❝𝐈𝐈 - 𝐀𝐋-𝐇𝐀𝐊𝐈𝐊𝐀𝐇❞


❝𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐❞

الحقيقه 






❝𝐀𝐁𝐔 𝐃𝐇𝐀𝐁𝐈 - 𝐔𝐍𝐈𝐓𝐄𝐃 𝐀𝐑𝐀𝐁 𝐄𝐌𝐈𝐑𝐀𝐓𝐄𝐒 

𝐓𝐀𝐒𝐍𝐈𝐌 𝐒𝐀𝐑𝐈𝐘𝐀'𝐒 𝐕𝐈𝐄𝐖𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓 

𝟏𝟒𝟒𝟏 - 𝟐𝟎𝟏𝟗❞




Il était complètement fou de m'avoir ramenée ici. Ces bâtiments étaient ma hantise depuis deux longues années, en particulier un. Avançant, je me plaçai face à lui, qui demeurait si spécial à mes yeux. Il devait composer au minimum quinze étages. Quelques fenêtres étaient illuminées par-ci, par-là, et j'avais du mal à croire que des gens habitaient vraiment ici après ce qu'il s'était passé, deux années auparavant. Ils ne craignaient sûrement pas les drames, ni les retours de flammes.

Toute la façade du bâtiment était faite de vitre, alliant modernité et luxe en son architecture. C'étaient des chambres ou des salons qui possédaient comme dernier mur cette baie vitrée. Je scrutais en particulier le huitième étage, qui avait été rénové, la vitre en étant de nouveau complète et luisante.

Ryan se mit à côté de moi. Il hochait de façon continue la tête, comme perdu dans ses pensées. Quant à moi, j'avais ressassé de maints souvenirs en à peine quelques minutes. Des souvenirs accompagnés de sentiments, alors qu'il était mort, ma rage envers lui, elle, était belle et bien encore vivante.

Elle habitait mon coeur depuis tant d'années, le consumant, faisant de moi sa proie, me poussant à d'innombrables actes innommables. Elle me semblait être éternelle, bien que ma vengeance m'eut satisfaite, elle ne s'était jamais estompée. . Une rage, une haine, un ressenti sombre comme le ciel d'Abu Dhabi ce soir. Ce ciel était la couverture des bâtiments qui venaient le chatouiller, et il semblait être cette nuit un présage de mauvais augure, teinté de bleu et de gris au nuance malheureuses. Peut-être l'Emirat avait-il ressenti ma sortie ?

Mes lèvres, à cette pensée, se sont tordues dans un léger sourire, expression terrible de ma folie.

— " Mais Ali... Regarde-moi, je suis Tasnim Sariya, qui m'arrêtera ? "

J'avais eu ce même sourire lorsque j'avais prononcé cette phrase. Une phrase prononcée au huitième bâtiment de cet édifice, une phrase qui avait signé un arrêt de mort, et un internat.

Ryan souffla, me tirant de ma rêverie qui pour certains s'apparenterait plutôt à un cauchemar.

— Tu te souviens de tout avant ton internat ou pas ? me demanda-t-il presque soudainement.

— Pas de qui tu es, Ben Sayour. Parce que je sais bien que tu étais là à un moment donné.

Ma réponse avait été sèche et cassante, ce qui lui fit hausser les sourcils. J'avais l'air de l'agacer et ça me plaisait, cela m'enchantait même. Qui plus est, il semblait s'irriter avec une grande facilité.

— J'étais l'avocat qui t'as défendu alors qu'on réclamait pour toi la peine de mort.

Sa réponse avait été encore plus sèche que la mienne, alors qu'il était difficile de faire plus sec. Sans répliquer, j'ai commencé à le fixer, pendant que son regard était concentré sur l'édifice, si concentré que dans quelques minutes, il aurait réussi à en ancrer chaque détail dans sa mémoire.

— Ce qui explique la phrase " J'étais là pour vous, soyez là pour nous" sur le bout de papier ?

— Exact, fit l'Algérien, la tête ailleurs.

— Et je dois t'être redevable ? me moquais -je, avec un rictus aigu.

