses complexes états d'âmes avec simplicité. Elle décida de ne pas me donner de réponse verbale, alors je choisissais de ne pas plus attendre un mot de sa part de m'en aller.

Je plongeai ma main au fond de ma poche pour en extirper mon portable. J'avais reçu une dizaine de notifications, que je n'avais pas spécialement envie d'ouvrir, chacun étant un message. Mais il le fallait bien, en regard de la position délicate dans laquelle je venais de me retrouver. J'étirais ma main, avant de me servir de mon index pour ouvrir les textos un par un. Il y avait deux messages d'Ayotunde, qui me demandait où j'en étais. Je l'informais donc rapidement que je sortais et que je lui confiais le soin de s'occuper de Tasnim.

Marchant à travers les couloirs et les escaliers que je connaissais par coeur, je regagnais le hall, plus particulièrement la grande salle qui composait le comptoir. Des pages de magazines et de journaux arrachées étaient encore posées sur ce dernier, mais je les esquivais du regard, ne voulant pas m'y replonger.

Je revenais à l'écran de mon portable et sortais de ma conversation avec la Nigériane, laissant en vue sa réponse. Je m'attelais plutôt à la lecture de huit autres messages, qui ne possédaient en aucun cas la tonalité formelle et bienveillante que j'avais avec ma collègue.

Là, ces messages étaient bien plus agressifs, et étaient expédiés par un numéro qui n'était plus enregistré dans mes contacts depuis bien longtemps. Je les ai lu, sans prendre la peine d'y répondre. Elle verrait bien, à tenir de tels propos, elle oubliait que tout ce que l'on disait ou écrivait pourrait être retenu contre nous, exploité à notre insu. Ses mots lui retomberaient dessus de façon inévitable, la scandalisant aux yeux du monde entier.

En attendant, je stagnais encore debout au milieu de la grande salle, j'y étais seul, alors qu'elle était d'habitude bondée. Or, beaucoup avaient dû sortir, ou aller gérer quelques affaires en raison des évènements presque tragiques de ce matin. Mon inquiétude ne s'était guère tarie, et je craignais qu'en sortant on ne m'accoste ou me refuse des entrées. Mais, si cela se produisait, je n'aurais qu'à répliquer en invoquant la législation, ou riposter avec les poings. Ancien champion de boxe que j'étais, on ne pouvait me battre, bien que les Emiratis ne soient pas violents, dans de telles situations on ne savait jamais.

Je retirais ma djellaba, sous laquelle je portais un cargo et un pull au col composant une fermeture éclair. J'ouvrais cette dernière, laissant apparaître le t-shirt noir que j'avais en dessous, plaqué contre mon corps. J'étais habillé tout en noir, discret, chose que j'appréciais. J'hésitais à ajouter un rabat blanc à ma tenue, mais ça ne collerait pas avec le reste, alors j'y renonçais. Si je n'avais pas été dans une telle situation, je serais même sorti avec ma robe d'avocat, bien que je n'en possédais pas le droit. Le port du vêtement était strictement réglementé.

Je me contentais donc d'accrocher le vêtement culturel propre à ma culture, celle Algérienne, qui était toujours dans ma main. Je mis mon téléphone dans ma poche, et je munissais d'une paire de basket plates et montantes, que j'enfilais aisément. Je touchais le haut de mon pantalon cargo, afin de vérifier si mon portefeuille ainsi que mes clefs de voiture se trouvaient bien dans mes poches. Ils y étaient, et les clefs n'étaient pas celles de ma RSQ3, puisque je les avais interchangées avec celle de ma 4matic, et ce dès que j'eu lu les articles de Sitté Diatta qui mentionnaient le modèle de ma Audi.

Sachant que j'étais prêt et que j'avais sur moi tout ce dont j'avais besoin, je tournai la poignée dorée vers moi, et remontais les escaliers sur lesquels la porte donnait. Ce serait une sortie banale, que pourtant je sentais mal. Les huit derniers messages que j'avais lu sur mon téléphone n'avaient fait que m'inquiéter, mais impossible qu'elle sache où j'allais.

J'arrivais dans le hall du bâtiment, qui permettait l'accès à huit étages en hauteur faits de vastes appartements complètement largués à l'abandon depuis plusieurs années. Le quartier lui-même sur lequel on débarquait en sortant de l'immeuble était désert, peu de gens y vivaient et il avait la vilaine réputation d'être sombre, des trafics de drogue ou des viols y ayant déjà eu lieu. Malgré tous ses défauts, il était l'endroit parfait pour y implanter une organisation aux activités illégales, comme Al-Hakikah. Il dégageait une présence malaisante, de par sa noirceur et son manque d'hygiène. C'était loin d'être sale, mais c'était aussi très loin d'être aussi propre que les environs des Etihad Towers.

