chapitre 9
o9 : Rocky n'a qu'à bien se tenir
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Et ils ont tous les deux raisons de penser ça.
Vêtue de sa tenue la plus confortable qu'elle ait trouvé dans son placard - elle s'est d'ailleurs félicité d'avoir envisagé de faire des footings, ce qui lui a fait emporter plusieurs maillots à manches longues et quelques leggings de sport -, Madeline renoue les lacets de ses baskets. Pas ses Vans évidemment, hors de questions de les abîmer au cours de ce mystérieux entraînement physique dont la teneur lui est complètement inconnue. Elle a opté pour les baskets qu'elle mettait quand le besoin de courir dans les rues de Cherryton se faisait sentir.
Penser à sa ville natale est particulier, la blonde a du mal à réaliser qu'elle y était il y a encore quelques jours, qu'elle fêtait Noël et le Nouvel An en compagnie de ses parents. Une profonde nostalgie lui tord l'estomac, tout ça lui paraît encore tout près mais pourtant à des années lumières. Sa vie a pris un tournant radicale si soudain qu'elle n'a pas entièrement eu le temps de s'y faire. Tout a changé si vite, elle se sent encore déroutée.
Des souvenirs anodins de son ancienne vie lui reviennent en mémoire, tels des rappels inaccessibles. L'odeur de café torréfié qui planait dans l'air du Lollipop, les fous rires partagés avec Amy et Graham, les fins d'entraînement de son frère en compagnie de ses coéquipiers Oliver et Andrew, les moments de musiques furtifs sous la verrière du métro avec Wyatt, les visites chez ses parents à la maison familiale, les ronronnements de Cookie ... tout ça lui manque subitement.
- Tu crois qu'il faut avoir une certaine condition physique pour suivre ces entraînements ?
Ses pensées s'estompent avec la question d'Andrea, l'irlandais s'arrête à ses côtés avec une expression bien moins joviale que celle qu'il a arboré toute la matinée. La blonde termine de faire son nœud avant de se redresser.
- Ça m'étonnerait franchement, sinon il n'y aura pas grand monde d'opérationnel, répond-elle avec une moue désolée
- Dommage, j'aurais bien aimé y échapper, soupire-t-il
Son t-shirt flanqué du logo de Guns N'Roses et son vieux jogging fatigué, tout droit sorti d'un tiroir poussiéreux, ne trompent personne. À l'évidence, Andrea n'est pas un amoureux du sport.
- Tu veux que je te fasse une dispense bidon ? raille-t-elle
- J'aimerais bien, le sport et moi ça fait six, avoue-t-il en se grattant nerveusement le front. Faire des sprints, soulever des poids, travailler le cardio, ce n'est pas trop mon délire. Je préfère de loin me laisser glisser sur mon skate
- Je ne sais pas ce qui nous attend mais on ne peut pas reculer ... qui sait, ça va peut-être être sympa ?
- Tu essayes de me convaincre ou de te motiver ? rit l'irlandais
- Pour être honnête, les deux, pouffe la blonde
D'un commun accord, Madeline et Andrea se remettent en marche, direction le bâtiment annexe en pierres grises que la jeune femme avait aperçu près du lac et d'un saule pleureur en faisant un rapide tour du domaine la veille. C'est là-bas que se trouve le gymnase accueillant leurs heures d'entraînement, composée d'une impressionnante salle à la hauteur sous plafond immense et aux poutres apparentes. Le sol est presque intégralement recouvert de tapis amortisseurs de chutes, à la manière d'un dojo de sports de lutte, et n'inspirant pas confiance aux deux jeunes gens qui viennent d'entrer.
Malgré sa fonction peu avenante pour certains, ce gymnase est agréable et dégage une ambiance plaisante. Cette sensation est très certainement liée aux grandes baies vitrées qui composent l'un des murs, offrant une vue attrayante sur la nature.
Bon nombre d'élèves de leur session sont déjà présents, habillés de leurs plus beaux atours. Madeline s'étonne de voir son frère discuter avec Jesse dans un coin de la salle, les deux hommes n'ayant jamais été très proches pendant leurs années lycée. Ce n'est pas une mauvaise chose néanmoins, autant pour Jefferson que pour Jesse.
Ce qui ne l'étonne pas en revanche, ce sont les regards envieux qui sont braqués sur son frère. Ou plutôt sur ses bras musclés que son débardeur noir offre à la vue de tous.
- Ton frère fait tourner les têtes, constate Andrea avec amusement
- Et il n'est pas le seul, réplique Madeline
Les yeux changent de direction lorsque Zadig fait son entrée, lui aussi vêtu d'un débardeur. Ses bras tatoués et sculptés, juste ce qu'il faut pour faire baver sans ressembler à un bodybuilder, sont la nouvelle attraction du gymnase. Le mannequin amène avec lui sa décontraction habituelle, ce qui suffit à créer un murmure admiratif et charmé au sein des élèves.