Il ne répliqua pas, préférant serrer les dents, contenant son irritation. Un silence de mort s'installa entre nous et les secondes défilèrent de la même manière que les voitures, malgré le fait qu'il devait bien être minuit passé. Les Emirats étaient vivants à tout heure, en particulier Abu Dhabi et Dubaï, qui accueillaient de nombreux étrangers. Des étrangers visitaient, et d'autres s'installaient , comme des Yéménites, aux peaux très mattes et aux yeux bruns.

— C'était là, lâcha -t-il finalement, de façon affirmative et distante.

— Oui.

J'avais spontanément compris ce dont il parlait. Alors, il savait même où cela s'était passé. Il prétendait être celui qui m'avait défendu devant la justice, pourtant je n'avais aucun souvenir de lui, pas même vague. Je n'avais même pas le souvenir que l'on ait réclamé la peine de mort pour moi, mais après tout, cela allait dans la logique des choses, dans la loi Emiratie, le meurtre était considéré comme un crime capital, et la peine de mort y était souvent appliquée, en particulier avec des motivations comme les miennes.

Une nouvelle fois, je baladais mon regard sur l'immeuble qui s'élevait devant nous. Je me souvenais à peine des lieux intérieurs, bien que j'aurai voulu m'en souvenir dans les moindres détails toute ma vie, ou tout du moins, ce qu'il m'en restait.

— On peut monter ? interrogeais -je subitement l'autre, qui réagit avec un sourcil levé à ma question.

— Non, des gens ont reprit l'appartement. Tu ne voudrais quand même pas faire une Ali édition deux ?

Cette fois-ci, ce fut moi qui leva un sourcil en le toisant avec dédain. Lui-même, quelques heures auparavant, m'avait proposé de tuer de nouvelles fois pour son compte, et maintenant, il se permettait d'utiliser le sarcasme avec mon crime.

— Tu ne voudrais quand même pas être le Ali d'une Ali édition deux, Ben Sayour ?

Il ne répondit pas, s'étant désintéressé de moi avec une notification. Il extirpa de nouveau son téléphone de sa poche, tout en s'éloignant doucement de moi. Sur le clavier, il composa une nouvelle fois un message, qui de nouveau suscita mon intérêt. Qu'avait-il donc à dire et à qui ? Je le connaissais depuis un un peu moins d'une journée, mais voilà que je cherchais déjà à m'immiscer dans sa vie. Toutefois, si je travaillais pour lui, j'allais bien devoir en faire partie.

Il revint à ma gauche, tenant encore son portable de sa main droite. Il en regarda attentivement l'écran, avant de toucher à un réglage sur le côté. Il le rangea ensuite, sous mes yeux qui le scrutait soucieusement.

Relevant la tête vers moi, il ouvrit la bouche, semblant vouloir agiter ses lèvres plutôt pulpeuses, mais la referma. C'était quelque chose que je détestais que l'on me fasse, aussi son action, eût-elle duré quelque seconde, ne pu faire autre chose que m'agacer.

— Si tu as une chose à dire, dis- la, au moins tu en seras débarrassé, l'exhortais- je vivement avec les bras croisés.

— C'est ici que tout a commencé pour toi, hésita-t-il alors que j'approuvais son propos du menton. Mais peut-être que ça ne finira jamais. Ca pourrait s'étendre sur chacun des derniers mois qu'il te reste à vivre, mais avec moi, tu auras toutes tes réponses. Et comme je te l'ai dit, aucune marche arrière n'est possible...

Il mit son discours en suspension pour ancrer son regard vert aux reflets bruns dans le mien, presque d'émeraude et souligné de khôl à la couleur charbonneuse :

— Es- tu réellement sûre de ce que tu fais, Tasnim Sariya ?

Sa question avait été prononcée gravement, accompagnée d'un froncement de sourcils. Avec son ton, il avait voulu montrer l'importance d'un tel questionnement, et il semblait douter de mon engagement pris une ou deux heures auparavant. Et je n'avais donc vraiment plus qu'une année à vivre. Une année pour trouver réponse à chacune de mes interrogations.