Finissant d'observer les alentours, me tenant juste devant la porte du bâtiment dont je venais de sortir, j'étirais mes bras en l'air. J'étais fatigué, mais il fallait bien le faire, pour une fois que je ne sortais pas pour plaider une cause ou pour gérer du blanchiment d'argent. Alors je soufflais, me perdant un instant dans mes pensées.

Ce serait une banale sortie, que pourtant je sentais mal. Les huit derniers messages que j'avais lu sur mon téléphone n'avaient fait que m'inquiéter, mais impossible qu'elle sache où j'allais. Après tout, si jamais elle me rattrapait, je n'aurais qu'à l'affronter, elle ne me ferait pas de mal.

J'avançais donc d'un pas ferme, décidé, vers la Mercedes garée derrière le bâtiment.

La Mercedes étant garée derrière l'édifice, je fis le tour de ce dernier, et arrivé à quelques mètres de l'automobile, je tirais les clefs de ma poche et la déverrouiller. Je démarrais, prenant la route vers le centre d'Abu Dhabi. Bien que la conduite demande une grande concentration, je divaguais, laissant mon regard vagabonder sur les paysages tantôt campagnards, tantôt urbains. Puis, mes pensées suivirent le fil de la route, et mon esprit se déconcentra rapidement du macadam.

Je repensais au journal de Tasnim, que j'avais entamé la veille. Ses longs écrits, qu'elle avait tenu des journées entières, y détaillant la moindre de ses pensées, auraient pu former une autobiographie complète, du peu que j'en avais déjà lu. J'avais réussi à le récupérer sans qu'elle ne le sache, et jusque-là, elle ne s'était pas soucié de ce qu'il était devenu. Je comptais le lire jusqu'au bout, seulement fallait-il que je trouve le temps ainsi que l'énergie qu'il fallait.

Ses mots étaient parfois insoutenables, elle avait par moment décrit sa souffrance et ses motivations, ses sentiments étaient intenses, et son journal immersif. La pauvre femme devait être loin de se douter que je l'avais commencé, et je ferais en sorte qu'elle ne le sache jamais. Un journal intime était censé être intime, comme son nom l'indiquait, un homme n'avait pas à s'y incruster de cette manière.

Mais j'étais bien obligé de violer son espace privé afin d'en apprendre plus sur elle, autrement, je ne pourrai jamais vraiment rien savoir sur qui elle était. Je savais pertinemment qu'elle ne s'ouvrirait pas à moi, j'avais foiré dès le départ dans ma relation avec elle.

Lâchant d'une main le volant, je secouais mes cheveux, qui aujourd'hui formaient de jolies boucles rebondies, comme pour chasser mes pensées. Ne souhaitant pas replonger dans ce que j'avais lu, je ne voulais qu'esquiver ce type de pensées, je n'avais pas à subir ce que Tasnim subissait aussi mentalement. J'endurais déjà assez psychologiquement pour ne pas y ajouter ça. Je me jetais ensuite un coup d'oeil dans le rétroviseur, puis un par la fenêtre. J'arrivais enfin vers le centre d'Abu Dhabi, et je commençais à mal sentir cette sortie, pourtant des plus banales.

Finalement, j'arrivais non loin des Etihad Towers, et décidais de me garer. Je marcherais un peu pour atteindre le magasin d'informatique. Directement après avoir retiré les clefs du contact, je tirais avec une maladresse qui ne m'étais pas habituelle mon téléphone de ma poche, manquant de près de le faire tomber. Voyant ce que j'avais de nouveau reçu alors que j'avais passé l'appareil en silencieux, je pris une expression fatiguée, et je l'étais réellement.

Si j'avais pensé fermement que ses mots la rattraperaient, je n'aurais jamais pensé que ce serait elle qui me rattraperait. Mais je n'avais pas le choix, j'étais dehors et je devais bien donner à Tasnim de quoi rester en contact avec moi. Alors je mis les pieds à l'extérieur de l'habitacle, éteignis mon téléphone, et m'en allais. Elle commençait à abuser, mais l'abus faisait partie d'elle. J'aurais dû bloquer son numéro dès le départ, cela m'aurait évité de potentiels ennuis.

Après avoir traversé quelques rues, je poussais la porte du magasin, en bas des Etihad Towers. J'étais inquiet de qui j'y croiserai, et inquiet d'avoir laissé Tasnim sous surveillance d'Ayo. J'aurais voulu rallumer mon portable pour contacter ma collègue, mais l'autre était déjà là, me regardant avec un sourire.

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