- Ça doit être épuisant d'être toi, lance Andrea
- Séduisant, talentueux et charismatique ? rétorque Zadig en s'étirant
- Presque. Avoir les regards de tout le monde braqués sur toi dès que tu entres quelque part, renchérit Madeline
Le cadet Lington hausse les épaules nonchalamment.
- On finit par s'y faire, avoue-t-il
Aucune arrogance dans cette réponse, juste la plus plate des vérités. Zadig est si accoutumé des yeux qui le scrutent à chacun de ses mouvements qu'il n'y prête plus attention et encore mieux : il ne s'en soucie guère.
Un homme et une femme pénètrent dans la salle, faisant s'évanouir les discussions en cours. Cette dernière leur fait signe d'approcher avec un sourire et pendant que tous les élèves se disposent en demi-cercle, Madeline observe ces nouveaux arrivants.
La femme a noué une épaisse tignasse crépue en une queue de cheval, pratique pour l'activité physique qui les attend. Son ensemble de sport - brassière et leggings - de couleur parme fait ressortir le teint métissé de sa peau, ses yeux profondément marrons balayant les élèves rassemblés face à elle.
À contrario, l'homme qui l'accompagne n'est pas du tout dans la tenue adéquate à une quelconque activité physique avec son pull fin gris et son jean. Ses cheveux blond foncé et ondulé sont coiffés avec soin, comme si un rendez-vous l'attendait dans une heure. Il semble plutôt s'être trompé de porte qu'être prêt à transpirer.
Bien que la femme soit placée en première ligne, c'est l'homme qui prend la parole le premier :
- Bonjour à tous. Vous avez été prévenus ce midi que vos après-midis ne seront pas tout à fait académiques, que vous n'allez pas être forcés de rester assis sur une chaise pendant toute la durée de votre formation. Je suppose que certains ont été ravis d'apprendre ça et d'autres beaucoup moins. Mais ne vous en faites pas, nous allons vous accompagner un par un dans ce cours alors ne fuyez pas tout de suite, explique-t-il dans un charmant accent britannique
Il tourne la tête vers sa partenaire, qui hoche la tête dans une sorte de signal convenu entre eux.
- Je suis Donovon Elder et je serai l'assistant de mademoiselle Ginger Dofrost, continue-t-il en désignant sa collègue. Je l'épaulerai aussi bien dans son enseignement que dans la traduction de ses cours. Je la laisse faire son introduction
Ginger Dofrost acquiesce de nouveau, remerciant son collègue avant de reporter son attention sur ses élèves. À la surprise générale, elle les salue en utilisant la langue des signes, les mots de Donovan prennent alors tout leur sens. Au fur et à mesure qu'elle s'exprime par signes, son assistant se charge de confier ce qu'elle communique.
- Comme l'a dit mon partenaire, je suis le professeure Dofrost mais je tiens à ce que vous m'appeliez Ginger. Et comme vous le voyez, vous n'aurez pas le plaisir d'entendre ma douce voix. Je n'en ai d'ailleurs jamais eu l'occasion moi-même
Voyant le sourire affiché par Ginger et son apparente auto-dérision, plusieurs élèves s'autorisent des rires polis et des sourires amusés.
- Je suis sourde de naissance, reprend Donovan au grès des signes de Ginger. Donc non, je ne peux pas écouter de musique ! Mais cette surdité ne m'a pas empêché de devenir la femme épanouie que je suis aujourd'hui, ce n'est un handicap que si on décide que ça l'est. Et moi, j'ai décidé que ma surdité ne serait pas une fatalité, que ça ne me définirait pas
Madeline pose ses yeux verts sur sa professeure et la contemple avec énormément de respect, une admiration à peine voilée. En plus d'en imposer naturellement, Ginger dégage une force amicale et bienveillante que sa différence ne semble jamais avoir ébranlée.
- Ne vous en faites pas, la plupart du temps, j'arrive à lire sur les lèvres. Pour le reste, je peux compter sur mon ami et collègue, aussi génial que charmant. À quelques mots près, c'est ce qu'elle a dit, affirme Donovan dans un rire
Ginger doit se douter de la plaisanterie de son partenaire car les coins de ses lèvres se soulèvent à nouveau.
- Nous allons travailler tous les deux main dans la main afin de vous apporter un entraînement optimal, je servirai principalement de traducteur mais je ne me limiterai pas simplement à cette tâche, dans la mesure du possible, reprend-il pour lui-même
- Est-ce qu'on peut savoir en quoi va consister cet entraînement ? demande Jefferson
- On en entend parler depuis ce midi mais on ne sait pas vraiment ce qu'on vient faire ici finalement, j'imagine qu'on ne va pas s'entraîner à faire des roulades arrières, réplique une grande brune avec une sorte d'impatience sceptique
Donovant effectue le chemin inverse en traduisant par signes à Ginger avant de tourner à nouveau son regard vers cette élève, et plus généralement vers toutes les têtes curieuses qui se posent la même question.