Je pris un instant pour détourner le regard vers le huitième étage. Cet appartement était pour moi un point de départ, mais aussi un point de non-retour. Il consistait en le lieu inoubliable ou j'avais tué le yéménite qui lui-même m'avait ruinée. Un yéménite qui m'avait lui aussi apporté des réponses faisant naître de nouvelles réponses. Et ma volonté, à moi, Tasnim Sariya, était de connaître toutes les vérités que renfermait ce monde. A l'instar de cette planète, elles seraient sûrement laide, mais qu'importe, je voulais les détenir, et ce même sur mon lit de mort.

Je reposais mes yeux sur l'Algérien, qui demeurait toujours dans l'expectation d'un refus ou d'une approbation de ma part. Je forçais mes traits d'habitude inexpressifs à prendre un air sérieux, presque professionnel, afin m'accorder un peu plus de crédit face à son attitude souvent insolente, et pouvoir donner ma réponse.

— Oui, je suis sûre et certaine de ce que je fais. C'est soit ça, soit l'agonie et l'asile.

Il approuva froidement du menton, puis baissa son regard sur le bitume. Cette fois-ci, non pas comme ce matin, ses yeux furent expressifs. Mais ils reflétaient une émotion complexe, incompréhensible, que même moi, avec tout ce que j'avais pu ressentir tout au long de ma vie, était incapable d'interpréter. Finalement, après quelques secondes où il sembla avoir été étrangement propulsé dans une dimension parallèle à la nôtre, il releva ses yeux sur moi.

— Excellent choix, alors. Je t'emmène donc autre part, me soupira-t-il, ayant perdu sa vivacité.

— Où ? Je peux savoir cette fois-ci ?

— A Al Hakikah, répondit-il brièvement.

Il plongea sa main dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir les clefs de sa Audi. J'y remontais à sa suite. Du bout des doigts, je touchais la ceinture, hésitante. Finalement, je renonçais à la mettre.

— Mets-là, m'ordonna Ryan, qui m'avait vu dubitative devant l'objet.

Avec une moue, j'obéissais, ravalant mon envie de lui sauter une nouvelle fois dessus. A mes yeux, c'était loin d'être important de la mettre, la sécurité était pour ceux qui craignait la mort et les blessures : les faibles.

Il attendit que je l'ai bien mise, pour tourner la clef d'un geste fatigué et quitter le quartier des affaires pour un coin plus banlieusard. Il avait dit qu'il m'emmenait à " Al Hakikah", qui signifiait " La vérité" en arabe. Avait-il fait allusion à un véritable lieu, ou simplement avait-il manqué de pragmatisme en voulant dire qu'il m'emmenait découvrir les dernières vérités de ce monde ?

Mes questions resteraient probablement pour l'instant sans réponse, alors je fis l'effort de les laisser de côté. J'ai étiré ma main, pour ensuite ouvrir le panneau devant moi pour regarder mon visage dans le miroir. J'avais les cernes creusées, mais cela ne m'étonnait même pas, le tableau de bord affichait minuit 24, et j'avais l'habitude de peu dormir.

Ryan se déconcentra un instant de la route déserte et peu éclairée pour me jeter un bref coup d'oeil, alors que je commençais à examiner toute les coutures de mon visage. Cela devait bien faire une année que je ne m'étais pas vue de la sorte, ça m'était presque étranger de me voir d'aussi près. Mes cheveux étaient maintenus par un lâche élastique blanc, un peu crasseux , et ils étaient emmêlés. Les détachant avec mal, je passais l'élastique à mon poignet en y faisant deux tours. Ils étaient restés longs, mais s'étaient abîmés, et durant mon séjour en hôpital psychiatrique, j'avais dû en perdre les deux tiers. Mes traits étaient tirés, si tirés que l'on pouvait lire dessus d'où je venais.

J'ai refermé le panneau, d'un geste brusque. Le tableau de bord affichait maintenant minuit vingt-sept, et l'autre conduisait toujours, les bras raides maintenu sur le volant. Il devait effectuer de maints efforts de concentration, son air fatigué le trahissait, ses cernes violacées ressortaient sur sa peau matte.

Nous avions complètement quitté la ville et son quartier des affaires pour la campagne, ou plutôt la banlieue. Au cours de mon existence, j'étais peu sortie du centre d'Abu Dhabi, les champs et les grandes autoroutes peu fréquentées ne m'étaient pas familières. Le paysage était plat et monotone, j'y préférais largement les hauts bâtiments de luxe et de modernité.

— Tu peux dormir, on a encore un quart d'heure devant nous avant de rentrer dans la ville pour arriver là-bas, me lança l'Algérien.

Il n'avait plus qu'une main sur le volant, l'autre était à présent posée sur sa cuisse, et il avait l'air plus détaché que quelques minutes avant. En l'occurrence, il avait mentionnée Al Hakikah comme étant un lieu, éclaircissant ma majeure interrogation et suscitant encore plus mon intérêt, déjà bien grand.

— Je n'ai pas sommeil, lui répondis-je.

Il sembla ignorer ma réponse. Son portable vibra dans la poche droite de son pantalon noir, et il le sorti, de sa main du même côté, s'occupant du volant avec la gauche. Il en regarda l'écran et souffla, ennuyé de ce qu'il avait pu lire dessus. Il l'éteignit et remit sa main droite sur le volant, prenant un virage.

— Tu regrettes, des fois ?

Sa question avait été hors sujet, détachée comme son attitude et son regard.

— Pour Ali ?

Il approuva d'un hochement de la tête.

— En toute sincérité, lui confiais-je, pas une seule seconde. J'ai le coeur bien plus léger depuis ça? J'avais accompli ce qu'il fallait.

— Et pour sa femme ?

Sa seconde question avait été suivie d'une grimace, alors que la première s'était posée avec impassibilité.

— Non plus, Ben Sayour, le regret ne fait pas partie de moi et le remords encore moins.

— Je l'espère, avec ce qui t'attends, tu ne devras pas éprouver une once de ses deux sentiments.

Il mit un point final à la conversation avec cette phrase, prononcée fermement de sa voix rauque, puisque je n'y trouvai rien à répondre. Laissant ma tête s'abandonner contre le siège, je commençais à rejouer les évènements de la journée dans mon esprit. Je rencontrais cet homme, puis je sortais d'hôpital et je me retrouvais avec lui, dans un milieu inexistant d'Abu Dhabi. Je fermais les paupières, fatiguée, et poussait un long soupir qui dû attirer l'attention de l'Algérien. Quelques minutes après, je les rouvrais. A l'extérieur, la ville avait ressurgi, les bâtiments avaient repris en hauteur, mais n'étaient pas trop serrés.

— On arrive bientôt, m'apprit froidement Ben Sayour.

Un ou deux instants après, il s'arrêta devant un bâtiment, un peu moins haut qu'au quartier des affaires. Il me fit descendre, et d'un long geste de la main, m'invita à le suivre, ce que je ne fis pas, j'étais bien trop absorbée par l'univers dans lequel j'avais été projetée.

Le quartier où nous étions à présent, consistait en un lieu bien moins riche et bien moins développé que ce que j'avais pu voir d'Abu Dhabi au cours de mon existence. Il était aussi moins fréquenté, plus discret. Contrairement à beaucoup de choses aujourd'hui, il était loin de m'être familier. Il rassemblait quelques groupes d'immeubles, dont quelques fenêtres étaient illuminées de jaune et de orange. Avec la lumière de la Lune, les ombres des édifices subsistaient avec noirceur.

Ryan, lui, m'attendait d'un air complètement saoulé, mais je ne le rejoignis seulement que lorsque j'eu fini d'observer les alentours. Il se mit à mon niveau, et pour me faire avancer un peu plus vite, me poussa de temps en temps devant lui dans la pénombre silencieuse. Je rangeai mon envie de lui faire la moindre remarque, de peur de finir sur lui comme ce matin.