- Vous n'ignorez certainement pas que l'Académie Dawson a ouvert ses portes cette année parce qu'il était nécessaire de le faire maintenant, pour bon nombre de raisons. Mais l'une des raisons principales est fondamentalement la plus importante : pour assurer votre sécurité. Au sein du domaine, vous êtes protégés de ceux qui veulent du mal aux lunaires comme vous
- Aux immaculés vous voulez dire ? complète Madeline en croisant les bras
- Exactement, approuve l'assistant. Si les choses ne sont pas suffisamment claires pour tout le monde : là-dehors, il y a des lunaires malveillants qui répandent leur noirceur partout sur leur passage et clament à qui veut l'entendre que leur valeur est plus grande car plus puissante. Ils ont tenté de renverser notre société, ont échoué mais ce conflit n'est pas terminé. Et leur cible favorite, c'est vous
Les mots de Donovan planent pendant de lourdes secondes à travers le gymnase, laissant un ange passer par là.
- Sympa, merci d'avoir plombé l'ambiance, lance Zadig
- Désolé mais il fallait bien que ce soit dit, se défend le traducteur avec une moue
Ginger fait un pas, l'air soudainement plus dure.
- C'est à cause de ces personnes que vous devez apprendre à vous défendre, traduit Donovan. Vous pensez peut-être ne pas être capable de tenir tête à un lunaire car vous n'avez pas de pouvoirs, c'est à nous de vous prouvez le contraire. Avec beaucoup d'entraînement, vous serez en mesure de vous protéger vous, vos amis, vos familles et même de vous battre face à un lunaire sans avoir peur de faillir. Vous croyez partir avec un désavantage, je suis la mieux placée pour vous montrer qu'il n'en est rien
- Et vous êtes sûrs que tout le monde ici a envie d'apprendre à devenir un bon petit soldat ? intervient Jesse, ne camouflant pas son indifférence
Le professeure Dofrost hoche la tête, ayant compris ce qu'a dit Jesse en lisant sur ses lèvres, mais Donovan la devance en prenant la parole le premier :
- Dis-moi, jeune homme, que ferais-tu si un lunaire t'attaquait subitement en plein milieu d'une rue ? Qu'est-ce que vous feriez tous s'il s'en prennait à vous ou à quelqu'un qui vous est cher ? De quelle manière vous riposteriez si vous n'avez aucun d'entraînement ? Quelle serait votre arme de défense ?
- Mon sourire ? propose Zadig avec désinvolture
Des rires secouent la salle et se mêlent aux soupirs une fois de plus charmés. Madeline secoue la tête en levant les yeux au ciel, un sourire au coin des lèvres.
- Aussi étonnant que ça puisse paraître, ton sourire, bien que charmant, risque de ne pas être suffisant, affirme Donovan
- Alors attendez de me voir danser, ça désarmerait n'importe qui
Bien qu'elle affiche un sourire, le signe que fait Ginger à Zadig pour qu'il vienne la rejoindre n'a rien de très rassurant. Mais il en faut bien plus pour effrayer le jeune mannequin, il s'avance vers elle la tête haute.
- Vas-y, essaye de la mettre au sol, dit Donovan en l'invitant de la main
- Ma mère m'a toujours appris à ne pas-
L'expatrié en France n'a pas le temps de terminer sa phrase, Ginger le renverse et le plaque sur le dos en une seule seconde.
- Oh la vache ! C'est déloyale ça ! râle-t-il. Je n'étais pas prêt !
Il se débat pour tenter de se défaire de la prise de leur professeure mais rien n'y fait, elle ne bouge pas d'un pouce et le maintient à sa merci. Et quelle belle image elle offre à leur classe !
Elle finit par relâcher Zadig et l'aide à se relever. Le frère de Julian remet en place son débardeur, ses yeux verts rivés sur Ginger en train de lui répliquer quelque chose.
- Ceux qui voudront te faire du mal n'attendront pas gentiment que tu sois préparé à leur attaque et que tu travailles ton plus beau sourire, traduit Donovan
- Ils ne savent pas ce qu'ils ratent alors, renchérit-il
- Malheureusement, ce n'est pas comme ça que les choses se passent dehors, contre l'assistant. Si vous n'êtes pas préparés et vigilants, ces mauvaises personnes n'hésiteront pas une seconde à profiter de votre désavantage. L'enseignement que Ginger va vous prodiger vous offrira une base solide sur laquelle vous pourrez vous appuyer sans problème. Il n'y a pas meilleure professeure pour cette tâche, d'autant plus qu'elle possède un atout dans la poche de son survêtement
L'assistant apprécie faire planer un suspens insupportable, en témoigne le petit sourire au bout de ses lèvres.