Rapidement, il pénétra dans le bâtiment, avec moi à sa suite. Je sursautai vivement à l'entente des échos de nos pas, qui l'avaient pourtant lui, laissé impassible. Alors que je me dirigeais vers les escaliers devant nous pour monter, il saisit vivement mon poignet et me tira vers lui.

— Mais lâche-moi !

Je m'étais écriée, presque de peur, tant il m'avait surprise avec son action. Il m'adressa un sombre regard menaçant, et me rendit mon poignet.

Plutôt que d'emprunter les marches vers lesquelles j'avais bifurqué quelques antérieures secondes, il en prit d'autres derrière une lourde porte de métal. Si j'avais estimé que le bâtiment composait une dizaine d'étages, il devait bien y en avoir le même nombre en souterrain, tant les escaliers qui s'enfonçaient face à nous donnaient une impression de profondeur.

Ryan commença à en descendre les marches, sans plus de me prêter d'attention que cela. Il semblait bien connaître les lieux, malgré combien les escaliers étaient bancaux, il s'y déplaçait aisément, avec agilité.

Comme moi dans son appartement.

J'ai tourné la tête une fraction de seconde, cherchant à chasser cette pensée qui avait jailli de mon inconscient. La comparaison était pourtant juste, je m'étais mouvée de cette sorte lorsque j'avais accompli ce que je m'étais promis de faire, deux ans auparavant.

D'un revers de la main, j'écartais mes souvenirs pour reconcentrer mon regard sur les escaliers. Maladroitement taillés dans le marbre, nos pas y résonnaient, de la même manière que dans le hall. De sérieuses questions débutaient leur naissance dans mon esprit, avais-je réellement bien fait de le suivre ? Mon envie de lui sauter à la gorge n'était toujours pas passée, elle commençait même à revenir, plus vivace et poignante.

Mais, à ma grande déception, je n'eus pas le temps de réitérer l'action de la matinée, puisqu'il tourna enfin une poignée dorée. Le geste avait été précipité, comme si il avait senti que quelque chose bouillonnait en moi, ou comme s'il avait eu hâte de retrouver je-ne-sais-quoi derrière le lourd panneau de bois, sans doute du chêne.

La porte s'ouvrit sur un somptueux hall, qui engendra immédiatement chez moi de grands questionnements et une agréable surprise. Alors que je m'attendais à un style de cave ou de souterrain lugubre et pouilleux en dépit du fait que nous soyons à Abu Dhabi, je me retrouvais face à une sorte de palais sous terre, qui pourtant ne m'inspirait guère confiance.

— Enlève tes chaussures, m'ordonna Ryan

Le ton de sa voix avait été, non pas sec et distant, mais sévère, chose que j'étais loin d'apprécier. Néanmoins, j'obéissais à sa consigne et en retirant ma paire de chaussons d'extérieurs, comparables à des UGGS, trempés à cause de ma sortie nocturne dans l'herbe humide de l'hôpital psychiatrique. Mes pieds, chacun enveloppé d'une fine chaussettes elles aussi mouillées, touchèrent le sol revêtu d'un épais tapis d'un rouge presque sanguinolent. Tandis que lui, devant moi, fit de même. Il ouvrit ensuite un placard à la porte coulissante, conçu directement dans le mur et en tira une paire de pantoufles, qu'il enfila rapidement.

— Viens, me commanda-t-il.

Il sortit du hall, qui donnait sur une grande pièce. Etant illuminée par un majestueux lustre, son ambiance était de luxe, avec une puissante lumière blanche. Elle devait bien faire la taille d'un grand salon, et elle était meublée. A ma droite, se trouvait un large comptoir, sur lequel étaient posés quelques journaux. Ryan s'en approcha, marchant doucement. Il semblait faire attention d'être le plus discret possible.

Arrivé au comptoir, il feuilleta les pages de chacun des périodiques. Debout derrière lui, je le voyais en mettre certains de côtés, formant rapidement un petit tas.

— Tiens, Sariya.

D'un geste de sa grande main, il m'incita à venir près de lui. Alors que j'arrivais à son niveau, il poussa vers moi la pile à présent composée d'une dizaine de journaux et de deux ou trois magazines. Hésitante, je saisis le premier et le retournai pour le consulter. Seulement après avoir lu quelques mots de la une, je me tournai vers Ryan, qui lui avait fini son tri.

— C'est quoi ça ? persiflais-je, à la fois surprise et colérique.

Il fronça les sourcils devant l'expression de mon visage. Mes pupilles entrèrent en collision avec les siennes. Son iris vert et mordoré me guettait, une lourde menace y pesant, sa couleur assombrie montrant clairement son désir de me recadrer.

— Lis, tu sauras.

Il ne me donna que ces trois mots pour réponse. Je n'eus donc d'autre choix que de m'exécuter. Je poursuivais furtivement ma lecture ; il n'avait pas menti en disant qu'il avait été l'avocat m'ayant défendue. Il avait fait plusieurs gros titres et même la une de " Abu Dhabi Noor", un journal que je connaissais bien. Un des journaux où son nom ainsi que le mien avait été affichés en une datait de la troisième semaine du mois d'octobre 2018.

" Ryan Ben Sayour, l'avocat présent pour défendre Sariya".

Il avait occupé quatre pages de ce numéro, rédigées en anglais comme la majorité des articles de ce journal.

— Et tout ça est fidèle à la réalité ? demandais-je en laissant l'hebdomadaire retomber lourdement contre le bois lustré.

— Oui, pour la plupart.

Avec un haussement de sourcils, je regardais les autres unes du tas. Elles nous concernaient toutes, c'était sans doute pour cela que l'Algérien les avaient séparés du reste. Je me plongeai dans la lecture d'une des plus intéressantes, pendant que Ryan s'appliquait à passer subreceptivement de l'autre côté du bureau. Il en revint avec un tabouret, qu'il me mit à disposition. Il retourna ensuite s'assoir en face de moi, bien qu'un peu en décalé.

Il ressorti son téléphone de la poche de son pantalon, pour recommencer à taper de multiples messages. Il paraissait en recevoir aussi, l'un deux lui arracha même un sourire. J'ignorais, puisque me concernant, il me restait encore quelques lignes de lecture, que je pu largement finir le temps qu'il passa derrière son écran.

A la fin de ma lecture, je remettais les journaux dans le tas, puis reposait lentement mon regard sur l'avocat. Il releva le sien de son écran qui lui illuminait la face d'une pâle lumière, ayant senti mes yeux le toiser. Lorsque nos iris s'entrechoquèrent de nouveau, il perçut mon incompréhension et mon effarement. En conséquence, il posa son portable, l'écran contre la table. Il enleva méthodiquement sa veste et les clefs qu'elle contenait clinquèrent lorsqu'elle atterrit sur la table. De la même manière, il retira sa chemise d'un blanc cassé immaculé, pour se retrouver en large t-shirt noir, le vêtement rejoignant sa veste.

Il étira ses bras vers l'arrière, sollicitant activement ses larges épaules. J'attendis qu'il eut fini pour recommencer à le toiser.

— Tu as fini, Ben Sayour ?

Il me répondit par un regard sombre comme les précédents, alors que je l'avais interrogé avec dédain.

— Donc tout ça c'est vrai ? enchaînais-je sans être plus attentive que cela a son éventuel agacement.

— Je t'expliquerai la suite demain, pour le moment va dormir.

Tout cet étirement pour une phrase de la sorte. Il souhaitait sans doute une nouvelle agression, alors que la marque que je lui avais faite était flagrante.

Sans me laisser le temps de répliquer, il se releva et me fit signe de le suivre. Il emprunta de nouveau des escaliers, toujours cachés derrière une porte. Ils étaient cette fois ci bien moins lugubres et bien plus courts. Ils débouchaient sur un autre long couloir. Arrivés en bas, Ryan me passa devant lui et me guida en posant ses mains sur mes deux épaules. Je me crispai à son acte, qui m'avais fortement dérangée. Il créait de l'ambiguïté pour rien, à quoi bon me tenir de la sorte ?

Je tentais de me dégager, mais il faisait preuve d'une force nouvelle, que je ne lui avais pas connu ce matin.

— Ne me tiens pas comme ça !