- Ginger n'est pas une immaculée, elle possède un don d'anticipation
L'étonnement s'empare de la classe, oscillant entre admiration et curiosité.
- J'aurais tendance à dire que c'était de la triche dans ce cas, rétorque Zadig en croisant les bras
Ginger s'offusque gentiment, elle n'hésite pas à répondre aussitôt à l'accusation du mannequin.
- Mon pouvoir d'anticipation me permet simplement de contrebalancer ma surdité. Ce n'est pas réellement un équivalent mais avec de l'entraînement, je suis parvenue à moduler mes pouvoirs de façon à ce que mon déficit naturel et mon petit plus puissent être complémentaires. De cette façon, je peux être guidée par les quelques secondes d'anticipation que je perçois. Mon manque s'atténue, mon don m'offre une maîtrise très personnelle de mes capacités
Pour mimer son explication, elle entrelace les doigts de ses mains et les noue fermement. Le message est clair, un moins peut être complémentaire d'un plus et formé quelque chose de formidable, de solide au final.
- Quand j'étais jeune, beaucoup m'ont regardé avec pitié, reprend-elle par le biais de Donovan. C'est pour leur prouver à tous que je n'étais pas qu'un handicap que je me suis entraînée sans relâche, jour après jour, mettant mon corps et mon mental à l'épreuve. Et finalement, avec beaucoup de ténacité, j'ai réussi à arracher l'étiquette que les gens avaient collé sur mon front. Et ce faisant, elle est devenue la femme la plus forte qu'il m'ait été donné de rencontrer, ajoute Donovan
- C'est une très belle leçon de vie, dit Andrea
Plusieurs élèves hochent la tête, approuvant les propos de l'irlandais et la dernière phrase de leur professeur assistant. Touchée, Ginger leur signe un « merci », Madeline se fait une note mentale de se souvenir de ce geste pour plus tard.
- Vous êtes prêts à prouver à tout le monde que vous n'êtes pas simplement des immaculés, que vous pouvez être bien plus que ça ? interroge Donovan
- Et comment, acquiesce Rosalynn Bellingham
- Prêt à devenir Superman ! s'exclame un garçon à l'accent hispanique
Chaque élève exprime son approbation, par hochement de tête ou à l'oral, galvanisé par le discours inspirant de Ginger Dofrost. Cette dernière tape dans ses mains, leur fait signe d'approcher en haussant un sourcil plein de défi. Elle ne se défait pas de son sourire, donnant l'impression d'une enfant qui s'apprête à passer le meilleur après-midi de sa vie dans une piscine à balle.
- Après la brillante démonstration de monsieur Lington, c'est à vous tous d'essayer de mettre à terre votre professeure, explique Donovan
- Pardon ? s'étonne la brune de tout à l'heure, incrédule
- C'est un test ? demande Jefferson
- En quelques sortes oui, ça nous permettra de vous évaluer ... et d'estimer le travail qui sera à abattre
Les élèves restent hésitants, pas certains d'avoir envie d'aller au mastic de la sorte.
- Oh misère, soupire Donovan. Vous n'avez jamais rêvé de tacler l'un de vos professeurs ? C'est le moment !
Apparemment, l'argument du ressentiment envers un professeur est le bon. Ils s'élancent tous vers Ginger, sonnant le départ de leur première séance d'entraînement. Les bras tentent des coups, les esquives font se courber les corps, les jambes s'essayent à des parades acrobatiques. Les intentions sont bonnes, la détermination plus que présente. Mais le résultat est le même qu'un peu plus tôt avec Zadig : Ginger les met hors-jeu sans transpirer. Même quand plusieurs élèves l'attaquent en même temps, elle pare leurs coups aisément en faisant une démonstration parfaite de son agilité.
Tombant face contre terre, Madeline reprend son souffle tandis que d'autres corps tombent autour d'elle. À sa grande surprise, même son frère ne parvient pas à être plus brillant que le reste de la classe. Il tient bon une quinzaine de secondes supplémentaires mais Ginger réussit à contrecarrer ses plans en enserrant sa taille, le faisant tomber à la renverse. Leur professeure se relève d'un bon docile, évite le poing de Jesse, accroche sa cheville à celle de son élève et le fait tomber sur le flanc en le poussant avec sa hanche et un coup d'épaule maîtrisé.
C'est donc bien debout au milieu d'une classe allongée sur le sol matelassé du gymnase que se tient Ginger. Fière de sa performance, elle pose les mains sur ses hanches en souriant sous les applaudissements de son partenaire.
- Et bien ça, c'était un spectacle de courte durée, raille Donovan. Il va y avoir du travail, beaucoup de travail ... relevez-vous, on va revenir aux bases de la condition physique. Histoire de remettre en forme tout le monde, ça va être amusant !