Au lieu de m'obéir, il ajouta de la pression sur mes muscles.

— Eh écoute, Sariya. Ici c'est pas ton hôpital, c'est Al-Hakikah. Je ne peux pas me mettre de te laisser faire une folie. Je ne peux pas te lâcher et prendre le risque que tu ailles te balader mais je ne veux pas non plus te faire de mal.

Il s'était penché près de mon oreille, et tout mon corps s'était crispé à l'entente de sa voix. Ses lèvres avaient été si proches de moi et son ton si distant et menaçant, à la limite de l'injure. Je recommençais donc à avancer.

Ryan me fit repasser par une autre grande salle, jusqu'à m'emmener devant une grande porte, qu'il ouvrit en me poussant légèrement.

— Tiens, ça c'est à toi, Sariya.

Je le regardai d'un air interrogatif, et il me fit pénétrer dans la pièce. C'était une grande chambre, voire même une suite, puisqu'il y avait un autre battant dans le mur. C'était pour le moins que l'on puisse dire luxueux, le changement avec l'hôpital psychiatrique était étonnant.

— Tu fais partie de nous maintenant, donc tu as ta pièce, juste sois un minimum propre. Normalement tu as de quoi t'habiller dans la garde-robe
, ajoutai-t-il en désignant un placard.

J'approuvai du menton, sans vraiment être attentive aux meubles composant la chambre. M'asseyant sur le bord du lit, je fermais les yeux, frémissante, laissant la fatigue s'emparer de moi. J'entendis Ryan refermer la porte et je soupirais. Je sentis mon corps s'alourdir, et bientôt je ne le sentie même plus. Je m'étais assoupie.

[...]

— Tasnim, lève toi !

— Hum...

Je me retournai, encore lourde, sentant à peine mes membres. Une voix grave était venue me lever. J'ouvrais difficilement les paupières, le regard distordu par la fatigue. C'était un homme aux yeux vert, brun et au teint matte qui se tenait devant moi.

Ryan.

— Lève-toi, prépare-toi et remonte m'ordonna-t-il lorsqu'il vit que j'avais ouvert les yeux.

Il ressortit directement après m'avoir donné cette consigne. Je m'exécutais, ouvrant la garde-robe dont il m'avait parlé la veille. J'y trouvais une ample abaya noire au col roulé et un très long kimono satiné, certes simple, mais discret et agréable à porter. Je les enfilai et sortis de la chambre qui m'avait été attribuée.

Je reprenais les escaliers au bout desquels l'Algérien m'avait tenue par les épaules la veille. Ils me semblaient plus angoissants à présent, et même, plus archaïques. Si j'avais bien tout compris, ici, c'était Al-Hakikah. Je n'avais jamais pénétré dans un lieu qui dégageait autant d'aisance et de pouvoir, il y avait des tableaux, et les marches étaient taillées dans le marbre noir et or.

Durant mon retour à la pièce qui disposait du comptoir, je pris grand soin d'examiner chaque détail des lieux. Je faisais même fi du bruit qui régnait à présent, les étages frémissaient et je ne le remarquais que tard. Cela me perturba, mais ne m'empêcha pas de revenir à la salle d'hier. Ryan m'y attendait, en face d'une grande femme avec un afro, elle aussi vêtue d'un kimono, tandis que lui l'était d'une grande djellaba blanche aux détails tissés, reflètant ses origines.

Mais leurs airs graves m'interpellèrent, et de par eux, je ne lançais aucune pique à l'Algérien, mais plutôt imitait leur expression. L'avocat avait dans sa main, tenu fermement, le numéro d'Abu Dhabi Noor du jour.

Il me le tendit avec un soupir, et nos noms, en grand sur la une, me frappèrent directement. En la lisant, je compris pourquoi l'allure de ses traits était si crispée.

— Il n'y a plus que moi à qui l'on veut du mal, à ce que je vois, commentais-je, avec une pointe d'amusement.

— Tu vois bien.

Mes sourcils sautèrent, à l'entnte de la voix de la femme, et à la lecture de l'article.

— Intéressant...

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