Amusant n'est pas tellement le mot qui qualifie un footing général à travers le domaine Dawson. Et ce n'est pas la petite course de dix minutes qu'on fait à petites foulées non ... c'est le jogging intense qui dure une bonne partie de l'après-midi. Pour suivre le rythme de Ginger, il y a plusieurs niveaux de coureurs : les adeptes du sport qui n'ont pas trop de mal à suivre - dont fait partie Jefferson bien entendu -, ceux juste derrière qui font une performance honorable mais qui commence à suer à grosses gouttes - comprenant Madeline et Zadig -, les moins habitués qui ne veulent pas s'avouer vaincu - comme Jesse -, et puis ceux qui perdent leurs poumons en queue de peloton - pauvre Andrea.
Pour ce qui est du niveau Superman, il va falloir encore un peu de patience.
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- L'horreur, j'ai déjà des courbatures partout, râle Phoebe en se massant l'épaule
- J'ai honte de l'avouer mais moi aussi, soupire Kleo
La première jette un coup d'œil à Madeline, un peu jalouse.
- Tu n'es même pas en train de rendre l'âme, ça vient de toi ou de votre entraînement ?
- On a faire de l'endurance presque tout l'après-midi et je dois admettre que je m'en suis bien sortie. Je cours depuis petite, je jouais au foot avec mon frère je te rappelle, réplique la blonde
- C'est un avantage, c'est sûr ! Au moins, tu n'auras pas l'impression de faire bouillir tous tes muscles d'un coup en te levant demain matin, renchérit Kleo
Les trois jeunes femmes se sont retrouvées après la fin de leur première journée - et après un goûter obligatoire - et ont décidé de déambuler aléatoirement dans le château avant l'heure du dîner. Il y a des parties que Madeline et Phoebe n'ont pas eu le temps de voir la veille, c'est en compagnie de Kleo qu'elles continuent leurs découvertes.
- Je vais peut-être envisager de me faire passer pour une immaculée si ça me permet d'échapper aux renforcements musculaires qu'on s'est coltiné aujourd'hui, lance la brune café au lait
- Ne crois pas qu'on a commencé en douceur, on s'est tous pris une raclée contre notre prof pour bien débuter la séance. Et on va avoir aussi le droit à je ne sais combien de séries de gainages, d'abdos et de renforcements de muscles que je ne connaissais même pas, explique Madeline
- Tu verrais comment notre prof est taillé, c'est presque scandaleux à ce niveau, bougeonne sa voisine de palier
- Comme si tu t'en plaignais tout à l'heure quand monsieur Elder est arrivé en cours, rit Kleo
La blonde tourne la tête vers cette dernière, plissant légèrement les yeux. Ce nom de famille lui semble très familier tout à coup.
- L'un de nos profs est un Elder aussi, Donovan
- Le nôtre s'appelle Declan et il a dû se faire injecter un super sérum, c'est la seule explication, dit Phoebe, subitement plus souriante
- Ils doivent être frères, ils sont sûrement de la même famille que la superviseure qu'on a vu ce midi à la cantine, Priscilla Elder, ajoute Kleo
- C'est vrai, approuvent les deux autres
Décidément, le monde des lunaires est étroitement lié aux liens familiaux. Néanmoins, Madeline continue d'entendre retentir ce nom de famille dans son esprit sans parvenir à mettre le doigt dessus.
Le trio s'enfonce un peu plus à travers l'aile sud du troisième étage, où personne ne semble venir très souvent. Si le deuxième étage est exclusivement réservé aux salles de cours, le troisième regorge de surprises. Les filles y ont découvert une immense bibliothèque sur plusieurs niveaux d'une splendeur à couper le souffle, un balcon filant en extérieur, une salle de cinéma, un espace où jouer de la musique et plusieurs portes fermées à double-tour.
Elles bifurquent à l'angle d'un mur et débouchent sur un long couloir rectiligne où le mur de droite est percé de nombreux vitraux hauts tandis que le mur de gauche est recouvert de cadres, soigneusement alignés. À mesure qu'elles s'approchent, elles constatent que ce sont des portraits qui se succèdent et que de petits écritaux métalliques sont placés juste en-dessous des cadres en ébène.
- Ce sont tous les directeurs qu'a connu l'Académie Dawson, comprend Madeline
Son cœur manque un battement subitement, exalté par une impatience nouvelle. La photo qu'elle et sa mère ont retrouvé dans les affaires de William le jour de Noël lui revient en mémoire, en même temps que l'annotation qui avait été faite au dos de celle-ci. Le portrait de son père se trouve forcément ici, affiché au milieu de ses prédécesseurs et de ses successeurs.
Les portraits sont disposés de manière chronologique, les plus anciens accrochés au début du couloir et ainsi de suite au grès des années.
- Charles Pristing, directeur de 1899 à 1906, lit Kleo sur le vieil écriteau figurant sous la photo d'un homme dodu à moustache épaisse
- C'est curieux, l'Académie ne porte pas le nom du premier directeur, constate Madeline
- On va certainement avoir tous les détails en histoire avec madame Campbell, dit Phoebe
Le trio poursuit son avancée le long du couloir mémorial, s'arrêtant de temps à autre pour évoquer la longévité de certains directeurs ou la furtivité d'autres, pour admirer la mode des années vingt ou rire de celle des années soixante-dix, ou bien pour glisser quelques commentaires personnels.
- Felicity Jiby, c'est une amie de mes parents, annonce Kleo en montrant le portrait d'une blonde au nez pointu
- De 1985 à 1995 ... elle est restée longtemps à la tête de l'Académie, dit l'immaculée avec admiration
- Wow, la classe, approuve Phoebe
À l'évocation de cette année, Madeline se souvient qu'elle marque le début de l'unique année où son père a pris les rênes de l'Académie. Elle tourne donc la tête à droite, le cœur battant ... et sent son enthousiasme se dégonfler comme un ballon percé.
Ses yeux verts se posent sur la photo d'une femme aux cheveux courts, à l'air fermé et aux lèvres pincées, accompagnée de la mention « Sheila Carringburd, directrice de 1997 à 1999 ».
- Tiens regardez, il manque un an entre ces deux directrices, soulève la métisse
- Vous pensez que l'Académie a été fermée pendant ce temps là ? suggère Kleo
- Aucune idée. Il faudrait demander au professeure Campbell, elle doit savoir s'il s'agit d'une erreur ou pas. C'est quand même bizarre
Restée silencieuse, Madeline sent une tempête de déception éclater au fond d'elle. Elle serre les mâchoires, frustrée de cette absence incompréhensible. Elle qui pensait qu'être au sein de l'Académie Dawson la ferait frôler du doigt le passé de son père, que ça lui apporterait forcément des réponses au milliard de questions qu'elle se pose à son sujet, voilà qu'elle doit se satisfaire à nouveau d'un trou béant.
- Oui, c'est bizarre oui ..., souffle-t-elle faiblement
☽⁂☾
- Tu te rends compte ? On capte presque mieux dans ce vieux château qu'à Cherryton ! s'exclame la voix de Jefferson à l'autre bout du fil
- Il faut dire que le réseau est légèrement moins surchargé dans un château perdu au milieu de la forêt qu'en pleine ville, réplique sa jumelle
- Ce n'est pas faux
- C'était bien utile de m'appeler juste pour ça ?
- Quoi ? Ça me paraît super important à souligner. Et puis, j'avais la flemme de te chercher à travers tout le château pour te souhaiter bonne nuit
La franchise de son frère arrache des rires à Madeline, elle se redresse dans le fauteuil qu'elle occupe pour croiser les jambes.
- Regarde-moi ça, le grand sportif va se coucher avant onze heures du soir ... vieillard, raille-t-elle
- Vas-y, moque-toi mais aujourd'hui était une grosse journée, il faut que je récupère
- Tu as raison, c'était une grosse journée aujourd'hui
- Tu n'auras pas le privilège de ma présence de qualité ce soir, je suis claqué, dit Jefferson en baillant
- Tu veux que je te chante une berceuse ou que je vienne te border ? propose la blonde narquoisement
- Je suis hilare, réplique platement le footballeur
- Aller, bonne nuit frérot, sourit Madeline
- Bonne nuit Made, à demain
La jeune femme raccroche et pose son portable sur le guéridon à côté d'elle, elle récupère son verre de lait chaud à la fraise pour en boire une gorgée tout en réchauffant ses mains.
Après le dîner qu'elle a passé en compagnie de son frère et de leurs nouveaux amis - Phoebe, Kleo et Arnie -, la blonde n'a pas su résister à l'envie de revenir faire un tour dans le couloir mémorial du troisième étage. Impossible pour elle de se satisfaire simplement d'un mystère de plus, elle y est retournée avec la ferme intention de comprendre pour quelle raison le portrait de son père n'y figure pas. Évidemment, elle n'a rien eu à se mettre sous la dent, ce qui n'apaise en rien son sentiment de déception.
Frustrée de n'avoir pas trouver ce qu'elle cherchait, la blonde s'est réfugiée dans une alcôve tout près du fameux couloir où un canapé en velours violet n'attendait qu'elle. De là, elle peut voir le palier du troisième étage et ses nombreuses portes, ainsi que les jardins du château endormis par l'heure tardive par la fenêtre. Tout en sirotant son lait bien chaud au goût sucré de fraise, elle laisse son regard et ses pensées vagabonder librement.
Contrairement à ce qu'avait évoqué Kleo, Madeline sait de source sûre que l'Académie Dawson n'a pas fermé ses portes cette année là. Elle ne tenait pas en revanche à livrer cette part personnelle et encore bien mystérieuse de sa personne, surtout quand elle-même ne possède pas toutes les réponses.
Qu'a-t-il donc bien pu se passer pour que son père soit le seul directeur à ne pas être mis à l'honneur ? Son portrait ne semble pas avoir été déplacé ou tout simplement retiré, c'est plutôt comme s'il n'avait jamais existé. À ce jour, la seule preuve du passage de William aux commandes de l'Académie Dawson est une vieille photo et ses notes griffonnées au crayon à papier.
- Ce n'est pas possible, il existe forcément un registre, un acte écrit ou je ne sais quoi quelque part, pense Madeline
À l'instant où elle pense qu'un tour à la bibliothèque pourrait être bénéfique, l'une des portes qui était fermée à clef s'ouvre et laisse passer Zadig. Tous deux surpris de se trouver ici, ils s'adressent néanmoins un signe de la main. Le cadet Lington marche vers la blonde et s'assoit à ses côtés en soupirant.
- Oulah, qu'est-ce qui peut bien te mettre d'aussi bonne humeur à cette heure ? ironise-t-elle
- Je sors d'une petite entrevue avec la directrice, répond-il
- Ah, je comprends. Pas facile d'être dans l'école dirigée par sa mère, surtout quand on est un élève aussi discret que toi
Zadig lève les bras au ciel en secouant la tête, proprement indigné.
- C'est exactement ce que j'ai dit, figure-toi ! Mais apparemment, il faut que « j'arrête de tout prendre à la rigolade » ... je ne sais vraiment pas pourquoi elle pense ça, raille-t-il
- C'est dingue, je ne comprends pas non plus, rit la blonde
Ses yeux verts glissent sur la tenue du jeune mannequin, passant de son pantalon à pince blanc à sa veste blazer rose poudrée à broderies noires.
- Tu vas en boîte ou à un défilé clandestin ?
- J'aimerais bien, réplique-t-il en passant une main dans ses mèches marron clair. Mais ma philosophie de vie, c'est qu'il n'y a pas besoin de raison pour être bien habillé
- Entièrement d'accord, acquiesce Madeline. Sauf quand c'est l'heure d'aller se coucher
- Pourquoi ça ? Il y a mille façon d'être stylé au plumard, tu veux que je te montre Harvey ? propose-t-il en retrouvant sa fossette
- Ça va aller, je vais m'en passer, rit-elle
Les rires de Zadig les accompagnent et comblent le silence qui endort petit à petit le château. Madeline porte à nouveau son breuvage rosé à ses lèvres et en boit une grande gorgée, qui réchauffe son corps sur son passage.
- Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? Il n'y a pas foule au troisième étage à cette heure là, reprend le mannequin
- Justement, la solitude fait du bien parfois, répond-elle simplement
- J'aurais cru que tu passerais la soirée avec la jolie brune de ce matin, ou avec ton frère ... ou avec le mien
- Pour tout te dire, je crois que je ne vais pas tellement traîner avant de m'échouer dans mon lit ce soir. Je sais, c'est pathétique, lâche la blonde
- Regarde-nous : on est de retour à l'école alors qu'on devrait vivre les meilleures années de notre vie. Et au lieu de tester les cocktails les plus extravagants d'un bar tendance ou de faire la fête jusqu'au lever du soleil, on va aller dormir avant minuit ... ça craint
Malgré l'apparente désinvolture avec laquelle il a avoué ça, Zadig ne peut pas cacher que c'est un aveu teinté de vérité. Madeline termine son verre et le pose sur le guéridon à ses côtés avant de se tourner vers son ami.
- Il n'y a pas que des mauvais côtés, tente-t-elle
- Je t'en prie, éclaire-moi de tes lumières
- Et bien, sans l'Académie, tu n'aurais pas eu le plaisir de ma compagnie, répond-elle en haussant une épaule
- Je te l'accorde, un point pour toi, approuve Zadig en hochant la tête
- Et je n'aurais pas eu l'occasion de te voir joliment ridiculisé par deux profs dans la même journée, renchérit Madeline avec un sourire moqueur
- Wow, merci de me rappeler ces moments de gloire où j'ai su rester digne même face à l'adversité
Ce qui est bien avec Zadig, c'est qu'il ne se vexe pas de grand chose. Il tient beaucoup à son image et pourtant, il possède toujours énormément d'auto-dérision. La plupart du temps, il ne se prend pas au sérieux et c'est ce qui rend sa personnalité aussi solaire.
- Sinon, il y a aussi ta famille, continue la pianiste. J'imagine qu'une part de toi doit être heureuse de les retrouver quand même, malgré les circonstances
La fossette du mannequin disparaît, le vert de ses yeux se charge d'un brouillard grave.
- Oui, bien sûr que je suis heureux de les revoir. C'est juste que ... c'est compliqué, souffle-t-il
- Toutes les familles sont compliquées, réplique sincèrement Madeline
- Surtout quand tu es l'intrus de la maison, renchérit Zadig
Cette phrase, Madeline ne peut s'empêcher de la percevoir avec une pointe de souffrance. La mâchoire du mannequin se contracte brièvement, il détourne la tête afin de camoufler ses émotions.
- Je ne veux pas passer pour un chouineur, je ne suis pas en train de dire que j'étais malheureux pendant toute mon enfance et que je ne m'entends pas du tout avec ma famille, précise-t-il. J'aurais simplement aimé qu'on soit une famille normale, pouvoir jouer avec mon frère et ma sœur comme n'importe qui. Ou ...
La suite de ses mots meurt mais trop tard, Madeline a compris où il voulait en venir.
- Ou tu aurais aimé ne pas être normal justement, pour te sentir moins isolé dans ta propre famille, complète-t-elle
- Je crois que oui, c'est un peu ça, avoue-t-il du bout des lèvres
- C'est l'occasion, tu ne crois pas ? Ta mère est directrice de l'Académie et ton frère se balade souvent dans le coin à ce que j'ai compris, que demander de plus ?
- Je ne sais pas, on a des avis si différents depuis tellement de temps sur ... le foutoir des lunaires, je ne suis pas sûr qu'une reconnexion en haute définition soit possible
- Commence par Julian
Étonné, Zadig hausse les sourcils et dévisage la blonde qui maintient son regard, déterminée.
- Julian ? Crois-moi, ce n'est pas les tentatives qui manquent. On est diamétralement opposés, comme la lune et le soleil, tiens
- Et pourtant la lune va de pair avec le soleil ? réplique Madeline, un sourire logé au coin des lèvres. Désolée de te le dire mais il n'y a pas mieux placé pour parler du lien fraternel que moi. Et ce genre de lien, il n'y a rien de plus fort. Même à travers, les disputes et les conflits, il subsiste toujours et ressort tôt ou tard
Le cadet Lington ne répond rien, méditant sur les paroles de la blonde. Mais sa séance de psychologie est de courte durée, les deux amis se font surprendre par le bruit d'une porte du palier s'ouvrant bruyamment. Elle se trouve à l'angle du mur et laisse entrevoir un escalier en colimaçon, ainsi que des paires de pieds descendant des marches en pierre.
- Ne sois pas bête, l'Œil ne peut pas être ici, rétorque une voix grave
- Ce n'est pas parce qu'on ne l'a pas trouvé maintenant qu'il n'est pas là, contredit une autre voix
- Taisez-vous tous les deux ! les réprimande la voix d'une femme
Priscilla et Donovan Elder passent la porte, un troisième homme referme la marche. S'arrêtant sur le palier, la superviseure se tourne vers ses deux compagnons, les traits durcis par la sévérité. L'assistant de la professeur d'entraînement physique lui ne semble nullement touché par le même tracas tandis que l'autre homme - certainement Declan Elder - ne cache pas son air contrarié.
- Ce n'est que partie remise, il faut encore-, commence Priscilla en replaçant ses grosses lunettes carrées
Elle est cependant interrompue par un coup de coude de la part du grand baraqué à la mine renfrognée qui désigne la présence de Madeline et Zadig du menton.
- Que faites-vous ici ? leur lance la superviseure avec froideur
- Ne me dites pas qu'il y a un couvre-feu ? contre Madeline
- Ça serait la cerise sur le gâteau, renchérit Zadig
- Je pensais que la séance d'entraînement d'aujourd'hui n'aurait pas épargné vos réserves d'énergie, n'est-ce pas monsieur Lington ? dit Donovan d'un air enjoué
- Libre à vous de déambuler dans le château mais veillez tout de même à vous coucher à une heure décente, leur conseille Priscilla en se forçant à retrouver un peu de douceur
- C'est noté, acquiesce Zadig
Les trois adultes leur souhaitent bonne nuit avant de s'éclipser par une autre porte fermée à clef.
- Ils ont raison, on ferait mieux d'aller se reposer, dit Madeline en se levant du canapé
- C'est ce qu'on devrait faire oui ... malheureusement, je crois que je vais être trop occupé à m'interroger sur quel genre de pyjama tu portes pour être stylé au plumard, plaisante Zadig en retrouvant sa fossette
- Tu aimerais bien le savoir, rit la blonde
Avant de dire au revoir à son ami afin de regagner sa chambre, les yeux verts de Madeline aperçoivent les reflets argentés de la lune à travers la fenêtre de l'alcove. La jeune femme observe la lueur scintillante et la forme en croissant de cette étoile tout en se posant une vaste question :
- Quels secrets nous caches-tu ?
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